@Ruth Aslan & @Adela Källström
Le matin éclairait en douceur les rues de Brisbane, dissolvant les ombres de la nuit pour laisser place à un ravissant soleil. Les mains chargées de babioles pour préparer un bon brunch, tu te diriges vers la maison de Nils. Non pas que ce soit dans tes habitudes de préparer ce genre de surprises, mais tu t’étais souvenue que ses colocataires avaient tous disparu pour la semaine et tu en avais naïvement conclu que tu pouvais débarquer chez lui à n’importe quelle heure de la journée pour l’honorer de ta présence. Et ça pour un honneur, s’en est un, parce que tout le monde ne peut pas prétendre recevoir un petit déjeuner surprise de Ruth Aslan. Pour l’occasion, tu as profité des premières viennoiseries de ton pâtissier français préféré pour lui faire la surprise. Croissants, pains au chocolat (ou chocolatines pour ne vexer personne), brioches dorées à souhait, tout y est. Et parce que tu voulais te montrer raisonnable, tu a fait le chemin à pied, histoire surtout de brûler quelques calories en prévision de ce que tu allais bientôt consommer. La maison se dressait devant toi, une petite bâtisse au charme rustique nichée au cœur d'un quartier calme et beaucoup trop cher pour ton petit copain. Son seul moyen de pouvoir y vivre, c’était le partage de loyer, et ce n’était pas forcément le truc qui t’arrangeait le plus. Toi, les colocations, tu as toujours vu ça d’un mauvais œil, et encore plus après la trentaine. Franchement, à son âge, il pourrait se trouver un appartement pour lui tout seul. Pourquoi s’entêter à vivre avec des coloc’ ? Tu espérais qu'il prenne enfin son indépendance, qu'il cesse de partager son espace avec des inconnus et, pourquoi pas, à long terme qu'il vienne vivre chez toi. La moitié de ses affaires envahissent déjà tes placards et témoignent de sa présence presque constante. Mais de l'autre, c’est vrai que c’est peut-être encore un peu tôt. Vous venez à peine de franchir certains caps importants dans votre relation, tu ne voudrais pas brûler les étapes. Mais là n’est pas la question. Aujourd’hui c’est toi qui va profiter de ton espace. Pour une fois, c’est toi qui parfumeras son oreiller de ton odeur. Une inversion des rôles qui te plait bien, une occasion de marquer également ton territoire, de lui montrer que toi aussi tu pouvais créer des moments magiques dans son univers.

Lorsque tu arrives les volets en bois sont encore fermés. Quel dormeur ! Tu sonnes à la porte avec enthousiasme, l'excitation te faisant sourire d'avance à l'idée de lui faire la surprise. Tu imagines déjà son visage s’illuminer en te voyant. Mais quand la porte s’ouvre, ton sourire se fige sur tes lèvres, remplacé par ta propre surprise. Et pas des moindres, et pas des bonnes. Là, dans l'encadrement de la porte, se tient une jolie blonde, vêtue d'un t-shirt qui t’es familier. Ton cœur manque un battement alors que tes yeux s’attardent sur le vêtement en question. Ton esprit s'emballe comme à son habitude. L’enfoiré. Comment as-tu pu être aussi naïve ? Tu te vois déjà faire une scène digne des plus grandes tragédies. Sa question te frappe comme un seau d'eau froide et te ramène sur terre. Tu te rends compte que tu es toujours plantée là, les bras chargés de viennoiseries, probablement l'air complètement perdue et décontenancée. Puis, après avoir mis quelques secondes à analyser tout ça, la colère prend le pas. Tu sens ton sang bouillir : « Faire quelque chose? » répètes-tu sur un ton mauvais : «  Bien sûr, tu pourrais commencer par rendre ce t-shirt par exemple et dégager de la maison de mon petit ami ! » Tu avances d'un pas pour entrer, le regard brûlant de rage, et puis il es où Nils ? Se cache-t-il ? « Je ne sais pas si t’es au courant mais je suis Ruth, la petite amie de Nils. » dis-tu, le ton plus acéré.

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Dans ta tête, c’est l’apocalypse : les pires scénarios défilent à toute vitesse, tous plus tordus et improbables les uns que les autres. La jalousie te ronge. Dans le genre jalouse, tu es un degré au-dessus de la moyenne. Non pas que tu n’ais pas confiance en Nils, mais ton passé te pousse à te méfier de tout le monde. Ton cœur bat la chamade, ta respiration s'accélère. Tu pourrais facilement perdre quelques extensions et deux ongles dans cette histoire. Rien ne semble trop excessif pour défendre ton honneur. Elle ne cille même pas lorsque tu déclines ton identité comme si elle savait déjà tout de toi. C’est pire que ce que tu imaginais : Nils lui a parlé de toi. Cette pensée te consume venant alimenter ton égo surdimensionné. Elle se dirige vers la cuisine avec ton t-shirt sur le dos, se comportant comme si elle était chez elle. L’audace ! L’arrogance ! Tu l’observes, furieuse et la suit prête à en découdre. Personne n’a l’habitude de te mépriser. Ta vision se trouble un instant sous l’effet de la colère. Tu t’avances, déterminée à marquer ton territoire. Un rire mauvais s’échappe de tes lèvres : « Je crois que tu n’as pas compris ma cocotte. » ton corps est tendu, prêt à l’attaque. S’il faut la traîner hors de la maison en hurlant ta supériorité, t’es prête à le faire. Ton imagination débordante ne cesse de nourrir ton agressivité. « Ce n’est pas mon problème que tu n’ais rien à te mettre. Je n’ai pas l’habitude de me répéter mais pour toi je vais faire une exception pétasse : le t-shirt que tu portes est à moi et j’espères qu’à mon prochain battement de cil, tu auras disparu. » résonne comme un dernier avertissement, effaçant toute trace de sympathie sur ton visage. Ton regard se fait plus dur, plus perçant. Mais au fond de ton âme tu te vois déjà te réfugier chez Emery pour pleurer toutes les larmes de ton corps. Tu ne connais que trop bien la douleur d'une trahison et tu refuses qu'une nouvelle fois ça t'arrive. Quel enflure ce Nils ! Après tout ce que tu as vécu et tout ce que tu lui as raconté, oser jouer de tes sentiments de la sorte. La tristesse se mêle aussitôt à la colère. Une fois de plus tu t’es trompé et t’as misé sur le mauvais cheval. Et pourtant, te voilà, une fois de plus, face à la même humiliation. Ton égo blessé et ta dignité piétinée. « Ou alors non… tu sais quoi, j’ignore dans quoi vos cerveaux malades trempent mais je te le laisse. Tu peux rester, c’est moi qui m’en vais. » lâches-tu finalement, la voix tremblante d’une rage contenue. Tu te redresses, tentant de maintenir le peu de fierté qu’il te reste. Et puis… alors que tu t’apprête à tourner les talons pour t’en aller, la fureur qui t'animait quelques instants plus tôt se dissipe, laissant place à une vague de confusion et de gêne. Quelle idiote ! Tu prends une profonde inspiration, sentant la honte remplacer la colère et la tristesse. La réalisation te frappe de plein fouet. Doucement, tu te retournes vers la jeune femme, le rouge aux joues: « Est-ce que, à tout hasard tu ne t’appellerait pas Adela ? » sa sœur !

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En un instant, la fureur se dissipa, laissant place à l’embarras. Cette fois encore, son tempérament explosif avait eu raison d’elle, et elle se retrouvait, les joues embrasées et le cœur lourd, à affronter les répercussions de ses propres excès. Elle avait une nouvelle fois agi sous le coup de l’impulsion, ébranlée par une jalousie dévorante qui l’avait poussée à une réaction aussi irréfléchie que démesurée. Son côté sanguin l'avait souvent mise dans des situations embarrassantes mais jamais autant que cette fois. Elle resta un instant interdite, trahie par ses propres instincts se maudissant intérieurement. Heureusement, le ridicule ne tuait pas. Elle secoua la tête et devant la réaction d’Adela, elle n’eut d’autre choix que d’abdiquer. La fierté en lambeaux devant la réalité de son emportement, un petit sourire finit par naître sur les commissures des lèvres de la journaliste. Elle se sentait bête. Honteuse aussi, mais c'était drôle. D’abord elle se mit à rire timidement, puis plus franchement. Elle serra la main tendue pour sceller la fin de leur malentendu. « Tu m’as bien eue! » admit elle, le sourire aux lèvres. Bonne joueuse, elle admettait ses erreurs quitte à dévoiler ses propres faiblesses. Elle avait conscience de ses défauts, de cette tendance à réagir de manière excessive quand on touchait aux gens qu’elle aimait. Et son amour pour Nils était immense, voire écrasant par moment. Il fallait qu’elle travaille sur cet aspect de sa personnalité. Alors que son rire se dissipait, Ruth prit le temps d'observer Adela, toujours un peu mal à l'aise et honteuse, mais visiblement plus détendue. Elle réalisa qu'elle n'avait pas vraiment pris le temps de la regarder. Et si elle l'avait fait, elle aurait sans doute remarqué plus tôt les traits familiers avec son petit ami. Elle avait cette même lueur malicieuse dans les yeux, cette même vivacité dans le regard. Elle était clairement une version plus féminine de lui, avec des traits plus fins, une silhouette plus élancée et une tignasse plus domptée. Si on imaginait Nils sans sa barbe caractéristique, le lien familial devenait finalement plus évident. La ressemblance allait au-delà des apparences physiques si on se fiait à l’humour des Källström. « Maintenant que tu le dis c’est vrai que j’ai déjà vu des photos de la fratrie… » Nils lui avait présenté ses frères et sœurs par photos à défaut des présentations plus officiel. Ils étaient censé attendre pour ça et c’est vrai qu’elle n’avait pas imaginé rencontrer sa belle-sœur dans ces conditions. Et cette première rencontre n’avait pas été idéale, loin de là. « Si on pouvait juste garder ce malheureux épisode entre nous. J’ai terriblement honte… » le souhait malheureux d’enterrer ce vilain quiproquo. Elle regrettait de ne pas avoir su se montrer à la hauteur du norvégien. « Et si… l’offre du café tient toujours, je suis prête à partager mes délicieux croissant. » tente-t-elle de se rattraper en tentant la carte de l’humour.

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Le petit déjeuner s'était improvisé après le quiproquo plutôt embarrassant où Ruth avait cru qu'Adela était la maîtresse de Nils. Néanmoins, l’atmosphère se détendait peu à peu, et la franchise des échanges commençait à faire tomber les murs entre elles. Il fallait avouer que rencontrer la sœur de Nils dans de telles circonstances n'était pas vraiment dans ses plans. « Oh, allez, il doit bien y avoir une clause spéciale pour les belles-sœurs qui nous permettrait de garder quelques secrets entre nous ? » Ruth tenta un sourire, accompagnant sa question d'une moue exagérément boudeuse. Elle n'avait pas pour habitude de jouer la carte de la légèreté, mais la situation le réclamait. Elle aurait pu se sentir menacée par la franchise d’Adela, mais au lieu de cela, elle trouvait un certain réconfort dans cette honnêteté brutale. Une relation de confiance, voilà ce qu’elle souhaitait avec Nils, et voir qu’il en avait une avec sa sœur ne pouvait être qu’un bon signe, n'est-ce pas ? Pourtant, ce tableau idéaliste faisait écho à une relation qu'elle-même avait perdue avec sa propre sœur. Nils avait donc parlé d'elle à sa sœur. Cela éveilla en elle une vague d’interrogations. Que lui avait-il dit exactement. Les débuts de leur relation avaient été rapides, intenses. Elle n’avait pas prévu d’être si rapidement impliquée dans sa vie : « J'espère qu'il n'a rien dit de mal ! » finit-elle par dire, un sourire taquin aux lèvres, masquant à peine son intérêt grandissant. «Disons qu’entre nous, ça s’est fait un peu vite mais pour tout te dire…j’ai l’impression que c’est le bon. » Elle joua distraitement avec sa tasse de café, ses doigts dessinant des cercles sur le bord de la porcelaine. Cette déclaration, elle l’avait laissée échapper sans même y penser. Cela résonnait en elle comme une vérité qu’elle ne s’était pas encore totalement avouée. Était-elle en train d’en dire trop à la jolie blonde. Elle soupira un sourire aux lèvres tenant de masquer son trouble. Le silence s'installa brièvement, seulement interrompu par le bruit du café qui coulait dans les tasses. Puis Adela reprit, sur un ton plus léger mais avec une pointe d’avertissement dans la voix. Ruth leva un sourcil, une expression mi-amusée, mi-surprise sur le visage. « Oh, wow, tout de suite les menaces ! Mais… je t'assure, je n’en ai pas l’intention. » Elle appréciait l’intention, même si elle n’était pas du genre à se laisser impressionner par les menaces. Elle se redressa légèrement, son ton devenant plus sérieux, ses mots plus mesurés. « Crois-le ou non, mais je suis très amoureuse de lui, et je ferai tout pour ne pas le blesser. » C’était la vérité nue, dépouillée de tout artifice. Elle voulait que sa sœur le sache. Aussi bizarre que cela puisse paraître, l'approbation tacite d'Adela comptait plus qu'elle ne l'aurait admis. Elle aimait Nils de tout son cœur et de tout son être.

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La tension s'était lentement dissipée, laissant place à un dialogue sincère et à une ambiance plus détendue entre elles. Ruth avait conscience de son impulsivité, de la façon dont la jalousie l’avait poussée à réagir de manière excessive. Mais, heureusement, tout cela était désormais derrière elles. Elle pouvait se concentrer sur l’instant présent et découvrir la jolie blonde qui se tenait devant elle/ Adela était une belle-sœur prometteuse, une jeune femme pleine de vie et d'énergie. Ruth appréciait ce côté enjoué, son sens de l'humour qui la rendait pétillante. Exactement comme Nils lui avait décrit d’ailleurs. Elle se tenait là, avec sa chevelure dorée et son sourire contagieux. Bizarrement, Ruth se sentait apaisée par cette énergie : « Tu sais que Nils m’a lui aussi souvent parlé de toi, » commença Ruth un sourire au coin « et je dois admettre qu'il ne tarissait pas d'éloges. Vous avez de la chance d’avoir cette relation…» avec sa sœur, c'est un peu compliqué. Derya et elle ont leur part de conflits. Le sentiment lourd de ne pas parvenir à se comprendre. De quoi la rendre triste malgré son envie d’arranger les choses avec sa cadette.

Néanmoins, il n’était pas question de gâcher l’ambiance en se perdant dans des pensées négatives. Ruth se força à mettre ses préoccupations de côté, décidée à laisser place à la légèreté du moment. Elle prit une profonde inspiration, permettant à l'atmosphère conviviale de l'environnement de l’envelopper. Elle sourit à la remarque d’Adela, appréciant le jeu d’esprit qui s’était installé entre elles. Effectivement, Nils aurait sans doute adoré être là pour témoigner de cette rencontre un peu chaotique, mais finalement pleine de promesses. « C’est vrai, mais disons qu’on a un peu pressé le destin. » lâcha Ruth en riant. Elle pouvait sentir les murs se fissurer autour d’elle. « Je ferai tout pour ne pas le blesser, vraiment. Je l'aime profondément, et il m'apporte vraiment beaucoup de bonheur. » affirma-t-elle d’une voix plus ferme. Elle était prête à tout pour protéger leur relation qui, même si elle n’avait pas encore duré longtemps, lui semblait déjà d'une importance capitale. Le regard d'Adela s'adoucit à ces paroles, et Ruth pouvait voir qu'elle prenait au sérieux son intention. « Et sinon, qu’est-ce que tu fais dans la vie, Adela ? » demanda-t-elle, cherchant à mieux la connaître au-delà de leur petit quiproquo.