308 kangaroo point • w/ @Elijah Hawkins

tout va très vite, en ce moment. à leurs débuts, cet enchainement rapide d'événements et de galères en tous genres lui aurait donné le tournis ; avec l'expérience acquise, c'est de l'adrénaline que ça lui procure. de l'adrénaline, et un boost de créativité énorme. dans sa tête fourmillent constamment de multiples idées d'accords et de mélodies entremêlées, joyeuse cacophonie qu'il n'avait plus entendue depuis trop longtemps, et qui ne demande qu'une chose - d'être couchée sur le papier ou grattée sur les cordes d'une guitare. en conséquence, pas mal d'instruments ont migré de son studio jusque dans le salon - une guitare par ici, un clavier par là, et même un vieil ukulélé, dont Taylor s'est surpris à apprécier les douces sonorités - au cas où lui viendrait une nouvelle suite de notes à jouer. sortir ne fait plus partie de ses priorités désormais, puisqu'au-delà d'être devenu un exercice compliqué, c'est bel et bien dans un état d'esprit purement dédié à la création qu'il s'est plongé. parce que cette précieuse étincelle, il ne l'avait plus portée en lui depuis plus de deux ans ; ou tout du moins, pas à ce niveau débordant, presque exalté. ne pas la nourrir, refuser de lui laisser l'espace de s'exprimer, ce serait de la folie, et profondément idiot. d'autant plus dans un contexte où il faut tout donner pour relancer un groupe dont il est techniquement perçu comme le leader. la charge de travail est donc colossale, mais la motivation est à son paroxysme.

il n'est pas au studio, aujourd'hui, mais bosse quand même d'arrache-pied depuis le matin, en coopération avec leur graphiste pour poser les nouvelles bases de l'esthétique qui accompagnera leur grand retour. dans son état d'intense concentration, dire que le dring aigu de la sonnette lui arrache un sursaut serait un euphémisme. son crayon vole dans les airs, et même Leslie se met à aboyer, fonçant tel un boulet de canon en direction de la porte. avec un soupir, Taylor rabat l'écran de son portable en position fermée, embarque avec lui la tasse de café froid qu'il a failli renverser sur ses notes. grommelant un juron contre le son strident qui persiste, lance un coup d'œil méfiant à travers la lucarne, qui lui dévoile le visage d'Elijah. serait-il passé à côté d'un message lui indiquant sa venue ? ça ne serait pas impossible, tant il était absorbé dans sa tâche.
à peine la porte ouverte que le plus grand, visiblement de bonne humeur, s'incruste sans attendre d'invitation. à la fois pris de court et agréablement surpris, Taylor se décale sans piper mot. Eli apprécierait sans doute d'apprendre qu'il lui avait manqué, ces dernières semaines. les deux amis ne s'étaient plus donnés tant de nouvelles depuis son retour de vacances et le mini concert improvisé qui avait suivi. alors, qu'est-ce qui l'amène jusqu'ici ? sûrement pas ce qu'il suggère. ce sourire, il le reconnait. c'est le sourire, et l'attitude d'un Elijah qui intérieurement, s'amuse beaucoup de quelque chose qui lui échappe encore, mais sur quoi il compte bien le titiller un peu. « ah ouais ? je peux te la rejouer si tu veux. » qu'il lance quand même, au cas où. c'est qu'il pourrait payer cher pour revoir sa mine ahurie, Taylor, parce qu'Eli n'est pas facilement impressionnable. ça lui avait procuré une certaine fierté, quand il lui avait joué ce fameux morceau pour la première fois. mais aujourd'hui, c'est au tour du Hawkins de le prendre au dépourvu. et si d'ordinaire le mot 'star' lui aurait tiré une légère grimace, c'est ce qui suit qu'il retient. ouvrant des yeux ronds, la révélation le laisse sans voix quelques secondes, à tel point qu'il ne rebondit même pas sur la plaisanterie. « comment t'as su ? » demande-t-il plutôt, l’air un peu incrédule. il fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre, mais quand même, le Elijah qu’il connait n’est pas réputé pour feuilleter les magazines people ou éplucher l’actualité musicale. et puis, avec le temps, Taylor s'était naturellement habitué à ne pas laisser s'échapper le moindre indice trop révélateur. malgré tout, c'est un certain soulagement qui l'envahit. plus besoin de se cacher maintenant, et Eli n'a pas l'air de lui en vouloir - même s'il aura probablement quelques questions. « t'as déjà eu le droit à une chanson en ton honneur. » rétorque Taylor, léger rictus au coin des lèvres. et ça, ce n'était pas donné à tout le monde. « pendant que t'es là, tu veux boire un truc ? qu'on trinque à cet achievement sur ton cv. » reprend-t-il, joueur ; parce qu'à en juger sa réaction, ce cas de figure précis ne lui était pas encore arrivé. et puis, une pause dans le tourbillon de travail qui l'engloutit depuis ces derniers jours ne lui ferait pas de mal, à Taylor. une boisson fraîche partagée avec son pote non plus.

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comme souvent, la bonne humeur d'Elijah est contagieuse. c'était ce qui l'avait attiré, quand leur amitié n'en était alors qu'aux prémices ; sa tendance à tout prendre du bon côté, ne jamais se laisser abattre. sans le savoir, le brun l'avait tiré d'un quotidien qui s'annonçait terne et morose, rien que par sa seule présence à ses côtés, des bêtises échangées par sms ou une simple invitation à sortir. et le voilà qui débarque à nouveau, complètement à l'improviste, bousculant cette routine dans laquelle le blond s'était confortablement installé. même imprévue, sa venue n'est pas dérangeante, bien au contraire. quant à ce qui l'amène, Eli ne tarde pas à l'expliquer : il l'a vu à la télé, tout simplement. contraste frappant avec son personnage de musicien sans grande popularité, à l'image de ses colocs, qui s'était maintenue jusque-là. ça n'a finalement rien d'étonnant que son ami soit venu chercher des réponses. « ah, oui. » qu'il commente, sans grande éloquence. il avait oublié le tournage et la diffusion prochaine de ce fameux reportage, Taylor. « c'est arrivé quelques fois, mais tu devais pas être dans le coin. » et puis, les gens avaient eu la décence de se montrer discrets, pour la plupart. peut-être aussi que certains pensaient l'avoir confondu avec le vrai Taylor, dans d'autres cas. il n'est sûrement pas le seul blond bouclé à exister sur le territoire australien, après tout. « ben fallait le dire tout de suite ! j'peux t'en signer un sur une feuille d'or si tu veux, j'en ai plein mes tiroirs. » qu'il renchérit, poursuivant sur le petit jeu d'Eli qui semble le croire assez populaire pour faire vendre une signature à plusieurs milliers. « j'ai oublié d'en racheter, désolé. » la réalité, c'est qu'à l'exception de quelques soirées où il s'autorise un certain lâcher-prise, Taylor n'en consomme plus tellement, de l'alcool, depuis qu'il a remarqué que Jaime n'en buvait plus une seule goutte. c'est donc deux canettes de coca qu'il ramène, confiant sa boisson à son invité avant de décapsuler la sienne. un petit shot de sucre lui fera le plus grand bien. « n'hésites pas à le mettre en avant surtout, tu me diras ce que ça donne. » plaisante-t-il en s'installant aux côtés du brun.

un bref silence aussitôt brisé par ce dernier, qui se pose manifestement beaucoup de questions. toutes légitimes, mais la gaieté apparente de Taylor retombe brusquement. il est temps d'entrer dans le vif du sujet - mais il n'a jamais été question qu'Eli profite de leur amitié dans son intérêt. « non, je sais que t'es pas comme ça. » il l'avait compris bien assez tôt. s'il y avait une chose qu'il n'avait pas pu, ni cherché à cacher, c'était son niveau de vie plus que confortable. sauf qu'Eli ne s'était jamais interrogé à ce sujet, alors à quoi bon se justifier ? de toute façon, l'idée de lui raconter quoi que ce soit ne lui avait même pas effleuré l’esprit, alors que tout était au point mort et voilé d'incertitude. dans ce contexte, se faire passer pour un musicien lambda lui était apparu comme la solution la plus logique, pour la simple et bonne raison que les événements l’avaient réduit à ce statut, quand on ignorait tout ce qui avait précédé ; et il n'avait pas envie de remuer le couteau dans une plaie encore béante. parce que l'explication est là, aussi simple que déchirante pour Taylor, et se résume à un seul prénom : Maxine. c'est autour d'elle, et de son accident, que tout s'articule. « on était plus vraiment un groupe, ces deux dernières années. » commence-t-il prudemment, et il pourrait s'arrêter là. il sait qu'Elijah, qui doit certainement ressentir son malaise, ne cherchera jamais à le pousser dans ses retranchements pour en savoir plus. mais Eli mérite aussi mieux que d'être maintenu dans le flou plus longtemps. et puis, le dire à voix haute ne lui parait plus être une épreuve aussi insurmontable qu'auparavant. le temps a déjà fait son œuvre ; même si sa peine est désormais pleinement visible. il n'a jamais su dissimuler ses émotions les plus éprouvantes, Taylor. pas besoin de grands talents de déduction pour deviner qu'il ne parle pas d'une séparation causée par une discorde, par exemple. « on a perdu quelqu'un et on se voyait pas continuer sans elle. » précise-t-il quand même, la voix plus monotone et le regard baissé sur le sol. « je t'ai rien dit parce que... » parce que ça fait encore mal d'en parler, seulement deux ans après. parce qu'il n'aura probablement jamais fini de faire son deuil, parce que Max ne cessera jamais de lui manquer. « je savais pas si on réussirait à rebondir un jour ou l'autre, à l'époque. je voyais pas l'intérêt de te parler d'une carrière que je pensais enterrée pour de bon. » décide-t-il de dire à la place. c'est la stricte vérité, après tout. pas besoin d'épiloguer, ni de plomber l'ambiance plus que nécessaire avec davantage de détails.

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ce qu'il retient de cet échange, outre son manque de sérieux dans un premier temps, c'est qu'Eli ne semble pas lui reprocher quoi que ce soit. au contraire, il a l'air plutôt ravi de se savoir ami avec une "star". c'était plutôt stupide de penser qu'il puisse se vexer pour si peu, alors que les discussions sérieuses et à cœur ouvert ne font pas partie de leurs habitudes. quand ils se voient, c'est presque toujours pour décompresser, s'amuser, oublier ce qui les tracasse, pas pour jouer les psychologues - ou des psys aux méthodes particulières, peut-être. là ne se trouve pas le cœur de leur lien, même s'ils s'étaient déjà confiés l'un à l'autre, par le passé, lors de moments propices à l'échange. alors, lui parler aujourd'hui n'est pas si difficile, bien que le sujet le soit encore. distraitement, Taylor triture les petites perles de l'unique bracelet qu'il porte au poignet droit, un souvenir de Maxine pour son vingt-cinquième anniversaire - pour marquer le coup, qu'elle lui avait lancé, comme si elle n'avait pas été l'organisatrice d'une fête mémorable, ce jour-là. témoin d'un tic nerveux, aujourd'hui, de ce que ça lui coûte de s'ouvrir à son sujet, l'évoquer de façon presque trop anecdotique. tout ce qu'elle n'a jamais été, à ses yeux. toucher les billes d'aigue-marine l'apaise un peu, et il lâche un soupir. « non, c'est bon. enfin, je vais pas rentrer dans les détails mais voilà, tu sais l'essentiel. » il n'y pas grand-chose de plus, ou d'intéressant à rajouter. Elijah est libre de se renseigner davantage s'il le souhaite, les articles à ce sujet ne manquent pas, surtout maintenant que leur popularité remonte en flèche. mais Taylor doute qu'il le fera, c'est donc tout naturellement qu'il lui confie les clés nécessaires pour comprendre à quoi était dû ce silence de sa part, bien loin de s'expliquer par un manque de confiance.

« ça repars ouais. » confirme-t-il avec un haussement d'épaules, d'apparence prudent, voire même indifférent. alors qu'intérieurement, Taylor exalte d'avance, trépigne d'impatience. comme un gamin à l'approche de Noël, se tempérer devient un peu plus difficile chaque jour qui passe. « la bassiste que tu as peut-être vue, Sasha - elle a rejoint le groupe en décembre dernier. on prépare notre comeback depuis mais c'est encore que le début. » les événements passés n'ont pas manqué de lui faire comprendre que tout pouvait basculer en un claquement de doigts, mais c'est plus fort que lui, Taylor est rempli d'espoir. il veut y croire, il a besoin d'y croire. « si tout va bien, un jour ou l'autre, on remontera sur scène. » et voilà qu'un petit sourire revient aussitôt à l'évocation de ce futur plus si lointain. c'est bien de ça que Taylor rêve depuis un an maintenant, et c'était déjà ce qui le faisait rêver presque une décennie plus tôt. la scène. le seul endroit où il devient la meilleure version de lui-même, dénuée de ses angoisses, de ses doutes et insécurités. ce n'est que là-bas qu'il s'épanouit véritablement, se dévoile tel qu'il est, sans artifices. ce n'est que là-bas qu'il se sent le plus proche de son public, que lui est vraiment donnée la chance de partager son univers, sa poésie, sa musique dans sa forme la plus authentique. la sensation de connexion n'est jamais aussi forte que dans une salle comblée, entre une foule et des musiciens en parfaite osmose ; et depuis quelques semaines, Taylor nourrit l'espoir qu'on le laissera parcourir le pays pour la promotion de son ep. rien ne saurait mieux le guérir que ces instants privilégiés, comme suspendus hors du temps. si ça ne tenait qu'à lui, il serait déjà parti démarcher toutes les adresses de la ville et des alentours. « si tu savais comme j'ai hâte Eli, j'attends que ça. » qu'il ne peut s'empêcher d'ajouter, cédant définitivement à ce sentiment fébrile qui s'empire de lui dès lors qu'il en parle comme d'un futur, pas seulement une probabilité. et quand il ferme les yeux, il peut presque les ressentir, les vibrations qui parcourent le sol, la chaleur des projecteurs dans son dos, le poids de sa guitare sanglée autour de l'épaule. peut-être même qu'il reconnaitra le visage d'Eli parmi la foule. Taylor se demande si son ami viendra le voir et l'écouter, lui qui ne semble pas particulièrement transcendé par cet art.