Won't let up

Livia & Keith

13 février

Cette vision de Nelly restera à jamais ancrée dans son esprit. Comment oublier l’expression de son visage ? Comment oublier cette détresse hautement visible. Et ses doigts, agrippés à la rambarde de son balcon. Keith n’est pas stupide, à l’instant où ses prunelles ont croisé les siennes, il a su. Il a lu dans son regard ce qu’elle s’apprêtait à faire. Impossible d’ôter cette vision de son esprit. Cette image est désormais marquée au fer rouge. Indélébile. Il refuse d’imaginer ce qu’il se serait passé s’il n'avait pas répondu à son appel à l’aide. Pourtant, c’est bel et bien clair ; Nelly Scott ne serait plus là. Keith le sait. Sans doute lui a-t-il sauvé la vie, ce soir-là. Maintenant, c’est avec la certitude qu’elle va mal qu’il doit reprendre le cours de sa vie. Non sans demander un signe de vie de sa part tous les jours depuis.

Il n’en demeure pas moins que l’angoisse reste. Ils ne sont plus en bon terme alors impossible de lui forcer la main pour renouer le contact durablement. Même s’il estime que les choses sont en bonne voie, même si le pas en avant est minime. Nelly reste continuellement dans un coin de sa tête et surpasse tous ses autres problèmes. Ses dettes colossales n’existent plus. Pourtant, ce soir, allongé sur son lit, même le ronronnement de Snow ne parvient pas à apaiser son esprit. Les messages échangés avec Livia ne sont pas suffisants pour taire ses tourments. Il a besoin de plus. La coupe est pleine. L’idée d’une virée en moto lui effleure l’esprit et son amie accepte de l’accompagner. Au moins pourra-t-il se détendre quelques heures et espérer que la présence de la belle brune suffise à calmer son anxiété latente et lancinante.

C’est à l’heure prévue que Keith pose un pied à terre devant le bâtiment où travaille Livia. Minuit pile, comme il lui a indiqué. Pas une seule minute de retard. Le moteur tourne toujours, il a tout juste le temps de retirer son casque que son amie apparait dans son champ de vision. Un léger sourire fleurit sur ses lèvres et il lui tend le second casque avant de remettre le sien. Inutile de s’attarder ici, de discuter pendant de longues minutes pour perdre du temps inutilement. Keith n’a pas spécialement envie de parlementer pour le moment. Encore moins face à son lieu de travail où certains regards curieux sont déjà braqués sur eux.

Keith n’a pas réellement de destination en tête lorsqu’il roule à vive allure sur les grands axes, les éclairages défilant comme des lignes lumineuses sous ses yeux. Peu de circulation à cette heure. Peu de trafic. Une chance qui lui permet de pousser un peu plus son bolide pour ressentir davantage cette sensation de liberté si précieuse. Le temps n’a plus d’emprise. Les tourments sont relégués au second plan. Seule la vitesse compte. Partager ce genre de chose avec Livia est toujours plaisant. Ce n'est que soixante-treize kilomètres plus tard, en arrivant à Golden Beach, au nord de Brisbane qu’il ralentit l’allure pour s’arrêter sur un parking, à proximité de la côte mais suffisamment loin du moindre panoramique sur l’océan. Inutile de rajouter son traumatisme à sa longue liste de tourments. Le moteur coupé, il stabilise sa moto sur sa béquille et retire casque et gants, sans pour autant quitter son siège. « Terminus, Mademoiselle Castillo. On va faire une petite pause ici. » Bien qu’il tente d’y mettre les formes, l’humeur et le ton de sa voix ne sont pas aussi enjoués et légers que d’habitude. Keith pensait que cette balade en moto lui ferait du bien, sur le moment, c’était bel et bien le cas, mais à présent qu’ils sont à l’arrêt, il constate que même ça, ce n’est pas suffisant. Voilà quatorze jours qu’il vit avec l’angoisse constante de perdre Nelly d’un instant à l’autre. Sans en avoir parlé à qui que ce soit. Il est pourtant doué, d’habitude, pour donner le change. Pour autant, les choses sont différentes maintenant que la vie d’une autre personne – chère à son cœur – est concernée. Ce soir, son visage est fermé, son éternelle expression rieuse s’est envolée. Une pensée s’impose à lui ; il n’aurait pas dû emmener Livia. Elle n’a pas à subir sa morosité. Malheureusement, son masque jovial habituel est bien trop lourd à porter. « Tu as envie de marcher un peu ou… » Ou quoi ? Il n’a toujours pas décollé ses fesses de son siège. Alors il se contente de hausser les épaules et de croiser ses bras sur son casque posé entre ses jambes. « Ou j’en sais rien. » Il peine à retenir un soupir alors que ses prunelles se perdent quelques secondes sur le compteur de son deux-roues. « C’était peut-être pas une bonne idée de te proposer de sortir ce soir. » Parce qu’il n’est définitivement pas d’une très bonne compagnie.