Quand on grandit avec des parents défaillants et démissionnaires, on se cherche des piliers ailleurs. Quelque fois, c’est auprès d’amis triés sur le volet que l’on érige les fondations de notre personnalité. Dans d'autres cas, une fratrie suffit à ne jamais manquer d’affection, à se sentir entouré malgré cette solitude qui nous guette une fois la nuit tombée. Moi, j’ai joui de la chance de compter parmi mon entourage des âmes solidaires. Je n’ai pas assez d’une main pour compter ces proches qui, aujourd’hui encore, se penchent sur mes déboires, partagent mes joies ou mes coups de gueule ou qui distordent leur emploi du temps pour échanger des confidences autour d’une bière. Chacun à leur manière, ils m’ont sauvé de mes travers, ceux hérités de mon père, de ma mère, voire des deux. Ma plus fidèle alliée, véritable planche de salut alors qu’à force d’étouffer sous le poids de l’indifférence, je cumulais les conneries avec l’espoir d’attirer l’attention, elle m’a abandonné sans crier gare. Maeva a été renversée par un véhicule lancé en pleine course sous le regard impuissant d’Elio, son petit copain, le seul qu’elle nous aura présenté. Longtemps j’ai cru qu’il n’en remettrais jamais. Nous partagions une peine aussi différente que similaire au moins dans son intensité. Rien d’étonnant à ce que nous nous soyons rapprochés. Plus nous parlions d’elle, plus nous nourrissions cette impression peut-être mal à l’aise qu’elle était toujours là, avec nous, et si ça n’a jamais adouci notre colère, cette proximité nous aura permis de panser nos blessures. Me suis-je seulement remis de cette disparition ? J’en doute. Elle a conditionné l’homme que je suis devenu. Elle m’a appris la méfiance et à accentuer ma peur d’être délaissé. Qu’importe que les départs soient volontaires ou non. Mon bien-être s’amenuit et, comme l’adolescent d’antan a pleuré la perte tragique de sa soeur, je m’éteins lorsque l’une d’entre elles s'échappe dans une autre ville ou s’exile au bout du monde. Ma peine se manifeste de façon différente parce que je me protège davantage. Je me prépare au catastrophe comme un marathonien. C’est usant. Fatigant. Cette manière, elle ne m’auréole pas de l’arc de l’indulgence. Si l’ex de Maeva et moi avons été proches, j’ai quasiment coupé les ponts à l’annonce de ses noces. Qu’importe la quantité d’eau qui aura coulé sous les ponts depuis l’accident de notre point commun. Se marier, c’était l’oublier, c’était achever un deuil que je touche à peine du doigt. Se lier aussi intimement à une autre femme, à mon sens, revenait à insulter sa mémoire. Je me souviens avoir balayé la question de ses obligations d’un revers de la main. Je n’ai pas voulu écouter et entendre. J’ai tiré la gueule et j’ai pris un abonnement avec l’absence. Ai-je été juste ? A l’époque, j’en étais persuadé. Aujourd’hui, au plus je côtoie Josephine, au plus j’appréhende ses conditions de vie - le confort matériel comporte un lourd tribut à payer : la liberté - je regrette. Je déplore mon égoïsme au point de penser souvent à mon ancien (futur)beau-frère. Que devient-il ? Est-il heureux ? A-t-il des enfants à présent ? Combien de temps l’ai-je injustement boudé ? Je ne saurais dire précisément, mais ça n’a que trop durer et, fort de cette certitude, j’ai osé le texto maladroit suggérant que nous prenions un café ensemble, où il voudra. Ses jour, heure et lieu seront les miens. Je m’estimerai déjà heureux qu’il me réponde. Or, il l’a fait, Elio. Pas rancunier, il m’a fixé un rendez-vous que j’ai honoré. ”Je ne pensais pas que tu accepterais de me voir.” ai-je admis en jouant avec mon verre de bière. Adossé à la chaise d’une table choisie en terrasse, mes airs désinvoltes ne tromperont personne. Mon regard manque de franchise, la honte m’accable au même titre que mes doutes. Que dire à présent ? ”Mais je suis content que tu l’aies fait. Comment tu vas ? Tu es heureux ?” Est-il comblé par son union ? ”J’aurais pas dû réagir comme j’ai fait et arrêter de donner des nouvelles. J’ai été con, je…” Je suis désolé, ai-je retenu, jugeant inutile de m’auto-flageller.