@Iris Almeida


" Merci. " Samuel quittait la petite épicerie à laquelle il s'était arrêté, pack de bière en main et casque dans l'autre. Il était hors de question qu'il se ramène chez Iris les mains vides, même s'il s'y rendait pour l'aider à monter un meuble. Aider ? Probablement plutôt pour le monter tout seul, mais rien qui ne l'embête. Et même si elle avait prévue les pizzas, ce n'est pas dans les habitudes du garçon que de se ramener sans rien sous prétexte qu'il rend service. Son pack méthodiquement rangé dans son sac à dos, au milieu des tournevis, il positionne ce dernier à l'inverse de son utilisation initiale, sur son ventre, les bras passaient dans les anses afin d'avoir le poids des boissons posés sur sa moto et non pas sur son dos. C'est plus pratique et par dessus tout, c'est beaucoup moins dangereux pour rouler, puisque ça lui permets de rester correctement stable sur son engin. Casque enfilé, Samuel démarre et roules plusieurs minutes pour atteindre le quartier de son amie. La sensation de l'air frais, qui marque la douce arrivée de l'hiver en Australie, qui fouette son visage à travers son casque lui envoie des sensations indéchiffrable au corps. S'il avait pu, toute sa vie, il n'aurait fait que rouler. Parcourir le monde sur le dos de sa moto, aucune obligation, aucune pression, juste rouler d'un bout à l'autre et vivre. Pourtant à côté de ça, il s'y prends à apprécier Brisbane. Cette ville qu'il a fuit pour ne pas faire face à sa perte, à sa famille. Cette ville qu'il pensait ne jamais revoir et qu'il s'était même juré de ne jamais y remettre un pied, gagnait petit à petit son cœur. Il commençait à accepter le fait d'y construire sa vie, à nouveau, la trentaine dépassé, alors qu'il l'a quitté à l'aube de ses dix-huit ans.

La Yamaha vrombissait dans le quartier culturel de Brisbane, ne passant pas inaperçu et faisant même tourner quelque regard, surtout celui des petits garçons et des quelques connaisseurs, pour le plus grand plaisir du propriétaire. C'était son premier cadeau en arrivant en Australie, s'offrir ce petit bijou en guise de consécration à cette nouvelle vie était le meilleur choix qu'il avait fait jusqu'à aujourd'hui, et depuis un moment. Quoi que, sauver Iris des flammes avait été un bon choix aussi. Ce caractère aussi mélodramatique que touchant était arrivé dans sa vie comme un cheveu sur la soupe et avait amené avec elle un sentiment de légèreté qui faisait du bien à Samuel. Encore plus quand il a su qu'elle était ici, lorsqu'il a débarqué il y a un an et demi. Un visage familier, rassurant. Iris a été sa bouée de sauvetage, sans qu'elle le sache, lorsqu'il est revenu. Rassuré de savoir qu'il n'était plus seul ici. Sans même le savoir, elle a été présente plus que n'importe qui, et parce qu'il n'a pas énormément de monde autour de lui, et l'a aidé à se construire ici. Un message de sa part et Samuel souriait. Un pitre sur pied, qui vous file le sourire sans même que vous vous en rendiez compte. Alors pour tout ça, quand elle lui demande de bien vouloir l'aider pour monter un lit, il répond évidemment présent. Sans jamais oublier de l'emmerder en retour, c'est sa marque de fabrication.

C'est donc pour cette raison et après l'appel à l'aide de son amie que Samuel se retrouve dans le quartier culturel de Brisbane, sac à dos enfilé à moitié sur une épaule, son casque dans son autre main, il se rend jusqu'à l'immeuble d'Iris. Il profite d'un voisin qui sort à ce moment-là pour s'engouffrer dans l'immeuble et grimpe les escaliers pour se rendre au bon étage, espérant ne pas se tromper cette fois-ci. Parce que oui, la dernière fois qu'il est venu, il a monté et descendu les escaliers au moins trois fois avant de se rappeler à quel étage se trouvait l'appartement et il s'est bien gardé de demander à Iris, préférant éviter de se taper la honte et qu'elle lui rappelle toute sa vie. Parce que c'est totalement son genre de faire ça et que ça lui ferait trop plaisir. Et parce que la taquinerie ne s'arrête jamais, il récupère son portable dans la poche arrière de son pantalon, cherche Iris dans son répertoire et l'appelle, entendant son téléphone sonner à l'intérieur de l'appartement, il toque comme un bourrin à la porte : " Iris, Iris, Iris, Iris..." continuant ainsi jusqu'à ce qu'elle daigne ouvrir la porte. Grand sourire aux lèvres, il a juste hâte de voir son visage blasé, mais rouge d'avoir couru pour répondre au téléphone et lui ouvrir en même temps. La journée ne pourrait pas mieux commencer que par le mélodrame de miss Almeida.

  

@Samuel Decker

Elle n’a pas vraiment réfléchi à la logistique, Iris. Quand elle a mis de l’argent de côté en vue de s’acheter un lit qui lui permettrait de gagner de la place en stockant quelques vêtements de saison dans de grands tiroirs du sommier, elle n’a pas pensé au montage. Elle a pensé gain de place. Elle a pensé à vendre son lit précédent, aussi. Ce n’est que le jour où l’acheteur de celui-ci est venu avec des outils pour démonter la structure qu’Iris a percuté. Malheureusement pour elle, il était trop tard pour modifier sa commande et faire ajouter l’option “montage” de son nouveau lit. Elle a relativisé, la blonde. De toute façon, elle n’aurait sûrement pas eu les moyens de payer cette prestation supplémentaire. Le lit rentrait tout juste dans son budget. Quand on peine à boucler ses fins de mois, chaque dépense se doit d’être réfléchie. Il a donc fallu qu’elle trouve une autre solution. Si l’idée de faire les yeux doux au livreur pour espérer recevoir son aide lui a traversé l’esprit, Iris a vite rejeté cette solution. Et si elle tombait sur un taré comme ce type sur instagram qui ne cessait de lui écrire ? Et s’il prenait sa demande pour une invitation et commençait à lui casser les pieds ? Hors de question de s’attirer de nouveaux ennuis.

Heureusement pour elle, Iris s’est trouvé un sauveur en la personne de Samuel. Bien consciente qu’elle va sûrement devoir subir les taquineries de son ami au passage, elle n’est pas moins ravie et reconnaissante de sa venue. Sam, c’est l’ami qu’elle ne s’attendait pas à trouver à Los Angeles. Sam, c’est aussi l’ami qu’elle a retrouvé avec joie lorsqu’il est venu s’installer à Brisbane. Une présence plus que bienvenue dans une ville où Iris ne se sent pas toujours à sa place. C’est con, parce que c’est ici qu’elle a grandi. Ici qu’elle a connu toutes ses premières fois. Ici qu’elle s’est autorisée à rêver de grandeurs, celles qu’elle n’a jamais atteintes. Ici que se trouve sa famille ou plutôt, ce qu’il en reste, ce qu’elle a réussi à reconstruire de ce lien autrefois bien plus fort. C’est peut-être pour cela, d’ailleurs, qu’il lui arrive encore de se réveiller avec le sentiment de ne pas être chez elle. Heureusement, certaines présences ont le don d’apaiser son cœur… et de l’amuser par la même occasion.

La sonnerie de son téléphone brise soudainement le calme de l’appartement. Voyant le prénom de Samuel s’afficher sur l’écran et pensant qu’il a peut-être rencontré des difficultés sur la route, Iris décroche. Elle n’a toutefois pas le temps de dire quoi que ce soit. La voix de Samuel se fait entendre, ainsi que des coups relativement forts contre la porte.

– T’es vraiment un gamin, crie-t-elle dans le téléphone alors qu’elle traverse son appartement dans le sens inverse pour ouvrir la porte et tomber nez-à-nez avec son diablotin d’ami. Heureusement que j’ai besoin de tes services, sinon j’aurais appelé la police, fait-elle savoir alors qu’elle raccroche, glisse son téléphone dans la poche arrière de son téléphone et finalement, s’avance pour serrer Samuel contre elle.

Elle le libère ensuite, recule à nouveau jusqu’à laisser suffisamment d’espace au pompier pour qu’il puisse rentrer à son tour.

– Toutes ces bières pour moi ?, demande-t-elle en désignant le pack. Il m’en fallait pas tant, c’est adorable, ajoute-t-elle en faisant mine de vouloir récupérer l’intégralité des canettes.