J’aime les miens. Si je les ai affublés dès l’enfance de surnoms, c’est qu’il tienne dans mon existence une place particulière. Ils sont tous détenteurs, selon leur personnalité, d’une partie de ces secrets que je distille au gré de mon besoin d’attention. Aussi, le déroulé de notre dernière réunion de famille m’a-t-il tourmenté, beaucoup, assez pour que le sommeil me boude malgré la respiration de Josephine. Jo. Me sent-elle distant ces derniers temps ? Suppose-t-elle que le rendez-vous que j’avais tant redouté m’a plongé dans un bain d’inquiétude ? Dès l’instant où la colère de Mina a décoché des fléchettes empoisonnées  en direction de Monroe, j’ai déconnecté. Présent de corps, mon esprit a vagabondé vers ma culpabilité, vers ma peur la plus ancrée : être le témoin impuissant de la chute des Singh. Mes piliers s’effondraient-ils alors que je lutte encore contre les conséquences de la perte de notre mère sur mes espoirs que je m’enfoncerais dans les sables mouvants de cette dépression qui me pend au nez. Je n’aurai pas assez de force pour me relever et, cette fois, mon moineau n’arrivera pas à me tirer de ce mauvais pas quoi qu’elle soit prête à encaisser pour moi ou pour nous. Je ne sais pas. Ce pronom-là aussi, il m’effraie. Ces derniers temps, la peur me colle à la peau et je la déteste cette émotion. Je la hais parce que m’engoncer dans mon écharpe de courage ne m’aide en rien. Elle est mitée et , pour cause, toutes mes tentatives d’être une plus belle version de moi-même s’achève sur un échec. J’en deviens las, plus morose que de coutume. Lire ne me divertit plus. La musique ne m’intéresse pas. Au théâtre, je peine à me concentrer. Je semble marcher à des années lumières de moi. Alors, estimant qu’il est préférable de ne pas tourner le couteau dans les plaies de Monroe, j’ai ramassé mes tracas, les ai glissés dans une besace imaginaire et je me suis pointé chez mon frère sans m’annoncer.

J’ai débarqué à l’improviste au mépris de ces habitudes de célibataire. Devant sa porte, je me souviens m’être fait la réflexion que, peut-être, l’une de ses conquêtes passagères m’ouvrirait la porte, ce qui m’amuserait. L’éventualité étire mes lèvres d’un sourire d’ailleurs. C’est le premier depuis des jours, exception faite des plus spontanés entraînés par la candeur de Jo. Ai-je pour autant rebroussé chemin jusqu’au trottoir d’en face pour m’encombrer d’une politesse obséquieuse (envoyer un texto) ? Non. J’argue que l’invitée supposée sera plus embarrassée que moi. Elle est vouée à disparaître. Pas moi. Et, parmi le panel de mes doutes règnent une certitude : Gatsby est dévoué à ses frères et sœurs. Jamais il ne nous a laissé tomber. Il chassera toute compagnie, car elle sera l’intruse. Elle sera de trop. Pour preuve, quoique j’ignore si une jeune femme l’attend patiemment dans ses draps, il m’accueillle avec plaisir. ”Tu es tout seul ?” me suis-je tout de même enquis en jetant autour de moi quelques œillades curieuses, mais pas indiscrètes. Je ne scrute pas, je m’imprègne de ces lieux que je connais bien. Je cherche LA place où je me sentirai assez à l’aise pour vider mon sac une fois passée l’étape des salamalecs comme : ”Je te dérange pas ? Tu vas bien ? Tu bosses à quelle heure ? ”. Je n’ai d’ailleurs pas traîné finalement. Pas le temps de me faire servir un café ou même de lui proposer de m’accompagner pour une cigarette à fumer sur le balcon. J’en ai cruellement besoin, pourtant. ”Tu en penses quoi ? De tout ce merdier dans la famille ? Toi aussi tu as l’impression que ça pue ?” ai-je lancé dans un souffle, la voix trop forte, la main posée sur la poignée de sa porte vitrée maintenant que je l’ai tiré de ma poche mon paquet de clopes.