Le message était arrivé au milieu de ta journée de travail. Tu ne l’avais pas vu de suite car tu étais en plein rendez-vous mais quand ton client eut quitté ton bureau, tu fus étonnée de voir qu’il venait de la conversation familiale. Ce n’était pas la conversation la plus animée de ton téléphone, rarement utilisée même à part en cas d’urgence. Pour le coup, il ne semblait pas y avoir de mauvaise nouvelle en vue, simplement un ordre de Monroe. Dix-huit heures à la maison. Annulez vos projets. Au revoir ta soirée tranquille avec le dernier livre que tu avais reçu, bonjour la soirée en famille dans la maison familiale où tu détestais remettre les pieds. Soupirant, tu passais une main dans tes cheveux avant de vérifier ton agenda. Par chance, tu n’avais pas de rendez-vous trop tardif et tu pourrais espérer arriver à l’heure. Quittant ton bureau, tu prévins la secrétaire que tu partirais plus tôt que prévu et tu allais prévenir ton associé qui te souhaita bonne chance pour cette soirée haute en couleur. Tu ne savais pas ce qui t’attendait mais tu préférais ne pas trop te torturer l’esprit à ce sujet. Tu le sauras bien assez tôt. Si Monroe vous demandait tous de vous retrouver à la maison familiale, si elle pouvait être appelée ainsi, c’était qu’il devait y avoir quelque chose à discuter et des décisions à prendre. Il n’était donc pas question d’essayer d’y échapper, l’idée ne t’ayant pas traversé l’esprit. La journée continua, se déroulant exactement comme tu l’avais prévue. Il y avait des conclusions à rédiger, des clients à rencontrer et des brainsotrmings à faire pour voir les différents angles sous lesquels prendre les dossiers. Si tu poussais un peu ton dernier client vers la porte, il ne sembla pas trop s’en plaindre ce qui t’arrangeait. Tu rentrais les dernières informations collectées dans ton ordinateur portable, t’assurant de bien faire la sauvegarde sur le disque dur externe également avant de le glisser dans ton sac et de quitter le cabinet.

Tu t’étais promis de revenir dans ce quartier le moins possible. Ce moins possible était déjà bien trop important à ton goût car tu aurais préféré couper toute visite mais ta fratrie semblait en faire le QG de vos retrouvailles familiales. Au volant de ta voiture, tu appréciais d’autant plus le quartier dans lequel tu avais la chance de vivre aujourd’hui et qui était à des années lumières de ce que tu traversais actuellement. La maison que louait tes parents (grâce à l’argent de Monroe) se dressa rapidement devant toi et tu te garais juste devant. Les gens qui se baladaient sur le trottoir te jetèrent des regards curieux avec tes talons hauts et ton tailleur sur mesure. Tu avais toujours fait tâche dans ce quartier, du moins c’était ta sensation et cela ne s’était pas arrangé avec les années. Veillant à ne rien laisser de valeur dans la voiture, tu te dirigeais vers l’entrée ouvrant la porte sans prendre le temps de frapper. La maison n’avait pas changée, le bazar régnait dans tous les coins et la propreté laissait à désirer. Des éclats de voix provenaient de la salle à manger et c’est naturellement là que tu te dirigeais un sourire sur les lèvres. Monroe, Mallory et Martin étaient tous les trois présents, les deux frères ayant repris la main sur les préparatifs entamés par leur aînée. Tu déposais ta sacoche et ton sac à main sur un meuble avant de leur dire : « A défaut de savoir où est Mina, je suis là. » Tu te dirigeais vers ta soeur aînée pour lui faire la bise et la prendre dans tes bras. « Comment vont mini Singh et sa maman ? » Demandas-tu à Monroe qui avançait doucement mais sûrement dans sa grossesse. Du haut de tes escarpins, tu allais déposer un baiser sur la joue de chacun de tes frères avant de dire : « Pas que je n’apprécie pas de vous voir mais il y a une raison particulière pour cette réunion de dernière minute ? » Tu te dirigeas vers les placards pour y attraper les verres, te préparant à les laver avant de les utiliser car tu doutais d’en trouver des propres.

Mina avait la ferme intention d’être la dernière à se montrer. Clope au bec dans le jardin arrière, elle écoutait d’une oreille le claquement de la porte d’entrée de la maison signalant l’arrivée de chaque frère et sœur. Sans s’en apercevoir, elle soupirait de nouveau à chaque fois. Elle ne savait pas trop ce qu’elle cherchait à démontrer ainsi. Peut-être qu’on ne pouvait pas la commander comme un chien et tout lui faire lâcher pour être présente quand Moe l’exigeait. Souligner un peu plus à quel point ils n’en avaient rien à foutre d’elle au point d’envahir l’espace dans lequel elle vivait sans demander si c'était ok, sans sonner à la porte et attendre poliment comme s’ils n'étaient pas une bande d’animaux. Démontrer que son absence ces dernières années ne faisait pas d’elle un membre moins valable de cette famille et qu’ils avaient toujours besoin d’elle pour discuter des choses importantes. Juste faire remarquer son absence, et être ainsi vue. C’était de la défiance puérile et elle n’en était pas fière. Quoique. L'amertume de Mina lui donnait envie de se rebeller à chaque instant.

Son esprit jonglait entre des mélodies que personne n’entendrait et les pensées sombres qui refusaient de la laisser en paix. Anxiété avait pris les commandes et lui fournissait tout un diaporama de scénarios catastrophiques qui pourraient potentiellement se dérouler dans les prochaines minutes -parce que le désastre n’avait pas un compte à rebours en heures dans cette maison. Et puisque tous les scénarios étaient causés par son besoin de hurler sur le monde entier, Mina en conclut, à nouveau, qu’elle allait avaler sa langue et continuer de s’avancer un ulcère. Une dernière bouffée de tabac avant d’écraser le mégot dans un pot de fleur, un sourire forcé pour cacher la colère, et elle était prête.

Lorsqu'elle entra enfin dans la salle à manger, les bruits familiers de discussions et de préparations s’arrêtèrent un instant. Monroe, toujours en contrôle, dirigeait la scène avec son autorité naturelle. Martin, maladroit comme toujours, essayait d'aider. Mallory, fidèle à lui-même, tentait des traits d’humour qui tombaient à plat, et Margaret, impeccable comme à son habitude, semblait prête à prendre le relais si nécessaire.Un coup d’oeil et elle avait déjà envie de leur hurler de dégager. Au lieu de cela, elle se rapprocha de Monroe, la prenant doucement dans ses bras, mais l'étreinte était plus mécanique que chaleureuse. Elle embrassa rapidement Margaret sur la joue, son sourire ne parvenant pas à cacher son agacement, avant de saluer Martin et Mallory avec une informalité mesurée pouvant potentiellement passer pour de la nervosité vis-à-vis de la solennité de l’instant.

Mina attrapa une bière, l'ouvrit d'un coup de poignet expert à l’aide de son briquet, et s'installa de biais sur une chaise, jambes par-dessus l’accoudoir. « Allez, je suis toute ouïe. Qui est mort ou qui part en taule cette fois ? » Ses yeux lançaient des éclairs de défi, sa posture rigide trahissant la tension qui ne l'avait pas quittée depuis des mois. La maison, avec ses ombres et ses secrets, pesait lourdement sur ses épaules, et elle était fatiguée d’avoir l’impression de porter ce fardeau seule dans l’indifférence générale.

« Mini Harper. On va bien, merci. » Pour toi, ce bébé sera toujours celui de Monroe avant d’être celui de son fiancé. Tu gardais un souvenir lointain mais peu flatteur de Cole que tu n’avais eu l’occasion de rencontrer depuis que Monroe était revenue en ville. L’important étant qu’elle aille bien. Revenir dans cette maison, c’était toujours un supplice pour toi. Pourtant, tu essayais de ne pas le laisser paraître. Jusqu’au départ de Monroe loin de Brisbane, tu n’avais pas eu beaucoup à y venir. Ta vie se faisaient dans de nouveaux quartiers, inaccessibles pour toi jusque là. Mais avec ta grande soeur hors de la ville, tu avais pris sur toi pour que les plus jeunes ne soient pas laissés à eux-même. En parlant de plus jeunes, Mina fit son apparition. Sa démarche et son attitude ne te surprenaient pas. Tu aurais aimé qu’il en soit autrement mais vous aviez tous grandi un peu seuls à votre manière. Au moins, elle met les pieds dans le plat Mina et c’est ce dont vous avez besoin. Elle finit par s’asseoir votre aînée, par prendre la place à la tête de cette table, place qui lui revient alors que votre père n’est toujours que l’incapable qu’il a été. « J'ai eu le proprio au téléphone. Il veut vendre la maison. Donc on a deux options : soit on l'achète, soit on se tire. » Effet d’un coup de massue et en même temps, tu sens un espoir naitre en toi. Etait-ce l’occasion de se débarrasser de cette maison ? Pour toi oui, mais les paroles de Monroe te ramènent vite sur terre. « J'ai continué à payer cette baraque pour qu'on est tous un pied à terre en cas de besoin. Et je sais que ça sert à certains d'entre vous. Donc, prenons une décision réfléchie. » Qu’est-ce que cela voulait dire une décision réfléchie dans cette instance ? La situation était plutôt simple. Il n’y avait que Monroe et toi qui gagniez des salaires permettant de faire des emprunts. Depuis l’ouverture du cabinet, ton épargne s’était un peu étoffée mais rien de monstrueux non plus, vous n’aviez que deux années d’activité. Si la décision devait être prise par les financeurs, elle serait vite prise à tes yeux. « Enfin, c’est pas le sujet. Maggie ? Il a le droit de faire ça ? » Ton prénom te fait revenir dans la conversation. Le droit de la propriété n’est pas ta spécialité mais il n’est pas bien difficile de répondre à la question de ton cadet. Hochant la tête tu lui dis : « Il y a une procédure à suivre lorsqu’il y a des locataires. Le fait qu’il ait appelé Monroe pour lui proposer d’acheter la maison est la preuve qu’il la suit. Si l’on refuse de l’acheter, nous aurons jusqu’à la fin du bail pour déménager, il ne sera pas renouvelé. » Simple et efficace, cela donne à toute la famille les informations nécessaires pour que tout le monde pense à sa décision réfléchie. « C’est combien si on décide de l’acheter ? » Excellente question bien entendue mais tu n’arrives toujours pas à croire que vous étiez en train de considérer acheter cette maison. Ton père n’est même pas un sujet dans ton esprit. Même si elle peut être un pied à terre pour Martin et Mallory par intermitence, cette maison, c’est Mina qui y habite. Alors c’est vers ta cadette pour scruter son visage, essayer de lire ses pensées. Sans surprise, elle reste impassible. Cela ne durera pas longtemps, juste assez de temps pour qu’elle comprenne les ramifications de cette nouvelle. « A quel point tenons-nous à cette maison ? » C’était la question que tu te posais en boucle et tu réalisais presque trop tard que tu l’avais posée à haute voix. Vu le quartier et l’état de cette dernière, elle ne pouvait pas coûter trop cher. « Qu’est-ce que tu en penses Mina ? » Tu risquais de te prendre en pleine figure la tornade qu’était ta soeur mais sans avoir son ressenti sur le sujet, il serait bien compliqué de prendre une quelconque décision.

Lorsque Monroe annonça que le propriétaire voulait vendre la maison, Mina se sentit prise au dépourvu. Ses pensées tourbillonnaient, et elle peinait à masquer la panique qui montait en elle derrière sa mâchoire serrée et son regard dur. C'était ici qu'elle vivait, son refuge, sa prison aussi, mais surtout son seul espace, même s’il était constamment envahi. Elle écouta d'une oreille distraite les questions et réponses échangées, sentant la colère et l'anxiété monter en elle. La suffisance de Moe, l’air paumé de Marty, la question stupide de Mallory, et la remise en question totale de la valeur même de la baraque par Maggie pour finir. Ils avaient achevé de faire bouillir son sang. La jeune femme voulut allumer une cigarette afin de calmer ses nerfs et occuper ses lèvres brûlantes de mots qu’elle allait regretter ; non, on fume pas à côté d’une meuf enceinte. Putain vivement que Moe ait son gosse pour qu’elle ait enfin autre chose à foutre que de se croire mère d’une bande de trentenaires.

Margaret lui posa directement la question. Mina serra les dents, sentant le poids de leurs regards sur elle. Elle prit une grande gorgée de sa bière, cherchant à gagner du temps avant de répondre. Finalement, elle releva la tête, son regard passant de Margaret à Monroe, puis à Mallory et Martin. « Ce que j’en pense ? » Oh dear. « Je pense que c’est facile pour vous de parler. Vous rentrez chez vous, dans vos petites vies, alors que moi, je reste ici à gérer cette foutue maison que, non, Monroe, t’es pas seule à payer. » Son regard se verrouilla dans celui de son aînée dont les propos l’avaient révoltée d’entrée de jeu. « Oh, et désolée que “certains d’entre nous” parasitent ton compte en banque, sis’, tu peux bien garder ton fric si tu crois qu’il t’achète le droit de nous considérer comme des gosses. Tu crois que je suis ici par choix ? Que j’adore être coincée dans cette baraque qui tombe en morceaux ? Non, je reste ici parce que je peux pas faire autrement et que vous tous n’en avez plus rien à foutre. Essayez même pas de prétendre le contraire. »

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, mais elle les refoula avec force, ne voulant pas leur donner ce plaisir. Elle reposa sa bière sur la table avec une violence contenue. « Je supporte cet endroit de merde chaque jour depuis la mort de maman, en espérant que vous vous souviendriez que j’existe encore. Et maintenant qu’il faut prendre une “décision réfléchie” à propos de la baraque vous vous réveillez ? Laisse-moi rire. » Mina lâcha en effet un rire, nerveux, nauséeux, forcée de constater que le sort de la maison était capable de les mettre autour de la table mais pas l'impact qu'avait pu avoir le cadavre de leur mère sur elle. Bande d'hypocrites. Elle se tourna ensuite vers Mallory, le défiant de croiser son regard. "Tu penses vraiment qu’on peut acheter cette maison, Mal’ ? Avec quoi, des cacahuètes ? Et même si on pouvait, est-ce que ça vaut vraiment le coup de s’endetter pour ce trou à rats ? Si t’as des sous en trop, file les moi, que je puisse enfin avoir un chez moi où je pourrais mettre un putain de verrou sur la porte." Son index se leva furieusement en direction de Margaret. « Elle, elle dit les termes. Personne tient à cette maison. Vous vous en cognez quand vous avez pas besoin d’un canapé où fuir votre ex ou chourer une bière pendant que JE gère papa en fermant bien ma gueule. Arrêtez votre cinéma. Si la troisième option serait de tout faire cramer, le seul débat serait pour savoir qui allume le gaz et qui balance l'allumette, parce qu’on se porterait tous bien mieux sans cet épicentre de merdes qui vous force à faire genre que la famille vous importe encore alors que vous crevez d’envie de faire comme si rien de tout ça n’avait existé. » Ils seraient sans doute mieux sans cette foutue prison qui leur rappelait chaque jour à quel point leur famille était brisée. Ils seraient mieux sans avoir à prétendre qu'ils en avaient quelque chose à faire d'elle depuis son retour, depuis Maeva, depuis toujours. La gosse de trop.

Mina croisa les bras sur sa poitrine, se forçant à respirer profondément pour calmer les battements frénétiques de son cœur. « Et puis merde, si on doit vraiment se tirer, on se tirera. C’est pas la première fois qu’on devra se débrouiller par nous-mêmes, hein ? Vous ferez ce que vous voulez, de toute façon. Non, ce que Monroe veut. T’as toujours su ce qui était mieux pour nous, non ? Alors vas-y, décide pour nous tous. Comme d'habitude. » Elle laissa ses mots en suspens, attendant de voir comment ses frères et sœurs allaient réagir à cette tirade, ce flot de paroles qu'elle s'était promis de garder pour elle mais qui allaient finir par la bouffer toute entière. Ils ne la voyaient déjà que comme une emmerdeuse, ils l'avaient tous abandonnée un à un, alors que pouvaient-ils bien lui faire de plus ?

En te tournant vers Mina, tu savais que tu lui donnais le bâton pour te faire battre. La colère se lisait dans chaque respiration de ta petite soeur. Les mots qui sortirent ensuite de sa bouche te firent comprendre à quel point tu avais sous-estimé le mal-être de ta soeur malgré les efforts que tu avais faits pour t’en rapprocher depuis le départ de Monroe de Brisbane. Mina et ses remarques tranchantes, Mina qui ne vous laisse aucun répis et tape toujours dans le mille, là où cela fait mal. Tu le vois sur les visages de tes frères et soeurs, ils encaissent plutôt mal les coups, en colère, offusqués ou juste blasés, surpris que cela ne soit pas sortit plus tôt. Mina est injuste, bien sûr qu’elle l’ait, surtout avec vos aînés mais ce n’est pas pour cela qu’il faut ignorer sa souffrance. Peut-être que c’était justement ce que vous aviez trop faits, refusant de la voir grandir, voyant ses cris d’alerte comme d’éternelles crises d’adolescence. Alors que vous avez à peine le temps de digérer les mots de Mina, c’est Misha qui fait son entrée dans la pièce. Surprise par les éclats de voix, elle ne peut s’empêcher de se questionner. Monroe et Mallory s’approchent pour la saluer et lui donner une courte explication de la situation, du moins de leur point de vue. Tu salues Misha et lui envoies un baiser mais tu ne bouges pas. Un trois contre un est en train de se dessiner et tu ne vois pas comment cela peut vous aider. Une fois sa cigarette allumée, elle n’épargne pas les coups Monroe. Piquée à vif par les mots de sa cadette, elle rétorque, renvoie les arguments et la remet à sa place. Le problème tu ne le connais que trop bien. Il n’y a pas de vérité absolue dans ce genre de situation, seulement deux vécus qui s’affrontent, deux vérités totalement justifiées et réellement mais qui ne se comprennent pas et s’affrontent. On dit souvent qu’il y a deux faces à une même pièce, il y a toujours deux faces à une même situation. Mais dans le monologue de Monroe, ce qui t’intéresse c’est le prix de la maison. « 900 000 $. » C’est comme un coup de poing. 900 000$ pour cette baraque dans laquelle le propriétaire n’avait pas investit depuis dix ans ? « _J'ai un peu d'argent de côté. Et je n'ai rien contre le fait de garder cette maison. C'est un pied à terre pour tout le monde, un lieu où on peut se retrouver et un endroit où on a tous des souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais. Il a dit qu'il pourrait éventuellement baisser le prix si on se décidait rapidement. » Gosh … Tu aimes ta soeur, de tout ton coeur mais tu ne peux pas t’empêcher de la détester dans ce moment précis. Pourquoi garder cette maison ? Oui, il y avait des souvenirs communs mais la dispute qui venait d’éclater montrait bien à quel point ces souvenirs étaient tous entachés. Et puis pouquoi continuer à procurer un toit à votre incapable de père ? Alors que tu reprenais tes esprits, tu vis que Martin avait disparu et c’est Mallory qui prit la parole. Plus compréhensif que Monroe mais au fond, il prenait sa défense ce qui n’allait calmer personne. D’ailleurs, Mina ouvrait déjà la bouche. Tu te levais et te mit entre tes deux soeurs avant de dire : « Stop, ça suffit. » Vous n’étiez pas là pour vous battre, vous étiez là pour statuer sur la maison. « Aucune de vous d’eux n’est en mesure de faire preuve d’empathie pour l’autre alors inutile de continuer à vous déchirer. Cette décision, Monroe ne peut pas la prendre pour nous et c’est toi Mina qu’elle impactera plus que les autres alors s’il vous plaît. » Tu les supplies presque. Tu veux revenir sur le sujet de la maison parce qu’il te semble essentiel de ressentrer la discussion. Vous n’étiez pas là pour régler vos comptes. Si Mina et Monroe avaient besoin de se dire leurs quatre vérités, elles pouvaient le faire à un autre moment. « Premièrement, il est hors de question que nous payions 900 000$ pour une maison où personne n’a investit depuis dix ans et où il y a des travaux importants à faire. Il faut absolument faire baisser le prix. » C’était une première constatation. Et négocier ne t’avait jamais fait peur, c’était une partie de ton métier. « Si nous décidons de racheter la maison, même en mettant une partie de nos économies dans ce bien, nous serons incapables de fournir une telle somme donc nous devrons emprunter. » Et vos capacités d’emprunts ne sont clairement pas égales dans la fratrie. Mais c’est une point que tu ne mettras pas de suite sur la table. « Personnellement, je n’ai aucune envie d’investir un centime dans cette maison. Ne me regardez pas comme ça, vous savez tous pourquoi. » Si les souvenirs de chacun pouvaient être bons ici, ce n’était pas ton cas. « Je suis tout à fait d’accord avec l’idée d’acheter une maison familiale cependant. Pourquoi ne pas prendre quelque chose d’autre ? Quelque chose où tout le monde pourra recommencer de zéro et où Mina aura une chance de se sentir à sa place ? » Tu sentais la montée de bouclier venir mais tu devais au moins essayer. Investir ton argent durement gagné dans cette maison sera un crève coeur et ne sera pour toi qu’un dernier recours, le sacrifice final que tu feras pour ta fratrie s’ils te le demandent.

Alors que Monroe chargeait les balles de son fusil à culpabilisation de masse, la porte s’ouvrit et Misha entra dans la pièce. Un instant de répit, une distraction bienvenue dans le chaos ambiant. Mina détourna légèrement la tête, son regard s’adoucissant malgré elle à la vue de sa sœur cadette. S’il y en avait une qui n’aurait pas droit à sa missive personnalisée, c’était elle. Monroe l’embrassa et murmura quelque chose à son oreille, Mallory la prit dans ses bras avec un sourire amer. Misha est la bienvenue, toujours. Mina sentit une pointe d'envie la traverser, une douleur sourde qui se mêlait à sa colère. Elle détourna les yeux, incapable de soutenir cette vision sans que cela n’attise encore plus sa frustration. Elle ne leur en voulait pas, pas vraiment, mais chaque marque d'affection envers Misha était un rappel cruel de la distance qui s’est installée entre elle et les autres. Là où Misha était accueillie avec douceur, Mina n’était qu’un tourbillon à leurs yeux, une tare, un genre de parasite. Elle avait l’impression d’être la seule à se noyer dans ce qui restait de leur famille, tandis que les autres parvenaient encore à trouver des moments de réconfort et de solidarité. L'accalmie est de courte durée, le fusil de Monroe est chargé, canon orienté vers l’ingrate cadette.

Mina ne savait pas si elle devait hurler ou éclater en sanglots. Le flot de réponses qui lui arrivait en plein visage la cloua sur place, une vague de frustration et de colère l'envahissait, mais elle fut incapable de réagir immédiatement. Monroe, son éternelle mère de substitution, lui balançait des vérités qu'elle ne voulait pas entendre, des accusations qui l'étouffaient. Non, bien sûr qu’elle n’avait jamais été laissée de côté, elle l’avait inventé de toutes pièces, c’était dans sa tête, encore un caprice qui ne méritait aucune attention. Quelle infamie que de se plaindre, d’oser s’exprimer, se dresser contre sa toute-puissante autorité. Son aînée lui parlait encore comme si elle avait seize ans et son discours lui donnait des airs de Mandy Singh. Mina encaissait, une vague de rancœur se glissant sous sa peau à chaque mot qui sort de la bouche de son aînée. “C’est pas un concours, mais putain ce que t'as besoin de gagner.” Sa voix était basse, presque un murmure, mais chargée d'une intensité brûlante. “T'as besoin de rappeler à tout le monde ce que tu as sacrifié, ce que tu as fait pour nous, comme un putain de couteau sous la gorge. Si tout ce que tu fais c’est sous condition d’une dette éternelle, alors je plains ton gosse.” Mina serra les dents. Ces derniers mots, elle les regretta instantanément, mais lorsqu’on la frappait, elle répliquait.

Puis intervint Mallory, avec son ton condescendant et son sermon sur l'entraide, comme s'il n'avait jamais été absent lui aussi, comme s’il avait fait psycho option communication, comme s'il n'avait jamais fait d’erreur. Mina ouvrit la bouche pour répondre à son frère, son regard flamboyant de colère. Elle s'apprêtait à lui balancer que oui, c'est exactement ce qu'elle est en train de faire, là, maintenant : demander de l'aide, mettre sur la table tout ce qu'elle avait sur le cœur. Et tout ce qu’elle recevait, c’était des reproches et de la morale, là où elle avait besoin d’écoute et d’empathie. Quelle ironie de la part de celui qui la suspectait de se complaire dans son malheur. Il était aveugle, sourd, ou tout bonnement con ? C’était un mec, voilà tout, fallait pas leur en demander trop -comme à Marty qui avait filé à l’anglaise loin des bombes. Mina ouvrit la bouche, prête à lui dire qu’elle venait d’appeler à l’aide à l’instant, à le hurler même puisque la première fois était pas claire, mais les mots lui restaient coincés dans la gorge, stoppés par l'intervention de Margaret.

Margaret, toujours la voix de la raison, toujours celle qui cherchait à apaiser les tensions, à remettre les choses en ordre. Mina la fixa, sentant son corps se raidir. Elle écoutait, mais son esprit est bloqué par tout ce qu’elle n’a pas encore pu dire ; car oui, il lui restait des torrents de mots en magasin. Maggie parlait de logique, de pragmatisme, de chiffres et de coûts, comme si c'était tout ce qui comptait. Comme si leur passé, leurs blessures, pouvaient se réduire à une simple transaction immobilière. Et encore une fois, tout était plus important que cette sale gosse de Mina. Revenons à nos moutons, sa détresse n’en vaut pas la peine, on a assez perdu de temps comme ça. Une amertume glaciale l’envahit. Quand Margaret termina, la cadette laissa un silence lourd planer dans la pièce, cherchant les mots justes pour exprimer le torrent de ressentiment qui la consumait. Non, rien. Elle respira profondément, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Tout ça lui filait la nausée, mais leur gerber encore une fois ses états d’âme et ce qu’elle pensait réellement n’aurait sans doute pas un meilleur accueil la seconde fois que la première. “Une autre maison changera rien,” finit-elle par murmurer. Sa voix est basse, presque rauque, déraillante. “Ce qui est vraiment pourri, c’est pas cette baraque, c’est nous.” Ça, ils l'emporteront partout avec eux, où qu’ils aillent. Y'aura jamais assez de couches de peinture pour masquer la pourriture dans leur ADN. “Et si c’est pour avoir une dette supplémentaire envers qui que ce soit à utiliser pour me faire fermer ma gueule quand je dérange, alors je préfère encore crécher sous un pont.”