@Alarik Källström & @Yaël Saunders

Quand enfin le parking s'illustre sous leurs yeux, un certain soulagement s'empare de Yaël. La dernière demi-heure de marche a sans nul doute été la plus difficile, entre les efforts physiques fournis depuis seize kilomètres et l'obscurité de la nuit qui tombe. Pourtant, c'est bien une certaine fierté qui saisit dans le même temps la procureure. La fierté d'avoir bouclé le circuit de Toolana Creek dans les temps, mais aussi - et surtout - de s'être accordée cet après-midi avec Alarik. Depuis leurs retrouvailles en février dernier le sentiment que chacune de leur rencontre est chronométré ne s'estompe jamais. Les cafés du matin se compte en quart d’heure, les snacks du déjeuner en une heure pleine mais jamais plus, et même leurs promenades au parc avec leurs chiens respectifs ne dépassent que rarement les quarante-cinq minutes. Partir à la journée, en pleine nature, avec pour seule compagnie celle de l'autre, s'est ainsi avéré bénéfique. Même s'il n'est pas possible de rattraper vingt ans d'une vie en un claquement de doigts, Alarik et Yaël ont su mettre à profit cette excursion pour poser les bases solides du renouveau de leur amitié. Les conversations se sont enchaînées sur leurs vies respectives ; la procureure a même joué le jeu de lever le voile de la pudeur et de parler avec moins de filtres qu'elle n'en a l'habitude. Une amitié ne se reconstruit pas sans effort et tous deux en sont conscients.

Aussi agréable et ragaillardissante cette randonnée fut-elle, Yaël est tout de même heureuse d'arriver à la fin. Elle n'est pas certaine qu'elle aurait eu la capacité de faire une centaine de mètres de plus. Son corps lui paraît de plus en plus faible, tant et si bien qu'elle en vient à regretter d'avoir refusé la barre aux céréales qu'Alarik lui a proposé plus tôt. Elle chasse cependant rapidement cela de sa tête et ne manque pas de lever sa main en l'air pour échanger un high five avec le médecin alors qu'ils s'arrêtent finalement à côté du véhicule et qu'ils ont relevé leur pari.

- Yeah ! accompagne-t-elle verbalement son geste avant de déposer son sac à dos dans le coffre de la voiture. C'était vraiment agréable. Le grand air fait du bien.

Un sourire plus tard et Yaël grimpe côté passager. L'obscurité est parfaitement présente quand ils se mettent en route. Les hauts eucalyptus éclairés par les phares de la voiture donnent aux paysages des allures de conte fantastique. La tête calée contre l'appui-tête, les yeux de la procureure se promènent au-dehors, alors qu'elle finit par reprendre la parole.

- On se croirait presque dans Twilight. Et avant que tu demandes : oui, j'ai vu les films ! Du moins, les deux premiers.

Si ses souvenirs des films sont lointains, les immenses forêts, elles, lui sont restées en mémoire. Il suffit seulement d'échanger la forêt de sapins contre une forêt d'eucalyptus pour s'y croire réellement. Mais alors que la conversation est ainsi engagée sur les œuvres de Stephenie Meyer qui ont fait l'objet d'une adaptation cinématographique, la voiture commence soudainement à perdre son élan. La première secousse interroge Yaël qui ne dit toutefois rien, la deuxième la force à tourner la tête vers Alarik et la troisième a finalement raison d'elle.

- Alarik, ne me dis pas que tu vas me faire le coup de la panne ? demande-t-elle sur le ton de l'humour alors même que le médecin adapte sa vitesse et serre de plus en plus sur le bas-côté.

@Alarik Källström & @Yaël Saunders

Elle est douce, l’idée de faire ce genre de sortie plus souvent. Yaël sait aussi bien qu’Alarik que ce ne sera pas évident, vu leurs emplois du temps respectifs. Pourtant, pour les quelques minutes qui suivent, la procureure s’autorise à croire que ça puisse être possible. Sans caler ces sorties toutes les semaines, ils pourraient à tout le moins en planifier à échéances régulières. Certaines pourraient même se faire en compagnie de leur compagne respective ou encore le plus jeune fils de Yaël – aucune chance pour que le plus grand ne les suive là-dedans. Plus qu’être l’occasion de s’aérer l’esprit et de profiter du grand air, ce serait aussi et surtout une façon pour Alarik et Yaël de s’assurer qu’ils ne laisseront pas le temps les éloigner une nouvelle fois. Conquise par l’idée, Yaël la laisse volontiers la bercer alors que les grandes forêts qu’ils traversent la projettent dans le monde fictif de Stephenie Meyer.

- Je te les ferais regarder, si tu veux.

Le sourire sur les lèvres de Yaël trahit son amusement à l’idée de se retrouver sur le canapé à visionner Twilight avec Alarik. Elle sait très bien que ça ne se fera jamais, sauf à ce qu’ils se retrouvent tous deux cloués au lit avec quarante degrés de fièvre chacun. Oui, il faudrait très certainement des conditions extrêmes pour qu’ils en arrivent à préférer les aventures de Bella et Edward aux dizaines d’autres activités qu’ils pourraient partager ensemble.

Cela étant, l’amusement de la procureure est de courte durée. Il se passe quelque chose d’anormal avec la voiture. Elle n’a décelé aucune mauvaise conduite de la part du médecin et se doute que le problème est inhérent au véhicule. À aucun moment elle ne soupçonne qu’il puisse faire l’idiot, même si elle s’autorise à évoquer le fameux coup de la panne. Elle aurait préféré, en réalité. Elle aurait préféré qu’Alarik s’amuse comme un adolescent, à lui faire croire que la voiture ne fonctionne plus pour profiter un peu plus de sa journée avec elle.

- Tu ne peux plus avancer ? répète Yaël, les sourcils froncés. J’aurais également préféré le coup de la panne…

Quoi qu’il en soit, ils sont impuissants. Si la voiture a réellement un problème qu’ils ne peuvent pas régler tous les deux, ils seront contraints de rester ici en attendant la dépanneuse. Et vu le lieu où il se trouve et l’heure qu’il est, Yaël sait d’avance que l’attente va être longue. Bien qu’elle n’ait que peu d’espoir de pouvoir solutionner ce problème avec son ami, elle ne part pas défaitiste et le suit à l’extérieur pour inspecter avec lui l’extérieur du véhicule. Ça lui coute, de se remettre debout et de marcher à nouveau au vu de la petite forme qu’elle ressent depuis qu’elle a fini la randonnée, mais elle n’en dit rien.

- Je n’ai absolument aucune connaissance en mécanique, regrette-t-elle. Si ce n’est pas quelque chose d’identifiable à l’œil nu, je serais bien incapable de te dire ce qu’il se passe. Il y avait un voyant d’allumé ? Tu as le carnet d’entretien du véhicule ?

Pragmatique et organisée, Yaël opère comme elle le fait chaque fois. Pour élucider un problème, il convient toujours de partir de la source de celui-ci. Un peu dans son travail, en somme, où il lui faut constamment repartir de la règle de droit pour en faire une juste application. Elle espère donc pouvoir trouver des éléments de réponse dans l’éventuel carnet d’entretien de la voiture. Mais encore faut-il qu’il soit présent dans l’habitacle et que cette nouvelle information soit en mesure de les aider à solutionner le problème.

A priori, Rik ne réfléchit pas comme la brune. Il pense plutôt se défaire de ce problème rapidement, comme s’il s’agissait d’un pansement qu’il faut décoller d’un coup. Son téléphone tendu dans les airs, Yaël comprend qu’il cherche du réseau pour appeler son assurance et faire venir une dépanneuse. À sa demande, elle vérifie son propre réseau mais en tire rapidement le même constat.

- Rien. Ça ne capte pas, ici.

Un soupir passe ses lèvres alors qu’un léger étourdissement la saisit. Elle ne relève pas, Yaël, se contentant d’appuyer sa main libre sur le capot du véhicule.

- Il faut se rendre à l’évidence, nous ne solutionnerons pas le problème de ta voiture seuls dans la nuit. Nous devrions marcher un peu par-là, indique-t-elle la direction de sa main. L’intersection avec l’autre route doit être à environ cinq kilomètres d’ici. Au pire, nous trouverons quelqu’un pour nous rapprocher de la ville la plus proche ; au mieux nous aurons du réseau sur notre chemin et nous pourrons contacter un dépanneur, propose-t-elle malgré sa fatigue évidente et son teint de plus en plus pâle.