Quand Megan est passée chez ses parents mercredi pour rendre visite à sa sœur, elle est tombée de haut. C'est sa mère qui lui a ouvert la porte et lui a fait comprendre qu'elle n'était pas la bienvenue dans l'immédiat, ses amis du bridge étant conviés pour le goûter. Le message est passé ; Megan est constamment la goutte de trop, celle qui fait déborder le vase. Ses proches ne veulent pas d'elle dans ses pattes, la preuve avec sa mère qui a probablement trop honte pour laisser entrer sa propre fille ainée dans la demeure familiale. Coincée dans l'entrebâillement de la porte, Megan ne force pas le passage. Pas contre sa mère. Elle la fixe de ses pupilles dilatées de colère en comprenant ce qu'il se trame dès qu'elle entend les rires des vieilles bourgeoises du quartier. Mais qu'importe l'attitude déplorable de Lisa, Megan n'en oublie pas la raison de sa venue ici : Yaël. Alors quand Lisa lui apprend que sa sœur est partie chez elle pour récupérer quelques tenues pour la fin de semaine, Megan voit rouge. Elle se tire sans demander son reste, retenant au fin fond d'elle l'envie de rejoindre Yaël. De la protéger. Mais peut-être qu'elle exagère Megan ? Peut-être que Yaël ne va pas croiser sur son chemin ? Quoiqu'il en soit, Daphne le lèvera pas la main sur elle, ne l'a jamais fait. Alors il faut qu'elle se canalise Megan. Le seul risque que Yaël prend, est de se faire à nouveau avoir par les beaux de yeux de son épouse. Alors que les médecins psychiatres ont été clairs. Elle doit se tenir éloigner de la cause de ses tourments : Daphne. Megan bouillonne de rage en elle. Pourtant elle a réussi à se retenir. Elle est partie bosser et s'est contentée d'écrire à Yaël à la tombée de la nuit, juste pour s'assurer qu'elle soit bien rentrée chez leurs parents. La réponse est douce comme peut l'être la Saunders, ce qui fait immédiatement sourire Megan. Yaël et Jude sont en train de diner avec Lisa et William. Bien. C'est une bonne nouvelle. Megan a donc pu retourner bosser en paix.

Le problème avec la Saunders, c'est qu'elle finit toujours par laisser ses émotions et sa rage la submerger. Tant et si bien que son cerveau s'est focalisé sur cet événement. Déjà inquiète de l'état psychique de sa cadette, Megan redoute désormais que Yaël ne l'écoute pas. Ni ses conseils d'ainés, ni ceux du corps médical. C'est l'amour. Ça lui a toujours fait ça à Yaël, l'a toujours rendu trop aveugle pour réaliser à quel point elle est trop conne. C'est justement ça le problème. Et si Yaël décidait de retourner vivre chez elle ? Avec Daphne ? Et si après ça, elle allait recommencer à souffrir et risquer de crever à chaque coins de rues ?! Le cerveau de Megan est en boucle là-dessus, durant toute la journée du jeudi. Elle en fait même des cauchemars, durant lesquels elle s'imagine Daphne lui rire à la gueule – comme si elle ferait ça dans la vraie vie, n'importe quoi – et d'autres rêves où elle imagine faire le jeu à la corde avec la rousse. Seulement, ce n'est pas une corde qu'elles tirent mutuellement contre elle, mais le cadavre de Yaël. Ce rêve là, il la fait se réveiller en sursaut le vendredi matin. Elle maudit Daphne et cette salope de Hera. À croire, dans l'histoire, que celle trompée n'a pas été Yaël, mais Megan.

Quoiqu'il en soit, Megan ne supporte plus de ruminer. Ne supporte plus de s'imaginer le pire. Yaël doit se tenir à distance de Daphne, le plus longtemps possible. Au moins le temps qu'elle se remette de ses émotions ; et qu'elle travaille avec les médecins compétents sur sa santé mentale. Une semaine n'est donc pas suffisant pour que Yaël se remette de tout ça. De l'infidélité dont elle refusait de parler il y a encore de ça quelques semaines. Car c'est bien ça le problème ; Yaël ne s'est pas remise des conneries de Daphne. Alors Megan n'hésite pas plus longtemps et ordonne à son cher neveu de lui filer un coup de main cet après-midi. Elle n'en dit pas plus ; lui promet simplement quelques centaines de dollars en échange de son aide. Forcément que le gamin allait sauter sur l'occasion en étant au chômage !

Comme convenu, Megan passe le chercher dans les alentours de quatre heures, puis entame la route en direction de Paddington. À cette heure de la journée, ça bouchonne, donc le trajet dure plus d'une demi-heure. Elijah lui demande plusieurs fois le programme mais Megan ne répond pas. Ses doigts serrent le volant avec férocité, tant elle est aveuglée par son besoin de protéger sa cadette. Yaël ne doit pas se faire avoir. C'est fini. Elle a été assez conne comme ça ! De telles pensées se répètent en boucle dans l'esprit de Megan.

Ce n'est qu'une fois garée devant chez le couple Hawkins-Saunders que Megan s'extirpe hors de ses pensées. Elle pile et fout le frein à main, qu'importe si le gamin est surpris et lui gueule après. Il va bien falloir qu'elle lui explique ce qu'ils foutent ici... Mais surtout qu'elle trouve une justification nécessaire pour que Elijah ne change pas d'avis, et accepte toujours de l'aider. Mais en réalité, la seule raison de sa présence à lui, c'est que Megan craint de tomber nez-à-nez sur Daphne. Ce n'est pas la rouquine qu'elle redoute, mais elle-même. La présence d'Elijah est donc nécessaire ; une façon à elle de protéger Daphne contre sa rage.

– Yaël m'a demandé de récupérer toutes ses affaires, balance Megan qui sort au même instant de la voiture, avant de contourner sa jeep jaune pour y récupérer plusieurs sacs et valises dans le coffre.

Premier mensonge.
Yaël ne lui a rien demandé du tout. C'est Megan qui s'est octroyée seule cette mission sauvetage. Celle qui sauvera la santé mentale de sa cadette.

– Le truc c'est que j'ai zappé de prendre ses clés ! T'as ton double toi ? demande-t-elle au gamin, tout en lui jetant un sac au visage.

Second mensonge.
Megan est en train de se foutre dans la merde, même vis-à-vis d'Elijah. Mais qu'importe. Seule Yaël compte à cet instant. Y'a que comme ça qu'elle ouvrira peut-être enfin les yeux !

Est-ce qu'elle s'apprête à rentrer chez Daphne sans y avoir été invitée ? Oh que oui.
Est-ce qu'elle compte y foutre le bordel ? Oh que oui.

L'ambiance dans l'habitacle de la voiture est pesante. La faute à Megan qui durant tout le trajet n'a pas répondu à une seule remarque de son neveu. De quoi tendre le gamin qui ne supporte jamais longtemps lorsque sa tante l'ignore. Pourtant Megan continue de ne pas lui répondre, même quand Elijah peste contre son humeur de merde. Il n'a pas tort. Megan est folle de rage. Envers Daphne, envers le monde, même envers sa propre sœur qui l'envoie chier constamment. Mais le comportement de Yaël est normal, elle le sait Megan. Sa cadette souffre. Raison de sa présence ici aujourd'hui. Megan doit changer les choses. Elle doit continuer d'essayer de protéger Yaël. C'est son nouvel objectif depuis l'année dernière. Veiller sur sa cadette comme elle ne l'avait encore jamais fait. Certes elle avait été présente, Megan, à la séparation de Yaël avec Rosa. Mais pas aussi intensément qu'elle l'est aujourd'hui, alors que le mariage de sa sœur bat de l'aile. C'est sa façon à elle de rattraper toutes ces années de tensions entre Yaël et elle, mais surtout d'éviter à sa sœur plus de souffrances. Elle est arrivée à un point de non-retour. De tensions si fortes que Megan se dit que les choses doivent changer. Et si Yaël n'est pas capable d'entreprendre d'elle-même ses changements, alors Megan le fait pour elle.

Bercée par cet élan de protection, Megan agit sans réfléchir. Elle balance des mensonges à tout va à son neveu, persuadée qu'il va se laisser faire. Comme si Elijah était devenu couillon en une seule nuit. Mais il n'est pas con le gamin, il ne se lance jamais dans une merde sans en comprendre le sens. Surtout lorsque cela concerne sa famille, tout du moins Daphne, dont il est très proche. L'inquiétude se lit dans le regard du gosse et fait déjà naître quelques regrets chez Megan. Sa poitrine se serre tandis qu'Elijah enchaine les questions. Elle n'a peut-être pas choisi le meilleur partenaire pour se faire. Elle aurait dû demander un coup de main à Nils, lui aurait dit oui sans réfléchir. Il se lance toujours tête la première aux côtés de Megan ; et inversement. Mais Elijah lui semblait être la solution de faciliter ; puisqu'il est après tout un des meilleurs binômes qu'elle n'ait jamais eu Megan. Celui avec lequel elle fait les quatre cent coups, sans jamais réfléchir. Puis, lui, il possède un double des clés de la baraque ; ça lui évitait d'entrer par effraction. Malheureusement, l'émotion gagne le gosse. Ou la panique, plutôt. Elle aurait dû savoir Megan. Elle aurait dû se douter que l'entrainer là-dedans n'était pas le meilleur des plans. Son angoisse d'abandon, mais surtout son hyper attachement vis-à-vis de sa mère aurait dû pousser Megan à ne pas le choisir lui. À ne pas l'entrainer dans la destruction de cette famille, leur famille. Parce que tout ça, ça l'a toujours fait flipper Elijah. De les perdre, de tous les perdre, et de voir sa famille se détruire. Elle le sait Megan. Alors pourquoi est-ce qu'elle a fait ça ?

Un soupir s'échappe d'entre ses lèvres, tandis que le regret continue de se faire ressentir. Quelle conne putain. Après avoir à son tour balancer les sacs vides par terre, Megan se frotte le visage nerveusement. Doit-elle continuer de lui mentir ou plutôt chercher à le rassurer ? Non. Yaël ne lui a pas demandé cela. Car Yaël ne réalise pas que son couple la fait cruellement souffrir. Megan craint tellement que sa cadette retourne vivre dans la gorge du loup qu'elle fait son possible pour l'en empêcher. Ce fameux loup qui pour Megan, a été pendant des années sa meilleure amie. Alors à elle aussi ça lui fait un mal de chien de faire ça. D'imaginer Daphne rentrer dans une maison vide. Mais n'est-ce pas ce qu'elle doit faire pour protéger sa sœur ? Si. Alors Megan se redresse, soupire à nouveau, puis pose son regard sur son neveu paniqué.

– Ok. Je t'ai menti. Personne n'abandonne personne, du calme, admet la tante en se penchant en avant pour attraper les sacs vides, bien décidée à accomplir sa mission. Yaël ne m'a rien demandé puisqu'elle veut revenir vivre ici. Mais je refuse. Pas tant qu'elle ne sera pas guérie, ou que les psychiatres cesseront d'accuser ta maman d'avoir brisé le cœur de ma frangine. Alors je viens forcer les choses. Je récup toutes les affaires de Yaël pour la forcer à se tenir éloigner un temps. Parce qu'elle a failli crever putain ! Si tu veux pas m'aider, file moi au moins les clés et tire toi. Sauf si tu veux que j'explose une vitre et aide les délinquants à se faufiler chez tes mères.

Megan s'approche de son neveu et attrape le sac qu'il a lui-même abandonné avant de s'approcher du portail des Hawkins-Saunders. Elle attend, dos tournée à son neveu, persuadée qu'Elijah ne la suivra pas dans ces conneries là, visant toutes à protéger Yaël.

Réfléchir avant d'agir ça n'a jamais été le mode de fonctionnement de Megan Saunders. C'est souvent l'inverse chez elle. Elle fait, casse, brise ; puis seulement après, elle remet en question son mode de fonctionnement. Et c'est justement ce qu'il se passe à cet instant, alors que son regard croise brièvement celui de son neveu avant qu'elle entreprend d'avancer vers la maison familial. Elijah a l'air complètement tourmenté par ce qui se trame et surtout par les mensonges qu'elle lui a soufflé quelques secondes plus tôt. Il n'en faut pas plus à Megan pour réaliser que son plan n'est pas le meilleur qu'il soit. Elle n'aurait pas dû l'impliquer là-dedans. Pas lui, alors qu'il redoute de voir sa famille se briser. Mais c'est pourtant ce qu'il se passe ; sa famille se décompose en mille morceaux. Elle aurait mieux fait de lui voler ses clés un soir où il travaillait au So What, ça aurait faciliter la situation et au moins, elle ne l'aurait pas mis dans une situation si inconfortable.

Persuadée qu'Elijah ne lui suivra pas dans sa connerie, c'est avec surprise qu'elle découvre son changement d'avis. Il est ok. Megan se doute qu'il le fera à certaines une conditions qui risqueront de lui déplaire. Mais au moins, elle va pouvoir rentrer dans la demeure familiale sans avoir à péter une fenêtre et risquer de se faire incriminer pour vandalisme et violation de domicile. C'est donc un sourire qu'elle offre au gosse en guise de remerciements, posant enfin son regard sur lui. Elijah semble encore plus paniqué qu'à leur arrivée. Les questions qu'il lui pose s'enchainent sans laisser le temps à Megan de rétorquer. Le regard surpris qu'elle lui lance parle pour elle. Megan ne pensait pas que ça le perturberait autant. Quelle conne. Elle aurait mieux fait de l'enfermer dans le coffre de la voiture comme un vulgaire bouledogue et basta. Maintenant elle va devoir composer avec un gamin flippé, qui risque à coup sûr de lui foutre des bâtons dans les roues ! La Saunders lève les yeux au ciel en l'observant ouvrir la porte, et profite de ce laps de temps de silence – enfin – pour répondre au gosse.

– Ça durera le temps qu'il faut. Son cœur a failli s'arrêter j'crois. J'veux pas perdre ma sœur parce qu'elle a le cœur brisé à cause de ta mère, souffle-t-elle en n'osant même pas prononcer le prénom de celle qui a tant compté dans leur vie respective.

Daphne elle a pourtant été une épouse pour Yaël, une mère pour Jude et Elijah, une belle-fille pour les parents Saunders, et une meilleure amie pour Megan. Elle a joué un rôle bien plus simplet qu'être un vulgaire pion dans leur vie. Pourtant, c'est uniquement à son rôle de mère que Megan l'associe. Reparler de leur amitié lui irriterait trop la gorge, lui fendrait trop le cœur. Car non seulement la rouquine a brisé le cœur de Yaël, mais c'est aussi celui de Megan qu'elle a piétiné en chemin en la trahissant comme elle l'a fait. Pourtant, depuis la fête d'adoption d'Elijah ça semblait mieux parti entre tous ; comme s'ils étaient en train de recoller les morceaux et de redevenir cette famille plus soudées et plus unies que jamais. Mais Yaël – ou plutôt son corps – a enfin décidé d'exprimer haut et fort ce qu'elle ressent. Elle a explosé. Sa souffrance est enfin perceptible et ce n'est pas plus mal. Il n'y a que comme ça qu'elle arrivera à avancer. Même si cela implique de foutre Daphne à la porte. Ou plutôt, de l'exclure le plus loin possible des Saunders. Megan compte bien s'en assurer, et ne se gêne pas pour le faire maintenant. Elle secoue son épaule quand elle sent la main d'Elijah la retenir, le forçant à la lâcher, puis elle se tourne vers lui. Megan pince ses lèvres en lisant la souffrance qu'il cherche probablement à camoufler. Ça lui fend le cœur de lui faire du mal à ce gosse, tellement qu'elle ne peut s'empêcher de s'insulter elle-même à travers ses pensées.

– Merci de m'avoir ouvert, Eli. Je ne voulais pas te faire du mal, mais tu dois comprendre que c'est ce qu'il y a de mieux pour ma sœur, explique-t-elle d'un ton plus mature que d'habitude.

Megan replace les bandoulières des sacs sur ses épaules avant de pénétrer dans l'habitacle. Le silence qui y règne est pesant, mais très rapidement comblé par Megan qui se met à fouiller dans les placards. D'abord dans la cuisine, ou elle cherche son péché mignon : les Reese's. En les cherchant, elle en fout partout, et ne prend pas la peine de remettre les choses à leur place. Dans le salon, elle attrape la plante préférée de Yaël pour la ramener vers la porte d'entrée, et d'une main volontaire fait tomber un vase qu'elle sait être le favori de Daphne.

– Oups... fait-elle siffler entre ses dents d'un ton innocent, en se tournant vers le gosse dans son dos. Sérieux il la suit partout ? Tu sais que tu peux rester dans la voiture ? Maintenant que tu m'as ouvert je n'ai plus besoin de toi ! cri Megan en repartant en courant dans la chambre du couple, où elle compte bien vider les placards pour récupérer une partie des fringues de Yaël. Du moins, ce qu'elle pense être ses fringues, parce qu'en réalité elle n'en sait fichtrement rien Megan.