@Daphne Hawkins & @Yaël Saunders

( o u t f i t ) · Musique d'ambiance · Pareille à un lion en cage, Yaël a fait des allées et venues dans le salon de sa maison une bonne partie de la matinée. Aucune des formulations auxquelles elle s’essayait ne la satisfaisait. Chaque message qu’elle tentait d’écrire pour adresser ses vœux d’anniversaire à Daphne lui semblait fade, impersonnel, presque froid. Mais dès qu’elle y ajoutait un peu plus de couleur, Yaël avait l’impression que ses mots sonnaient faux. Du moins, qu’ils auraient sonné faux aux oreilles de l’officier de police. Deux heures de brainstorming n’y ont rien changé et c’est un message relativement banal qu’elle a fini par lui envoyer, faute de trouver la formulation parfaite. Ça lui tenait à cœur, cependant, de lui faire savoir qu’elle pensait à elle en ce vingt-quatre mars, quel que soit l’état de leur relation actuelle.

L'idée d'aller la retrouver pour le déjeuner lui a traversé l'esprit plus d'une fois. Il faut dire que l'insistance de Lisa pour les recevoir tous ce midi afin de célébrer ensemble les quarante-cinq ans de sa belle-fille n'a pas aidé à sortir ces idées de la tête de Yaël. Cette dernière a dû faire preuve d'une certaine force de caractère pour s'opposer à sa mère, tout autant que pour ne pas quitter son domicile afin de rejoindre Daphne durant sa pause méridienne. À quoi est-ce que cela aurait rimé ? De quoi aurait-elle eu l'air, sinon d'une misérable femme éplorée ? C'est ce discours - peu réjouissant mais efficace - qui a fait rester Yaël chez elle toute la journée du dimanche. Les tâches ménagères ont au moins eu le mérite de la tenir occupée. À tout le moins, jusqu'au moment où elle a fait la poussière sur les quelques livres de la bibliothèque du salon et que son regard s'est attardé sur la couverture de l'album photos ramenée du domicile familial. Il ne lui en a pas fallu davantage pour aller s'installer dans un des transats du jardin et pour se perdre dans les souvenirs du passé. Chaque photographie a été scrutée, étudiée dans les moindres détails. Les sourires heureux de chacun des membres de leur famille, immortalisés sur papier glacé, n'ont été que le rappel brutal du mal que Yaël leur fait. La culpabilité a commencé à s'immiscer en elle jusqu'au moment de tourner la dernière page de l'album. Là, une photographie de leur mariage a rappelé la procureure à une certaine réalité. Pourquoi s'imposer cette distance et cette douleur si ce n'est pas ce qu'elle veut au fond d'elle ? Si ce n'est pas non plus ce à quoi Daphne aspire ?

Sans plus chercher à réfléchir, Yaël a gagné l'étage de la maison pour une douche, suivie d'une mise en beauté expresse. Si expresse qu'elle a passé une tenue un peu au hasard en constatant l'heure déjà avancée, avant de rejoindre à la hâte le quartier de Fortitude Valley. Stationnée aux abords du commissariat avant dix-neuf heures, c'est une Yaël stressée qui finit par sortir de son véhicule à l'heure pile pour rejoindre le trottoir situé en face de l'entrée principale. Les minutes qui s'écoulent lui semblent interminables. Elle aurait juré, pourtant, que Daphne terminait son service à dix-neuf heures.

Et si... Et si elle s'était trompée ? Et si Daphne avait d'autres projets ? Et si elle n'était pas heureuse de la voir ? Et si elle n'en avait pas envie ? Et si elle était mieux sans elle ?  C'est fou comme sept minutes peuvent suffire à monter en épingle une inquiétude initialement mineure. Il faut attendre à Yaël d'avoir enfin la rouquine en visuel pour que toutes ses pensées soient chassées au loin. Le pas hâtif avec lequel l'officier de liaison s'éloigne de son lieu de travail oblige la procureure à emprunter cette même cadence, voire une un peu plus soutenue encore.

- Hey, essaie-t-elle de l'interpeler doucement, avant de constater qu'il va falloir y aller plus franchement si elle veut être sûre d'être entendue. Daphne !

L'intéressée s'interrompt immédiatement dans sa marche et Yaël n'a que quelques pas supplémentaires à faire pour se retrouver à moins de deux mètres d'elle. Elle attend que la rouquine se retourne complètement face à elle pour livrer les explications de sa présence ici. Cela vaut mieux que de lui sauter dans les bras comme elle a pourtant envie de le faire.

- Je n'avais pas envie de te laisser toute seule le jour de ton anniversaire, avoue-t-elle. J'avais envie d'être avec toi, ajuste-t-elle son discours pour qu'il colle totalement à la réalité.