@Benson Bancroft
Agitée, tu vérifies pour la troisième fois que tout le matériel adéquat se trouve sur le bateau, et bien à sa place. Ce n’est même pas ton travail, un de tes collègues est chargé des histoires de logistique de ce genre et le fait fort bien. Mais, ce matin, le goût âcre de l’angoisse dans la bouche t’a tirée d’un sommeil léger, et rien n’a su le faire partir depuis : ils se multiplient, ces réveils-là, avant de se muer en ombre qui te colle aux basques toute la journée. Dans un monde idéal – un où ça ne la foutrait pas mal, pour une plongeuse engagée dans la défense de l’environnement, de se griller une cigarette –, tu te serais déjà administré une ou deux doses de nicotine et serais en train d’en consumer une de plus à cet instant précis, mais les élèves du jour ne vont pas tarder à débarquer sur le bateau, et ta crédibilité en prendrait un coup s’ils te voyaient clope au bec. Ça, et le fait que tu mets un point d’honneur à ne pas te revendiquer fumeuse. Enfin, c’est de la théorie. Ça ne tient que quand tout va bien, au fond. Garder les mains occupées est le seul remède contre les pensées noires, et au moins, une chose est sûre : sur le bateau qui va emmener les élèves du jour à des niveaux de profondeur autrement plus massifs que ceux que l’on trouve sur la côte proche, tout est nickel chrome.

À deux doigts de te ronger les ongles lorsque tu entends la porte s’ouvrir, c’en était moins une : aujourd’hui, c’est ton collègue qui a livré l’habituel speech d’introduction, toi, tu n’assisteras que la plongée – qui reste le cœur de la séance. Salues poliment le petit groupe qui s’achemine sur le pont du bateau, t’arrêtes soudainement sur un visage connu, que tu n’as pas vu depuis bien longtemps. « Hey ! Benson, ça me fait plaisir de te voir, quel hasard. » Que tu t’exclames en souriant, lui offrant une brève étreinte avant de le laisser monter à son tour. On a beau dire que le monde est petit, c’est assez rare que tu croises une connaissance dans le cadre de ton travail : Brisbane est ce qu’elle est, une grande ville avec des distractions et activités à chaque coin de rue, alors il faut le vouloir pour se retrouver échoué au club de plongée en périphérie du cœur battant, animé, de la métropole. Lorsque tout le petit monde est à bord, le bateau s’ébroue en direction des fonds plus propices à la plongée. Tu écoutes les consignes dispensées par ton collègue d’une oreille distraite, plus concentrée sur les sensations qui prennent le dessus à cet instant. L’arôme iodé des embruns, l’azuréen lumineux qui file sous tes yeux rêveurs, le vent s’écrasant en filets sur ton visage. Tu travailles trop, ces derniers jours et tu sais que ton entourage finira par t’en faire la remarque : mais comment expliquer que tu es amoureuse, peut-être pas de ton job, mais de l’environnement où tu évolues ?

Les pensées se rassemblent lorsque le moteur s’arrête : à cet instant, les plongeurs en herbe sont sous ta responsabilité et méritent toute ton attention. Les masques accrochés un à un, puis les premières silhouettes qui se laissent glisser à l’eau. Remarquant que Benson ne s’y est pas encore aventuré – il ne reste que lui et une autre fille, qui s’y jette alors sans poser de questions – tu déclares dans un large sourire : « J’apprécie la galanterie, mais c’est ton tour, Ben. C’est moi qui fermerai la marche. » Tu t’attends à une réaction immédiate, un pouce en l’air avant de rejoindre les flots, mais c’est à peine s’il semble t’avoir entendu. Levant une main vers ton collègue, dans l’eau, pour lui signifier de patienter quelques instants, tu t’approches de ton ami. Qui porte bien mal un teint blafard, maintenant que tu le vois de plus près. « Est-ce que ça va ? Il y a un problème avec ton équipement ? »

@Sierra Adkins
Peut-être que la soirée passée chez Juniper a eu plus d'effets qu'il ne l'aurait cru, sorte de premier déclic qui s'agite dans les pensées de Ben. Il ne peut pas rester comme ça. Il ne peut pas passer ses nuits inondé par des inquiétudes obscures et des cauchemars qui lui rappellent constamment qu'il est encore là et qu'il est seul, désormais. Benson a besoin de redevenir lui-même. Besoin d'aller de l'avant. Tout le reste du monde semble y arriver si facilement. Il ne croit pas Daniel lorsqu'il insinue que ce n'est pas le cas, lorsqu'il dit que Juniper souffre autant que lui. Il ne peut pas y croire, le géant. Pas quand la brune semble gérer sa vie si parfaitement, pas quand elle est capable de dormir sans que des fantômes ne viennent lui rendre visite. Il l'envie, maintenant. Lui aussi aimerait profiter d'une vraie nuit de sommeil. Alors il essaye de se reprendre en main. Il fait des efforts et essaie de trouver des solutions. Seul. Parce qu'il n'a pas encore eu le second déclic, Ben. Celui qui lui fera comprendre qu'il a besoin d'aide.

Seul, il ne l'est plus totalement lorsqu'il croise Sierra. Il ne l'a pas vue depuis longtemps. Trop longtemps, sans doute. Il ignore ce qu'elle est devenue dernièrement, tout comme elle ignore ce que lui a vécu. Page blanche auprès de laquelle il serait aisé de mentir, auprès de laquelle il pourrait prétendre que tout va bien même s'il fait face à une étendue d'eau qui lui fait peur. L'idée de la page blanche est attirante. Il s'y accroche alors qu'il imite les autres en grimpant dans le bateau, son matériel à portée de main. Il se berce d'illusions, se dit que tout va bien se passer à mesure que le véhicule avance sur les flots. Mais bientôt la réalité le rattrape. Ses peurs le rattrapent. Malgré lui, il blêmit face à l'océan qu'il ne daigne plus regarder, regard qui s'agrippe à l'équipement tenu par sa voisine d'en face. Silencieux comme une ombre, il essaye de se concentrer sur la musique qui a inondé sa voiture sur le trajet et qui lui est restée en tête. Too many joyrides in daddy's Jaguar, too many white lies and white lines, super rich kids with nothing but loose ends. Frank Ocean résonne mais pas assez fort, pas aussi lourdement que l'élément homonyme, pas aussi constant que les vagues traîtresses qui, dans leur violence, ont tout emporté.

Gorge serré, esprit monocentré, Benson ne remarque pas tout de suite que le bateau s'est arrêté et que ses passagers se sont jetés à l'eau un à un. Il ne prête attention à rien, n'entend plus que les sons de la mer qui lui semblent si assourdissants. Ce n'est que quand Sierra s'approche, ombre dans le décor, qu'il lève enfin la tête et revient dans cette réalité qui lui fait peur.

- Euh, je... non.

Non, ça ne va pas. Non, il n'y a pas de problème avec son équipement. Non, il n'aurait jamais dû venir. Il y a cru, pourtant. Soigner le mal par le mal, n'est-ce pas ce qu'on privilégie parfois ? Sauter dans le grand bain sans savoir nager, c'est parfois efficace. De toute évidence, pas avec Benson. Il est pétrifié, le géant. Incapable de bouger de son siège.

- Je peux pas, murmure-t-il. Je suis désolé Sierra mais je - je peux pas. J'irai pas.

Il est aussi catégorique que son souffle est court. Il est loin, le Benson qui pouvait passer tout son temps à la plage, celui qui pouvait nager chaque jour sans se lasser, celui qui s'adonnait à la plongée pour repousser ses limites. Tu n'es que l'ombre de toi-même, lui a reproché son frère. Daniel n'avait pas tout à fait tort.

@Benson Bancroft
À l’instant où Sierra lui pose la question, elle-même n’y croit pas vraiment. On ne perd pas toutes ses couleurs pour une lanière mal serrée, un zipper bloqué ou que sait-elle encore, un de ces soucis d’équipement qui arrive tout le temps, qui n’a rien de grave tant que c’est traité à temps, d’autant plus alors que le client concerné n’est même pas dans l’eau. Benson est laconique, alors qu’il lui répond à la négative. Une hésitation, deux mots. Elle devine donc que le problème est tout autre, mais serait bien maligne de le situer avec exactitude. Sierra ne le connaît pas assez bien, et à chaque fois qu’elle l’a croisé, c’était à la plage : alors, elle est à mille lieues d’imaginer que c’est l’eau qui l’angoisse tant. Pour les clients qui font leur baptême, c’est fréquent, de paniquer face aux énigmatiques fonds marins et à l’abandon qu’ils exigent de tout plonger, mais pour Benson, ça n’a aucun sens. Et, pourtant, quelque chose ne va pas, et, empathique comme elle est, surtout avec quelqu’un qui lui arrive de côtoyer, elle ne peut pas fermer les yeux. « D’accord. Prends ton temps, dans ce cas, on n’est pas à trente secondes près. » Ce n’est pas tout à fait vrai, les autres élèves ainsi que son collègue finiront par s’impatienter, et d’ailleurs elle n’est même pas sûre qu’il mette le pied à l’eau, peu importe combien de temps ils attendent : mais on ne peut pas la blâmer d’essayer. De toute façon, Benson est un client au même titre que ceux qui se sont déjà glissés dans les vagues, il a payé sa séance comme eux, elle ne va donc pas le pousser par-dessus bord pour contenter les autres. Quoique cela lui ferait peut-être du bien, mais Sierra n’est pas convaincue par ce genre de thérapies de choc. Lorsqu’il avoue qu’il ne s’immergera pas, elle acquiesce, pas vraiment surprise puisque toute la teneur de ces dernières minutes annonçaient cette sentence-là. Elle aura bien mille questions à se poser ce soir, quand elle repassera le film de cette journée dans sa tête et sera forcée de se demander qu’est-ce qui aurait bien pu dégoûter de la sorte Benson Bancroft de l’eau, mais le présent est trop prenant pour qu’elle joue les détectives. Elle lui caresse doucement l’épaule, se figurant que le léger contact humain ne pourra pas lui faire de mal. Même si c’est tout juste un effleurement, au cas où il n’en voudrait pas. « Ce n’est pas grave, Ben, ça arrive. Laisse-moi juste une minute. » Un autre effleurement, et elle se dirige vers le conducteur du bateau. Il n’est pas moniteur de métier, mais elle sait qu’il a les qualifications pour : il ne sera pas ravi de prendre sa place dans l’eau, sauf qu’il n’est pas question qu’elle laisse son ami seul. Expliquant rapidement la situation, elle est soulagée que son collègue accepte le deal sans trop protester. Ces manières de faire sont peu orthodoxes, elle espère que ça ne remontera pas aux oreilles du patron car elle aime mieux faire profil bas, en ce moment : mais, au fond d’elle, Sierra sait qu’elle fait le bon choix.

L’affaire entendue, son collègue enfile rapidement l’équipement de plongée, puis se jette à l’eau. Pendant ce temps, Sierra revient s’asseoir à côté de Benson, laisse passer quelques minutes avant de reprendre la parole, et s’assure aussi que le groupe soit sous l’eau, histoire qu’il ne soit pas d’autant plus angoissé par des oreilles traînantes. « Est-ce que tu te sens un peu mieux ? Tiens, bois un peu. » Elle lui tend une bouteille d’eau traînant là. Ca ne fera pas des miracles, mais elle espère que ça l’aidera à se calmer un peu, à penser à autre chose. « Tu sais quoi ? J’avais un peu la flemme d’aller nager, aujourd’hui. Alors, prendre le soleil sur le pont, ce n’est pas si mal. Je suis désolée de ne pas pouvoir te ramener de suite sur la côte, j’espère que l’attente ne te sera pas trop désagréable… Tu as prévu de faire quoi, après ça ? » Elle essaie tant bien que mal d’entretenir une conversation légère, comme si rien n’était grave, espérant que cela détourne un peu Benson de son angoisse subite.

@Sierra Adkins

tw: phobie de l’eau

Ce n’est pas une question de temps. Benson le sait. Sierra le sait. La peur qui domine le géant n’est pas de celle qu’on peut faire disparaître avec quelques paroles. Elle n’a rien d’anodin. Ce n’est pas une petite peur qui se déclenche face à l’inconnu ou face à l’idée de devoir respirer à l’aide d’un simple tuyau quand il est si naturel pour l’homme de respirer à plein poumon sur la terre ferme. Non, ce qui secoue Benson est plus profond. La peur le saisit, l’empêche de bouger ses membres. Même s’il voulait fuir, il en serait tout bonnement incapable. Plus rien ne semble fonctionner chez lui. Même les poumons semblent faire grève. Ils sont écrasés par un poids qui ne daigne pas partir, lourdeur invisible qui fait pourtant des dégâts. Il regrette d’être venu, Ben. Il n’aurait pas dû essayer. Il est trop tôt, il n’est pas prêt. L’océan lui a pris trop de choses pour qu’ils se réconcilient si vite, amant trahi qui ne fait plus confiance en cet élément qu’il aimait tant. Il sait qu’aujourd’hui, il ne mettra pas les pieds dans l’eau. Il l’avoue à Sierra, le regard qui reste fixé sur le fond de la cale du bateau. Il sent qu’autour de lui, on s’agite. La brune l’effleure, s’éloigne pour discuter avec le pilote de leur petit navire. Il ne les entend pas bien, faible écho qui ne devient plus fort que lorsque la monitrice refait son apparition et qu’elle vient s’installer près de Ben.

Pour la première fois depuis son refus, il lève les yeux vers elle. Il apprécie sa douceur et ce qu’elle fait pour lui. Il apprécie la simplicité par laquelle elle agit et l’absence de questions. Ils ne se connaissent pas si bien malgré des rencontres fréquentes à la plage à une époque où Benson y passait autant de temps que possible à chaque permission. Pourtant, aujourd’hui, il lui voue une reconnaissance éternelle. D’un geste, il accepte la bouteille qu’elle lui tend alors qu’il hoche la tête. C’est un merci plus qu’une affirmation. Il ne se sent pas mieux, même si la peur est moins saisissante et que la panique s'amenuise. Le poids sur sa poitrine est encore là comme une douleur latente qui lui rappelle tout ce qu’il a perdu depuis l’hiver dernier. Tu n’es plus que l’ombre de toi-même. Il l’a su dès l’annonce de la disparition, Ben, qu’il ne serait plus jamais le même. On ne peut pas fonctionner correctement quand il manque une partie de nous-mêmes.

– C’est moi qui suis désolé, finit-il par répondre. Je rends ton travail plus compliqué, ton collègue va sûrement me détester.

Après tout, il n’a pas signé pour ça, l’autre homme. Il n’était censé que les conduire jusqu’au bon endroit et patienter tranquillement sur son bateau. Désormais, c’est Sierra et Ben qui doivent attendre. Dans un bateau au milieu de l’eau, il ne se sent guère rassuré. Il tâche pourtant par tous les moyens d’empêcher ses pensées de prendre une route sombre face à cette configuration qui n’est pas sans rappeler l’accident de Scarlett. Par chance, c’est ce que Sierra essaie de faire. Consciemment ou non, elle l’aide une fois de plus et Ben se promet de lui laisser un pourboire digne de ce nom lorsqu’ils retrouveront enfin la terre ferme.

– Après ? Je vais aller prendre un shot de tequila, faire promettre à la terre entière de m’en empêcher la prochaine fois qu’il me vient à l’idée de faire un truc comme ça, dit-il en désignant l’équipement de plongée qu’il n’aura pas utilisé, et me terrer dans mon lit.

En réalité, c’est une autre idée qui se dessine dans son esprit. Gus. Il va aller voir Gus. Il trouvera une excuse bidon pour justifier sa venue alors que le petit garçon est censé être chez Juniper. Rien ne saurait mieux le rassurer que de passer un peu de temps avec le bambin. Mais ça, Ben n’a pas envie de l’expliquer. Il n’a pas envie d’expliquer grand chose, en réalité.

– Je sais que tu as dit que tu n’en avais pas envie mais je veux pas te priver d’une baignade. Je t’en voudrais pas si tu préfères aller dans l’eau.

@Benson Bancroft

Sierra a cela de protecteur ; de maternel, presque. Pas de détresse, dans sa jolie bulle – oui, celle-là même qu'elle semble s'être acharnée à faire éclater. Elle déteste voir la souffrance d'autres, se tenant donc prête à tendre la main presque en toutes circonstances, pour apaiser, aider comme elle peut. Tout ce qui semble inquiéter Benson en cet instant – et qui la mettrait certainement mal à l'aise, elle aussi, s'ils en venaient à enfiler les chaussures de l'autre pour échanger les rôles – n'est rien pour elle. Rien d'insurmontable, tout du moins. La seule inconnue qui paraît peut-être impossible à braver, c'est la panique de l'homme et tout ce qui doit se nicher derrière elle, tout ce que Sierra ne peut voir, réduite à des suppositions sans queue ni tête, mais dont le malheureux doit avoir une conscience aiguë. Là-dessus, elle sait bien qu'elle ne pourra pas faire de miracles, bien qu'elle donnerait beaucoup pour en être capable. « Mais non... Ne t'en fais pas pour ça. Ca lui change un peu, à mon collègue, ce n'est pas plus mal. D'ailleurs, des personnes qui refusent de plonger au dernier moment, on en voit bien plus que tu ne le penses, et elles sont rarement aussi sympathiques. C'est difficile pour tout le monde, de reconnaître ses limites. On a des clients qui préfèrent s'en prendre à nous que d'accepter qu'ils ont peur. » Assise, elle ramène ses genoux contre sa poitrine, puisant dans la position réconfortante la force de trouver les bons mots, d'instaurer un peu de cette paix dont Benson semble avoir désespérément besoin. Elle est bien, elle, sous le soleil, cernée de toutes parts par l'immensité turquoise. Mais elle ignore comment insuffler sa plénitude à quelqu'un qui s'affole désormais de l'élément qu'elle aime tant. « Une fois, on  a même eu quelqu'un qui pensait être à un cours de nage. Je ne sais pas pourquoi ça ne lui a pas mis la puce à l'oreille, de prendre le bateau, mais il s'est jeté à l'eau en même temps que les autres, sans réfléchir, et il a failli se noyer. On s'est fait passer un sacré savon, après ça, crois-moi. Tu as au moins eu l'intelligence de ne pas te jeter à l'eau, toi. » Elle ne sait pas si ses histoires distraient Benson comme elle l'espère, ou si elle se contente de brasser du vent, avec ses mots lancés dans le vide. Elle aimerait bien trouver la formule magique qui le dériderait enfin.

« Je te promets que tu ne me fais rien rater, c'est mon boulot, j'irai plonger demain. C'est la routine, ça, pour moi ; ça n'a rien d'exceptionnel. » En réalité, Sierra est de celles qui se laissent émerveiller pour un rien, prenant chaque descente dans les profondeurs comme un voyage paré des vives couleurs de l'inédit. Néanmoins, lorsque c'est pour le travail, avec les clients à surveiller, la liberté n'est plus la même, et nuit quelque peu à l'expérience, autrement magique. Aussi peut-elle réellement s'en passer sans regretter, pour une fois. « Très bon plan, tu me fais envie. » Qu'elle admet, dans un petit rire. Pourtant, à part lors de rares exceptions, elle n'est pas portée sur les alcools forts, leur préférant un bon vin, ou même un mocktail. Mais, depuis peu, elle en a aussi, Sierra, des choses à oublier. Et la tentation d'enchaîner les shots jusqu'à plonger dans les abysses d'une conscience moins douloureuse se fait alors bien séductrice. « Je vais sonner un peu chauvine, mais tu as déjà goûté la cachaça ? C'est une eau-de-vie brésilienne, super bonne, ça pourrait te plaire. Je connais un bar qui en sert, je pourrais te donner l'adresse, si tu veux. Ou même t'accompagner, à part si tu as envie de boire seul, bien sûr. Quant à t'empêcher de revenir faire ça, je peux toujours m'arranger pour t'ajouter à la blacklist du club de plongée, pour être sûre que tu ne récidives pas. Mais dans ce cas, tu n'as pas intérêt à changer d'avis et te tourner vers la concurrence, je le prendrais très mal ! »

@Sierra Adkins

Ben ne pense pas être de ceux qu’on peut qualifier de “sympathiques”. Il a plutôt la désagréable sensation d’être un boulet, celui qui vient modifier les plans des uns et des autres simplement parce qu’il n’a pas été capable d’aller jusqu’au bout de son projet. Il a bêtement cru être plus fort que sa peine. Il a bêtement cru pouvoir vaincre ses nouveaux démons. Il s’est motivé sur le trajet, il s’est répété mille et une choses pour se préparer. Il a tâché de se convaincre lui-même, a serré les dents au moment d’embarquer. Il pensait être fort, suffisamment pour passer outre les mauvais souvenirs qu’il lie désormais à l’océan. Peine perdue. Ben est faible, le cœur trop fragilisé pour renouer avec un élément qui lui a tout pris. Il n’a pas encore conscience qu’en s’occupant d’Augustus, il prend soin de l’héritage laissé par Scarlett, de la plus jolie des traces qu’elle a laissées sur Terre. Il n’a pas encore conscience qu’il est possible pour lui de se réconcilier avec l’océan, qu’un accident n’est pas une condamnation. Pour le moment, l’âme de Ben est trop meurtrie pour que son esprit prenne du recul et que sa raison se mette en marche.

Face à la panique du géant, Sierra apparaît comme une douce distraction. Il l’accueille à bras ouverts, l’écoute parler de ces autres clients qui tendent à devenir désagréables lorsque la peur prend le dessus, aveu de faiblesse qu’ils ne maîtrisent pas aussi bien que Ben. Lui-même ne fait qu’illusion. Il ne sait pas gérer ses émotions non plus. Mais l’armée lui a inculqué une capacité à rester calme même dans la panique, à retrouver rapidement un semblant de sang-froid. Une sorte de fake it till you make it bien intégré par le militaire devenu réserviste.

– Je te laisserai même un pourboire, c’est dire à quel point je suis sympa, répond-il, tentative d’humour encore faiblarde mais à laquelle il se raccroche pour renouer un peu avec lui-même et mettre de côté toute la panique qui lui tord les tripes dès qu’il a le malheur de poser les yeux sur l’océan.

Il aimerait retrouver la terre ferme, sentir la présence rassurante du sable sous ses pieds et filer droit jusqu’au bar le plus proche sans se retourner vers l’eau salée. Boire n’est pourtant pas dans ses habitudes. Un verre de temps en temps, c’est tout ce que consomme celui qui a toujours eu un régime alimentaire relativement strict. Néanmoins, il doit admettre que la perspective d’avaler un shot de tequila avant d’aller se terrer dans sa solitude pour laisser toute sa peine s’exprimer est un programme alléchant. Il est toutefois prêt à faire une entorse à son plan pour goûter à l’alcool dont parle désormais Sierra. C’est qu’elle vend plutôt bien son produit. Peut-être même mieux que le club de plongée, elle qui est prête à le mettre sur blacklist pour empêcher toutes récidives.

– Non, merci, ça ira, répond-il avec l’ombre d’un sourire avant de réaliser que sa réponse prête à confusion. Il ne veut pas être blacklisté. Une part de lui s’accroche à l’infime possibilité qu’un jour, il retrouvera dans l’eau tout le réconfort qu’il a puisé au fil des années. Ben ose espérer qu’un jour, il sera assez fort pour renouer avec l’océan. Un jour. Pour être blacklisté, j’entends. Je veux bien aller tester la… comment ça s’appelle déjà ?Ton eau-de-vie brésilienne. Et ce sera avec plaisir si tu veux m’accompagner.

Et ce, même si Ben n’est pas vraiment la compagnie la plus amusante qui soit lorsqu’on désire passer un moment un peu festif. Preuve en est, alors que le bateau est légèrement secoué par les mouvements de l’eau, le voilà qui s’agrippe au banc comme si sa vie en dépendait.

@Benson Bancroft

Un sourire franc pour réagir à la plaisanterie, bien que Sierra espère qu'il ne s'agisse que de cela ; une blague, car elle n'a rien fait pour mériter le moindre pourboire. Elle se sent même mal de se dire que Benson devra payer cette séance tuée dans l’œuf. Mais la direction du club ne sera pas de cet avis-là. Pour eux, du moment que le client monte sur le bateau, il n'y a plus de rétractation – financière, du moins – possible, qu'importe si, finalement, la personne concernée se jette ou pas à l'eau. C'est bien pour cela que ce n'est pas elle qui gère la petite entreprise. Sierra pense trop avec le cœur, à des années-lumière, souvent, de toutes ces contraintes fondamentales qui dépassent, et entravent parfois, le côté humain. Finalement, c'est sur un ton aussi taquin qu'elle réplique, encourageant comme elle peut le mince regain de bonne humeur qui a, l'espace d'un instant, transfiguré Benson. « Un salaire et un pourboire pour rester à ne rien faire sur le pont du bateau, c'est une affaire en or. Tu vas finir client du mois. » Ce qui contredit, évidemment, les menaces proférées en l'air de le blacklister. Desquelles Benson trouve tout de même l'énergie de se défendre – alors, tout n'est pas perdu, même si Sierra doute fortement de le revoir ne serait-ce que mettre un pied sur le port d'ici un bon moment, et c'est peut-être pour le mieux, vu son état sur le bateau. Elle garde ses coups d’œil légers, pour ne pas le gêner, mais il faudrait avoir le regard sacrément vitreux pour ne pas remarquer la tension qui l'anime aux moindres remous du bateau – sur une eau qu'elle estime, pourtant, plutôt calme. Là encore, elle ne peut s'empêcher de se demander où est passé l'homme qu'elle croisait souvent à la plage, fendant les flots avec hardiesse comme un fils de Poséidon. Celui qu'elle a en face d'elle n'a plus une once de pied marin, semblant au contraire avoir fait de l'océan et de ses remous un monstre sacré, une étendue cauchemardesque, bonne uniquement à noyer les malheureux qui s'y aventureraient. Bien sûr, elle ne peut pas se targuer de bien connaître Benson, mais elle est au moins sûre qu'elle ne l'a jamais connu ainsi.

« La cachaça. » La répétition se fait avec un sourire dans la voix. Ce nom, pour elle, est synonyme de festivités, même si en ce jour précis, aucun des deux partis ne semble être réellement dans l'optique de s'amuser : plutôt de s'abrutir à coup de shots et d'oublier les meurtrissures respectives. Rien de bien réjouissant, donc, mais il en faut davantage pour saper l'optimisme coriace de Sierra, qui l'accompagne même dans les pires situations. Là, il ne s'agit pas d'elle, de toute façon. Et c'est mieux ainsi. « Parfait, alors, c'est gentil de me laisser m'inviter. Ça me changera de mon rythme de vie de mamie. Normalement, dès que je rentre du boulot, c'est yoga, lecture et tisane. » C'est insidieux, ce que les années et la vie conjugale peuvent faire à une aventurière comme elle – sans même s'en rendre compte. Les soirées à la maison et la routine, qui remplacent les fêtes, les voyages, les défis ; si doucereusement qu'on ne peut s'en rendre compte qu'une fois le mal fait. Avec Jules, ça ne la dérangeait pas. Tant qu'ils pouvaient passer la soirée à se raconter des histoires, boire des verres de bon rouge et s'embrasser, qu'importait que ce soit dans l'exotisme du dernier bar en vue ouvert en ville ou dans le confort ennuyeux de leur maison. Elle en venait même à se dire que c'était un signe de maturité. Seule, c'est surtout déprimant. Comme si tout son équilibre en était venu à ne tenir qu'à une seule présence, et elle n'a jamais voulu cela, Sierra. Aimer sans retenue ne la dérange pas, mais dépendre si intrinsèquement de quelqu'un d'autre contredit ses idéaux. À moins qu'elle n'ait jamais été vraiment celle qu'elle pensait. Constat bien trop risqué. Bien trop triste.

Le silence plane, accompagné – plus que contredit – uniquement par le clapotis des légères vagues contre la coque. Des sons aussi apaisants pour elle qu'ils ne doivent être angoissants pour Benson. Elle oscille encore, pas sûre de ce qu'elle est en droit, ou pas, de demander ; ne voulant se montrer ni trop indiscrète, ni indifférente à la détresse qui se dépeint sous ses yeux. Un équilibre délicat à trouver, plus encore à maintenir et ce, d'autant plus en compagnie de quelqu'un qu'elle connaît si peu. « Je ne veux pas t'abrutir de questions, sur ce qui vient de se passer, mais... si tu veux m'en parler, ou parler de quoi que ce soit d'autre, tu peux, d'accord ? N'hésite pas. » Dans la douceur mise en première ligne, elle espère avoir fait preuve d'assez de tact. Proposer sans exiger. Sierra ne peut pas faire grand chose de plus. « Tu n'es pas obligé, bien sûr... c'est comme tu veux. Ça peut aussi attendre qu'on ait pris un premier verre, d'ailleurs, je pense que les autres ne devraient plus tarder à remonter. »  

@Sierra Adkins

Le client du mois, peut-être pour cette séance uniquement. Il ne faut pas compter sur lui pour atteindre le chiffre d’affaires fixé. Il n’a pas l’intention de revenir, Ben. Contrairement à son excès de confiance l’a poussé à croire, il n’est pas encore prêt à se battre contre ses démons et à retrouver le sentiment d’exaltation qu’il ressentait avant lorsqu’il était dans l’eau. Désormais, l’homme n’attend plus qu’une chose : retrouver la terre ferme. Piégé sur l’eau, il n’est toutefois pas seul. La présence de Sierra a quelque chose de rassurant. La brune est douce, elle ne force rien. Mieux, elle trouve une façon de le distraire. En lui parlant, elle permet à Ben de ne pas totalement se focaliser sur l’eau qui l’entoure et sur la panique qui n’est jamais très loin, tapie dans un coin de son esprit, prête à resurgir au premier signe de contrariété. Il préfère se concentrer sur sa voix et sur la proposition qu’il saisit au vol, profitant de l’occasion pour proposer à la brune de l’accompagner. Ainsi apprend-il que celle qu’il imaginait profiter de chaque soirée à la plage a, en réalité, “un rythme de vie de mamie”. La comparaison parvient à faire sourire le jeune homme – un exploit compte tenu de son état depuis qu’ils ont quitté la côte.

– Je ne t’imaginais pas comme ça, commente-t-il. Si ta batterie sociale de mamie se vide trop vite, on rentrera. Ou si tu finis par te sentir fatiguée.

Ils ne se connaissent pas tant que ça, les deux adultes. La preuve, l’image qu’il avait de Sierra et celle qu’elle lui décrit ne se ressemblent pas. Il ne devrait pas être surpris. Après tout, lui aussi doit paraître différent de l’idée que l’imaginaire de la jeune femme a pu former. Il ne s’était jamais montré sous ce jour, durant leurs rencontres précédentes. Peut-être parce qu’à l’époque, on ne lui avait pas encore arraché un bout de lui-même. Le silence s’installe et les pensées de Ben se tournent toutes vers Scarlett. La jeune femme continue de lui manquer. Qu’importe le temps qui passe. Les jours, les semaines, les mois n’effacent pas sa peine. Ben se sent triste, tout le temps. Le sentiment ne quitte jamais son coeur, incapable de fonctionner sans le pilier que la vie lui a donné dès l’enfance. Ils n’étaient que des gamins, quand ils sont devenus amis. Plus de vingt ans d’amitié, ça en fait du temps. Ils se sont vus dans les pires comme dans les meilleurs moments de leur vie. Du moins, c’est ce qu’il pensait, Ben. Parce que désormais, c’est seul qu’il affronte le pire. Il y a Augustus, bien sûr. Trace laissée par Scarlett sur la Terre, bouffée d’air frais que l’homme est prêt à chérir jusqu’à son dernier souffle. Mais son bien-être ne devrait pas reposer sur le petit garçon. Cependant, Ben est face à un problème de taille : il n’a pas la moindre foutue idée de ce qu’il pourrait faire pour aller mieux. Et si en parler à quelqu’un de neutre était un premier pas ? Sierra lui en offre la possibilité, malgré le silence dans lequel Ben se mure, laissant les secondes s’écouler avant de finalement prononcer une phrase encore compliquée pour lui :

– J’ai perdu quelqu’un… Il s’éclaircit la gorge, garde les yeux fixés sur ses doigts entremêlés. Il y a quelques mois de ça maintenant. Et elle –

Il s’interrompt quand un bruit d’eau le sort de sa bulle. Par réflexe, il lève la tête. Un premier visage apparaît, masque encore en place. Les autres ne vont plus tarder, c’est ce que lui a dit Sierra, après tout.

– Je… je t’en parlerai plus tard, ajoute-t-il, pas prêt à confier cette partie de sa vie maintenant que le groupe commence à se reconstituer.

@Benson Bancroft

Je ne t'imaginais pas comme ça. La remarque lui tire un petit rire, peut-être un peu triste ; mais il faudrait bien la connaître, pour s'en rendre compte, et, heureusement pour elle, ce n'est pas le cas de Benson. C'est sûr que le portrait qu'elle vient de brosser d'elle-même n'a rien de bien flatteur. Sierra est la première à le déplorer. Quand elle essaie de se voir d'un œil extérieur, comme en prononçant ce genre de phrase, elle ne peut que se dire qu'elle ne cesse de reculer, ou bien d'avancer dans le mauvais sens. Elle n'est plus fidèle à ses envies, à ses ambitions, et visiblement, même plus en phase avec ce que l'on peut percevoir d'elle. C'est une vraie alerte que quelqu'un d'aussi éloigné que Benson, qui ne l'a pas croisée depuis longtemps, s'en rende compte. « Moi non plus, crois-moi. » Même assortie d'un sourire, la voix s'apparente plus à un soupir de lassitude. Qui est-elle devenue, et comment a-t-elle pu ne pas s'en rendre compte ? « J'imagine que la vie a cet effet-là, parfois... On devient ce qu'on s'était juré de ne jamais être. » La vie, et les conneries qui vont avec. Trop facile, de profiter du destin pour s'absoudre de ses propres fautes. « Disons que c'est un peu compliqué en ce moment, mais je vais être une excellente compagnie de soirée et de beuverie, promis ! Je pense même que ça me fera le plus grand bien. On va secouer la mamie un bon coup. » S'amuse-t-elle, déjà un peu plus réjouie. Pas que les circonstances soient si propices à l'enthousiasme, mais oraliser, même de manière détournée, que tout ne va pas bien, mais qu'elle va se forcer à se sortir de cette drôle de transe, a quelque chose de parfaitement cathartique. A se demander lequel des deux viendra en aide à l'autre, finalement.

Sierra n'est pas la seule à avoir changé. Benson non plus n'est plus le même ; et, pour l'un comme pour l'autre, la transfiguration est bien plus profonde que le simple poids des années accumulées. C'est la raison pour laquelle elle offre son oreille attentive, tout en s'attendant parfaitement à un refus, qu'elle encaisserait, le cas échéant, sans broncher. Et laisse s'installer le silence, pas aussi inconfortable qu'il n'aurait pu l'être dans de telles circonstances. Elle a le regard rivé vers l'horizon d'azur, pas si loin de se brûler les cils sous les éclats du soleil tapant, dans l'espoir de donner à Benson l'espace et le temps dont il a besoin, pour qu'il puisse laisser libre cours à ses pensées sans s'inquiéter qu'elle ne l'épie. Il y a une sorte de paix qu'elle trouve, à ce point distant où ciel et mer s'épousent au loin, qui lui fait presque oublier de se sentir coupable d'y trouver du plaisir, là où le colosse à ses côtés doit se torturer l'esprit. Le temps se suspend, et la voix reprenant enfin la parole, moins assurée encore que précédemment, manque de la faire sursauter, alors qu'elle n'a aucune idée de si ce sont des secondes ou des minutes qui se sont écoulées, durant cette méditation fugace. Immédiatement, néanmoins, les tendres obsidiennes sont posées sur Benson. Adoucies, tristement, à l'entente des premiers mots. Sierra est certainement loin d'avoir toutes les pièces nécessaires pour reconstituer le puzzle, mais l'aveu en trois mots suffit à lui donner une image, bien que floue, de la vérité recherchée. Si elle reste silencieuse, attentive, l'océan ne se donne pas cette peine : le bruit ne l'aurait pas alarmée, si Benson ne s'était pas interrompu en pleine phrase, mais elle reconnaît bel et bien que les premiers plongeurs viennent de terminer leur ballet aquatique et s'apprêtent à remonter sur le pont.
Elle aurait voulu un peu plus de temps, bien sûr.

« Je... je suis désolée, Ben. » Pour cette perte dont les ramifications effleurent à peine la surface, pour elle ; pour cette terreur soudaine des fonds marins ; pour ces clients bruyants, si aisément oublieux de ce qui se joue juste au-dessus de leurs têtes. Rien de tout cela n'est de sa faute, mais elle ressent tout de même le besoin de s'en excuser. « Bon, il va falloir que je les aide à remonter... C'est mon boulot, paraît-il. Installe-toi là où tu te sentiras le mieux pour attendre. Ca ira, le retour ? On sera très vite sur la terre ferme, promis. » Non sans un dernier regard inquiet en sa direction, elle se penche finalement vers les flots pour s'assurer que tout ce beau monde remonte à bord sain et sauf, tout en s'enquérant du bon déroulement du spectacle magique auquel les clients viennent d'assister. Sourire poli aux lèvres, mais sans vraiment écouter les réponses ; son esprit est autre part.

@Sierra Adkins

Il n'a pas de doute qu'elle sera de bonne compagnie ce soir, Sierra. Elle l'est déjà sans le savoir et ce, même s'ils sont au beau milieu de l'eau et que Benson n'est absolument pas à son aise. Bientôt, ils retrouveront la terre ferme. C'est ce qu'annonce le retour des plongeurs, qui freinent Ben dans ses confidences. Il ne dira pas un mot de plus sur le sujet. Pas tant que des oreilles indiscrètes traîneront dans les parages. Pas tant que des gens qu'il n'a pas choisi seront susceptibles de le voir craquer. Ainsi retourne-t-il dans son mutisme, après avoir trouvé une place loin du bord.

Sans surprise, il fait partie des premiers qui quittent l'embarcation, de retour au port. Benson sent le soulagement l'envahir lorsque ses pieds se posent sur le ponton. A grandes enjambées, il rejoint la terre, la vraie, celle qui le rassure et l'éloigne du cauchemar qu'est devenu l'eau. Un jour, peut-être qu'il parviendra à y retourner. Qu'il retrouvera le plaisir qu'il ressentait autrement lorsque les vagues venaient se cogner contre son corps. Qu'il se sentira à nouveau détendu dans les étendues bleues. Pour cela, il faudrait qu'il fasse son deuil. Il faudrait aussi qu'il fasse la paix. Avec lui-même. Avec l'océan. Avec tout l'univers. Une perspective plus simple à inscrire sur le papier qu'à mettre en œuvre. Néanmoins, il est prêt à faire un effort, Ben. Il ne sait pas s'il trouvera le courage de parler de Scarlett à Sierra, maintenant qu'ils ne sont plus dans une bulle au milieu du vide. Mais il l'attend tout de même. Il observe les clients s'en aller un à un, silhouettes satisfaites de leur expérience, un peu jaloux de leur innocence face à l'élément qui le terrifie. Puis elle arrive. Sa sauveuse du jour.

- Je suis resté. Je pensais qu'on allait me couronner client du mois mais ce n'est pas arrivé.

Être de nouveau sur terre semble lui avoir redonné un peu d'humour. Cette touche ne demeure pas, en revanche. Il ne tarde pas à retrouver un air plus neutre, lui qui oscille entre le soulagement et le traumatisme. Mais il s'est promis de faire des efforts. Alors il se redresse, géant face à la plongeuse.

- Allons-y. Tu m'as rendu curieux avec ton alcool brésilien.

Rien n'y fait, il n'en a pas retenu le nom. Il a toutefois une bonne excuse : difficile de retenir quoi que ce soit quand on est en pleine panique sur un bateau. Et puis, ce n'est pas si important. Sierra pourra toujours commander à sa place. C'est elle le guide. Benson ne fait que la suivre, entamant une marche le long des quais. Les mains dans les poches, il reste silencieux dans un premier temps. Il ne sait pas quoi dire, ne voudrait pas aborder à nouveau sa panique, ne sait plus s'il veut parler de ce qui l'a causée. Alors il finit par trouver autre chose, à la fois curieux du quotidien de la brune qui marche à ses côtés et presque surpris de voir que le reste du monde n'a pas cessé d'aller dans l'eau quand son monde à lui s'est arrêté.

- Vous avez souvent du monde, au club ? Tu passes toutes tes journées sur le bateau ?

@Benson Bancroft

Sierra n'est pas sûre d'à quoi s'attendre, en revenant proposer sa compagnie à Benson, bien qu'il soit probablement de bon augure qu'il l'ait attendue à la sortie. Totalement préparée à essuyer un refus, et à le prendre avec le sourire, elle s'étonne – agréablement – d'être accueillie avec une plaisanterie, à laquelle elle rit de bon cœur. « Tu seras définitivement mon client du mois, pour ce que ça vaut ! J'ai juste oublié la couronne, toutes mes excuses, Votre Altesse. » Il semble quelque peu à Sierra retrouver le Benson qu'elle a connu jadis ; ce dernier a d'ailleurs repris des couleurs, à moins que ce ne soit, simplement, l'effet de ne plus le voir avec les traits aussi crispés qu'ils ne l'étaient à bord du bateau. Encore une nouvelle preuve, s'il en restait le moindre doute, que l'expérience a dû être réellement traumatisante pour lui, quelle qu'en ait été la raison. « Parfait, tu ne vas pas être déçu. » Sierra se donne l'air plus confident et enjoué qu'elle ne l'est vraiment – c'est qu'il pourrait ne pas apprécier le bar, les boissons, ou pire encore, sa compagnie, qu'elle n'estime pas des plus distrayantes, depuis quelques temps, bien qu'elle entende faire de son mieux pour se montrer une convive agréable.

C'est certainement pour cette raison qu'en un premier temps, elle n'est pas bien bavarde, tandis qu'ils prennent la route – qu'elle ne connaît que trop bien – en direction du bar. Sierra se prépare à la suite, à ce qu'elle pourrait dire, demander, pour tisser à nouveau des liens, tout en ménageant Benson. Ainsi qu'en réfléchissant aux sujets qu'elle-même ne souhaite pas particulièrement aborder, bien qu'elle ne s'étonnerait pas que cela arrive sur la table, tôt ou tard. Non qu'ils soient assez proches pour papoter amour et crises de couple, mais l'alliance encore portée à l'annulaire, par réflexe, pourrait s'avérer source de curiosité plus que légitime. Le regard détourné vers la côte, elle respire à pleins poumons, discrètement. Pas la peine de s'inquiéter de ce futur incertain, puisqu'il échappe totalement à son contrôle ; elle se l'est toujours répété. D'autant que, peut-être qu'après deux ou trois verres, s'ils en arrivent là, elle sera plus encline à partager ses malheurs. « On a pas mal de monde, oui ! Surtout en ce moment, ça ne désemplit pas. C'est l'effet de l'été... Le reste de l'année, on a plus de locaux qui viennent, ça fait des groupes plus expérimentés – c'est ce que je préfère. Mais en été et même pendant une bonne partie du printemps, ce sont les touristes qui déferlent et on n'arrête pas de la journée. Ca reste une passion pour moi, donc je n'ai pas à me plaindre, mais j'avoue que c'est parfois compliqué de tenir le rythme. » D'autant qu'elle ne peut s'empêcher de se mettre une certaine pression. Il s'agit de sa deuxième chance au club, ayant tout plaqué la première fois pour quitter leur pays dans l'urgence. Sierra se refuse donc, catégoriquement, le luxe de lever le pied. Heureusement que les pourboires abondent pour compenser. Si les plongées avec des touristes novices ne sont pas les plus passionnantes, au moins ces derniers savent-ils se montrer généreux, pour peu qu'on leur dévoile quelques sourires. « Tiens, c'est juste là ! Viens. Et toi, alors, tu bosses dans quoi, maintenant ? » Demande-t-elle alors qu'elle lui tient la porte du bar, avant de s'y engouffrer à son tour et de saluer d'un large sourire le serveur, déjà croisé quelques fois dans des circonstances similaires. Une fois qu'ils se sont assis à une table, un peu en retrait d'une salle déjà assez bien remplie, elle ajoute : « Tu me fais confiance pour commander, alors ? »

@Sierra Oliveira

De quoi ont-ils l'air, à être là, à marcher en silence, deux connaissances que la vie a transformées en inconnus et qui ne savent plus vraiment quoi se dire. Benson met du temps à trouver un sujet, lui qui ne sait pas comment aborder ce qu'il s'est passé sur le bateau. Il a failli tout lui dire, pourtant, à Sierra. Mais l'instant de confession s'est envolé quand les plongeurs sont revenus, emportant avec eux le peu de courage que Ben avait réussi à rassembler. Toutefois, il se doute que la jeune femme doit avoir des questions. Son attitude a été étrange, sur le bateau. Certains diraient qu'il n'était pas lui-même. Lui dirait qu'il l'a un peu trop été, justement. Il se donne tant de mal à dissimuler ses failles, et voilà qu'un peu d'eau a tout envoyé valser. Alors il se rattache à quelque chose de plus simple. Il interroge Sierra sur son travail, sur son quotidien. Il ne le fait pas juste par politesse, ou juste pour dire de ne pas laisser le silence s'installer et devenir gênant. Il le fait aussi par curiosité. Alors il l'écoute avec attention, hoche même la tête quand elle évoque le plaisir qu'elle prend surtout avec les groupes expérimentés. Il connait ça, Ben. En quittant l'armée et en prenant un job de parachutiste, il s'est lui aussi plié à la loi du tourisme.

- Même quand on fait un métier qu'on aime, on savoure aussi les moments d'accalmie, commente-t-il.

Il est pourtant de ceux qui ne s'arrêtent jamais. Il pourrait être moins dur avec lui-même, Ben. Il pourrait faire des petites journées, n'accepter que quelques vols par jour, voire même travailler à mi-temps. Son job, il ne le fait pas pour l'argent. Il n'en a pas besoin, c'est tout le luxe d'avoir grandi dans une famille où la fortune passe de génération en génération, où les plus jeunes n'ont plus à travailler car les plus vieux ont donné de leur temps avant d'injecter leurs bénéfices dans des actions qui, désormais, remplissent les comptes en banque sans qu'on ait à lever le petit doigt. Mais Benson a cruellement besoin de son travail. Besoin de l'adrénaline qu'il lui procure. Besoin du silence qui gagne son esprit quand il saute.

- J'ai quitté l'armée l'année dernière, commence-t-il quand la question sur le travail lui revient. Enfin, pas tout à fait. Je suis réserviste, explique-t-il avant d'enchaîner. Mais quand je suis revenu à la vie civile, j'ai décidé de garder un lien avec le parachutisme. Je suis moniteur, abrège-t-il. Je saute surtout avec des touristes, maintenant. Alors ce que tu disais tout à l'heure, ça me parle.

Désormais dans le bar, son regard se perd autour de lui. Vieux réflexes dont il ne s'est pas débarrassé depuis son départ de l'armée, Benson observe tout, scrute, enregistre les informations qu'il glane ici et là. Ils ne risquent rien, pourtant. Mais il ne peut pas s'en empêcher. Il est toutefois toujours aussi calme quand il s'installe face à Sierra dont la question parvient à faire naitre un sourire sur son faciès.

- Au moins pour le premier round, répond-il. Je verrai pour le deuxième, sait-on jamais. Non pas que je te pense capable de m'empoisonner avec un alcool trop fort mais mon corps n'est plus très habitué aux sorties et aux trucs qui te brûlent l'œsophage, confie-t-il, lui qui a réduit ses visites dans les bars et les boites de nuit depuis qu'il a la garde d'Augustus une semaine sur deux.

@Benson Bancroft

« Hé, on a dit que c'était moi, la mamie. » Commente-t-elle dans un rire franc, ne pouvant s'empêcher, en l'entendant clamer qu'il n'est plus habitué à ce genre de sorties – ni aux boissons fortes qui y sont généralement servies –, de faire le parallèle avec ce qu'elle-même a admis plus tôt. Cela lui convient bien : elle n'a jamais eu pour intention de saoûler Benson, ni d'exercer la moindre pression sur ce verre improvisé. D'autant qu'il vaut mieux qu'ils soient sur la même longueur d'ondes. Sierra préfère largement abandonner les plans, et simplement laisser leur soirée se dérouler, sans qu'y pèse la moindre expectative. « Je suis un peu pareille, donc t'inquiètes, bois ce que tu veux, et si tu as envie de passer à une bonne verveine d'ici une demie-heure, promis, je ne te jugerai pas. On va prendre deux caïpirinhas, s'il vous plaît. » Ajoute-t-elle en direction du serveur, avant de se tourner à nouveau vers Benson. « Donc, tu me disais que tu t'es éloigné de l'armée, c'est ça ? » Histoire de ne pas risquer une réponse à côté de la plaque, elle aime mieux le faire répéter ce qu'il avait commencé à expliquer en entrant dans le bar ; en parallèle, elle ne peut s'empêcher de se demander si cela aurait quoi que ce soit à voir avec ce qu'il lui a dit sur le bateau – qu'il avait perdu quelqu'un, récemment. Rien qu'elle puisse demander ouvertement. Peut-être que la conversation apportera des réponses, peut-être pas. « Et donc, tu enseignes le parachutisme… Du coup, oui, on doit avoir des expériences de travail assez similaires. Ca t'ennuie aussi, les touristes, les débutants ? Ou est-ce que t'as encore les mêmes sensations ? » Sierra laisse sa curiosité guider les questions, n'ayant encore jamais eu face à elle quelqu'un susceptible de comprendre sa lassitude, même si leurs domaines sont bien éloignés. Ciel et mer n'ont rien à voir, sur le papier, mais leurs activités restent à sensations ; une passion. C'est le cas pour elle, en tous cas. Elle a déjà essayé de s'en ouvrir à ses collègues, mais a vite compris que leurs motivations étaient différentes. Les permanents aiment le milieu aquatique, certes, mais en se tenant loin de la quasi-vénération qu'elle-même ressent ; quant aux saisonniers, ils sont là pour la facilité, parce que la haute saison paie bien et qu'ils préfèrent la passer sous l'eau qu'à servir des verres. Du moins est-ce ce qu'elle a pu en tirer. Et, de ceux-là, aucun ne semble avoir jamais été appelé par les latitudes plus profondes, celles que Sierra se plaît à explorer sur son temps libre, qui l'accueillent lors des compétitions d'apnée. Sans les juger, elle ne peut nier avoir ressenti une piqûre de déception, en réalisant que même là, dans ce cadre où tous auraient pu partager la même passion, elle était finalement, d'une certaine manière, seule. Alors, bien que Benson préfère s'élancer dans le vide à quelques milliers de mètres d'altitude plutôt que de plonger au plus profond des océans, son ressenti l'intéresse grandement.

« Et l'armée te manque ? » Ajoute-t-elle, le menton finalement posé sur la paume de sa main tandis qu'elle observe Benson avec attention, attendant ses réponses. Elle espère ne pas se montrer trop intrusive, mais, pour le meilleur ou pour le pire, c'est dans ses gènes ; les Oliveira – du côté de ses propres parents, en tous cas – sont d'excellentes oreilles, mais, en contrepartie, peuvent parfois transformer une conversation en véritable interrogatoire, sans même s'en rendre compte. Et encore, ce ne sont pas tant ces questions-là que Sierra brûle de poser. Heureusement, sa curiosité n'est pas enflammée au point d'en oublier le tact. Et, pour dissiper une gêne potentielle, les deux cocktails sont glissés devant eux – timing parfait. Sierra saisit le sien, le levant en direction de son comparse de la soirée. « Finalement, je nous ai pris des caïpirinhas. Ca ressemble à du mojito, mais avec la cachaça à la place du rhum. J'ai pensé à nous commander des shots, mais c'est un peu tôt… À la tienne, Ben. »

@Sierra Oliveira

– Mon dieu, regarde-nous avec nos habitudes de mamie.

Est-ce cela, le signe qu’ils vieillissent ? Passer d’une rencontre régulière à la plage où l’un et l’autre exerçaient des activités nautiques à boire un verre en fin de journée tout en gardant dans un coin de la tête l’idée de boire une verveine ou une camomille après deux shots. Aucun doute, Benson a bien changé. Ce n’est pas tant l’effet des années qui passent et qui a changé son regard sur certaines choses que les événements qui l’ont conduit à assumer de nouvelles responsabilités. Bien que casse-cou et contrairement à ce que son frère semble croire, Ben n’en oublie pas l’existence de Gus. Le petit garçon a besoin de lui. Ils sont ensemble dans un même bateau, à présent. Gus, Juniper et lui.

– C’est ça, oui. Même s’ils peuvent encore m’appeler en cas de conflit. Je suis un peu comme les joueurs de football qui restent sur le banc et qui interviennent en cas de gros pépin, explique-t-il.

Même s’il a souhaité s’en éloigner, il y aura toujours un peu d’armée en lui. Des habitudes acquises sur le terrain, une certaine forme de sang-froid qu’il a adopté pour ne plus jamais la lâcher. Les années passées en caserne l’ont forgé irrémédiablement. Mais en s’éloignant, Ben a renoué avec de vieilles passions, leur a donné une autre forme, un autre objectif. Le parachutisme est devenu une source d’adrénaline autant qu’une échappatoire.

– Mh, je ne dirais pas que ça m’ennuie. J’aime quand même sauter avec eux parce qu’ils ont des réactions que les plus aguerris n’ont plus, et un émerveillement que certains perdent au bout de plusieurs sauts. Ça reste plaisant à voir, répond-il. Mais c’est moins intéressant. On est limités en termes de hauteur, il y a des règles à suivre. Alors qu’avec les habitués ou seul, je peux me permettre autre chose. C’est là que l’adrénaline est la plus forte.

Ça lui fait du bien, à Ben, de parler de tout ça. C’est plus simple que d’évoquer Scarlett et l’océan. C’est moins risqué, aussi. Les airs sont un terrain bien connu pour le militaire. Et surtout, c’est un terrain qui ne le ramène pas à l’événement le plus traumatisant de toute son existence.

– L’armée ? Pas tellement. J’aimais le sentiment d’unité et celui de faire quelque chose de bien. Mais j’avais besoin de m’éloigner un peu de toute la discipline que ça implique.

En rejoignant la vie civile, Ben a renoué avec des morceaux de lui-même qu’il avait mis de côté et qu’il ne pouvait embrasser qu’à de rares occasions. Avec le temps, il regrette de ne pas avoir effectué ce changement plus tôt. Il aurait plus de temps avec les siens, plus de temps avec Scarlett. A ses pensées, ses yeux se teintent de tristesse. Heureusement pour lui, c’est à ce moment-là que leurs cocktails sont déposés sur la table. Avec un remerciement pour le serveur qui s’éloigne déjà, Benson attrape son verre, vient doucement le faire claquer contre celui qui se trouve désormais dans la main de la brune.

– A la tienne, Sierra, répond-il, reconnaissant de l’avoir eu à ses côtés plus tôt sur le bateau.

La première gorgée est avalée, l'œsophage découvre un nouvel alcool. Plus acide et plus fort que le mojito, le cocktail n’en est pas moins très bon, ce que Ben fait savoir à sa façon.

– Je pense que je vais me fier à tes goûts plus souvent, commente-t-il avant de reprendre leur conversation sur leurs activités professionnelles ou non. Tu fais toujours de l’apnée ?

@Benson Bancroft

« On s'apprête à prendre des cocktails, quand même, c'est pas comme si je t'avais invité à boire le thé. Enfin, pas de suite, du moins. On a encore un peu de marge, d'ici à la maison de retraite. » Note-t-elle en feintant le soulagement, bien qu'elle ne se fasse pas de souci quant à leur soi-disant vieillesse. La conversation tourne principalement autour de leurs activités respectives, des passions de grand air, symptomatiques de deux êtres qui ne semblent pas pouvoir tenir en place bien longtemps – rien de mieux pour contredire quiconque trouverait ennuyeuses ces petites habitudes dont Benson et elle se moquent à présent. « Pas mal, la métaphore du foot, je pense que je saisis l'idée. » Sierra a beau se considérer comme une personne de passions, vivant ces dernières à cent à l'heure, cette vocation pour l'armée est quelque chose qu'elle a du mal à se représenter. Le sacrifice que cela exige, et même, dans le cas de Ben, ce point d'interrogation qui doit sans cesse planer – une vie à se tenir prêt, si besoin est, à être rappelé n'importe quand, et à tout abandonner pour repartir. L'idée la laisse un peu médusée ; ce n'est, de toute façon, pas un sujet suffisamment léger pour insister dessus, estime-t-elle. L'objectif, ce soir, n'est certainement pas de se miner le moral à coups de questions existentielles.

« Oui, je vois ce que tu veux dire… J'avoue que j'en vois surtout les limites, maintenant. Les règles à suivre, et tout ça. Ceci dit, tu as raison, c'est chouette, de voir ceux qui s'émerveillent encore. J'aime beaucoup faire plonger des enfants : c'est avec eux qu'on va le moins loin, mais leur bonheur est sincère. C'est beau à voir. » C'est une pensée qui lui vient, parfois : fait-elle partie de ceux que le temps et l'habitude ont rendus blasés, et qui, s'ils apprécient encore les sensations et les panoramas offerts par l'activité, ne parviennent plus à pleinement s'en extasier ? Sierra ne sait pas si c'est dû à la routine, ou à la lassitude d'exercer dans un environnement si codifié que n'y persiste qu'une très relative liberté, mais elle doit bien se rendre à l'évidence : sa joie de plonger n'est plus intacte. Et elle les envie, les gamins qui découvrent avec les yeux de l'innocence la beauté immaculée des fonds marins. Que ne donnerait-elle pas pour revoir, ne serait-ce qu'une fois, ces mêmes paysages avec leur regard. « Je vois. Ça ne doit pas être une vie facile. J'espère que ça t'a fait du bien de rentrer, alors, c'est l'essentiel. » C'est en toute innocence qu'elle fait cette remarque, sans la moindre idée de ce que ce retour au bercail a réellement impliqué pour Ben, ni de ce qui l'a causé, en dehors des raisons – très factuelles – qu'il lui a évoquées. L'affaire paraît bien simple, à l'entendre, de sorte qu'elle n'essaie pas de creuser davantage le sujet, d'autant plus que le serveur revient vite faire distraction.

D'un sourire entendu, elle accepte avec joie le compliment, et acquiesce dès lors qu'elle-même a trempé les lèvres dans son verre. « Contente que ça te plaise ! J'adore ce bar, il faut le trouver, au milieu de tous les établissements ultra touristiques de bord de plage, mais il vaut vraiment le coup. Je crois que j'ai déjà forcé tous mes collègues à venir prendre un verre ici, on n'est pas loin d'en faire notre QG. » Sierra aime sa culture, et en porte fièrement les couleurs, quelle que soit l'occasion. Si elle-même n'y a jamais vécu, le Brésil est si présent dans le coeur de son père qu'il lui a transmis l'amour du pays qu'elle ne connaît que trop peu, et elle aime à le rappeler autant que possible, même dans une ville aussi éloignée – géographiquement et culturellement – que Brisbane. « J'ai pris une pause. J'ai eu quelques problèmes personnels – rien de grave », s'empresse-t-elle de préciser, pour prévenir toute question que la précision risquerait d'entraîner, « mais je n'avais plus trop la tête à m'entraîner. Et encore moins à partir loin d'ici. » Quoique l'escapade lui aurait fait du bien, à n'en pas douter : mais elle s'en serait sentie bien trop coupable. Préférant, finalement, voir sa vie s'écrouler aux premières loges, plutôt que de laisser faire au loin. « Mais il faudrait que je m'y remette. Sauf que ça va prendre du temps et de l'énergie, pour retrouver mon niveau, et j'avoue que ça m'inquiète un peu. Tant que je reste à distance, je ne peux pas constater l'étendue des dégâts, ça a quelque chose de rassurant, quelque part. Même si ce n'est pas du tout l'attitude à adopter. » Elle réalise, après coup, la portée de ses mots – le sous-entendu qui pourrait s'y loger, suite à l'incident sur le bateau. Et se retrouve à bafouiller, sans savoir si elle est en train de sauver le coup, ou au contraire d'aggraver les choses. « Je… je parle de moi, uniquement, hein. Pas de… tout à l'heure. Enfin, c'était une formulation très maladroite, excuse-moi. »

@Sierra Oliveira

tw : noyade

Les mots de Sierra le poussent à imaginer la scène, les enfants en pleine plongée. S'il ne laisse rien transparaitre, l'idée le terrifie. Il a déjà du mal à laisser Augustus profiter de ses séances à la piscine. Dans le bassin, il ne se passe pas une seule seconde sans qu'il ne soit inquiet. C'est pour cela qu'il laisse Juniper superviser les cours. Benson ne se sent pas à l'aise, là-bas. Il a trop peur pour son filleul, trop peur que s'il détourne le regard, il disparaîtra comme a pu le faire Scarlett. Parler de son travail est une distraction plus que bienvenue. Il préfère cela. Même l'armée lui semble plus tendre que de se confier davantage sur les éléments survenus quelques mois après son retour. Il hoche toutefois la tête lorsque Sierra parle. Parce que c'est vrai que ça lui a fait du bien, de rentrer. De retrouver la vie civile, et les libertés qui vont avec. Son seul regret, c'est de ne pas l'avoir fait plus tôt. A quelques mois près, il aurait pu profiter d'une année entière avec sa meilleure amie avant que le drame ne frappe.

Les pensées de Benson s'assombrissent. Même encore maintenant, cela semble difficile de vivre sans que celles-ci ne prennent une tournure grisâtre, morne. Un jour, peut-être qu'il se réveillera sans y penser. Peut-être qu'elles deviendront plus rares et qu'elles le surprendront lorsqu'elles traverseront son esprit. Aujourd'hui, elles sont plutôt habituelles, de vieilles amies qui ont trouvé là un logement au loyer gratuit. Il tente néanmoins de les virer quelques minutes, à renfort de cocktail. Une bonne surprise qu'il partage avec Sierra et qui semble lui donner une nouvelle raison de se montrer enthousiaste. Sa réaction égaye Benson qui ne tarde pas à lui adresser un sourire, lui aussi.

- Pour ce que ça vaut, je trouve que c'est un excellent QG, souligne-t-il.

Puis il l'interroge, Sierra. Fait-elle toujours de l'apnée ? Il est loin de se douter qu'il s'apprête à remuer des histoires que la brune préférerait peut-être oublier. Quelques problèmes personnels, lui dit-elle. Sans le savoir, elle fait écho aux raisons qui ont poussé Ben à s'éloigner de la plage, lui aussi. Son sourire finit par s'affaisser. Il sait ce que ça fait, de laisser les problèmes prendre le dessus. De s'éloigner, en espérant maitriser un carnage qui les dépasse. D'avoir peur de constater les dégâts. De préférer jouer les chats de Schödinger : tant qu'ils n'ouvrent pas la boite, ils ne sont pas tout à fait morts. Mais ils ne sont pas tout à fait vivants non plus. Sierra se rend compte de l'écho de ses mots, se met à bafouiller et Benson s'en veut de la voir se mettre dans cet état alors qu'il la sent sincère dans sa maladresse. Et surtout, alors qu'elle n'a pas tort. Qu'il veuille bien le reconnaître ou non, le militaire se reconnait dans les mots de l'apnéiste.

- C'est rien, assure-t-il, lui qui décide de ne pas prendre les choses personnellement mais qui a conscience qu'il lui doit tout de même une explication.

Mais les mots sont durs à prononcer, quand on a appris à garder son sang-froid en toutes circonstances, à ne jamais rien montrer, à ne jamais s'épancher. Ils le sont d'autant plus lorsqu'ils sont liés à des traumatismes, quand on sait que les prononcer rendront encore plus réels des faits qui menacent un équilibre déjà fragile. Trop fragile. Benson est un colosse bâti sur un château de cartes.

- Peut-être que c'est mieux comme ça, au fond, reprend-il, toutefois peu certain de ce qu'il est en train de supposer. Ma très récente expérience me pousse à croire que constater les dégâts n'est pas forcément plus simple.

Qu'est-il censé faire de ce constat, maintenant ? Comment est-il censé le gérer ? Personne n'a été fichu de lui livrer un manuel, le jour où on lui a annoncé la nouvelle de la noyade. Il s'esclaffe sans joie.

- C'est quand même con, d'avoir aussi peur de l'océan, finit-il par ajouter avant d'avaler une gorgée de cocktail.

@Benson Bancroft

L'ambiance est curieuse, drôle de piste où il est ardu de savoir sur quel pied danser, tant s'enchaînent les questions-réponses assez banales et les remarques un peu plus lourdes de sens. Sierra est loin d'être la plus douée, à ce petit jeu – celui de marcher sur des œufs. Elle blâmera son sang chaud, cette manie de laisser la langue claquer avant de réfléchir à ce qui aurait dû être dit. Le genre d'habitude qu'il est peut-être bien trop tard pour réfréner. Si, à force, elle sait que ses proches savent à quoi s'en tenir, Benson, lui, ne la connaît certainement pas assez pour avoir vu la bourde venir. Néanmoins, elle est rassurée de voir que ses excuses – ainsi que le fard qui a subitement enflammé ses joues – semblent suffire. Alors, elle-même choisit de dédramatiser la situation, au lieu d'ouvertement continuer de se flageller, assortissant sa réponse d'un rire, bien qu'un peu gênée. « Je suis quand même sacrément maladroite, désolée. Et c'est pas ça qui va arranger les choses. » Le verre levé pour étayer son propos, car si les mots ne sont pas parfaitement contrôlés lorsqu'elle est sobre, nul doute qu'elle laissera échapper d'autant plus d'inepties avec un peu d'alcool dans le sang. Cela étant, ils en sont loin, pour le moment.

L'acquiescement est instinctif, lorsqu'il pondère ses propos quant à ces fameux dégâts – sans doute bien différents, de lui à elle. Mais le fond de la problématique est le même : rester aveuglé, en faisant comme si de rien n'était, ou enfin faire face au retard amassé, à la distance restant à parcourir. Un dilemme existentiel, sans solution toute faite. Il ne reste qu'à y réfléchir, à en débattre, en essayant de faire ce qui est le mieux pour soi – comme si les humains pouvaient être doués à cela. « Non, c'est sûr que ce n'est jamais simple, quelle que soit la situation. Mais c'est une condition inévitable pour avancer, non ? » La question est purement rhétorique, car, là aussi, Sierra doute qu'il y ait une seule vérité ; et elle n'est d'ailleurs même pas sûre de la réponse qu'elle aimerait y voir amenée. Une consolation pour la cantonner un peu plus à sa zone de confort, ou une incitation à enfin en sortir ? Ce qu'elle-même croit, fermement, c'est la seconde option : qu'il faut, tôt ou tard, se confronter à l'inconnu – et même que s'y refuser obstinément, c'est un peu gâcher sa vie. Là-dessus, peu désireuse d'imposer à Benson ses opinions, elle opte pourtant pour le silence, d'autant plus prudemment qu'elle ignore à quoi il fait référence. Cette – mystérieuse – récente expérience. « Mh... Pas vraiment. Ca t'étonnera peut-être, venant de moi, mais je crois que je comprends ce que les océans ont d'effrayant. » Puisque le sujet semble sensible, elle s'arrête de parler avant de se lancer dans une énumération malvenue quant à la noirceur des fonds marins, les créatures terrifiantes qui pourraient s'y cacher, et les dangers des courants contraires ; autant de sujets qui, pour elle, entretiennent la fascination, mais sont sources d'angoisse – légitimes – pour d'autres. Pour Benson, peut-être. « Mais ce qui me surprend, pour être honnête, c'est que tu en aies peur maintenant, alors que je me souviens que tu étais parfaitement à l'aise dans l'eau, il y a quelques années, non ? » C'est une nouvelle perche tendue – le chemin pris par la conversation ne s'y prête que trop bien, après tout : Sierra, cette fois, n'a pas l'impression de se montrer insistante. Cette occasion serait-elle la bonne ? Elle en reste pendue aux lèvres de Benson, espérant enfin une explication.

@Sierra Oliveira

tw : noyade

Une condition inévitable pour avancer. C'est ce qu'on lui a dit, à Benson. Il l'a entendu de nombreuses bouches, celle de son frère étant celle qui a le plus de fois prononcé ce discours. Ce n'est pourtant pas si simple, quand on se sent démuni. C'est ce qu'il est, le militaire. Il ne sait pas quoi faire de ses pensées. Il ne sait pas quoi faire de ses émotions. Personne ne lui a appris à les gérer. On lui a simplement montré comment les cacher, comment les ensevelir pour qu'elles ne deviennent pas un obstacle au moment de prendre des décisions. Personne ne lui a parlé des dangers, de cette manie qu'ont les pensées de sortir du placard sans s'annoncer au préalable, sans demander l'autorisation.

- Peut-être, s'entend-il répondre parce qu'il n'a pas davantage d'explications à donner, pas davantage d'idées.

Tout ce qu'il sait, c'est qu'il ne sait plus passer une nuit entière sans se réveiller. Qu'il y a plus de chances que son sommeil soit occupé de cauchemars que de doux rêves. Qu'il s'inquiète pour son filleul tout le temps. Qu'il a peur de le perdre lui aussi, qu'il craint même de perdre Juniper alors qu'ils ne s'entendent pas. Que la perte de Scarlett a laissé un vide dans son corps comme dans sa tête. Que le manque est un sentiment difficile à gérer, que l'injustice a voulu qu'il prenne des risques toute sa vie sans jamais en payer le prix alors qu'il n'aura fallu qu'une sortie en mer pour que celle de sa meilleure amie s'éteigne. Qu'il a désormais peur de l'océan, cette grande étendue d'eau qui porte désormais le masque de la trahison. Celle-là même qui a été le théâtre de si nombreux amusements autrefois, dont Sierra a été témoin. Alors il est normal qu'elle s'interroge, la brune.

- Tu sais, tout à l'heure, quand j'ai dit que j'avais perdu quelqu'un...

Il n'était pas allé plus loin dans ses explications, interrompu par le retour des autres plongeurs. Le répit aura été court et ne lui aura pas permis de mettre de l'ordre dans ses idées. Au contraire. Elles sont encore plus tristes qu'elles ne l'étaient dans l'eau et désormais, le géant ne sait comment raconter l'accident sans se laisser emporter par les flots — des émotions, cette fois.

- C'était — Scarlett, articule-t-il. Je sais pas si tu te souviens, une blonde, elle était souvent avec moi quand on se croisait sur la plage.

S'il a réussi à prononcer son nom sans flancher, il sent néanmoins sa gorge se serrer. Il pourrait décrire sa meilleure amie de mille et une manières, bien plus affectueuses que de la réduire à la blonde qui n'était jamais trop loin de lui lors de leurs sorties plage. Mais Sierra la connait moins, et c'est sans doute là la façon la plus rapide de lui permettre de remettre un nom sur un visage, même flou. Il aurait pu montrer une photo, Ben. Mais il n'en a pas le courage. Il ne parcourt ses albums que très peu, toujours seul. Les photos avec Scarlett sur son fond d'écran ont été remplacées par une photo de Gus dont le sourire parviendra toujours à lui mettre du baume au cœur. Mais il n'est pas certain que cela suffira, ce soir.

- Elle a eu un accident. Avec son mari. Sur un voilier, finit-il par lâcher d'une voix plus basse car plus facile à maîtriser, avant de porter son verre à ses lèvres pour avaler une longue gorgée d'alcool.

@Benson Bancroft tw : mention de noyade.

Soudainement, les mots s'étranglent dans sa gorge, et ses propres peines lui paraissent ridicules. C'est tout juste si Sierra parvient à épousseter la honte qui s'abat sur ses épaules à l'idée de s'être plainte de futilités, alors que tout au long de leur conversation, Benson gardait ce secret. Ce deuil, qu'elle-même a la chance de ne pas pouvoir s'imaginer.

Elle en est presque prise au dépourvu. Difficile, pourtant, d'ignorer le nuage orageux qui plane au-dessus de leurs têtes depuis que, du bout de jointures blanchies de s'être trop agrippées au bastingage, Benson a refusé de se jeter à l'eau. Elle n'a pas vraiment cessé d'y penser, mais le ton plaisant l'a distraite. À en oublier qu'en bon militaire, lui sait parfaitement contrôler ses émotions, ou, du moins, la manière qu'elles ont – ou non – de s'exprimer sur son visage. Tout en s'attendant à ce que l'abcès soit percé à tout moment, sans doute a-t-elle cru, naïvement, qu'un rayon de soleil poindrait avant cela. Mais non. La nouvelle est tombée comme un couperet et, si Sierra ne pourrait prétendre pleurer une défunte qu'elle n'a connue que de vue et dont elle n'aurait su retrouver le prénom sans que Benson le prononce, son cœur n'en est pas moins serré pour autant. À l'énonciation, elle ne fait qu'acquiescer, en premier lieu, muée par la conscience plus aiguë que jamais que ce serait le pire moment pour se permettre une interruption. Avec grand soin, elle attend d'être sûre qu'il ait fini de parler pour reprendre la parole – impressionnée par le calme que le colosse affiche, là où elle-même se sent si bouleversée qu'elle pourrait presque sentir une larme lui picoter la rétine – et chaque mot est soupesé avec une prudence qui lui est peu coutumière, elle qui a l'habitude de les laisser jaillir en torrent, sans se poser de questions. « Je crois que je me souviens, oui. Je suis tellement navrée, Ben… Toutes mes condoléances. » Bien qu'il n'ait pas précisé quels liens l'unissaient à la dénommée Scarlett, Sierra, sans demander, se les imagine forts, pour que l'accident – auquel ses mots ne semblent pas suggérer qu'il ait assisté – l'ait tout à coup rendu phobique d'un élément qu'il avait tant chéri.

S'ensuit un silence. Peu confortable, un duquel Sierra se blâme, car il doit y en avoir, des mots justes à poser sur la douleur – et des personnes plus avisées qu'elle pour les trouver, les modeler en une parole rassurante, une consolation. Mais c'est avec elle qu'il est assis, et elle ne sait pas quoi dire, réduite à le regarder noyer le chagrin tout juste avoué dans une gorgée de son cocktail. Et à penser que, finalement, une dose d'alcool pure aurait peut-être été plus à propos pour faire passer, tout en grimaces, ce genre de confession. « C'est récent ? Et… tu es bien entouré ? » La tension fait tressauter sa voix, enfantée par cette peur panique de dire le mot de trop. Mais, puisqu'elle n'a pas tous les tenants et aboutissants de cette tragédie – et est encore loin de se douter de l'étendue des conséquences, pour Ben – elle ne peut s'inquiéter que de ce qui crève les yeux : la santé de son ami à peine retrouvé.