OUTFIT -- C'est fait. Josephine et Martin venaient d'annoncer à Raph qu'ils sont ensemble. Et si les preuves de leur implication dans cette relation avaient été nombreuses : celle-ci est sûrement celle qui a le plus d'importance mais aussi celle qu'ils redoutaient le plus. Enfin, surtout Josephine. Bien sûr, elle a déjà confié de nombreuses fois à Raph être attirée par Marty -- mais il l'avait pris comme une gamine qui s'intéresse au meilleur ami de son frère. Comment aurait-il pu en être autrement ? Jusqu'à il y a encore quelques semaines, c'était le cas. Elle était fiancée, elle avait un avenir tracé et finalement, si elle pensait que Raph serait heureux de la voir prendre son indépendance face à la pression de ses parents, elle s'était trompée. Son aîné avait eu du mal à digérer sa rupture avec Archibald -- sans aucune explication, à croire qu'il s'était mis à l'apprécier à mesure que Josephine ouvrait les yeux sur cette relation platonique. Et autant dire qu'il avait eu encore plus de mal à digérer ce qu'ils venaient de lui annoncer. Quoi que, Josephine s'était attendue à pire. Ouais, bien pire. Raph n'a pas frappé Marty. Il n'a pas haussé le ton. Il est simplement partit. Il a quitté la brasserie tout en répétant à quel point il était déçu. Déçu pour plusieurs raisons : parce que cette relation est née dans son dos mais sous son nez, parce que Josephine a choisi de s'émanciper au profit d'une histoire d'amour -- et pas comme lui l'avait fait, c'est-à-dire seulement pour lui -- mais aussi parce qu'il pensait être respectivement leur premier confident. Josephine a regardé son frère s'éloigner avec un certain pincement au coeur. Son regard est resté dans le vide quelques secondes avant de reporter son attention sur le moment présent, sur Marty. Elle aurait pu le rattraper. Elle aurait pu lui présenter ses excuses, lui dire qu'ils n'ont rien prémédité mais qu'ils sont simplement faibles face à l'amour qu'ils se portent. Josephine reste pourtant là. ça ne servirait à rien de lui courir après. Elle connait Raph, il a besoin de digérer la nouvelle.

Finalement, c'est à deux qu'ils terminent la soirée. Josephine vient déposer sa main sur celle de Marty et la caresse tendrement. _ Je crois que ça aurait pu être pire, non ? Elle tente un sourire. Ouais, assurément. Raph n'est pas dupe, il a bien compris que la blonde avait quitté Archie pour Marty. Et surtout, il se doute qu'il est celui qui a pris son innocence. Ce n'était un secret pour personne que Jo souhaitait garder sa vertu jusqu'au mariage -- avec Archibald. Raph n'a en tout cas pas mis le doigt là-dessus. Il a eu la décence de ne pas chercher les détails sordides de cette histoire. Et c'est tant mieux. En réalité, il les avait écouté sans rien dire et avait simplement craché sa déception avant de quitter la brasserie. L'héritière jette un oeil vers le serveur qu'elle appelle d'un signe de la main. _ On vous reprendra deux pintes. Et une planche mixte. Charcuterie et fromage, rien de tel pour réchauffer son coeur. Le serveur s'éloigne et elle reporte son attention sur Marty. _ Il ne nous en voudra pas éternellement, tu sais ? Il nous aime, il ne veut que notre bonheur. Est-ce qu'elle donne l'impression de prendre cela à la légère ? Peut-être. Peut-être qu'elle ne devrait pas commander deux nouveaux verres -- elle a assez bu pour ce soir, non ? -- et peut-être qu'ils devraient simplement rentrer chez eux. Mais au fond, Josephine se sent soulagée. Soulagée de ne plus être obligé de mentir à une des personnes qu'elle aime le plus sur Terre. _ Il l'acceptera. A savoir si elle dit ça plus pour se rassurer elle ou rassurer Marty.

Travailler dans un pub, c’est fatigant : il s’agit là d’une vérité absolue. Toutefois, je ne suis pas rentré chez moi sur les genoux d’avoir couru derrière le bar pour servir des pintes ou des alcools aux piliers de comptoir du dimanche. L’anxiété m’a achevé. J’ai insisté lourdement pour que nous éclairions Raph au sujet de notre relation. L’heure approchant, je me suis cependant interrogé, tout l’après-midi, sur le caractère nécessaire de la démarche. Serait-il bon de reculer ? Ai-je réellement à gagner à travers la beauté de la sincérité ? Non. Oui. J’ai statué en faveur de cette dernière même si les chances de recueillir sa colère avoisine les quatre-vingt-dix pour cent. Il le prendra mal, c’est évidemment. Même mon moineau n’a pas trouvé d’arguments pour me contredire quand j’ai étouffé dans l’oeuf la possibilité qu’il soit heureux pour nous. Dès lors, même si j’ai peur qu’il m’en veuille, je me suis préparé à la pire des éventualités en babillant depuis la chambre ou la salle de bain pour mieux dissimuler ma nervosité. Sur le chemin, j’ai raconté quelques anecdotes inutiles en me répétant, inlassablement, que si le quart d’heure sera mauvais, je me préserve d’une rage éternelle si, d’aventures, il l’apprenait de Gunn. J’ignore ce qu’il fait, l’ancien fiancé. Je ne le connais ni ne le côtoie. Pleure-t-il ? Badine-t-il ? Se fourvoie-t-il à rattraper ces quatre années perdues ? Fomente-t-il des plans de vengeance ? Refusant de cracher sur cette dernière hypothèse, me méfiant du bougre comme de la peste et du choléra réunis, j’ai attrapé le couteau par les cornes à pleine paume à peine Raph salué et installé. J’ai fait fi des salamalecs : j’ai tranché la chair à vif, lancé la grenade dégoupillée et j’ai attendu cette déflagration d’insultes à laquelle je m’étais préparé. Sauf qu’il ne m’a pas craché des injures au visage, mon meilleur ami. il ne m’a pas non plus semblé furibond. Il a d’abord gardé le silence. Puis, il nous a reprochés à juste titre de l’avoir pris pour un con avant de prendre congé sans autre forme de procès. Il est déçu et triste : je mettrais ma main à couper. Il a ressenti dans le fond de son coeur la douleur de la trahison. Elle a été aussi violente qu’une brûlure aux troisième degrés et la honte m’a pris à la gorge. Elle a coincé les mots dans ma jugulaire longtemps après son départ. J’ai entendu la voix de Jo, cette clochette timbrée d’espoir. Elle a commandé à boire, à manger, s’est autorisé un commentaire qui, je le présume, avait pour vocation d’être encourageant. Mais, quoi lui dire ? Que je regrette ? C’est faux. M’offrirait-t-on une baguette magique je n’effacerais pas ces quatre mois. Je m’y prendrais simplement tant pour Raph que pour elle si l’on tient compte de Frenchie. Je crois que, pour me ramener pleinement à elle, une attention délicate aurait été plus efficace que des remarques creuses. Malheureusement, elle est aussi mal armée que moi pour faire face à cette situation. Alors, j’ai haussé les épaules en signe d’impuissance et, au lieu de répliquer directement à ses mots supposément destinés à nous rassurer ou nous convaincre, j’ai déclaré sans préavis :    ”Il n’est pas en colère. Il est déçu. Et je m’en doutais en fait. Je suppose que…” Quoi ? Que l’on s’en tire pas si mal ?”Non. Tu as raison. Effectivement, ça aurait pu se passer plus mal. Je pensais qu’il m’insulterait, qu’il me pèterait le nez lui aussi.” ai-je ponctué en m’essayant à un sourire.”Et je reste persuadé que c’est ce qu’il aurait fait si on ne lui avait pas dit nous-même. ” J’ai refusé d’évoquer son ex. J’ai préféré poser ma main sur la sienne. ”Comment tu te sens ? Vraiment, je veux dire. Ne me sers pas tes couplets habituels hyper laconiques qui veulent tout dire et ne rien dire à la fois.” N’attend-elle pas que je me livre à coeur ouvert de mon côté ? Le cas échéant, la réciprocité me semble primordiale. ”J’aime ton frère, mais s’il ne devait pas accepter, ce serait tant pis pour lui et moi. A toi maintenant.” ai-je insisté après lui avoir donné une impulsion probablement nécessaire.

OUTFIT -- La nuit dernière et durant toute la journée qui venait de s'écouler, Josephine avait imaginé tout les scénarios possibles. Raph frappant Marty, Raph les insultant, Raph traînant la blonde dans la brasserie pour l'ôter des bras de son bien aimé. Mais un Raph mutique, elle ne s'y était pas préparée. Elle a lu la déception dans ses yeux. Elle a compris que ce n'était pas tant leur couple qui le dérangeait, mais la manière dont il s'est formé : autour de mensonges, de secrets, d'infidélités. La différence d'âge ? Raph ne l'évoque même pas -- ou pas encore. Peut-être que, comme pour eux, ce n'est pas là le frein principal. Il évoque la déception et s'en va sans un mot. Sans même un regard un arrière. Ses yeux à elle ne quittent pas la silhouette de Raphael qui s'éloigne d'eux. Est-ce qu'ils l'ont perdu pour toujours ? Probablement pas. Il leur pardonnera, elle en est certaine. Ouais, c'est ce qu'elle se répète pour se donner la force d'affronter cette situation. Perdre son frère ? Elle ne l'a jamais imaginé. Elle tente de ramener Marty à elle en posant sa main sur la sienne. Si cela ne semble pas fonctionner, c'est sa voix qui semble le faire revenir à l'instant présent. _ Il n’est pas en colère. Il est déçu. Et je m’en doutais en fait. Je suppose que… Elle a plongé les yeux dans les siens, prête à attendre ses arguments. _ ”Non. Tu as raison. Effectivement, ça aurait pu se passer plus mal. Je pensais qu’il m’insulterait, qu’il me pèterait le nez lui aussi. Elle vient rouler des yeux. _ Hors de question que ce joli minois se fasse encore une fois abîmer. Elle sourit en réponse au sien et se penche pour déposer un rapide baiser sur son nez. _ Et je reste persuadé que c’est ce qu’il aurait fait si on ne lui avait pas dit nous-même. Elle en est consciente, elle aussi. De quelle manière l'aurait-il pris s'il l'avait appris par Archibald ou par quelqu'un d'autre ? Une connaissance en commun qui les aurait vu, Jo et Marty. Après tout, même si Brisbane est une ville de plus de deux millions d'habitants, il n'est pas difficile d'y croiser des connaissances. _ Comment tu te sens ? Vraiment, je veux dire. Ne me sers pas tes couplets habituels hyper laconiques qui veulent tout dire et ne rien dire à la fois. Elle hausse doucement les épaules. ça va qu'elle voudrait dire. Mais elle est consciente qu'il s'agirait là d'un mensonge. Elle ferme les yeux quelques secondes, le temps de trouver ses mots jusqu'à entendre à nouveau la voix de Marty. _ J’aime ton frère, mais s’il ne devait pas accepter, ce serait tant pis pour lui et moi. A toi maintenant. Elle ne peut s'empêcher de sourire, de serrer un peu plus sa main dans la sienne. _ Je pense que je préférai sa colère à sa déception et son mutisme. Le serveur s'approche d'eux et dépose la commande, elle le remercie dans un murmure avant de reporter son attention sur Marty. _ J'ai peur. J'ai peur de le perdre, qu'il refuse de nous adresser la parole à nouveau et de nous pardonner. C'est ce qu'elle ressent, à présent. Elle est terrorisée à l'idée de perdre son frère. Son aîné. Son pilier et son exemple dans la vie. _ Mais à contrario, je suis intimement convaincue qu'on n'a pas besoin d'être pardonné. Ok, je comprend qu'il aurait aimé qu'on lui en parle plus tôt mais je ne pense pas qu'on était réellement prêt à le faire il y a encore quelques semaines. Pour ne pas dire jours. Difficile pour eux de mettre des mots sur leur relation il y a encore quelques temps. _ Il acceptera, j'en suis sûre. Il nous aime. Il comprendra. Il mettra peut-être du temps à le digérer, mais il veut notre bonheur. Elle en est certaine, Josephine. Parce qu'à ses yeux, il ne peut pas en être autrement. Alors, elle tente de se convaincre. Ouais, elle est sûrement plus affectée qu'elle n'y paraît. Plus perturbée par la déception de son frère à son égard. De sa main libre, elle vient prendre la pinte de bière et y trempe ses lèvres. _ Et mon bonheur, il est avec toi. Elle tente un autre sourire alors qu'elle accroche une nouvelle fois son regard.

La facilité avec laquelle j’ai géré mon choix est aussi effarante que mon aisance à la promettre. Effarante, oui, parce que j’ai hésité entre le frère et la soeur des nuit durant, sans réussir à statuer. J’y ai réfléchi à l’instant même où j’ai soumis l’idée d'être honnête envers Raeph et, jusqu’à aujourd’hui, l’éventualité d’une rupture entre mon ami et moi me paralysait d’angoisse. Or, j’ai saisi que tergiverser était une perte de temps une fois face à lui. Bien sûr, les mauvaises langues prétendraient que, vu sa réaction à des kilomètres de la violence ou de la colère, j’ai présumé qu’il me pardonnerait. Dans ces conditions, ma confidence serait moins noble. Moi, en revanche, je jure que je me suis décidé avant cette minute pénible de la révélation. La seconde avant pour être honnête. J’ai pris la main de Jo, en cachette. Elle m’a insufflé une dose de courage et de force si renversante que je me serais cru capable de soulever des montagnes. Alors, j’ai réalisé qu’à son contact, je suis meilleur et plus sûr de moi malgré cette estime de moi affleurant le niveau des pâquerettes. Si j’avais un doute concernant ma dépendance affective, elle les a balayées, levés et quoique je sois hagard après le départ de son aîné, je ne ressasse pas ma peur d’être abandonné par l’un des piliers de mon existence. Je suis effrayé qu’il n’accepte jamais cette relation. Le contraire supposerait que j’ai triché au cours de ces longues années de connivences. Jo compte davantage cependant. Elle détient les pleins pouvoirs sur mon coeur et c’est bien moins tétanisant qu’un quotidien sans elle. N’ai-je pas souri d’aise tandis que ses lèvres glissent sur le bout de mon nez ? N’ai-je pas profité de l’occasion pour lui voler un baiser ? N’ai-je pas enroulé mon bras autour de sa taille pour la rapprocher un peu parce que mon corps est irrémédiablement attiré par le sien, et ce, qu’importe le contexte plus fragile découlant de notre rencontre avec le monde extérieur. C’est la première fois que nous sommes soumis aux jugements d’autrui et, le cas échéant, le résultat n’est pas probant. Je concède donc à mon inquiétude le soin de s’exprimer et ma prévenance de recueillir ses confessions. Pour une fois qu’elle se livre sur un sujet différent de notre couple, bien qu’il soit au coeur de la problématique, je lui accorde l’entièreté de mon attention. ”Moi aussi. Je crois que j’aurais préféré qu’il me frappe ou qu’il gueule un bon coup. Je n’aime pas quand il garde tout pour lui comme ça, parce que ça ne lui ressemble pas.” Et, par conséquent, ça ne présage rien de bon et d’heureux pour nous deux, pour nous tous plus largement parlant. ”Je suis conscient que c’est de ma faute, tu sais.” ai-je déclaré en saisissant ses deux mains. Concentré sur son anxiété, je n’ai même pas remarqué que le serveur nous avait apporté la commande. ”J’ai été un peu long à la détente. Tout ça nous a un peu dépassé. Puis, il y avait Archibald et…” Le décès de ma mère qui nous a rapprochés, mais qui me tourmente, encore, toujours, sans que je n’en pipe mot pour autant.”Tu sais quoi ? ” J’ai pivoté mon corps vers elle et je l’ai tiré vers moi pour la serrer dans mes bras. ”Je vais aller le voir. Je vais aller jusque là et répondre à toutes tes questions, parce qu’il doit en avoir plein. Il doit avoir envie de me dire des trucs qu’il serait pas à l’aise de dire devant toi. J’en sais rien, mais ça vaut le coup d’essayer d’intervenir. Puis, tu sais, je peux vivre avec l’idée qu’il m’en veuille pour toujours, mais je veux pas être un problème entre vous. Je ne supporterais pas qu’il ne te parle plus à cause de moi.” Je refuse d’être celui qui la tirera vers le bas. Qu’elle fasse des sacrifices par rapport au luxe, qu’elle ralentisse son train de vie parce que je l’attends d’elle ou parce qu’elle n’a pas envie de me mettre mal à l’aise parce que je n’aurai jamais ses moyens. Je l’ai à peine pour mes ambitions.”ça te rassurerait ? Que je prenne un peu la température ?” me suis-je enquis en l’éloignant pour planter mon regard dans le sien. Je lui ai souri avec affection avant de l’embrasser tendrement. ”Je vais tout arranger. D’accord ?” Là encore, je lui en fais la promesse : une de plus que j’aspire à respecter cette fois.