@Livia Castillo

Le hall du Queensland Museum est transfiguré ; doré à tous les étages, en l'honneur de… n'importe quelle noble cause pourrait certainement être insérée là, rien, en tous cas, que Kendall ait retenu. Ce qui ne lui a pas échappé, en revanche, c'est le ton sec pris par sa mère lui enjoignant de venir – un ordre pas si habilement dissimulé en demande, la voix exaspérée avant même qu'il ait eu le temps de protester ; signe sans équivoque qu'il était temps de courber l'échine et de sacrifier sa soirée pour satisfaire sa maman adorée. Il s'est bien amusé, à Paris, voici venu le temps de retrouver un peu de sérieux. Du moins, il connaît suffisamment bien la matriarche pour savoir que c'est exactement ce qu'elle pense. Alors, il est là, Ken, planté au musée, écoutant négligemment les discours appelant à la charité des beaux partis rassemblés là. Un événement que les Ackerley ne pouvaient décemment pas manquer. Au moins peut-il, cyniquement, se satisfaire de la présence de ses parents : c'est à eux qu'incombera, au terme de la soirée, la lourde tache de mettre la main au porte-monnaie. Lui, il n'est là que pour faire office de figurant. Et il estime jouer à la perfection le rôle de la plante verte. N'oublie pas mon Oscar, maman, je l'ai bien mérité.

Il y a comme une pause, un flottement dans l'assemblée ; les personnes qui ont pris la parole louvoient désormais entre les convives, certainement pour les pousser un peu plus à adhérer à leur cause, et – bien plus intéressants – des serveurs font circuler une kyrielle de flûtes de champagne. Devant son poison, Kendall réprime un rictus ; sachant que, s'il pourra bien sûr tremper les lèvres dans ce délicieux poison, il est hors de question, ce soir, qu'il en abuse. Les limites sont bien claires : à l'étranger, sous les caméras, il peut bien se permettre toutes les folies qu'il veut – on ne pourrait pas l'en empêcher, même avec la meilleure volonté du monde – mais, alors qu'il représente officiellement, et quelque peu pompeusement, les Ackerley, il doit se tenir. Saisissant un de ces verres flottant dans l'air, il se promet donc de le déguster. Et, ainsi chargé, se dirige vers l'entrée, s'éloignant de la foule le temps d'une cigarette bien méritée.
Peut-être qu'il s'agit d'une levée de fonds en faveur de l'environnement, parce qu'il n'y a pas grand-monde qui fume, dehors.
Qu'importe, il allume la sienne et s'en délecte. Et, finalement, y'a une fille qui le rejoint ; qui détonne, tout comme lui, parmi les vieux cadors réunis dans le musée, un peu trop jeune pour se soucier de toutes ces histoires, non ? Ça le démange, d'aller la titiller un peu. Parce qu'il s'ennuie. Parce qu'elle est mignonne. Parce qu'il faut bien qu'il tire quelque chose de cette soirée. Mais il a promis d'être sage, ce soir. Sauf que, du coin de l'oeil, il la voit fouiller dans son sac à main, clope éteinte au bec. Et, là, Kendall ne peut pas résister. Il s'approche, briquet en main. Briquet porte-chance, peut-être. « Un feu, peut-être ? » Attendant sa réponse, il ne peut s'empêcher d'ajouter une taquinerie. « Vous avez l'air sacrément jeune, pour faire partie des philanthropes… À moins que vous ne soyez là que pour profiter du champagne gratuit ? Je me sentirais moins seul, si c'était le cas. »

@Livia Castillo & @Kendall Ackerley

Bien entendu, Livia s'ennuyait profondément.

Pour commencer, elle n'avait qu'une idée floue de la cause que célébrait le Queensland Museum ce soir-là. Sa présence à cet événement ne tenait qu'à une succession de miracles, un ensemble de coïncidences qui, Livia le savait, ne se produiraient probablement plus jamais dans cette décennie. C'était au nom de Juan, que l'invitation avait été gravée : la brune ne lui connaissait pourtant pas d'attirance particulière pour le monde de l'art mais, à sa décharge, il était certain que son père avait toujours été philanthrope, et encore plus depuis que la fortune familiale n'était désormais plus à bâtir. A la dernière minute, un empêchement l'avait obligé à céder sa place : visiblement, la cause était bien trop importante pour que le nom des Castillo n'y soit pas représenté et, bien évidemment, Juan s'était tourné vers Moisés, puis vers Camila, dans l'espoir tenace de faire de l'un d'eux son remplaçant. Pour la première fois depuis longtemps, aucun des deux n'avait été en mesure de se rendre disponible à aussi court terme : Livia ne savait pas très bien qui avait cru bon de proposer son nom à la place, ni si son père avait accepté à contrecœur, après avoir probablement écoulé l'ensemble de son carnet d'adresses pour tenter d'éloigner sa cadette du rôle de représentante du clan. Quoiqu'il en soit, et quelques heures plus tard, Livia se retrouvait quasiment fusionnée au mur du fond de la pièce, un verre de champagne à la main, sa robe de soirée inconfortable lui menant la vie dure. Les longs discours s'enchaînaient sans que la brune ne comprenne véritablement ce qu'elle était censée faire – acquiescer, applaudir, signer un chèque au nom de son père ? –, et elle ne rêvait bientôt que d'une chose : d'air frais et, ironiquement, d'une cigarette.

Elle ne met pas longtemps à retrouver le chemin de l'extérieur. Livia a profité d'un changement d'orateur pour s'éclipser discrètement, une seconde coupe dans une main et son sac dans l'autre. Son regard balaie les environs, s'attardant sur un endroit à l'écart, étrangement silencieux. C'est bien la première fois, que la brune assiste à une soirée où le quasi ensemble des invités préfère se masser à l'intérieur plutôt que de respirer à pleins poumons au dehors. Elle ne va pas se plaindre d'un peu de calme, pourtant : en quelques enjambées, la brune rejoint un muret auquel elle s'adosse, cigarette entre ses lèvres, fouillant désespérément dans son sac à la recherche d'un briquet qui, visiblement, est aux abonnés absents. Livia soupire longuement, interrompue in extremis dans son début de désespoir par l'arrivée de jolies boucles dans son champ de vision. « Merci. » Elle répond simplement, penchant légèrement la tête vers la main du brun pour venir profiter du feu qui s'échappe du briquet tendu. Livia se redresse au moment de son questionnement, et la supposition de Kendall lui arrache un rire doux. « Je n'étais pas au courant avant de venir, pour le champagne gratuit. Sinon, je serais arrivée bien plus tôt. » Elle plaisante, tirant doucement sur sa cigarette désormais allumée, thanks to ce parfait inconnu qui, à défaut de sauver l'entièreté de cette soirée, vient de contribuer à lui offrir une dose de nicotine nécessaire pour tenir les prochaines heures. Livia observe la fumée qu'elle expire se dissiper contre le ciel d'encre, avant de reporter son entière attention sur Kendall, qu'elle dévisage doucement. Lui aussi, détonne dans le paysage : il a l'air bien trop jeune comparé à la moyenne d'âge des bienfaiteurs qui s'agitaient autour d'eux dans la salle principale, mais il a l'air malin de ceux qui savent parfaitement où ils sont, qui connaissent leur rôle sur le bout des doigts. « Et vous, pourquoi vous n'êtes pas à l'intérieur, à participer au concours du donateur le plus généreux ? » De sa main libre, elle pointe du doigt la bâtisse illuminée d'où l'on peut discerner une légère clameur à chaque fois que la porte d'entrée s'ouvre pour laisser sortir ou entrer les invités. « Votre remarque me fait penser que vous, par contre, êtes un habitué de ce genre d'événements. Est-ce qu'il y a quelque chose que je devrais savoir à leur sujet ? » Genre, les choses à dire ou à éviter d'exprimer à voix haute. Après tout, autant se renseigner auprès de la seule personne qui a daigné lui adresser un seul mot depuis le début de la soirée. Qu'il soit mignon n'est qu'un bonus.

@Livia Castillo

Kendall ne refuse jamais un challenge. Encore moins lorsqu'il y a une bribe de divertissement à la clé – c'est sacrément précieux, dans ce genre de moments. Ces événements où il n'a aucune envie d'être, qui, parfois, lui donnent l'impression – simple paranoïa ? – de n'être qu'un prétexte pour ses parents à lui passer une laisse autour du cou, s'assurant ainsi qu'il se comporte bien, et que nul opprobre ne sera jeté sur les Ackerley le temps d'une soirée guindée. Il a de l'aplomb, ce n'est plus à prouver, mais aussi une sacrée dose de servilité qu'il n'a jamais su détromper ; si ce n'est en tentant de débaucher d'autres invités, comme il s'y applique à présent. Avec la petite injection d'adrénaline qui va bien – et s'il se trompait totalement sur sa voisine ? Et si elle était parfaitement convaincue par la cause quelconque qui se défend ce soir, à s'en voir outrée par ses insinuations ? Pas de récompense sans risque ; dans le pire des cas, il pourra toujours repartir se mêler à la foule. Il y a moins cet avantage-là dans ces galas, s'y perdre est d'une facilité enfantine.

La belle accepte pourtant le feu, le rassurant quelque peu sur ses intentions. Pas de vexation à l'horizon, semble-t-il. A moins que, dans son désespoir pour un peu de nicotine, elle n'ait attendu de voir sa cigarette embrasée pour nier farouchement les propos qu'il lui a adressés. Le rire qui retentit finalement, et les mots s'y accolant achèvent de confirmer ses suspicions : les motivations des deux protagonistes volent aussi bas l'une que l'autre. Et il ne semble y avoir aucune urgence à se rapatrier à l'intérieur du bâtiment. C'est une jolie nuit, après tout : quel dommage de la passer entre quatre murs, à écouter des discours bien-pensants. Et ce, malgré le champagne gratuit qu'il s'est plu à évoquer, lanceur de conversation visiblement apprécié. « Je pense qu'ils sont beaucoup à n'être venus que pour ça, même s'ils vous diront le contraire. » Ken a beau être implicitement sommé de contrôler sa consommation, rien ne l'empêche de surveiller celle des autres, et d'en tirer les conclusions qui s'imposent ; le jeu a même quelque chose d'amusant. Et il les voit, ceux qui se jettent sur les flûtes et les descendent aussi vite. Tout le monde n'a pas sa délicatesse. Ou sa docilité. « Moi ? Pas assez généreux, j'imagine. C'est plus amusant de regarder les autres se vider les poches. » A se donner un rôle, il le joue jusqu'au bout, quitte à avoir l'air cynique, ou passablement désagréable. Un manège qu'il ne tient qu'à son interlocutrice de décrypter. La remarque suivante lui tire un sourire. Perspicace. Peut-être que la soirée se profile de manière plus amusante qu'il n'y paraissait au premier regard. « J'arrive à en esquiver la plupart, heureusement, mais en effet, c'est pas mon premier rodéo. Quant à vous conseiller... » Ken ne précise pas, évidemment, qu'il est certainement la pire personne de cette soirée à utiliser comme guide. Néanmoins, il soupèse la question avec un minimum de sérieux, tâchant de mettre à profit ses années de pratique dans le milieu. « Bien repérer les orateurs et les éviter à tout prix lorsqu'ils quittent la scène pour démarcher, ça vous sauvera un gros chèque et une précieuse demi-heure. Si, par malheur, l'un d'eux vous alpague quand même, sortez l'argent au plus vite, vous n'y couperez pas mais vous perdrez moins de temps. Ne pas rester collée aux buffets toute la soirée, ça fait mauvais genre, y'a qu'à voir les vieux qui n'en décrochent pas. Sourire à tout le monde, tout le temps, il y a des photographes partout et qui veut faire la gueule sur une photo officielle ? Et... » Il réfléchit, réalisant alors qu'il est en train de compter sur ses doigts. « ...et faites attention au champagne, c'est traître, mais ça ne s'applique pas qu'à ce genre de soirées, c'est plus un conseil de vie en général. » L'énumération achevée, il tire à nouveau sur sa cigarette, avant de laisser une moue dégoûtée s'approprier ses traits en percevant au goût âcre qu'il en est déjà arrivé au filtre. Tant pis pour le conseil numéro trois. « Si vous n'êtes manifestement pas une habituée, comment vous vous êtes retrouvée ici ? »

@Livia Castillo & @Kendall Ackerley

La remarque de Kendall est pertinente. Elle en rit, Livia, parce qu'elle aussi a eu tout le loisir d'observer les habitudes des personnes présentes ce soir-là. Son regard s'est accroché aux plateaux insolemment nombreux qui ont défilé tout au long de la soirée, remplis à ras bords de coupes de champagne. Elle les a vu disparaître aussi vite qu'ils sont arrivés, a esquissé un sourire en coin lorsqu'elle a pris conscience qu'il s'agissait toujours des mêmes mains, qui s'en saisissaient. Livia, elle, n'a pas touché à grand-chose. Elle s'est contentée de garder un œil sur les alentours, saluant d'un signe de la tête les amis de son père qu'elle pensait reconnaître, tentant d'avoir l'air aimable et sérieuse, donnant l'illusion provisoire d'être parfaitement à sa place. « J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, dans ce cas. Ne le prenez pas mal, mais j'ai bien l'impression que les verres se vident bien plus rapidement que les poches. » Elle hausse vaguement les épaules, se demandant distraitement si le brun aussi, faisait partie des personnes qui se plaisaient à profiter des avantages offerts des soirées de ce genre. Il n'en avait pas l'air, à première vue, mais Livia n'était de toute façon que très peu encline à juger ce que chacun pouvait bien trouver et garder à son compte dans ces soirées.

Elle entame sa deuxième cigarette, lorsque son interlocuteur d'un soir lui décrit les différents stratagèmes auxquels il faut avoir recours, pour s'assurer de tirer le meilleur de ce genre d'événements. Il s'exprime avec une précision que seuls les connaisseurs peuvent se vanter de posséder, et Livia comprend rapidement qu'ils ne sont probablement pas du même monde. Ou plutôt, si : ils le sont, mais pour une raison qui lui échappe évidemment, Kendall semble coutumier des attitudes qu'il dénonce pourtant dans son discours. C'est étonnant, et ça éveille la curiosité de l'animatrice, mais elle ne pose pas plus de questions que cela. Ce n'est pas sa place de le faire, après tout : il l'intrigue, c'est un fait, mais elle ne perd pas de vue qu'elle ne connaît même pas son prénom. « Si je suis votre raisonnement, du coup, je dois me sentir flattée de ne pas avoir été démarchée ou, au contraire, me sentir invisible et insignifiante ? » Elle demande avec un sarcasme évident, consciente qu'elle ne doit de toute façon pas renvoyer l'image d'une donatrice aux fonds illimités. Selon ce qui lui a été possible d'observer jusque-là, il ne faisait nul doute qu'elle détonnait singulièrement avec la moyenne d'âge des personnes présentes ce soir. « En tout cas, sachez que je partage totalement votre avis sur la traîtrise qu'apporte le champagne. C'est probablement pour ça que je n'en ai pas bu plus que de raison, ce soir. » Elle ajoute, comme s'il lui était essentiel de préciser qu'elle n'était pas ivre.

Visiblement, Livia rend le brun curieux. Il l'interroge sur la raison de sa présence ici, et l'animatrice ne peut pas lui en vouloir de se poser la question. Elle n'hésite pas une seule seconde à lui répondre avec honnêteté, peu encline à prétendre qu'elle risque un jour ou l'autre de fouler de nouveau le sol du Queensland Museum en tant qu'invitée. « Je représente mon père. » Elle répond d'un ton placide, haussant légèrement les épaules tandis qu'elle tire de nouveau sur sa cigarette. D'un coup de tête lancée en arrière, la brune expire doucement la fumée qu'elle observe s'étirer dans l'air jusqu'à disparaître. Elle n'a pas spécialement envie de s'étaler sur le sujet, Livia : d'abord parce que le brun qui lui fait face est un parfait inconnu, mais surtout parce qu'elle n'a jamais vraiment aimé évoquer la conjecture compliquée à laquelle sa famille pouvait répondre. De quoi aurait-elle l'air, à déballer sans aucune retenue qu'au fond, si son père l'avait pu, il aurait sans nul doute payé un acteur pour qu'il se rende à ce gala à la place de sa propre fille ? Il ne manquerait plus qu'elle ajoute qu'une telle situation ne la surprenait même plus et, qu'au fond d'elle, Livia s'en fichait pas mal, et il en serait fini du tableau parfait de la merveilleuse famille Castillo. Pas qu'elle y tienne spécialement, à cette image, l'animatrice. Au contraire. Mais elle avait une soeur et un frère à qui, eux, elle tenait plus que tout, et qui n'avaient strictement rien à voir avec toute cette histoire. « Livia Castillo, enchantée. » Il ne lui a rien demandé mais, puisque leur discussion prend visiblement un tournant un peu plus personnel et moins professionnel, la brune se voit mal continuer à discuter tout en ignorant indéfiniment l'identité de son interlocuteur. « On peut peut-être se tutoyer, non ? Sauf si ça ne fait pas partie des règles de ce genre d'événements. » Du coin de l'œil, elle remarque la grimace de dégoût du brun, et la cause lui saute très vite aux yeux. Heureusement, c'est un problème auquel la jeune femme est certaine de pouvoir concourir pour une résolution immédiate. « Je t'offre une autre cigarette ? » Sans attendre sa réponse, elle lui tend son paquet à peine entamé, incitant le brun à se servir sans fioritures. Ce n'est sans doute pas une très bonne chose à faire, d'entretenir les besoins en nicotine d'un inconnu ; pour autant, il semblait à Livia que Kendall n'était pas du genre à accepter les choses sans les vouloir.

@Livia Castillo

Maintenant qu'ils sont là, tous les deux, avec a minima un ennui manifeste en commun, Ken ne peut s'empêcher de laisser sa curiosité s'exprimer. Ces soirées-là, en général, il les passe seul, et peut s'estimer chanceux s'il obtient plus de cinq minutes de conversation avec ses parents – une veine toute relative : les mots échangés, alors, n'ont rien de passionnant et sont policés à l'extrême. Mais, puisqu'il y a des mois où c'est à cela que se réduit leur relation, il les cueille malgré tout, éternel gamin en manque d'affection, en essayant d'ignorer ce que cela révèle sur lui, à quel point il se complaît à se contenter de si peu. « Votre père ? » Note-t-il simplement, l'interrogation au bout des lèvres. En dépit de son désintérêt insolemment affiché, Kendall a toujours les yeux et les oreilles qui traînent, dans ce genre d'événements, mettant un point d'honneur à se souvenir de tout le monde, de toujours savoir mettre des noms sur des visages, et inversement. Il n'est pas le fils Ackerley pour rien : il comprend aussi bien que n'importe qui entre ces murs l'importance du réseau qui se bâtit là. S'il en traite la construction avec une certaine négligence, n'allant pas forcément de son propre chef discuter avec les divers invités, il tient toujours dans sa manche la capacité de faire comme s'il connaissait parfaitement quelqu'un avec qui il n'a jamais échangé un mot. Les probabilités sont donc hautes que le nom de la brune ne lui soit pas inconnu, si elle a un père assez influent pour avoir été invitée à s'en faire la porte-parole.

De fait, la présentation de la jeune femme arrive à point nommé. Et, effectivement, il a déjà entendu le patronyme. « Castillo, comme le casino ? » Étonnamment, les jeux d'argent ne comptent pas parmi ses vices. Tant mieux, sans doute. Cela étant, il a souvenir de s'être rendu quelques fois au casino en question, pour l'expérience ; et, s'il a su s'en sortir à temps, il se rappelle tout de même du lieu, et du nom de celui qui l'a fondé. Il n'y a pas meilleure explication à la présence de Livia ce soir. « Ken Ackerley, enchanté. Mes parents sont quelque part, à l'intérieur, mais ils ont quand même tenu à ce que je vienne. Quelle chance, n'est-ce pas ? » Ironise-t-il dans un rictus, ne laissant aucun doute permis sur ce qui se cache derrière ses mots – qu'il préférerait certainement être n'importe où plutôt qu'au gala, surtout dans la mesure où sa présence est parfaitement inutile, tout bonnement performative. « Volontiers, ces convenances sont d'un ennui sans nom. » Ken prend systématiquement des gants, pour ce genre de rencontres. Les égos sont souvent surdimensionnés, et l'on peut se griller d'un simple mot de travers, aussi un vouvoiement, aussi incongru puisse-t-il paraître face à quelqu'un qui semble être de son âge, n'est pas cher payé. Mais l'idée de se laisser aller à un peu plus de familiarité le soulage. Surtout si Livia semble être sur la même longueur d'ondes que lui, guère plus intéressée par le réseautage qui s'agence à l'intérieur et ses conversations désespérément lisses.

D'un hochement de tête, il accepte de piocher dans le paquet de cigarettes qui lui est tendu. Il faudra bien finir par se défaire de sa nicotine bien-aimée pour à nouveau s'acheminer à l'intérieur, mais attendre quelques minutes encore, le temps d'en consumer une nouvelle, ne le tuera pas ; d'ailleurs, Kendall ne doit réellement de comptes qu'à ses parents, et il doute que ces derniers aient déjà noté son absence, obnubilés qu'ils doivent être par des retrouvailles avec de quelconques vieux amis qu'ils prétendront adorer, alors qu'ils ne se voient jamais hors de ces évènements officiels. Toute l'hypocrisie Ackerley, en pleine action. « Alors, représenter ton père, ça implique quoi ? Tu as des objectifs à remplir, ce soir ? » Déformation liée à des relations familiales certainement dysfonctionnelles, il a parfois tendance à parler des liens de sang comme s'il s'agissait d'une entreprise à part entière ; avec des dates butoirs, des objectifs chiffrés à atteindre, et bien d'autres. Et à considérer que c'est tellement normal qu'il présume que tous ceux qui gravitent autour de lui, dans son monde, expérimentent la même chose. « Sinon, je profiterais bien de toute l'agitation pour faire un tour dans la collection du musée. Tu serais la bienvenue. On devrait bien pouvoir se faufiler, ce sera plus gratifiant que de se tourner les pouces avec les vieux. »