---

(liability) à sa naissance, elle est déjà un poids. qu'est-ce qu'on va faire d'elle ? se dit sa mère, se dit son proxénète, se dit l'infirmière qui la trouve, se dit le réanimateur pédiatrique, se dit l'assistante sociale, se dit l'employé des services sociaux, se dit le juge le juge des enfants, se dit l'éducateur spécialisé, se dit-elle, quand elle a enfin conscience de qui elle est : un poids pour la société.

(chosen family) tw: harcèlement scolaire - comme elle, leur identité flotte dans cette existence puisqu'ils ne sont rattachés à rien ni à personne. certains si, un jour ils avaient tout puis se sont retrouvés démunis, d'autres ont été arrachés à une réalité trop horrible pour ne pas créer le malaise quand le sujet est mis sur la table. son enfance entourés de ces autres gamins perdus comme elle, n'est pas si malheureuse, on prend soin d'eux dans ce foyer. elle peut pas vraiment rêver d'avoir des parents parce qu'elle ne sait pas ce que c'est. mais elle sent bien que sa vie ne ressemble pas à celle des autres enfants, à l'école. eux, au foyer, la comprennent. elle en voit partir, elle en voit venir alors qu'elle demeure une constante entre ses murs. deux-trois fois, on la présentera à des couples qui auraient pu être son papa et sa maman, mais qui n'étaient pas convaincus par nana pour être leur fille. elle n'a jamais jamais été choisie. une blessure à l'ego qui s'ajoute aux autres, toujours le sentiment de ne pas avoir de valeur. mais heureusement qu'elle a lara. lara aussi, on ne la choisit pas. alors elles se choisissent mutuellement, se rassurent, se promettent de veiller et de prendre soin l'une de l'autre pour toujours. à l'école, ce n'est pas facile, elle n'est pas attentive, elle n'est pas appliquée, c'est pénible de grandir dans un environnement hostile. l'école est son enfer, les enfants de son âge sont ses bourreaux. la sans-parents, il paraît que ta maman était une prostituée, tu vas devenir ça toi aussi ? elle est longtemps persécutée avant d'apprendre à se défendre. avant d'aboyer et de mordre avant d'être attaquée.  

(glory and gore) une dame au chignon défait l'approche un jour. nana a quatorze, elle traîne souvent dans la rue. alors, elle est surprise quand cette femme bien habillée vient lui parler, elle se présente comme une chasseuse de mannequin et lui tend une carte de visite. méfiante, elle pense à une arnaque mais finit par appeler le numéro. bien sûr, que ça la fait rêver, qu'elle s'est sentie spéciale et qu'elle veut tenter sa chance. elle devient un joli minois parmi tant d'autre dans les castings, court partout dès l'âge de quinze ans pour décrocher des contrats et ses premiers jobs. trop petite pour la haute couture, ça ne l'empêche pas d'être recherchée pour les photos, les clips, les sites de prêt-à-porter, les campagnes de publicité. elle défile sur quelques podiums quand elle commence à se faire un nom et sa petite place. le portfolio se remplit, elle a de plus en plus d'opportunités qui l'amèneront à canberra, perth, sydney... melbourne...

(happiness is a butterfly) nana arrête l'école à 16 ans. c'est possible parce qu'elle travaille maintenant en tant que mannequin, cumulant des petits jobs à côté quand les contrats ne sont pas au rendez-vous. elle préfère cette vie. le glamour, l'attention sur elle, cette forme d'art... un peu l'argent, aussi, même si c'est à peine assez pour vivre. heureusement, que son agence l'agence lui loue un appartement qu'elle partage avec quatre autres filles, mannequins aussi. nana délaisse lara une première fois. elle s'installe à melbourne sur les conseils de son agence et grâce au mannequinat, sort de sa condition. pour ça, elle accepte cette ambiance toxique. les critiques, la compétition entre filles, la lutte contre les calories, le stress constant, les drogues qui s'immisce dans les soirées, les promotions canapé. elle en est préservée des dérives et reste naïve à ces poisons, elle est bien au-dessus de ça quand elle fait la rencontre de rose. elles sont jeunes et elles s'aiment, c'est la première fois que ce verbe prend tout son sens. rose veut l'épouser et qu'elles finissent leur vie ensemble. nana y croit. jusqu'à ce qu'elle prenne son coeur et s'enfuie avec.

(escapism) tw - abus de toxiques plutôt ne pas connaître le bonheur que de le voir vous être arraché, comme ça. le monde perd ses couleurs quand rose n'est pas là. elle lui en veut, elle lui en veut d'être partie. petit à petit, nana s'ouvrait au monde, il y avait quelque chose de beau qui était en train d'éclore en elle. parce que rose croyait en elle, qu'elle la faisait se sentir belle, importante et qu'elle était prête à tout pour elle. elles naviguaient dans cette vie ensemble, vers un bel avenir, elle en était persuadée. c'est fini quand rose a quitté le navire sans donner de nouvelles. nana, elle n'a pas tout de suite compris qu'elle allait devoir avancer seule. elle se raccrochait encore à un petit espoir. les jours passent, toujours rien, les années passent, toujours rien. elle a été oubliée. elle a été abandonnée, encore une fois. pour combler le manque, elle cherche d'autres bras, elle prend des pilules pour monter, elle fume et boit pour ne pas redescendre, jamais. c'est trop douloureux et le monde est trop moche sans ça. elle ne sait pas comment elle fait pour fonctionner mais ça comble un vide, le vide immense laissé par un premier amour qui lui a arraché tout ce qu'elle avait connu de plus beau jusque là.

(carmen) tw - vss, toxiques elle s'était toujours promise d'être irréprochable au travail, mais son job à plein temps, maintenant, c'est de courir partout pour se procurer de la poudre magique et des médicaments. elle a perdu de sa superbe, l'oeil hagard, le manque qui accentue son caractère de merde. c'est devenue une chienne errante, nana. elle se voit comme ça, accepte de se faire traiter comme telle. elle change de mecs tous les mois, aucun le la traite bien. elle leur appartient, l'intensité de leurs je t'aime n'a d'égale que la violence de leurs coups. les négations échappent à leur compréhension quand elle les prononce. tant pis, elle accepte d'être privée d'amour si cela peut lui donner un toit, un peu d'argent et de la drogue qui traîne sur la table basse. elle bosse où elle peut, refusera toujours d'emprunter un bout de trottoir. c'est différent ce qu'elle fait, c'est elle qui profite de la "gentillesse" de tous ces gars non ? c'est plus confortable le déni, d'ignorer d'où elle vient, qui était sa mère. ses pas l'amènent à suivre un groupe dans leur tournée, joue les choristes et assez jolie pour faire le tour des loges de tous les membres du groupe. le cycle prend fin quand elle revient à son point de départ, brisbane. nana vient pleurer sur l'épaule de lara qui la ramasse à la petite cuillère. elles n'en mènent pas large les deux. l'important, c'est d'être à nouveau ensemble.

(heads will roll) tw - escorting, vols- la beauté est une bénédiction comme une malédiction. elle a appris qu'elle pouvait en user depuis son plus jeune âge, nana. d'abord, parce qu'on a complimenté ses traits et ses atouts, ses grands yeux émeraudes et sa bouche pulpeuse. elle envoûte, nana. surtout ces messieurs. ils aiment sa jeunesse sur son visage. elle les laisse caresser sa peau, placer des bisous dans son cou lors de réceptions fastueuses auxquelles elle a maintenant accès. ça, ça rapporte beaucoup. l'appât du gain la pousse à multiplier les contrats, parfois elle cède sous le charme des billets, parfois de la personne, d'autres n'accèdent pas du tout entre ses cuisses. à elle bijoux, parfums, beaux vêtements et toutes les folies que permettent le luxe. elle n'est plus motivée par la drogue, elle est sobre depuis peu. cependant, c'est plus dur de résister à cet argent facile. surtout, quand ils trouvent l'opportunité de multiplier leurs gains. autour d'elle sa bande, ils se serrent les coudes pour survivre. l'argent, ils courent après, alors pourquoi pas le voler aux riches. ils ont tout, eux n'ont rien, pas grand chose à perdre. la combine se monte une nuit, l'un d'eux un peu éméché lance l'idée et le plan ira comme nuit : nana fidélise certains de ses clients, s'assure que les portes de leur belle villa restent ouvertes pour la bande. une fois entrés, ils ne craignent pas de caméras de sécurité, nana peut leur assurer. elle fait au mieux pour leur décrire les lieux en amont, là où ils doivent se rendre pour dérober des effets précieux. montres, bijoux, argent liquide, quelques extras comme des magnums et de bons alcools. le butin est maigre la première fois, mais ça les rend d'avoir réussi à voler quelques babioles dont on ne remarquera même pas l'absence peut-être. grisés par l'adrénaline, ils se mettent en tête de recommencer.

(world on fire) tw - homicide involontaire, toxiques - ce n'est pas dix, ce n'est pas vingt cambriolages qu'ils feront, mais trois. deux succès, un échec cuisant. une tragédie.
le deuxième cambriolage fut un jeu d'enfant comparé au premier. nana avait trouvé le bon client, un nouveau riche qui affichait toutes ses richesses de façon ostentatoire dans sa maison mais qui n'avait pas eu la présence d'esprit d'assurer une sécurité chez lui, digne de ce nom. ils remportent gros, plusieurs milliers en cash à se partager.
la raison les avait quitté mais la fête avait été belle, ce soir-là.
c'était trop beau pour être vrai.
c'était pas des gamins chanceux, ils auraient du s'en tenir à ça.
troisième plan et tout tourne mal. c'est la cohue quand un invité non-annoncé révèle leur intrusion. ça crie, ça se bouscule, ça en vient au main puis ça finit avec le tesson de bouteille planté dans le ventre.
six.
tommy.
le cri de lara a percé la pièce quand il s'est écroulé, la tête tournée vers elle et sa main ensanglantée tendue est retombé comme une poupée de chiffon.
cinq.
la meute s'est précipitée vers la sortie.
ils avaient pas le choix, ils pleureraient tommy plus tard.
juste, pas ensemble. c'est fini.
zéro.
nana coupe les ponts, elle atteint les limites de cette vie qui lui fait enchaîner drames après drames. elle étouffe ici.
elle se perd encore dans le travail, dans la drogue, dans l'alcool, dans les hommes et les femmes, dans la musique, dans les livres, dans le sommeil.
quand on lui propose un contrat au japon, elle fuit sans se retourner.

(i hate myself, i want to party) tw - self-loathing - le coeur battant, on connaît normalement ce stress à 17-18 ans. nana en a 25 et redoute de savoir si ces deux dernières années de dur labeur a payé, elle a été aidée bien sûr et soutenue dans son projet mais elle appréhende. elle n'a jamais cru en elle, doute qu'il y ait du beau là-dedans, de l'intelligence, encore moins. elle n'a pas fait les meilleurs choix, arrêter l'école était une erreur. alors elle s'est lancée ce défi, a pris tout le temps qu'il lui fallait pour cette énorme remise à niveau. vouloir passer son certificat d'étude, c'était un premier palier à atteindre pour elle. aujourd'hui, c'est le jour des résultats. ça ne va pas changer grand chose à sa vie, sa carrière de mannequin est remise d'aplomb, elle vit aussi sa passion pour la musique maintenant et continue les petits boulots, bref, la vie qu'elle a toujours connue. fallait bosser deux fois plus quand on part de rien, et cent fois plus quand on prend un mauvais départ. mais, ça lui tient à coeur. elle sera un peu plus comme les autres. moins perdue dans les conversations parce qu'elle manque de culture. moins ignorante de ce monde autour d'elle, auquel elle appartient. par les particules qui la composent, par l'histoire de l'humanité dans laquelle elle s'intègre, par la biologie qui la régule et régule son environnement, par les arts qui relient les âmes. elle ne saisit toujours pas le concept des maths, en revanche, mais ce n'est pas très grave.
nana est admise.
QCE, mention assez bien.
une première victoire.

(if i could make it go quiet) début de cette année, s'ouvrira le procès de l'homme qui tué tommy. eux n'ont jamais été inquiétés, va savoir pourquoi. ce qui s'est passé à éclipsé tout le reste, ils s'étaient mis d'accord sur une version à donner. lara et nana prétendument officiellement invitées à cette sauterie, tommy le petit-ami jaloux qui débarque... rien sur un cambriolage parce qu'ils n'ont rien emportés cette nuit-là. ils auraient fini par se faire attraper c'est sûr, mais ce qui était arrivé était bien pire. c'est une histoire qu'elle souhaitant enterrer, c'était terrible pour tout le monde, elle, elle avait déjà son lot de traumas avant ça et elle sent qu'elle pourrait replonger. le monde de la nuit n'aide pas, malheureusement, elle peine à s'en détacher. c'est ce qu'elle a toujours connu. la vie est plus belle à danser jusqu'au bout de la nuit, la vie est plus douce quand le son des basses recouvre ses pensées. parfois, au casino, elle surprend les regards langoureux de certains clients. le charme opère encore... elle pourrait changer de vie si elle le voulait, il lui suffirait d'ouvrir les cuisses, de chanter à leurs oreilles et donner l'impression de les vénérer. ç'aurait été tentant si elle n'était pas autant dégouté des hommes maintenant. et elle s'est fait la promesse de se ranger. surtout, qu'elle va revoir lara. elle aimerait bien se présenter avec la tête haute, à lara, qui lui manque terriblement. lara sur qui elle n'a pas pu veiller. lara avec qui elle a rompu leur promesse de toujours rester ensemble.
le monde continue de tourner.
nana remonte le drap sur elle, aime disparaître sous la couette et que le monde extérieur se taise. elle s'endort seule, les battements dans la cage thoracique qui s'amenuisent lentement,
la solitude l'apaise.
mais le coeur demeure à l'agonie.