@Livia Castillo & @Keith O'Connor

Livia claqua la porte arrière du casino avec rage, faisant sursauter l'agent de sécurité posté non loin de là. Sa moue de surprise se transforma en un sourire poli lorsque la brune fut suffisamment proche de lui pour qu'il puisse la reconnaître, et l'homme la salua d'un signe de tête poli, accompagné d'un "Miss Castillo" de circonstance. Distraite, elle balbutia des excuses, s'éloignant à grand pas dans l'allée, trouvant un escalier non loin de là sur lequel elle se laissa tomber en soupirant. Livia ne savait pas ce qui lui avait pris, de décider de rendre visite à son père en s'attendant à ce que les choses se passent bien. Au fond, elle n'avait même pas grand chose à lui dire, ces derniers temps ; well, pour être tout à fait honnête, c'était déjà le cas depuis des années. Mais dernièrement, le regard réprobateur de Moisés s'était fait plus lourd et, avec le baptême de Nieve à venir, la brune s'était convaincue de mettre un peu d'eau dans son vin et de faire un pas vers son père, soucieuse que la cérémonie se passe sans aucun drame dont seule sa famille avait le secret. Les premières minutes de leur échange s’étaient déroulées sans encombres, et Livia aurait presque juré avoir aperçu un léger sourire sur les lèvres de Juan ; et puis, soudainement, il avait évoqué son piercing septum, elle avait perdu patience, il s’était braqué et voilà où elle en était quelques minutes plus tard, un verre de champagne subtilisé sur un plateau en passant et une colère sourde qu’elle tentait tant bien que mal de calmer en respirant profondément.

Dans un nouveau soupir à fendre l’âme, la brune farfouilla dans son sac à la recherche de son paquet de cigarettes, sentant que la situation lui échappait beaucoup trop pour qu’elle ne puisse espérer se calmer sans l’aide de la nicotine. Ce constat l’inquiétait plus qu’elle ne voulait se l’avouer : ces derniers temps, Livia sentait qu’il lui était de plus en plus difficile d’apaiser ses colères et ses déceptions avec autre chose qu’une pause cigarette, et elle commençait à se demander si ce qu’elle pensait être une consommation parfaitement maîtrisable de son côté ne se transformait pas doucement en une addiction dont elle ne parvenait plus à se séparer aussi facilement que prévu. Comme toujours lorsqu’elle sentait une inquiétude inédite la saisir, et pour ne pas l’ajouter à la longue liste de ses triggers du moment, Livia s’était contentée d’ignorer totalement la question, mais le paquet désespérément vide qui semblait la narguer venait subitement de lui rappeler à quel point la vie pouvait être à la fois cruelle et ironique, parfois.

La brune releva la tête, priant intérieurement pour que l’agent de sécurité en pause soit toujours dans les parages, mais elle trouva l’arrière du casino totalement vide. Elle était à deux doigts de se résoudre à rejoindre le tabac le plus proche quand, soudainement, son regard accrocha une silhouette qu’elle avait l’impression de reconnaître. A quelques mètres d’elle, adossé contre le mur de la rue principale qui donnait sur l’entrée de l’établissement, Keith – était-ce bien son prénom ? – fumait nonchalamment, le regard visiblement perdu dans le vague. Une fois la surprise de croiser son chauffeur de taxi d’un soir de manière aussi impromptue, Livia s’empara de son verre de champagne dans une main et de son sac dans une autre, rejoignant le blond à grandes enjambées, un léger sourire amusé étirant ses lèvres. « Excusez-moi, vous avez une cigarette ? » Elle demanda d’un ton exagérément poli, tendant sa coupe en direction de Keith. « J’ai un verre de champagne à échanger. Promis, il n’est pas empoisonné ou quoique ce soit dans le genre. » Ses iris toujours suspendus à ceux du blond, Livia patientait sagement, impatiente de découvrir s’il allait au moins se souvenir de leur rencontre. Elle n’avait pas oublié, elle.

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Visiblement, il se souvient d'elle, lui aussi. Et visiblement, elle lui a laissé un souvenir plutôt positif puisqu'il n'hésite pas une seconde à entrer dans la danse, lui offrant une cigarette qu'elle réceptionne entre ses lèvres sans broncher, profitant du briquet tendu pour l'allumer dans la foulée. La nicotine qu'elle sent passer dans ses poumons lui fait du bien, même si ça ne devrait pas être le cas, elle le sait pertinemment. Mais à cet instant précis, elle ne dispose d'aucune autre solution pour calmer ses nerfs alors, elle fait ce qu'elle peut, Livia. La question de Keith la fait sourire, probablement car le timing est plutôt mauvais, pour espérer obtenir une réponse positive. « Honnêtement ? C’est probablement l’une des pires soirées de ma vie. Enfin, ça l’était, jusqu’à maintenant. » Un sourire amusé au coin des lèvres, Livia tire une nouvelle fois sur sa cigarette, levant le menton vers le ciel pour en expirer doucement la fumée. Elle est joueuse et taquine bien sûr, parce qu'elle se souvient du lien particulier qu'ils ont réussi à créer en à peine une demi-heure de course, et ce malgré l'alcool qui circulait encore dans son sang. Livia est consciente d'avoir apprécié sa discussion avec Keith, l'avoir trouvé intelligent, vif, cultivé. Pour autant, ça ne voulait pas dire qu'elle avait songé à le revoir dans un contexte un peu moins formel, ni même à prendre son numéro. Ce soir-là, Livia avait préféré rentrer chez elle le plus vite possible, désireuse de retrouver la compagnie de son chien et de son lit, fatiguée par cette nuit passée à danser comme si demain n'existait pas. Au moment de laisser un pourboire sur l'application, l'idée de le contacter lui était passée par l'esprit, furtivement, comme des grains de sable qu'on ne parvient jamais tout à fait à saisir. Et puis, elle s'était rapidement ravisée, peu désireuse de s'opposer au destin ou à quoique ce soit dans ce style.

Elle aurait peut-être dû se lancer, finalement. Au réveil, après deux verres d'eau de circonstance avalés et une dizaine de minutes passées à douloureusement émerger, Livia avait pris conscience que sa bague en or avait disparu. Paniquée, les derniers embruns de sommeil totalement dissipés dans son esprit, Livia avait retourné son appartement entier à la recherche du précieux bijou, en vain. Rapidement, une certaine forme d'angoisse s'était emparée de son esprit, et elle s'était précipitée sur la page Google de la boîte de nuit pour récupérer leur numéro de téléphone dans l'optique de leur demander s'ils n'avaient, par hasard, pas mis la main sur une bague au moment de tout nettoyer hier soir. D'une voix traînante, la personne au bout du fil lui avait assuré que non, qu'ils n'avaient rien retrouvé, et Livia s'était donc mis en tête de refaire le chemin du taxi en sens inverse, à pied, espérant un miracle qui lui permettrait de mettre enfin la main sur son bijou. Après des heures de recherche infructueuses, elle avait dû se rendre à l'évidence : la bague n'était nul part, et son cœur s'était déchiré.

En fait, il ne s'agissait pas de n'importe quelle bague. Elle appartenait à sa mère, et c'est probablement l'une des dernières choses que Livia possède depuis qu'elle est décédée. Savoir qu'elle avait perdu à jamais ce seul objet physique qui la reliait encore à elle, c'était un peu comme devoir lui dire adieu une seconde fois. Et ça, c'était douloureux. Bien plus que sa gueule de bois actuelle, ou que sa dispute avec son père qui, comme d'habitude, n'avait fait aucun effort pour tenter de mettre de l'eau dans son vin, là où Livia s'était forcée à respecter les désirs de quasi réconciliation de son frère aîné. « Et toi, tu as eu de la chance, ce soir ? » Un petit signe de la tête vers la porte arrière du casino, d'où Keith provient probablement. Difficile de croire qu'il puisse se trouver dans cette ruelle presque déserte pour une toute autre raison. « Je me permets de te tutoyer, je crois qu'on a dépassé ce stade depuis longtemps, déjà. » C'était assez présomptueux de sa part, probablement. Mais la flamme qu'elle voyait s'agiter dans les yeux de Keith, comme un miroir parfait de celle qui devait probablement danser dans ses propres iris, ne trompait pas. « Je suis contente de te recroiser, même par hasard. » L'aurait-il exprimé ainsi, lui aussi, si elle ne s'était pas exprimée en premier ?

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Il est intriguant, Keith. Il est là, en face d'elle, et c'est pourtant comme s'il demeurait insaisissable. C'est perturbant, pour Livia. Elle aime être capable de cerner ses interlocuteurs, comprendre les pensées qui les agitent, les désirs qui les animent. Avec le blond, elle ne se sent pas totalement en contrôle total de la situation mais, pour une fois, ce n'est pas si gênant que ça. Elle apprécie la découverte, la sensation d'être surprise à chaque geste, à chaque parole. Pour le moment, en tout cas. « Oh, allons, Keith... Est-ce que vous êtes vraiment le genre d'homme qui a besoin qu'on lui vante ses mérites ? » Elle étire ses lèvres en un petit sourire moqueur, ses iris toujours plantés dans ceux du blond, comme si elle était à la recherche d'une réponse à une question inconnue. Au fond d'elle, et malgré la profondeur de leur conversation d'alors, Livia doutait qu'il s'intéresse avec sincérité au déroulé de sa soirée. Il se dégageait de lui un charme certain, il était impossible pour la brune de le nier, mais également une aura de mystère, du genre de ceux que personne n'était réellement pressé de percer à jour, qui la poussait à se méfier. « J'aurais pu le formuler d'une autre manière, c'est vrai. Vous avouer que ma soirée s'annonce meilleure maintenant que j'ai une chance de la passer en votre compagnie. Mais c'est moins intéressant dit comme ça, vous ne trouvez pas ? » Et par moins intéressant, Livia sous-entendait probablement moins séducteur, moins attirant, moins joueur. Car la brune est d'une honnêteté rare, et ne ressent aucune difficulté à assumer ses pensées et ses dires : oui, si elle avait voulu faire passer un message frontal à Keith, elle aurait su l'exprimer à voix haute sans aucuns problèmes ni regrets. Mais forte de son esprit d'analyse qui tourne en autonomie totale sans même qu'elle ne le remarque parfois, la brune sent que leur relation a pris un tout autre tournant, et ce à la minute où leurs regards se sont croisés. Elle était un peu alcoolisée à l'époque, bien sûr ; mais son intuition, elle, était restée tout à fait sobre tout au long de leur premier échange.

Livia tire une nouvelle fois sur sa cigarette, jetant une œillade de côté en direction de Keith lorsqu'il s'aventure à lui répondre de la même manière qu'elle, à peine quelques minutes plus tôt. Son léger rictus en coin s'étire en un sourire franchement amusé, tandis qu'elle expire sa fumée en un rond parfait. « Qu'est-ce qui te fait dire que je vaux plus qu'un jackpot de quelques milliers de dollars ? » C'est une question piège, bien sûr. Le genre que Livia espère que le blond sera en mesure de déchiffrer assez aisément pour lui fournir une réponse qu'elle estimera satisfaisante. Mais elle ne s'inquiète pas trop pour ça, Livia. S'il y a bien une chose qu'elle a compris à propos du chauffeur de taxi, c'est qu'il a l'esprit vif. « C'est drôle, mais quelque chose me dit que tu n'es pas le genre de personne à croire au Destin. » Elle ne lui avait pas posé la question lors de leur première rencontre mais, au fond, ce n'était pas nécessaire. Il n'était définitivement pas le genre de personne à qui elle irait proposer de lui créer son thème astral personnel, au risque de rencontrer un sourire moqueur en retour.

Lorsque Keith avance ne pas l'avoir vu à l'intérieur du casino, Livia hausse vaguement les épaules. Les souvenirs de sa dispute récente avec son père lui remontent rapidement en mémoire, et elle ne peut s'empêcher de faire la moue en songeant aux mots accusateurs prononcés d'un côté comme de l'autre. Ce n'est pas surprenant, que le blond ne l'ait pas aperçu : le bureau du chef de famille Castillo est situé dans les backstages, à l'abri des regards et oreilles indiscrets des joueurs. Si Livia se plaît à passer par la salle principale à chaque fois qu'elle le peut par pure provocation, il n'en demeure pas moins qu'il lui est tout à fait possible de l'éviter, si elle le souhaite. « Pourtant, j'étais là. » Elle confirme sans sourciller, détournant provisoirement son regard de celui de Keith pour observer le bout écarlate de sa cigarette. Elle n'avait pas très envie d'exprimer les tenants et les aboutissants de sa présence au casino ce soir-là à un parfait inconnu, aussi séduisant soit-il. Pour une question de confiance, bien sûr, mais également parce qu'elle ne tenait pas à gâcher une soirée qui s'annonçait enfin plus plaisante qu'à son début. « Je vais te faire une confidence : si tu l'avais fait, je t'aurais probablement contacté sans respecter la règle des trois jours. » Elle laisse échapper un petit rire, consciente de jouer avec le feu. Mais Livia n'a pas le temps de s'en inquiéter très longtemps : Keith pose une question qui lui vaut un froncement de sourcils quasi immédiat, et la brune reporte soudainement une totale attention sur sa silhouette. « Pourquoi, tu en as trouvé une ? Je l'ai cherché pendant des jours... » Qu'elle laisse échapper un peu trop précipitamment pour qu'on ne puisse pas se douter qu'elle y tient, à cette bague. Le taxi. Bien sûr. Elle aurait dû y penser par elle-même, bon sang...

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Il la fait rire, avec ses faux airs bourrus, son attitude un peu nonchalante qui tranche avec la concentration avec laquelle il s'est élancé dans leur conversation qui a tout naturellement pris le chemin du flirt. Elle sait faire, Livia. Battre des cils, incliner légèrement la tête, jeter innocemment une mèche de ses longs cheveux bruns en arrière, se mordiller la lèvre de temps à autre. Elle l'adopte avec aisance, cette attitude, virevoltant de fleurs en fleurs au rythme de ses coups de cœur d'un soir. Mais avec Keith, c'est différent. Elle n'a pas besoin de tout ça, pas besoin d'embellir ses paroles d'une touche sucrée, pas besoin d'avoir recours aux habituelles étapes de la séduction. C'est bien moins superficiel, beaucoup moins innocent. Et tout ce qui est inédit, ça lui plaît, à la brune. Elle s'accroche au vent de la nouveauté mais, pas seulement : il la rend curieuse. « Pourquoi ça a l'air d'être une phrase toute faite ? » Elle répond avec un sourire en coin, accompagnant le compliment de Keith d'un léger signe de tête. Visiblement, il a de l'expérience, en matière de charme. Il sait s'y prendre, adapter le sarcasme de son discours en fonction du déroulé de la conversation, n'oublie jamais d'accrocher son regard au sien pour appuyer ses propos. Il est un adversaire à sa hauteur, assurément. « C'est une erreur commune, de penser que l'existence du Destin empêche d'être maître de ta vie. Au fond, il n'est qu'une influence, les choix définitifs restent les tiens. » Mais par expérience, elle sait que la différence est parfois trop difficile à percevoir d'un seul coup d'œil. L'animatrice a longtemps pensé, elle aussi, que ses croyances liées au Destin et à l'astrologie lui retiraient un peu de son libre-arbitre.

Il est donc observateur, Keith. Livia n'aurait effectivement pas été du genre à lui agiter sa bague en or sous le nez, et encore moins à la mentionner à voix haute, peu importe son taux d'alcool dans le sang. S'il l'a remarqué de lui-même, c'est qu'il a pris la peine de la dévisager suffisamment longtemps et la brune note l'information dans un coin de sa tête, au cas où, juste comme ça. Ce détail a le mérite de confirmer leur intérêt commun l'un pour l'autre et cette pensée ne fait qu'agrandir le sourire de Livia, qui écoute avec attention les explications du chauffeur de taxi à ses côtés. « Tu as quelque chose de prévu, après ? » Elle désigne l'arrière du casino d'un vague geste de la main, comme pour appuyer physiquement sa question. Une dernière latte tirée sur sa cigarette, et elle s'empare d'une petite boîte en fer dans laquelle son mégot vient s'éteindre et finir sa course. Quitte à détruire sa santé, autant ne pas détruire l'environnement de la même manière. « Si c'est possible, j'aimerais bien la récupérer rapidement. Je te fais confiance, hein, c'est pas ça, mais... j'y tiens beaucoup. » Elle avoue dans un murmure, peu désireuse de s'étendre sur la raison pour laquelle cette bague est si importante à ses yeux. Dernier souvenir tangible d'une mère dont elle craint d'un jour oublier les traits du visage, le bijou n'en est plus vraiment un, ayant rapidement perdu sa fonction décorative pour en adopter une plus intime, plus douce-amère. Livia ne l'avouera probablement jamais à quiconque, mais elle se souvient les yeux rougis de larmes et la panique qui l'avait envahi toute entière lorsqu'elle avait pris conscience que sa bague avait subitement disparu. Elle avait retourné entièrement son loft, Livia, avait appelé le club à plusieurs reprises pour s'assurer qu'ils ne l'avaient pas retrouvé, avait effectué le trajet à pied en sens inverse avec l'aide d'Eve au cas où, peut-être, elle l'ait égaré à l'extérieur. Sans logique aucune, puisqu'elle était rentrée en taxi ; taxi auquel, pour une raison obscure, elle n'avait pas pensé une seule seconde comme possibilité de lieu de recherche. Si cela lui était venu à l'esprit, de toute façon, la brune n'aurait eu aucune possibilité de contacter Keith pour s'en assurer. Et pourtant, il était là, face à elle, le précieux anneau en sa possession. Et il ne croyait pas au Destin ? « Après, si tu ne veux pas d'une parfaite inconnue chez toi, je comprendrais. On sait jamais, après tout. » Son regard pétille, son discours provoque. Elle n'attend qu'une chose, Livia : que le brun, dans toute sa flegme, réplique sans sourciller.

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Bien sûr qu'il sait s'exprimer, Keith ; c'est bien une partie du problème, et une des raisons pour lesquelles il l'attire tant. Sa maîtrise des mots, dont il semble avoir conscience, pouvait embellir autant qu'elle pouvait desservir, si tant est qu'il songe un jour à s'en servir pour un escient plus sombre. Pour l'instant, Livia se fichait bien de ses intentions : son habituelle réserve et son sens de l'autoprotection avaient beau carillonner dans son esprit, elle n'était visiblement pas décidée à leur accorder une quelconque attention. Keith représentait une énigme bien trop intrigante, bien trop importante pour qu'elle ne prenne le risque de la laisser lui échapper totalement. Peut-être finirait-elle par le regretter. « Au contraire, je te trouve très beau parleur. » Elle papillonne exagérément des cils, plongeant à corps perdu dans le flirt qui s'était naturellement instauré entre les deux silhouettes qui se détachaient sur le gris de la ruelle. L'idée d'un Keith écrivain n'est pas si mauvaise, au fond : si le brun écrit comme il s'exprime, il ne fait nul doute qu'il sera en mesure de produire un nombre certain de best-sellers. « J'espère que je n'aurais pas besoin de l'acheter, et que tu me feras livrer un exemplaire collector et dédicacé. » Elle n'ajoute rien, quant à ses croyances visiblement inexistantes dans le domaine du Destin. Livia, ça fait bien longtemps qu'elle a abandonné l'espoir de convaincre qui que ce soit à ce sujet. Déjà parce qu'elle estime que chacun est libre de penser ce qu'il souhaite, mais surtout parce que le débat est bien trop vaste pour pouvoir penser le remporter un jour, peu importe son nombre d'arguments ou leur véracité.

Il est compréhensif, Keith, et Livia ne peut que le remercier silencieusement de lui permettre de récupérer sa bague aussi rapidement. Au moins, elle a la confirmation de son honnêteté : il n'a pas profité de la situation pour lui subtiliser le bijou et le revendre, pourtant probablement conscient de la valeur pécuniaire qui lui était attachée, en plus de sa valeur sentimentale moins évidente à première vue. « Quel dommage. Mon plan parfait ne prévoyait pas que tu vives en colocation, effectivement. » Un sourire presque attendri passe sur son visage tandis que le chauffeur de taxi s'évertue à lui laisser le choix de le suivre ou non. C'est une façon de faire très gentleman, à n'en pas douter, mais Livia n'oublie pas que c'est avant tout elle, qui a lancé l'invitation en premier. C'est lui, qui a le choix de la saisir ou de la décliner. « Tu ne m'obliges à rien du tout, Keith. » Elle secoue la tête de gauche à droite comme pour appuyer sa réponse, tenant à diffuser l'évidence selon laquelle Livia n'était définitivement pas coutumière du fait d'effectuer une quelconque action si cette dernière ne lui convenait pas en premier lieu. Livia ne trahissait jamais ses valeurs pour faire plaisir à quiconque, et son altercation de ce soir avec son père en était une preuve supplémentaire. « Mais elle appartenait à ma mère, et je n'aime pas l'idée de la savoir ailleurs qu'autour de mon doigt. C'est comme un porte-bonheur, si tu préfères. » Elle n'en rajoute pas, la brune. La flamme qui s'est subitement éteinte dans son regard est certainement suffisante, lorsqu'il s'agit de tout dire.

Livia secoue de nouveau la tête à la question de Keith, l'idée de se tenir derrière un volant lui arrachant presque un frisson. « Tu vas rire, mais je n'ai même pas le permis. » Elle avait bien essayé de le passer une fois, Livia, mais elle avait tellement paniqué derrière son volant que son moniteur, en accord total avec sa propre impression, en avait rapidement conclu qu'il était préférable qu'elle s'en tienne aux transports en commun et à ses propres pieds pour le moment. Le temps passant, l'animatrice n'avait finalement jamais ressenti l'utilité de tenter de le passer à nouveau, Brisbane disposant d'une multitude de transports en commun qui lui permettaient de ne jamais réellement manquer d'une voiture. Depuis plusieurs étés, Livia avait même commencé à songer à investir dans un vélo, pour les journées clémentes au niveau de la température. Pour le moment, cette idée n'en était restée qu'au stade de projet mais, un jour ou l'autre, la brune ne doutait pas qu'elle finirait forcément par sauter le pas. « L'avantage, c'est que je n'ai pas besoin de te proposer d'appeler un taxi. » Elle esquisse un sourire en coin, visiblement satisfaite de son trait d'esprit, aussi puéril soit-il. Sa main se saisit de son propre téléphone portable, échoué quelque part au fond de son sac, et elle prévient d'un texto bref la coloc qu'elle ne rentrera pas tout de suite, ce soir. Livia n'a pas l'intention de s'éterniser chez Keith, vraiment pas : mais elle connaît suffisamment le caractère inquiet d'Eve pour s'assurer que sa meilleure amie ne préviendra pas la police de sa présumée disparition au bout de deux heures de retard par rapport à son heure habituelle. « Où est garé ton carrosse, Cendrillon ? » Elle lance à Keith, rieuse. Il y a sa bague, bien sûr, mais Livia ne peut pas nier l'existence d'un autre sentiment qui la motive à suivre le chauffeur ce soir. Un mélange de curiosité, de défi, d'intérêt sincère pour le brun, peut-être. La sensation persistante que certaines personnes valaient la peine de partager plus qu'un simple trajet en voiture.

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Elle y compte bien, à ce que Keith lui offre l'exemplaire dédicacé en mains propres. Tout ceci n'est qu'un fantasme au sens le plus pur du terme, bien sûr ; rien d'autre qu'une blague jetée sur un ton taquin pour le seul plaisir de plaisanter. Mais le flirt à peine dissimulé qui en transparaît, lui, Livia ne le prend pas à la légère. Face au brun, elle s'exprime naturellement, pourtant : il n'y a pas d'artifices, pas de flatterie vaine ou de sous-entendus hypocrites. Pas de manipulation pour arriver à ses fins non plus : non, il n'y a rien de tout ça, chez Livia. Elle aime plaire et séduire, aime la manière dont ses échanges avec Keith la font se sentir. Pour autant, l'animatrice ne force pas les choses. Et, bien plus important encore, il n'existe pas un seul mot qui a traversé la barrière de ses lèvres depuis leur rencontre qu'elle n'aurait pas pensé, ni assumé à cent pourcent. « Rendez-vous pris, alors. » Elle se contente de répondre d'un ton léger, mais la lueur de quasi défi qui brille dans son regard ne trompe pas, elle. Livia ne veut pas que leur échange s'arrête à ce trajet fugace en taxi dont elle ne garde de toute façon que très peu de souvenirs, ni à cette rencontre inattendue qui lui offrait la chance de récupérer l'objet le plus précieux qu'elle possédait et qu'elle ne posséderait probablement jamais.

Etait-ce pour cette raison, que Livia avait proposé aussi rapidement à Keith de venir elle-même quérir la fameuse bague ? Probablement, oui. Sans vraiment le connaître, et bien qu'elle lui ait préalablement confié son arrivée saine et sauve chez elle, l'animatrice ne ressentait aucun mauvais pressentiment qui aurait pu l'inciter à se méfier du brun qui était pourtant un parfait inconnu il y a peu. A bien y réfléchir, ce n'était franchement pas malin, de le suivre aussi vite à son domicile, sans même qu'elle ne sache où il vivait, avec qui, à quelle distance de son propre appartement. Mais c'était bien le souci, avec Livia : elle n'avait jamais été du genre à s'inquiéter facilement, et elle avait toujours tendance à agir en ne se souciant des conséquences que bien plus tard. Bien trop tard. « Je suis fidèle jusque dans mes choix de chauffeur. » Elle réplique avec un clin d'œil, emboîtant le pas au brun. Elle repère le véhicule de loin : elle avait beau ne pas avoir toute sa vivacité la dernière fois, Livia avait une mémoire visuelle suffisamment développée pour ne pas passer à côté. Avant de prendre place, elle se targue d'une légère révérence, jouant le jeu de Keith sans hésiter. « J'ai conscience de ma chance, ne t'inquiètes pas. Par contre, je suis curieuse : est-ce qu'après ce soir, j'aurai le droit à d'autres privilèges, tu crois ? » Livia sourit doucement, jetant un regard en biais au brun. Ses remarques ne sont probablement pas si innocentes que ça, tout compte fait.

Le trajet est rapide. Lorsque Livia pose les yeux sur la grande bâtisse dont la silhouette se découpe sur le ciel d'encre, elle ne peut s'empêcher de laisser échapper un "oh" surpris. La maison est très grande, et toute l'utilité de la métamorphoser en une joyeuse colocation prend immédiatement sens. Une fois à l'intérieur, par contre, aucun indice sonore ne laisse deviner une quelconque présence humaine, si ce n'est l'accumulation de vestes et de chaussures dans l'entrée. « C'est un piège, c'est ça ? Tu fais semblant d'être en colocation mais en réalité, tu vis seul et tu vas m'enfermer dans ton placard ? » Elle réplique, riant légèrement. Un rire qu'elle se force à éteindre subitement lorsque Keith se stoppe devant la porte de sa propre chambre, la prévenant de la présence d'un danger imminent. Livia mime la terreur, emboîtant le pas au brun, les bras levés devant son visage comme si elle cherchait à se protéger d'un ennemi particulièrement virulent.

Bien entendu, et une fois à l'intérieur, il n'en est rien. Bien au contraire. Livia s'approche doucement de Snow, des étoiles dans les yeux et une envie irrépressible de le câliner. Elle n'en fait rien, cependant : si ses années de bénévolat et, plus globalement, sa passion pour les animaux lui ont bien appris une chose, c'est qu'il était primordial de respecter leur sommeil et d'attendre patiemment que ce soit eux, qui viennent à vous. Et pas le contraire. « Comment s'appelle ce terrifiant animal sauvage ? » Elle demande avec un sourire amusé, observant la boule de poils d'un air attendri pendant quelques secondes, ne détournant le regard que pour venir le reposer sur Keith lorsque ce dernier prend de nouveau la parole. Ses yeux suivent le mouvement de la bague que le chauffeur de taxi place au creux de sa main, et Livia ne peut s'empêcher de ressentir un léger pincement au cœur tandis qu'elle la passe de nouveau à son doigt. Elle se force à ne pas penser à sa mère, mais sa poitrine retrouve instantanément une légèreté telle qu'elle a la sensation de reprendre sa respiration après une longue apnée involontaire. « Merci beaucoup, Keith. » Elle murmure dans un souffle, sa main venant doucement serrer celle du brun dans la sienne, comme pour appuyer la sincérité de son soulagement. « J'aimerais te remercier, mais je ne veux pas que tu le prennes comme un geste insultant. » Livia rompt le contact physique avec le conducteur de taxi tandis qu'elle s'assoit délicatement sur le bord du lit, soucieuse de ne pas sortir Snow de son sommeil. Elle fouille dans son sac, attrape son porte-monnaie duquel elle sort quelques billets qu'elle tend à Keith, quasi implorante. « Ce n'est rien comparé à la valeur sentimentale de la bague mais, s'il te plaît, prend-les. Considère ça comme un pourboire, comme un remboursement pour les frais d'essence du trajet du casino jusque chez toi, peu importe. J'aurais probablement fini par poser des affiches contre récompense financière si je n'étais pas tombée sur toi ce soir, de toute façon. » A son tour, elle place délicatement les coupures dans le creux de la main du brun, s'emparant de ses doigts pour venir doucement les refermer sur les billets. Elle ne veut pas avoir l'air désobligeante, Livia. Elle connaît suffisamment la valeur de l'argent pour savoir à quel point cela peut paraître insultant, lorsque l'on vous en propose en échange d'un service que l'on effectue de bon cœur. Mais après tout, ce soir, elle ne connaît pas Keith autrement que par son métier qui les a réunis par hasard quelques jours plus tôt. Qu'était-elle censée lui offrir d'autre, pour lui montrer sa reconnaissance ?