@Noah Scott & @Sorcha Adair
Les foulées s’enchainent, les kilomètres avalés. Elle court elle court Sorcha, elle court loin, elle court vite, au rythme d’une musique assez forte pour faire taire le moindre germe de pensée qui aurait l’idée de grandir et se développer dans son crâne. Elle court jusqu’à plus pouvoir que se concentrer sur son souffle avant qu’il se coupe, jusqu’à en avoir mal aux jambes, jusqu’à ce que la sueur luise sur son front et sur ses bras nus. Le temps se fait de plus en plus agréable, mais en fait ça lui importe peu. Voilà des mois que le climat n’a plus grande influence sur ses sorties. Avant, la venue des beaux jours lui aurait fait chaud au coeur (bien qu’elle n’ait jamais accepté de vivre Noël en plein été) mais à présent elle ne s’en soucie que pour adapter ses tenues à la température. Elle ne court plus que pour vider sa tête bien trop pleine et ne plus penser à rien. Pour fuir ses problèmes, ses réflexions, la dépression qui la ronge. Paradoxalement, elle n’a jamais eu l’air aussi en forme, on ne cesse de le lui dire. Enfin « on », c’est ceux qui ignorent tout de ce qu’elle a traversé ou n’ont pas la délicatesse de le prendre en compte. Les gens oublient après tout, surtout quand ça les concerne pas de près. Le temps a passé, supposé panser les blessures et sans doute est-ce le cas quelque part. Les premiers mois, elle fondait en larme à la moindre chose lui rappelant Noah. Et leur relation ayant duré trois ans, bien des choses lui rappelaient son ex fiancé. Maintenant, c’est un peu différent. C’est surtout en l’évoquant en thérapie qu’elle s’en est rendue compte. Ce qui lui fait mal, c’est tout ce qui lui rappelle leur couple, du temps où ils étaient heureux, avant que tout s’écroule. Une tristesse infinie qui l’écrase de tout son poids et lui donne l’impression d’étouffer. Le temps a passé, mais le manque est toujours là.

Alors elle se raccroche à tout ce qui l’aide. Les antidépresseurs. La course, qui relève plus de la survie que d’une pratique sportive saine. Le travail, dans lequel elle se plonge sans s’autoriser à souffler, pour oublier. Et rarement elle a été aussi soulagée de faire un boulot prenant.

Elle court et oublie tout ce qui peut se trouver autour d’elle, les mouvements, les visages qui heureusement sont peu nombreux. Si elle sort si tôt le matin, c’est pas seulement pour avoir le temps de faire son jogging avant de se rendre à l’hôpital ou pour éviter la foule. C’est surtout pour ne pas croiser des couples, ou pire, des familles. Ça aussi, ça lui fait mal. Elle se déteste un peu pour ça, mais le bonheur des autres est comme une gifle, une agression. Elle aimerait que ce soit pas le cas mais elle y peut rien.

Elle a le même itinéraire, à chaque fois. Ça lui ressemble pas tellement d’être aussi routinière, mais ces derniers temps, ça la rassure. C’est pareil pour tout le reste: elle regarde les mêmes séries, les mêmes films en boucle pour pas avoir de mauvaise surprise. Mange la même nourriture sans trop y faire attention. Va dans les mêmes endroits. En gros, elle évite tout ce qui peut avoir un goût de nouveauté, d’inattendu. C’est peut-être idiot mais c’est une manière comme une autre de se protéger alors qu’elle sent que n’importe quoi ou presque pourrait la faire basculer.

La musique, c’est toujours la même aussi. Le problème en l’écoutant si fort, c’est que justement elle entend absolument pas ce qui se passe autour d’elle. Sinon, elle aurait pu voir les deux énormes chiennes qui se précipitent sur elle à ce moment précis. Et lorsqu’elle perçoit un mouvement du coin de l’oeil, il est trop tard. Son premier réflexe c’est de pousser un cri, parce que faut bien admettre que voir deux animaux de cette taille lui foncer dessus c’est quand même surprenant, et même loin d’être rassurant. C’est au moment où elle perd l’équilibre et tombe qu’elle les reconnait, et là, la trouille se transforme en joie et en rires (depuis combien de temps elle a pas ri franchement?) alors que Maya et Leeloo lui font une fête digne d’une reine. Elle se redresse pour les caresser avec vigueur, beaucoup trop heureuse de les revoir pour réaliser tout de suite ce que ça veut dire.

Parce que quand elle lève la tête, il est là.

Noah.

Et elle se retrouve presque sidérée, les fesses par terre, à pas savoir quoi lui dire.

@Noah Scott & @Sorcha Adair
Elle le voit avancer comme au ralenti. Lui. Noah. Et après tout ce temps, ce qu’elle ressent va au-delà de l’étrange. Elle a passé tant de semaines à craindre de le croiser par hasard, alors qu’elle se sentait en dessous de tout. Et maintenant qu’elle a baissé sa garde, relâché son attention, voilà que ça arrive. Il a pas changé. Ce qui est pas surprenant, elle sait pas pourquoi elle s’attendait presque à le voir différent. C’est toujours lui, comme avant. Il est toujours aussi beau et son coeur se serre dans sa poitrine. Mais ça, en revanche, c’est plus comme avant. Avant c’était une sensation qui procurait une onde de joie dans tout son être, une sensation de chaleur diffuse. Noah c’était son repère, c’était sa maison. Tout l’amour qu’elle lui portait la portait elle aussi. C’était profond et fort, mais aussi tendre et sécurisant.

Son coeur se serre encore, pourtant la sensation est bien différente cette fois. Ce n’est plus chaud et doux, c’est écrasant et triste. Tellement triste qu’elle a presque envie d’en pleurer alors qu’elle se trouve là, sidérée, dans une sorte de torpeur qui l’empêche de bouger. Elle le voit s’approcher sans pouvoir réagir, puis ses lèvres s’agite et sa voix lui semble venir de loin, presque comme si elle était sous l’eau.
Tes écouteurs sont encore allumés, idiote.
C’est donc ça. Elle porte l’une de ses mains à sont oreille, un tapotement du bout des doigts et la musique s’arrêtent. D’un coup les sons reprennent leur clarté: le bruit de l’eau, les rumeurs des quelques promeneurs, et la voix de Noah qui vient de lui poser une question. Question qui parvient enfin à la sortir de son mutisme. « Non non ça va. » Elle a même pas vérifié, mais elle a pas l’impression de s’être fait mal. Sa voix lui semble presque étrangère, alors elle reporte son attention sur les chiennes quelques instants, les flattant pour leur donner une certaine contenance. « Contente de voir qu’elles sont en forme. » Au moins avec elles, elle a pas à feindre les sourires ou à se demander comment se comporter.

Mais elle peut décemment pas se focaliser que sur les animaux. Par réflexe, elle saisit la main du jeune homme et le regrette aussitôt, essaie de ne pas s’attarder sur le contact de leurs peaux. Elle se redresse rapidement et le lâche aussitôt avant de frotter sa tenue pour en retirer le sable. « Merci. » Elle retire ses écouteurs de ses oreilles et les range avec précaution dans leur étuis avant de lever de nouveau les yeux vers lui.

Et maintenant ? Que faire maintenant ? La conversation ? Après des mois, elle a l’impression d’être dans une dimension parallèle. Les questions se bousculent dans sa tête, alors qu’une immense part d’elle meurt d’envie de fuir en courant. La vérité, c’est qu’elle a aucune idée de comment se comporter, aucune idée de ce qu’elle ressent. Ses sentiment forment comme une énorme boule qui prend toute la place dans son estomac et lui donne la nausée. Mais il va bien falloir qu’elle dise quelque chose, elle va pas rester plantée là comme une potiche. « Tu… comment ça va ? » Un peu basique comme entrée en matière, mais aussi dangereux, elle le réalise trop tard. Et s’il lui répond qu’il va incroyablement bien ? Qu’il est sur un petit nuage ? Elle sait pas comment elle le prendrait. Mais elle sait pas non plus si elle pourrait entendre qu’il est au fond du trou. Elle sait rien, elle est paumée, personne a eu l’idée de lui mettre un mode d’emploi entre les mains et elle a l’impression que tout ce qu’elle peut faire est bizarre ou pas naturel. Et elle se maudit d’être passée par là, de pas avoir choisi une autre heure pour courir.

Mais il fallait bien qu’ils se recroisent un jour, pas vrai ?

« Comment va toute la famille? » demande-t-elle, complétant sa précédente question. Elle les aimait bien, les Scott. A l’exception de Nelly, ils l’ont toujours bien accueillie et l’idée de devenir l’une des leurs la séduisait. Ils lui manquent, mais se tenir éloignée a été une nécessité pour son propre bien-être. Il faut pas qu’elle oublie que c’est la famille de Noah, ça a jamais été la sienne.

@Noah Scott & @Sorcha Adair
A peine debout, elle a envie de tourner les talons et fuir en courant. Mais elle peut pas. Evidemment qu’elle peut pas. Ce serait atrocement puéril comme réaction, totalement contre-productif. Ca fait des mois. Des mois bon sang, presque un an en fait. Elle se déteste un peu d’en être toujours là. Que la présence de Noah lui fasse cet effet, lui donne envie de disparaitre. C’est vrai, c’est plus comme avant et elle le sait bien que ce sera plus jamais le cas. Elle sait pas si l’amour est toujours là. Ce qu’elle ressent, là tout de suite, en plus d’un embarras atroce, c’est une immense tristesse. Le voir, ça la ramène à cette horrible journée, mais aussi à ses espoirs et rêves perdus. Cette vie qu’elle aurait dû avoir, qu’elle a touchée du bout des doigts. Et la trahison, imprimée douloureusement dans sa chair, même si elle a pas envie de la regarder en face. Comment ils ont pu en arriver là ? Comment tout a pu s’effondrer à ce point, alors qu’ils s’aimaient tant ?

Enfin, qu’elle l’aimait, en tout cas.
Parce qu’elle a eu le temps de cogiter, tous ces mois.
Est-ce que lui l’aimait tant que ça en retour ? Elle en était persuadée à l’époque, est-ce qu’elle ne s’était pas complètement leurrée sur toute la ligne, aveuglée par ses propres sentiments ?

Ça, elle sait pas si elle aura la force de le lui demander un jour. Elle a pas vraiment envie de connaitre la réponse.

Sa question, en tout cas, le met mal à l’aise. Quelque part, c’est rassurant, parce qu’elle se serait liquéfiée sur place s’il avait semblé totalement confiant et sûr de lui. Pour autant, ça veut pas dire que ça lui fasse plaisir qu’il ne soit pas au mieux de sa forme. Malgré tout ce qu’il s’est passé entre eux, elle se rend bien compte qu’elle a pas envie de le voir malheureux. Son joker, ça veut tout dire. Elle le connait trop bien pour être dupe, mais le problème c’est que la réciproque est vraie. Et elle regrette plus encore d’avoir posé la question quand il la lui retourne. Elle regrette qu’il l’ait surprise sans qu’elle soit préparée, sans qu’elle ait eu l’occasion de faire bonne figure. Oh, c’est pas par coquetterie, y a belle lurette qu’elle a dépassé ce stade. Mais elle veut pas qu’il sache, qu’il se rende compte à quel point elle galère, que ce qu’il a fait l’a mise plus bas que terre. Amour propre ou fierté mal placée, peu importe. Elle offre un sourire embarrassé, tout ce qu’elle peut faire maintenant. « Joker aussi. » Avant elle se serait confiée à lui. Aujourd’hui ça semble impossible. Mais à y réfléchir, ça date de bien avant leur séparation, pas vrai ?

Sa famille, ça semble déjà un sujet moins dangereux. Enfin qu’elle croit, parce que ça aussi ça fait mal en fin de compte. Lorsque Noah mentionne sa mère, le fin sourire de Sorcha se fait plus franc, même si bref. « C’est vrai ? » Elle a toujours beaucoup aimé Lisa, alors ça lui fait plaisir de savoir qu’elle l’a pas oubliée, ou qu’elle cherche pas à le faire. Elle sait qu’elle devrait pas projeter, mais elle peut pas s’en empêcher Sorcha, de voir en elle une forme de figure maternelle. Quand ils se sont séparés, c’est avec toute la famille qu’elle a rompu au fond, et se retrouver seule de l’autre côté du quai, ça a été pire que tout.
Elle lève les yeux vers lui spontanément. Ça la peine un peu, l’idée que la mère de Noah pense qu’elle voudrait pas lui parler. Mais comment faire autrement ? « Ce serait bizarre, non ? » C’est une vraie question, parce qu’elle en a pas la moindre idée. C’est pas comme si on lui avait refilé un mode d’emploi. Sorcha avait été sûre d’une chose même à l’époque, c’est qu’elle voulait pas se mettre entre son ex et sa famille. Qu’elle voulait pas non plus savoir tout ce qu’ils pouvaient penser d’elle. Couper les ponts, c’était plus facile, même si ça impliquait qu’elle se retrouve seule. Elle doute que ce soit une bonne idée de renouer les liens. « Ca va. Fiona et Callum profitent toujours de leur retraite, ils se sont installés à la campagne. » Elle préféra ne pas trop s’étendre sur les Campbell, parce qu’après avoir voyagé à l’autre bout du monde pour assister au mariage raté de celle qu’ils avaient recueillie des années plus tôt, inutile de dire que Noah n’avait pas été leur personne favorite. Pourtant, les mois passants, ils s’étaient calmés sur le sujet et la distance avait aidé. Sa soeur en revanche avait été bien plus venimeuse. Quant à savoir ce qu’elle en pense maintenant, il faudrait pour ça que la brune ait de ses nouvelles… « Ailis je sais pas trop. Ça fait un moment qu’elle m’a pas appelée. » Une manière détournée de dire qu’elle a disparu du paysage une fois de plus tout en taisant l’inquiétude qui tort ses entrailles. Elle peut que prier que sa grande soeur ait pas replongé dans ses bêtises… et attendre.