Il paraît que la solitude pourrait être un des fléaux du XXIème siècle.
Elle ne sait pas si c’est vrai, Arlo. Mais ces derniers mois, elle a eu si souvent l’impression de la ressentir. La solitude. Sans être tout à fait seule, pourtant. Elle a beau ne plus avoir Hasan, elle a beau ne plus avoir Kinsley, elle a encore ses parents, elle a encore ses colocataires, elle a encore ses ami.es. Alors peut-être que, par seule, Arlo se sent surtout incomprise. Parce que son fléau à elle, c’est peut-être autre chose, cette autre chose qui provoque la solitude. C’est peut-être bien ce mal-être, ces démons qui avaient élu domicile chez elle, un temps – ceux qu’elle avait réussi à combattre, plus ou moins, au fil du temps. Ceux qui sont revenus, depuis de longs mois, maintenant. Les démons sont de retour, alors. Elle sait qu’en réalité, les démons ne sont jamais tout à fait partis – ils n’ont fait qu’attendre le moment où elle serait vulnérable pour reprendre vraiment leur place. Et sans sa sœur comme chaperon ou garde-fou, ils n’ont pas eu de peine à revenir auprès d’elle. Mais Arlo n’est pas seule. Elle le sait bien, au fond. Cependant, cela ne suffit pas toujours à en faire disparaître l’impression.

Mais cela va un peu mieux, maintenant. Non ?
Elle sait cependant que c’est toujours un peu changeant – les montagnes russes finalement. Qu’un jour, on a l’impression que cela. Et puis le lendemain, ce n’est plus le cas.
Mais cela va mieux. Et puis, en ce moment, il y a ce nouveau projet qui la met en joie : elle veut adopter un chat. Elle a déjà vu avec Juni et Sam – obtenu leur accord verbal. Elle ne croit pas que cela les dérange. Au contraire, même. Mais Arlo ne s’est pas lancée encore. Il lui faut peut-être encore le courage de sauter le pas. Elle y a réfléchi longtemps, cependant. Elle a même déjà acheté ce qu’il fallait – une caisse, un panier, une gamelle, des jouets. A dire vrai, ce n’est plus qu’une question de jour. Sungho avait dit qu’il serait partant pour l’accompagner. Le moment n’est plus qu’à trouver dans l’agenda – pour se rendre au refuge, rencontrer enfin les petites boules de poils qui n’attendent que d’être adoptées. Oui, cette idée-là lui a mis du baume au cœur, à Arlo. Cela lui a changé les idées. Cela lui a donné le sourire. Cela a peut-être un peu joué sur le fait que cela allait un peu mieux.
D’ailleurs, voilà à quoi elle adonne son temps, en ce début de samedi après-midi : à regarder le site internet du refuge qui présente leurs animaux en attente d’adoption. C’est qu’elle a vu passer une vidéo sur leur compte Instagram, vingt minutes plus tôt – et on l’a perdue, la blonde. Au moins, c’est pour une bonne cause. Elle en est là, en tout cas, quand elle entend qu’on sonne à l’interphone. Elle se lève, seule dans l’appartement, pour aller répondre, surprise de constater que c’est Sungho qui est en bas. Alors elle lui ouvre la porte du hall, sans attendre, quoiqu’intriguée, avant de se diriger rapidement vers la porte d’entrée – celle qu’elle ouvre à son tour, même si son ami n’est pas encore là. Bientôt, elle le voit apparaître et lui adresse un grand sourire. « Heeeey. Mais qu’est-ce que tu fais là ? » Elle lui fait quand même signe d’entrer, avant d’enchaîner : « Tu veux boire un truc ? » Loin de se douter qu’il n’est pas là pour rester ; qu’elle non plus. Que Sungho veut lui proposer de bouger, et pas pour aller n’importe où.

Depuis quelques temps, elle s’est bien installée, la morosité.
Elle semble avoir élu domicile chez Arlo. Non pas chez elle, dans son appartement, où vivent aussi ses colocataires – mais en elle. Elle a du mal à voir le positif, sans être forcément au fond du trou – pas comme elle a pu l’être, des années plus tôt. Quoique, elle n’a plus eu foi en grand-chose, quand elle est disputée avec Kinsley, quand Hasan lui a plus ou moins fait ses adieux. C’est trop de choses qui se sont accumulées, coup à coup, l’une conduisant finalement à l’autre. Elle ne l’avait pas vu venir. Mais s’était trouvée tout à coup si émotive, provoquant peut-être l’un après avoir provoqué l’autre, comme en roue libre, fonçant droit dans le mur. Alors oui, Arlo, elle est un peu (beaucoup) morose. Heureusement, elle a encore des gens qui comptent. Comme Sungho, par exemple.

Elle ne savait pas qu’il venait. Elle ne s’en doutait pas le moins du monde, Arlo. Mais elle est ravie de cette visite-surprise, toujours heureuse de voir son ami. Alors elle l’accueille avec enthousiasme, retrouvant un peu de son habituelle joie. De son sourire, aussi. Là, sur le pas de la porte de son appartement, quand elle aperçoit Sungho, elle lui demande aussitôt ce qu’il fait là – ce n’est pas un reproche, certainement pas de la déception. Elle est curieuse de savoir ce qui l’amène, c’est tout. Et elle lâche un rire à sa réponse. « Je suis un cas désespéré, c’est ça ? » plaisante-t-elle vaguement, intérieurement soulagée qu’il vienne surtout, au-delà de la tirer de chez elle, la tirer de sa morosité. Elle lui demande tout de même s’il veut boire quelque chose et Sungho lui dit que ça va. La blonde n’insiste donc pas, s’apprête à le laisser entrer quand il enchaîne : l’invite à venir faire un tour. Après tout, il l’a dit : il est venu la sortir de chez elle, il s’y tient. Emet toutefois la possibilité qu’elle était déjà occupée. « Non, pas du tout, je traînais. Je prends juste quelques affaires et j’arrive. » Elle le laisse entrer, tout de même, en attendant qu’elle soit prête, même s’il ne lui faudra pas trop de temps non plus. « Tu m’intrigues en disant ça. » Elle a même un petit sourire en coin, Arlo. En tout cas, elle se hâte, enfilant ses baskets avant d’attraper son sac qui traîne dans un coin, et une petite veste, au cas où. « Okay, on peut y aller. » fait-elle, avant de verrouiller derrière eux la porte d’entrée. Elle se met alors en marche sans plus tarder, descendant les escaliers. Une fois dehors, elle n'y tient plus : « Alors, on va où ? » Car Sungho a l’air d’avoir une idée bien précise, au vu de ce qu’il a dit. Tu vas pas le regretter. Ce n’est pas comme s’il était en recherche d’inspiration, visiblement.