Even if...

Yaël & Elijah

Une main sur le volant, l’autre, accoudée sur la portière, soutient sa tête. Elijah n’est pas très concentré sur la route tant ses pensées sont toutes tournées vers le cataclysme détruisant actuellement sa famille. On ne peut pas dire que son retour du Canada se soit déroulé sous les meilleurs hospices. Sa relation avec Yaël n’a cessé de se détériorer depuis le début de l’année. A croire que sa mère a perdu de sa patience légendaire. C’est triste de constater que leurs rapports se sont dégradés au point de revenir à leur base, à la mésentente d’il y a dix ans. C’est d’autant plus dramatique quand on sait que l’adoption officielle d’Elijah par Yaël, l’année dernière, semblait pourtant les avoir soudés. Malheureusement, on ne peut pas dire que les récents événements y aient contribué. Non seulement le jeune Hawkins a lâché des mots durs à l’égard de sa mère, sous la colère et son impulsivité non contrôlée, mais leur dernière conversation téléphonique s’est également mal passée. Pour une raison simple.

Eli n’est pas prêt à faire face à son pire cauchemar.

Si la perspective que Daphne et Yaël se séparent durant son adolescence était réjouissante, la donne a changé. Sa belle-mère est devenue une véritable mère à ses yeux. Si elles finissent par divorcer, c’est toute sa famille qui explosera. Cette famille si durement gagnée pour ce gamin orphelin qui a passé toute son enfance en foyer, avant que sa sauveuse ne vienne le libérer de son enfer personnel. Même s’il a mis du temps à l’accepter – les joies de l’adolescence, notamment, couplés à cette peur panique de perdre Daphne – il est aujourd’hui fier de compter les Saunders comme sa famille. Alors imaginer qu’il puisse les perdre ? Que tous se déchirent continuellement ? C’est impossible. Pourtant, Megan voue déjà une certaine haine envers sa mère. Celle qui, de son point de vue – légitime – est responsable de ce merdier. Qu’adviendra-t-il si leur fameux break s’avère définitif ? Finies les fêtes en famille. Terminés les bons moments passés tous ensemble. Leur week-end pour célébrer son adoption était-il le dernier passé dans la joie et la bonne humeur ?

Quoi qu’il en soit, et même si la situation actuelle perturbe grandement le jeune Hawkins, il ne peut décemment pas bouder sa mère éternellement. Parce qu’il l’aime, Yaël, au même titre que Daphne. La nouvelle de cette pause dans leur couple n’est pas encore totalement digérée alors qu’il se rend à l’adresse temporaire de la procureure. Il n’aime pas l’idée qu’elle vive seule dans un endroit inconnu. Tout comme il n’apprécie pas celle dans laquelle Daphne occupe seule leur maison. A croire que l’année 2024 n’apporte aucune bonne nouvelle dans son sillage, hormis Brody. Le seul capable de lui redonner le sourire dans ces moments difficiles. Celui pour qui son cœur bat si fort qu’il a bravé ses principes de non engagement pour lui. Après une petite erreur d’itinéraire, Elijah arrive enfin à l’adresse indiquée. A-t-il réellement atteint la bonne destination ? Rien n’est moins sûr. On ne peut pas dire que sa concentration inexistante l’ait vraiment aidé dans son périple. Perplexe, il quitte sa voiture stationnée dans la rue et récupère le sac dans lequel attendent les souvenirs ramenés du Canada pour sa mère ; un flacon de sirop d’érable, un porte-clés et une peluche d’ours pour Jude. Doutant de se trouver au bon endroit, il préfère envoyer un message à Yaël plutôt que de sonner chez n’importe qui. Aujourd’hui, il n’a pas la force de tester toutes les portes des alentours avant de trouver la bonne. Pas le temps, pas l’énergie. Et pas l’envie.

Heureusement pour lui et son humeur à mi-chemin entre la morosité due aux derniers événements et la joie de retrouver sa mère, c’est bien elle qui apparait dans l’encadrement de la porte. « Tant mieux, j’avais pas envie de me taper tout le voisinage. » Façon de parler, bien sûr. Un fin sourire se dessine sur ses lèvres alors qu’il s’avance pour la rejoindre. A peine a-t-il le temps de réagir que sa mère le serre dans ses bras. Fort. Le contact est réconfortant et un tel rapprochement avec elle lui avait manqué, il faut bien l’avouer. Les conflits récents sont pesants alors un peu de douceur est grandement apprécié. Parce qu’il faut le reconnaitre, Elijah regrette ses mots durs à son égard. A l’instant même où il les a envoyés, pour être honnête. Alors il profite de cette étreinte qui lui fait le plus grand bien en cet instant, avant que Yaël ne lui rende sa liberté. Invité à entrer, il s’exécute et ne retient pas son regard de balayer les environs. C’est tellement étrange d’être « chez » Yaël dans un lieu inconnu qui ne lui ressemble pas. De toute façon, c’est temporaire, non ? Puisqu’elle retournera auprès de Daphne « sous peu ». « Moi aussi. » A bien y réfléchir, la dernière fois qu’ils se sont vus remonte à plus d’un mois, peu après son passage à l’hôpital, puisque les prises de tête ont rapidement commencé par la suite. « T’as du coca ? Sinon peu importe, un jus de fruits c’est bien. » Il n’est pas bien difficile, ça n’a pas grande importance. En revanche, il reprend son tour d’horizon et suit sa mère dans son mouvement. Ses prunelles se promènent un peu partout, à la recherche de la moindre touche personnelle de Yaël. « Jude vit où ? » Première question qui lui traverse l’esprit. Ont-elles déjà initié une garde alternée ? A-t-il une chambre ici ? En revanche, ce n’est sans doute pas ce qu’il aurait dû demander de prime abord. « Tu te sens comment, ici ? » Quitte à mettre les pieds dans le plat, autant y aller franchement. Au milieu de ses interrogations témoignant d’une inquiétude et de préoccupations non dissimulés, il se souvient qu’il n’est pas venu les mains vides. « Et ça c’est pour toi. Enfin, la peluche c’est pour Juju. » Lance-t-il en lui tendant le sac de souvenirs.