appel : Elijah & Yaël

(6 mars 2024 en soirée)

appel entrant

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Affalé dans le canapé de Brody, le retour à Brisbane est compliqué tant la fatigue du vol et du décalage horaire pèse sur ses épaules. Difficile de se concentrer sur la télé tant il se sent somnolent. Presque vingt-quatre heures de voyage, c’est effectivement épuisant. Couplé à l’ennui ressenti pendant le trajet, c’est un combo fatal. Sa Bichette à côté de lui, c’est pourtant tout ce qu’il faut à Elijah pour se sentir bien malgré tout. Le séjour au Canada a été bénéfique et lui a permis d’oublier tous ses soucis, pendant un temps. Ajoutant au passage une petite évolution significative dans la relation qui lie les deux hommes. Mais l’appel entrant sur son téléphone qui vibre sur la table basse le tire de ses rêveries. C’est mollement qu’il se redresse pour l’attraper, jeter un œil à l’écran et décrocher et retournant s’enfoncer dans le canapé. « Salut, Maman. T’avais hâte de réentendre ma voix mélodieuse ? »

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Son poing gauche se serre et se desserre au rythme de la tonalité téléphonique. Assise sur le banc d'extérieur, dans ce jardin qu'elle commence à connaître, Yaël observe l'étendue d'herbe face à elle. Elle réfléchit déjà à la meilleure façon de lui annoncer ce qu'elle doit lui dire. Mais existe-t-il seulement une bonne façon de le faire ? Le cours de ses pensées est interrompu par la voix familière de son fils qui lui fait instantanément décrocher un sourire. « Bonsoir, mon grand. Comment as-tu deviné ? » demande-t-elle d'un ton léger, bien loin de son réel état d'esprit. « Je ne te dérange pas, au moins ? »

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Entendre sa mère après autant de temps sans lui avoir parlé de vive voix lui fait du bien. On ne peut pas dire que l’entente soit au beau fixe depuis presque un mois. Les prises de tête ont été incessantes depuis la perte de son job et les mots durs qu’il a osé lui lâcher, sous un excès de colère – propos qu’il regrette toujours à l’heure actuelle. Les choses semblent s’être apaisées, du moins en apparence. Elijah ne perd pourtant pas de vue qu’il lui doit de réelles excuses. En face à face, de préférence. « Parce que je me doute que je vous ai manqué à tous, je suis plutôt du genre irremplaçable. » La modestie ne fait toujours pas partie de ses qualités, certaines choses n’ont pas changé. « Nan, tu me déranges pas. » Il jette un œil vers Brody, pour une fois qu’ils ne font rien de particulier, l’appel de sa mère tombe plutôt bien. « Ça va ? J’ai raté quoi ? » C’est le moment de prendre un peu de nouvelles après ces quelques jours passés loin de Brisbane.

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La tête de Yaël s'incline légèrement sur le côté lorsqu'Elijah chante ses propres louanges. Au moins reste-t-il fidèle à lui-même. Au moins leur relation reste, d'aspect extérieur, semblable à celle qu'elle était avant le mois compliqué qu'ils viennent de traverser. « Ah, ça... » réagit la procureure, le suspens volontairement dans la voix pour prêter un autre sens aux propos de son fils. Son fils qui lui indique qu'elle ne le dérange pas, juste avant de lui demander ce qu'il a raté. Il n'en faut pas davantage pour que la mâchoire de Yaël se serre légèrement. « Ça va. » lui assure-t-elle. « Ton frère a enfin réussi à échanger une carte Pokémon super rare. Il était "refait". » répète-t-elle le mot emprunté par Jude lui-même. « Mis à part ça... Écoute. Je t'appelle parce qu'il faut que je te dise quelque chose. Nous n'avons pas voulu t'en parler juste avant ton départ pour le Canada, pour que tu ne sois pas tracassé... Mais tu ne pourras pas venir nous voir toutes les deux en même temps ce week-end. »

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Entendre parler des exploits de Jude le rend toujours un peu fier. Après tout, il est le digne petit frère de son aîné. Comme quoi, les conseils d’Elijah portent leurs fruits. « Ce gosse a déjà tout compris à la vie. » Lance-t-il avec un petit rire tout en s’amusant avec la peluche d’élan ramené du voyage pour Brody. « Il ira loin, c’est sûr. » Parce qu’il faut être malin dans la vie, le petit Juju est déjà suffisamment bien entouré pour tirer son épingle du jeu en toute circonstance. Cependant, le sourire d’Elijah disparait bien vite, remplacé par un froncement de sourcils. « Quoi ? » La peluche est balayée sur le canapé tandis qu’il décolle son dos du dossier pour se redresser. « Comment ça ? » Où est-ce qu’elle veut en venir ? Pourquoi a-t-il un mauvais pressentiment qui lui noue l’estomac ? « Pourquoi tu me dis ça, Yaël ? »

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Elle aimerait parler des exploits de Jude, les mettre en lumière avec les propres réussites et fiertés d'Elijah. Elle aimerait parler de tout et de rien, commencer à récolter quelques informations sur le voyage que son fils aîné vient de vivre. Elle aimerait. Oh oui, elle aimerait. Mais Yaël n'oublie pas le but premier de sa démarche et la confession qu'elle doit enfin faire à Elijah. Ses yeux se ferment une seconde dès l'instant où elle commence ses révélations, alors que son cœur se serre un peu plus aux premières réactions de son fils. « Parce que je... » Il n'y a pas de bonne façon d'annoncer ça et il est lui toujours aussi douloureux de prononcer ces mots à haute voix. « Je ne suis pas rentrée à la maison, Elijah. » La tristesse est là ; au bout de ses yeux, au bout de sa voix. Pourtant, Yaël se contrôle pour qu'elle ne prenne pas le-dessus sur la situation. « Ta mère et moi faisons un break. » D'elle-même, elle aurait parlé de pause. Elle sait toutefois que le mot break sera plus parlant pour Elijah.

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Il la sent, cette petite angoisse qui monte. Celle qui retourne l’estomac. Qui noue la gorge. Qui provoque parfois quelques nausées. Il aurait préféré lui raconter son voyage, Elijah. Lui expliquer à quel point le dépaysement lui a fait du bien et qu’il lui a permis d’apaiser son esprit, loin de tous ses tourments qui n’ont cessé de stagner durant tout le mois de février. Oh oui, il aurait préféré. Mais son cœur se serre en entendant le ton de sa mère. Il s’accroche à son téléphone comme s’il s’agissait de sa bouteille d’oxygène nécessaire à sa survie. « Sérieux ? Mais t’es où ? » Est-elle encore chez ses parents ? Depuis tout ce temps ? « Pourquoi t’-. » Il ne peut pas terminer sa question, coupé par la révélation de Yaël. Le silence tombe tandis que le mot résonne dans son esprit. Blême, il perd instantanément toutes ses couleurs. Break. Elles font un break. Instinctivement, il se lève pour commencer à marcher aléatoirement. Sa main libre vient agripper ses mèches de cheveux. « Mais… » Ce genre de situation n’annonce rien de bon. Aucun couple ne se reforme durablement après ce genre de pause. « Nan. » Il secoue vivement la tête. Première phase ; le déni. « Nan c’est impossible. C’est une blague et elle est de très mauvais gout. »

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Elle s'est bien évidemment attendue à cette réaction, Yaël. À ce que son fils n'entende pas ce qu'elle lui dit ; à ce qu'il n'accepte pas l'idée. La plus grande peur d'Elijah a toujours été l'abandon. L'idée que sa famille puisse exploser le renvoie nécessairement à ses propres craintes. C'est d'ailleurs pour cela que Yaël se retient si fort de soupirer. Par chance, la patience qui la caractérise d'ordinaire revient peu à peu à elle, ces derniers jours. « Ce n'est pas une blague, Eli... ». Elle s'interdit de dire qu'elle aimerait que ça en soit une, puisqu'elle n'y est pas autorisée. Elle ne peut pas dire cela alors qu'elle est celle qui est partie. Temporairement, certes, mais partie tout de même. « Je suis vraiment désolée, mon grand. Ce n'est pas ce qu'on t'a promis, ce n'est pas... ce n'est pas nous. Ça ne leur ressemble pas. Et pourtant. Yaël s'interrompt d'elle-même pour enchaîner différemment. « Ça ne change strictement rien à nos relations, à qui nous sommes. Nous serons toujours là pour toi, mon grand. Et puis, c'est temporaire. Qui essaie-t-elle de convaincre avec cette dernière phrase ? Son fils ou elle-même ?

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Son cœur s’accélère face à cette hantise qui devient réalité. Cette famille qu’il a tant trimé à obtenir, volera bientôt en éclats. C’est évident. Ils finiront par tous se déchirer. Il n’y a qu’à voir la haine de Megan envers Daphne. Sans doute que Yaël et sa mère prennent progressivement le même chemin. Et Elijah, dans tout ça ? Il n’est pas prêt à ce que la mauvaise ambiance ne règne entre chacun des membres de cette famille en proie au déchirement. La détresse et la peine l’envahissent sauf qu’Eli ne sait pas gérer ses émotions, tout se transforme toujours en colère. Comme pendant son adolescence. Il n’y a que de cette façon qu’il parvient à s’exprimer. « C’est pas comme ça que ça doit se passer. » Elles ont surmonté tant d’épreuves alors pourquoi craquer maintenant que l’orage est passé ? « Temporaire ? » Son ton monte sans doute un peu trop. « C’est jamais temporaire. Tu le sais aussi bien que moi ! Meg en veut déjà à mort à Maman, au cas où tu ne le savais pas, elle m’a trainé chez vous en m’annonçant au dernier moment qu’elle voulait récupérer toutes tes affaires. Et ça la dérangeait clairement pas de tout casser au passage ! » Heureusement qu’il était là pour l’en empêcher, d’ailleurs. « Et j’suis pas d’accord avec ça, j’veux pas que tout parte en vrille ! »

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Ce n'est pas comme ça que ça doit se passer. « Je sais... » Yaël n'en a que trop conscience. Ses yeux se ferment un instant alors que des images défilent dans sa mémoire. Les discussions qu'elle a pu avoir avec Elijah quand il était adolescent et qu'il ne cherchait rien d'autre qu'à la faire partir. À chaque nouvelle tentative, Yaël s'accrochait un peu plus. Cette famille, elle l'a voulue. Elle s'est battue pour en faire partie. C'est d'ailleurs aussi pour cela que les mots tranchants de son fils lui ont fait si mal, la dernière fois. À aucun moment elle n'aurait soupçonné qu'elle en arriverait là où elle en est aujourd'hui. Car si cette situation est le pire cauchemar d'Elijah, elle est également celui de Yaël. La colère d'Elijah se fait déjà entendre dans sa voix et il n'est désormais plus possible pour la procureure de retenir un soupir. « Ça peut être temporaire... » tente-t-elle de rectifier. Elle pourrait rebondir sur Megan et la haine qu'elle voue à Daphne. Mais est-ce vraiment le sujet de cet appel ? De toute manière, Elijah enchaîne déjà en faisant connaître sa désapprobation. « Tout ne partira pas en vrille, Eli... Je te le promets. Et pour répondre à ta précédente question, j'ai pris un logement pour quelques semaines. Je suis à New Farm. » ajoute-t-elle en prenant conscience qu'elle n'a pas indiqué où elle se trouvait maintenant qu'elle n'est plus chez eux.

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Il ne contrôle plus grand-chose, Elijah. Ses pensées ne sont plus cohérentes. La panique de la situation prend le pas sur sa raison et le caractère temporaire de leur break ne parvient pas à faire son bout de chemin dans son esprit. Il ne voit que la fatalité ; la séparation, peut-être même le divorce. Après tout ce qu’elles ont traversé, tout ce que lui-même a fait subir à Yaël il y a un peu plus de dix ans, il pensait leur couple aussi solide qu’un roc. Il a mis des années à accepter sa belle-mère dans sa famille et maintenant que c’est chose faite, tout dégringole. Quelle ironie. « Ouais on en reparlera dans trois mois. » Une pause n’est pas censée durer très longtemps, sinon ça vire à la séparation pure et dure. « Je sais pas ce qui me fait le plus chier dans cette histoire, tu vois ? Qu’on me prenne pour le roi des cons en me prévenant toujours trois ans après, que tu habites je ne sais où sans que je sois au courant. D’ailleurs, si j’avais pas proposé de passer à la maison, tu me l’aurais dit ? Ça veut dire que j’ai pas le droit de venir te voir ? Ou alors qu’on m’annonce subitement que ma famille est en train de partir en couille alors que je pensais comme un connard que tout s’était arrangé ?? » C’est quel genre de désillusion, au juste ? Ah, que le retour à la vie réelle est compliqué.

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Elle n'aime pas la réaction d'Elijah. Elle n'aime pas qu'il lui dise de but en blanc que les break aboutissent tous sur une séparation. Yaël a encore envie de croire que tout ceci n'est que temporaire. Que, d'ici quelques semaines, elle ira mieux. Qu'elle se sentira plus forte. Apte à reprendre sa vie d'avant, capable de refaire confiance à son épouse. C'est ce qu'elle espère le plus et c'est aussi pour cela qu'elle a pris la difficile décision de se prendre son propre logement pour les semaines à venir. Évidemment, Elijah ne voit rien de tout cela. Il ne sait rien de tout cela. Il laisse seulement sa colère le guider. « Tu vas commencer par baisser d'un ton, Elijah » dit-elle assez sèchement. « Je comprends que tu sois perturbé, je sais que tu as peur. Mais personne ne t'a pris pour un con et je n'ai pas voulu te cacher où je suis. Nous avons juste voulu que tu profites de ton voyage. Nous attendions ton retour pour t'en parler. Et il est bien évident que tu peux venir me voir. Ça ne change rien, Elijah... Ça ne change en rien le fait que nous sommes une famille. »

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28 ans de conneries (12/12/95) et c'est loin d'être fini

Il est bien difficile de parler à Elijah quand il se trouve dans cet état, de lui faire entendre raison. Parler à un mur aurait le même effet. Plus rien ne l’atteint, hermétique à tous les arguments qui ne vont pas dans son sens, ils rebondissent tous sur lui. C’est trop tard, mieux vaut attendre qu’il redescende en pression. Avant, qu’une fois de plus, il ne laisse ses mots dépasser ses pensées. « Je baisserais pas d’un ton, non ! » Faire preuve d’autorité dans ce genre de cas ne sert à rien. A par augmenter sa colère. Yaël continue sur sa lancée, tente de le rassurer mais Eli est aveuglé par ses propres craintes. Par ses démons d’enfant abandonné. « Que dalle, y’a plus de famille, tout se casse la gueule ! » Un léger trémolo vient perturber sa voix alors qu’il sent une larme traitresse s’échapper. Larme qu’il essuie bien vite d’un geste rageur. « J’aurais dû rester là-bas, putain. » Et sans plus de cérémonie, il raccroche et balance son téléphone dans un coin de la pièce.

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Elle sait très bien ce qu'il se passe Yaël. Elle connait son impuissance en ce genre de circonstances. Elle essaie, pourtant, de faire preuve d'autorité, puis de rassurer son fils. Mais rien de ce qu'elle dit n'est imprimé, rien ne fait sens dans l'esprit d'Elijah. Peut-elle l'en blâmer ? Elle aurait sans doute dû s'y prendre autrement, amener le sujet d'une manière différente, faire preuve d'un peu plus de douceur. Elle doute, cependant, que ça aurait changé quoi que ce soit. La finalité aurait très certainement été la même que celle-là : celle où Elijah lui raccroche au nez, la laissant seule avec la culpabilité de mettre à mal l'équilibre qu'ils ont mis tant d'années à trouver. Seule, avec la culpabilité de le faire souffrir.

appel : Elijah & Yaël 1f4f1

fin de l'appel.

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appel : Elijah & Yaël

too much of the digital love

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