@Kendall Ackerley & @Aaron Miller

Quand ta mère t'a appelé pour te demander si tu serais d’accord de poser pour des photos pour la campagne de pub de sa nouvelle collection, t’as pas pu t’empêcher de lever un peu les yeux au ciel. T’es un avocat, maintenant, t’as un job sérieux, et une réputation à tenir, est-ce vraiment une bonne idée de te retrouver affichée sur les réseaux sociaux, et potentiellement les emplacements publicitaires de la ville ? Sans doute pas. Mais c’est ta mère qui le demande, et s’il y a bien une personne au monde à qui t’as du mal à dire non, c’est bien ta mère. Et ta grande sœur. Et tes petites sœurs. Bref. C’est ton seul jour de congé d’une semaine pour le reste bien chargée, et tu te retrouves dans les locaux de l’entreprise de ta mère pour une séance photo. T’en as fait d'autres, déjà, tu sais comment ça marche, et tu connais la plupart des gens - ta mère aime travailler avec les mêmes personnes, quand ça se passe bien. Il est tôt, tu passes d’abord par le bureau de la matriarche pour la saluer, avant de descendre au studio. Elle passera tout à l’heure, dit-elle, après ses réunions.

Tu salues les têtes connues, te présentes aux nouveaux, et on t’emmène vers le maquillage. C’est un moment que t’aimes bien, à vrai dire. Te faire pomponner, effacer un peu les traces que les longues heures de travail, parfois tard la nuit, commencent à laisser sur ton visage. Et comme t’es arrivé tôt, personne n’est encore pressé. Tu te laisses aller à une certaine détente. Jusqu’à ce qu’une silhouette familière vienne s’installer sur le fauteuil d’à côté. Tes sourcils se froncent lorsque tu réalises de qui il s’agit.

Kendall Ackerley.

Manquait plus que ça. D’un geste agacé, tu sors ton téléphone pour envoyer un message à ta mère. Kendall ? T’es sérieuse là ? Elle est en réunion, elle le lira plus tard, mais fallait que ça sorte. T’as l’impression qu’elle s’est foutu de ta gueule et t’aimes pas ça. T’aurais pu t’en douter, dans le fond. La collection est une collaboration avec la marque créée par les parents de ton rival. Rival qui se trouve être mannequin. Mais bordel, elle le sait, ta mère, que tu peux pas le blairer ? Pourquoi te le coller dans les pattes alors que t’as déjà bien voulu lui rendre ce service. Bizarrement, t’es plus du tout détendu, et t’as juste envie de tourner les talons et de rentrer chez toi. Ce que tu ne feras évidemment pas. Et puisqu’on t’as bien élevé, tu vas même être poli. “Kendall.” Poli, mais froid, faut pas trop t’en demander non plus.

@Aaron Miller

Le job est un peu particulier, aujourd'hui. Cela touche à l'affaire de famille, puisqu'il doit poser pour la marque des Miller ; amis proches des parents Ackerley – et d'eux uniquement, car si l'on s'en réfère à Kendall et au gosse Miller, la relation pourrait bien brûler dès leur génération –, pour lesquels, comme l'a si gentiment suggéré sa mère, il a fallu faire l'effort de rapidement te rendre disponible. Dans tous les cas, cela n'aurait pas dérangé Kendall : qui n'aime pas se faire chouchouter par des artistes maquilleurs pendant une demie-heure, enfiler des sapes sublimes et offrir son meilleur profil aux caméras ? Mais l'affaire est d'autant plus personnelle que cette collection de madame Miller s'est faite en collaboration avec la marque de perles Ackerley – envers laquelle, au fil des années, Ken est venu à ressentir un certain orgueil, comme s'il avait monté l'empire de ses propres mains. Faute d'en avoir été l'instigateur, il a toujours accepté de bonne grâce d'en jouer les ambassadeurs. Certainement un des rares engagements dont ses parents ne pourraient se plaindre. Le faire poser pour la collection est d'autant plus logique ; alors, conformément au souhait maternel, il s'est tiré de son lit bien plus tôt que d'habitude pour se rendre au studio. Sans même traîner des pieds. Un miracle.

À force de quelques hochements de tête polis, on finit par le mener à la salle de maquillage ; terrain connu, dans lequel il peut se détendre. Contrairement à l'ambiance survoltée des défilés à laquelle l'expérience l'a habitué, la pièce est plutôt calme : il n'y a, pour toute présence, qu'un fauteuil occupé et une maquilleuse affairée auprès du mannequin en question.
Enfin, mannequin… Un coup d'oeil dans le miroir suffit à voir que ce n'est pas tout à fait le cas ; un avocat, en réalité. Aaron. Sa mère s'était bien gardée de lui préciser cette information : Kendall se demande même si elle était au courant, car, d'ordinaire, elle ne peut s'empêcher, dès qu'Aaron est cité dans une conversation, de s'enthousiasmer sur sa politesse, et son sérieux – lui appellerait plutôt cela une fadeur déplorable, mais chacun son truc – et de souligner que Kendall pourrait en prendre de la graine. Mais comment aurait-elle pu ne pas le savoir ? Les mères ont dû se réjouir d'unir leurs marques avec ce symbolisme parfait de faire poser leurs fils ensemble.

Au fond, Ken n'est pas tellement en colère ; irrité, sans doute, que l'on ait mis de côté cette donnée plutôt cruciale, mais rien de plus. En réalité, il est persuadé de pouvoir gérer Aaron – tant que ses parents ne sont pas dans les parages pour encenser ce type et faire comprendre qu'ils auraient préféré l'avoir comme fils.
Peut-être même que, dans ces circonstances plus relâchées, il trouverait à s'amuser.
« Aaron. Toujours aussi souriant, à ce que je vois, ça fait plaisir. » Ironise-t-il en s'installant confortablement dans son fauteuil, se fendant même d'un sourire à la maquilleuse qui s'approche de lui, départi de l'acidité qui a pourtant baigné ses mots. On pourrait presque croire qu'il est ravi d'être là – alors que voir Aaron a quand même mis un coup à son enthousiasme, même s'il reste déterminé à tirer le meilleur de la situation. « Si ça peut te rassurer, j'savais pas non plus qu'on ferait ça ensemble. Mais je suis ravi d'être au premier rang pour ta reconversion au mannequinat, je pourrais peut-être te donner quelques astuces. »

@Kendall Ackerley & @Aaron Miller

Même pas la peine de faire semblant. Ton agacement est écrit sur ton visage, et tu ne fais même pas d’effort pour le masquer. Il le sait, de toute façon, Kendall, que tu ne le portes pas dans ton cœur, et c’est réciproque. Ça n’a jamais matché entre vous. Trop différents. Et c’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Qu’est ce qu’il a bien pu passer par la tête de ta mère ? C’est quoi le but ? Te faire passer un mauvais moment ? Elle a quelque chose à te reprocher, peut-être ? Faudra qu’elle s’explique, et elle a intérêt à avoir des arguments solides, parce que là, tu l’as en travers du gosier. Ou alors, peut-être qu’elle s’imagine que de vous forcer à travailler ensemble, ça effacera des années d’oppositions pour faire de vous les meilleurs amis du monde ? Aucune chance.

A peine ouvre-t-il la bouche que déjà, tu lèves les yeux au ciel. Tu détestes son air nonchalant, son ton cynique. “C’est parce que mon cœur bondit de joie à chaque fois que je te vois.” Toi aussi, t’es capable d’être ironique, et tu ne vas certainement pas te gêner. “Ça ira, merci, j’ai pas besoin de conseil de ta part. C’est pas la première fois que je fais ça.” Techniquement, t’as même commencé avant lui, ta mère vous ayant mis à contribution, tes sœurs et toi, dès votre plus jeune âge. Et à vrai dire, enfant, t’adorais ça. Aujourd’hui, tu le fais plus pour lui rendre service, en espérant que ça n’aura pas de conséquences sur ta carrière. Se dandiner dans des fringues et se faire prendre en photo sous tous les angles, c’est son taf à lui, Ken, et ça te le rend d’autant moins sympathique.

Tu le vois venir gros comme une maison : il va se servir de son expérience “professionnelle” pour se montrer encore plus arrogant que d’ordinaire, et tu vas devoir faire preuve d’un calme olympien pour ne pas l’occire. Ça ferait mauvais genre, et t’as pas encore bossé sur assez d’affaires du genre pour être en mesure de commettre le crime parfait. Pas le choix, donc, il va te falloir le supporter. “Alors, dis-moi. T’avais besoin de thunes, pour avoir accepté de venir ?” T’as bien du mal à imaginer qu’il fasse ça par bonté de coeur, probablement qu’il a juste besoin d’argent à aller claquer en futilités.

@Aaron Miller

D'après l'œillade glissée en direction du fauteuil d'à côté, celui d'Aaron, la réaction de ce dernier relève presque de l'épidermique. Kendall ressent un peu la même chose. L'instinct est au mépris, de manière immédiate. Il ne s'est jamais demandé pourquoi, comme ces chiens qui, en deux reniflements, s'aboient dessus et ainsi scellent à jamais leur statut d'ennemis. Le temps a voulu qu'il s'habitue à penser la rivalité créée et nourrie, inconsciemment, par leurs parents – du moins côté Ackerley – ne sachant pas s'il y a telle chose qu'une haine innée, d'autant qu'il est rarement prompt à la véhémence envers autrui. Aaron est là, pourtant, preuve s'il en est d'un caractère moins placide qu'escompté.

« J'ai toujours su que t'avais un crush pour moi, merci de me le confirmer. Moi aussi, ça me fait incroyablement plaisir de te voir. » Il ne pourra pas reprendre à Aaron sa répartie ; il faut avouer que là-dessus, l'autre n'est pas loin de son niveau. Peut-être un truc d'avocat. « Ah ? Et pour quelle marque aurais-je pu t'apercevoir ? » Il sait bien qu'il s'agit de celle des Miller, en aurait sans doute entendu parler, si Aaron s'était davantage fait tirer le portrait. N'y perçoit aucune honte à avoir, d'ailleurs, mais ne laissera pas croire à Aaron qu'ils sont au même niveau, à cet égard. Peut-être que c'en révèle davantage a son propre sujet qu'à celui de Miller, d'ailleurs, cette manie de vouloir se montrer meilleur.

« Quoi, on t'a raconté que mes parents m'ont coupé les vivres ? » Si cela venait à arriver, nul doute qu'il ne serait pas là à fanfaronner ; heureusement pour lui, il semble que l'idée n'est pas d'actualité. « Je m'en veux terriblement de te décevoir, Aaron, mais je suis là parce que ta mère avait l'air d'y tenir. J'aurais pas pu lui refuser ça, c'est une dame charmante. » Non qu'il ait eu, en réalité, le moindre contact avec l'intéressée ; c'est sa propre mère qui s'est assurée de la liaison, mais, puisqu'Aaron ne semble pas plus au courant que lui de toute l'organisation de cette séance photo, il peut encore quelque peu tordre la vérité à son avantage.