( can't escape forever ), @Emery King

tw : deuil.
Elle doit faire un tour à la maison de son enfance – ou du moins, de son adolescence. Faire un tour à la maison, histoire de voir sa mère et son beau-père, de passer un moment avec eux, de partager ses dernières nouvelles. Ses dernières nouvelles inexistantes. C’est le calme plat, en ce moment, dans la vie de Neasa. Peut-être que parfois, ce n’est pas plus mal. Peut-être qu’elle préfère cela aux drames. Des drames, elle en a bien assez connu, ces derniers mois. Des drames, elle essaie encore de se remettre, Neasa. Le cœur souffre encore, ne semble pas s’être remis. Le cœur a besoin de temps, sans doute. Surtout quand il est question de deuil. Il lui faudra du temps pour avancer, accepter le départ d’Alicia. Pour accepter le fait qu’elle ne la reverra pas, qu’elle ne reviendra pas. Qu’elle est partie pour de bon, en tout cas. Et puis, avec cela, il faut oublier Maverick, tirer un trait sur leur possible histoire. Dépasser l’impression que l’amour n’est pas fait pour elle, définitivement. Elle doit l’avouer, Neasa : en ce moment, elle se sent seule. Cette impression est sans doute intensifiée par le deuil. Il faut quand même se donner le temps, faire preuve de patience. Le problème, c’est que la brune en manque.

Elle appréhende toujours les questions de sa mère. Craint l’interrogatoire, trop indiscret, qui pourrait la mettre mal à l’aise. Craint peut-être plus encore de lire la déception, peut-être, dans son regard. Elle exagère peut-être, Neasa. Ce n’est peut-être qu’elle-même, qu’il se met la pression à l’excès. C’est sans doute l’expression de ses quelques insécurités du moment. Celles dont elle ne veut pas parler, parce qu’elle reste fidèle à elle-même, la brune. Trop fière pour parler de ses problèmes, et puis, trop mal à l’aise avec les effusions de sentiments. Même quand c’est avec maman.
Elle est quand même contente de les revoir, sa mère et Arthur. Mais elle est ailleurs, Neasa. Ailleurs quand elle part de chez elle, ailleurs durant tout le trajet, ailleurs quand elle arrive à la maison de ses parents. Car Arthur est devenu comme un père, depuis le temps. Arrivée devant la maison, il lui faut cependant quitter sa bulle, se reconnecter au présent. Elle ferme la porte de sa voiture, remonte l’allée, ouvre bientôt la porte d’entrée, comme à l’accoutumée. Elle fait comme chez elle, y a longtemps vécu après tout. Du regard, elle cherche la présence de sa mère ou bien d’Arthur, mais elle n’aperçoit personne, dans l’immédiat. Elle finit par entendre des bribes de voix, reconnaître celle d’Emery. Seconde fille d’Arthur, comme une seconde sœur pour Neasa. D’ailleurs, la jeune femme apparaît bientôt dans son champ de vision, lorsque la brune rejoint la cuisine. Amusée, Neasa esquisse un sourire en la voyant. « Hey. Non, ça ne m’aurait pas étonnée non plus. » répond-elle en laissant échapper un léger rire. Elle est contente de la voir. Même s’il y a des choses qui n’ont jamais été réglées. Des choses dont elles ne se sont jamais vraiment remises à parler. Emery reste importante pour elle. Oui, comme une sœur, une vraie. Celle qu’elle n’a pas eue, entourée de deux frères. « Ma mère n’est pas encore là ? » Elle fronce les sourcils, surprise, mais ne s’en agace pas non plus. Elle a le temps ; pour une fois, elle le prend, en tout cas. En tout cas, Emery lui explique qu’elle était sur le point de faire des cookies, l’invite à la rejoindre. « Pourquoi pas. Merci de la proposition. » Cela pourrait leur rappeler le bon vieux temps. Quand ils vivaient tous ensemble, avant que chacun ne suive un chemin différent, devenant adulte, menant leur vie chacun de leur côté. Se retrouvant, malgré tout, de temps à autre, pour des repas de famille, les fêtes de fin d’année. Elle pose ses affaires un peu plus loin, en tout cas, Neasa, et puis retrousse ses manches, se lave les mains, avant de rejoindre Emery. « Je suis contente de te voir. Comment tu vas ? » s’enquiert-elle, sincère. Peut-être même un peu inquiète, fidèle à elle-même. Mais elle ne veut pas le montrer. Elle se comporte comme une grande sœur lamba, voilà tout.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : deuil.
Cela fait des années que sa mère est devenue King, a délaissé Fraser. Des années qu’elle s’est remariée, que leur famille s’est agrandie, recomposée. Le sang n’a plus d’importance, depuis le temps – elle considère Joy et Emery comme ses sœurs, Neasa. Celles qu’elle n’a jamais eues biologiquement, parce qu’elle était la seule fille côté Fraser, la brune. Il y avait seulement Senàn et Eòin, son grand-frère et son frère jumeau. Pas de quoi se plaindre – mais elle se sentait seule, parfois. Et puis, la vie s’en est mêlée. Sa mère a refait sa vie, après la mort de son père. Ils ont tous emménagé ensemble, dans cette grande maison. Ont dû apprendre à cohabiter, se connaître, s’apprécier. Cela n’a pas toujours été évident, ni aisé. Senàn, lui, a connu quelques difficultés. Mais Neasa, elle s’en est bien sortie. Peut-être trop heureuse de gagner deux sœurs, l’une un peu plus jeune, l’autre plus âgée - de quoi tisser des liens sans peine, des liens devenus forts. Pourtant, avec le temps, il n’est pas toujours facile de les faire perdurer. Avec Emery, notamment, depuis quelques années, les choses semblent s’être compliquées. La brune semble s’être éloignée. Surtout au moment des problèmes de Senàn.
Mais de cela, elles n’ont jamais vraiment reparlé.

Elle ne savait pas qu’elle la verrait, aujourd’hui. Elle a l’impression que la dernière fois remonte à une éternité. Sait qu’à dire vrai, elle exagèrerait. Le temps passe trop vite, quand on est adulte. Elle ne voit pas les journées passer, Neasa. Elle préfère, à vrai dire ; a l’impression, dans ces moments-là, de moins penser. De moins songer à tout ce qui ne va pas, à ce qui la chagrine. La disparition d’Alicia, rupture prématurée avec Maverick.
C'est presque le hasard qui la met sur le même chemin qu’Emery. Presque, parce qu’elles ont leurs parents en commun, tout de même. Elle aurait dû s’attendre à la possibilité de la voir. C’est une heureuse surprise, en tout cas. Elle en profite pour interroger la brune à propos de sa mère, qui semble visiblement absente. « Oh, je vois. Ils seront de retour bien assez tôt, alors. » Qui sait ; peut-être l’espèrent-elles, autant l’une que l’autre. Pour couper court aux tabous qui persistent encore. Aux vieilles déceptions datant d’une autre époque. Elle a comme l’impression, Neasa, qu’Emery s’est mise en retrait, parfois. Alors sa question est sincère, quand elle lui demande comment elle va. La brune lui répond pourtant qu’elle va bien, avant de lui retourner la question. « Tant mieux. Moi aussi, ça va. » Tissus de mensonges, mais elle aurait dit la même chose aux autres, y compris sa mère. Pas envie d’inquiéter qui que ce soit, ni de s’étendre sur ses sentiments – ceux qu’elle peine, elle-même, à comprendre. « Non, pas vraiment. Enfin, la routine, prendre des nouvelles, tout ça. Et toi ? » Elle a lavé ses mains, désormais ; prête à aider celle qu’elle considère comme sa sœur, avec la préparation de ces fameux cookies. « J’ai l’impression que ça fait des lustres qu’on ne s’est pas retrouvées juste toutes les deux. » D’ordinaire, quand elle croise Emery, il y a les autres. Son beau-père et sa mère, parfois même Senàn ou Joy. Mais elles, toutes les deux ? Elle ne sait plus à quand cela remonte, la dernière fois. Bien sûr, elle voit plus souvent Senàn ou Eòin en solo ; mais c’est un peu différent. Concernant Emery, c’est sans doute qu’il y a autre chose. Des restes de reproches, jamais formulés tout haut. Peut-être aurait-il fallu crever l’abcès, pourtant. Pour avancer, tourner la page. Se réconcilier, faire la paix. Se sentir mieux, ensemble. Retrouver la complicité, d’antan.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : deuil.
Elle a le cœur lourd, encore. Lourd de la perte d’Alicia. Lourd de la rupture avec Maverick. Lourd de ses choix, mauvais, sans doute. Elle a fait ce qu’elle croyait nécessaire sur le moment – se retrouve plus ou moins à le regretter, à présent. Elle n’avait peut-être pas assez réfléchi. Ou peut-être trop, au contraire. À se perdre entre ce dont elle avait besoin et ce qu’elle pensait nécessaire. À se dire que c’était mieux que Rick et elle poursuivent chacun de leur côté leur chemin, plutôt que se soutenir, se tirer vers le haut, dans un moment où ils en avaient besoin autant l’un que l’autre. Sans doute. Cela l’a frappée, seulement après coup. Parce qu’elle a certainement été égoïste dans tout cela, Neasa. Elle a pensé à sa douleur, ainsi qu’à sa rancœur, sans comprendre d’abord combien Maverick pouvait être rongé par les regrets, l’impuissance, la culpabilité. Elle aurait pu être là pour lui, de la même façon qu’il aurait pu être là pour elle. Comme lorsqu’on est un couple, quand on décide de partager la vie de quelqu’un d’autre, d’être là pour le meilleur et pour le pire. Elle, elle s’est cachée derrière le fait que leur relation était encore trop récente, pour prendre la poudre d’escampette. Maintenant, elle regrette. De ne pas avoir vu où cela pouvait les mener.

Aujourd'hui, elle avait besoin de se changer les idées.
D'habitude, elle se noie plutôt dans le travail. Elle y consacre trop de temps, trop de journées, sans vraiment s’arrêter ni décrocher. Mais aujourd’hui, c’est jour de congé. Alors elle a décidé d’en profiter, de passer du temps avec ses proches. De rendre visite à sa mère, ainsi qu’à son beau-père. Elle les avait prévenus de sa visite, mais quand elle arrive, ils sont absents. Seule Emery est là, pour le moment. Ce n’est pas une mauvaise chose, en soi – elle est toujours heureuse de la revoir. Et puis, c’est peut-être l’occasion de lui parler seule à seule, sans leurs parents pour écouter, participer, s’en mêler. Pour l’heure, elle est juste curieuse de savoir si elle est venue aussi pour une raison particulière. « Ça tombe bien. » Il faut croire qu’elles ont eu la même idée, finalement, toutes les deux. « Oui, je verrai si je reste, j‘ai des petites choses à faire. » Ponctue ses mots d’un sourire. Sait-on jamais – elle ne veut pas trop s’engager, selon la façon dont les choses tourneraient. Car il y a des non-dits entre elles, n’est-ce pas ? Même si elle adore toujours Emery, même si elle est toujours la famille. Mais elles n’ont jamais crevé l’abcès, alors quelque part, c’est toujours là, entre elles, dans l’air.

Alors c’est vrai. Cela fait des lustres qu’elles ne se sont pas vues. Du moins, juste toutes les deux, sans Joy, sans Senàn, sans Eòin. C’est l’occasion d’y remédier, en restant avec Emery cuisiner. Des cookies, en plus – la voilà convaincue, Neasa. « Oui, je m’en occupe. » Et justement, elle s’exécute pour ramollir le beurre, tandis qu’Emery mélange bicarbonate et farine. Avant que le silence ne s’installe, la brune lui demande si elle a prévu de prendre bientôt des congés. « Peut-être, ça fait une éternité que je n’ai pas pris de vacances. Mais je ne sais pas trop où aller. Et toi ? » Elle relève le regard vers sa demi-sœur pour entendre la réponse. A l’impression tout de même qu’elle évite de laisser le silence s’installer, ou certains sujets revenir sur la table. « Tu as vu Senàn récemment ? » demande-t-elle d’un air plus ou moins innocent. Les pieds dans le plat, littéralement.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : mort, deuil.
Au début, ils étaient trois. Trois enfants parmi la fratrie Fraser. Puis leur père s’est éteint. Ils en ont tous souffert, ont eu besoin de temps pour s’en remettre. Ils étaient jeunes, alors. Senàn, surtout, est peut-être celui qui l’a vécu le plus mal. Puis leur mère a refait sa vie. Leur mère s’est remariée avec Arthur. Alors la famille s’est agrandie, recomposée. Tous trois ont gagné deux sœurs, Joy et Emery. Et peut-être que cela n’a pas été facile, au début, de trouver comment composer tous ensemble. Mais ils sont devenus importants, les uns pour les autres. Ils sont devenus une vraie famille. Une famille importante, que Neasa aime à présent à voir régulièrement. Même si chacun a sa vie, qu’ils manquent parfois de temps. Là, par exemple, elle est heureuse de tomber sur Emery par hasard, en se rendant chez leurs parents. Parce que cela fait des lustres, lui semble-t-il, qu’elles ne se sont pas retrouvées juste toutes les deux. Il y a toujours l’un ou l’autre de leur fratrie composée, avec eux. Ou leurs parents. Qui ne devraient plus tarder, maintenant, n’est-ce pas ? En attendant, elles ont le temps de cuisiner un peu ensemble.
Et on verra si Neasa reste pour dîner.

Le doute est peut-être le moyen de s’assurer une sortie, si les choses devaient s’envenimer. Sait-on jamais. Mais depuis que Senàn s’est retrouvé en prison, qu’Emery a semblé se défiler, fuir, l’oublier, Neasa a l’impression que certaines choses sont encore compliquées. Ou qu’Emery cherche encore à nier certaines choses. Elle ne s’ouvre pas si facilement, finalement. Et Neasa l’a bien compris, depuis le temps. Leur conversation a presque quelque chose de superficiel, comme si elles évitaient soigneusement d’aborder certains sujets. Mais Neasa ne saurait dire si elle se fait des films, ou si c’est bien la vérité. « C’est vrai que c’est sympa aussi, Perth. Merci pour la proposition. » répond-elle en souriant, sincère. Elle y pensera - éventuellement. « J’irais bien en pleine nature, sinon. Histoire de déconnecter à fond et de laisser le boulot de côté. Mais sans doute pas plus qu’un long week-end. » grimace-t-elle, en riant doucement. Oui, parce qu’elle ne se verrait pas partir une ou deux semaines en pleine nature, sans réseau. Elle n’arriverait pas à déconnecter tout à fait. Pas si elle est seule. Quoique ? Avec un bon bouquin, elle ne verrait pas le temps passer. Cela ferait du bien. Elle devrait peut-être y songer. « Peut-être que je devrais quand même prendre des congés. » laisse-t-elle échapper, tout à coup un peu songeuse. Elle a du mal à lever le pied, Neasa. Parce qu’elle est passionnée par ce qu’elle fait. D'un autre côté, les derniers mois écoulés ont été difficiles et douloureux.

Elle pourrait continuer à en parler, Neasa. Mais elle choisit de mentionner son frère. Ce à quoi Emery répond, le plus naturellement du monde. « Ah oui ? Ça lui ferait du bien. » Elle en est convaincue, Neasa. Parce qu’elle s’en fait toujours un peu pour lui. « C’est bon pour le beurre ! » annonce-t-elle alors, tout sourire. Elle pourrait laisser ce sujet-là revenir sur la table. Mais elle ne veut pas risquer de changer de sujet, la Fraser. « Il s’en sort au moins, avec son boulot au bar. Mais je suis sûre que son ancien job lui manque. » fait-elle, un peu ailleurs. Cela lui fait de la peine. Est-ce qu’il pourra un jour redevenir ingénieur ? Elle n’en sait trop rien, Neasa.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : mort, deuil.
La famille, c’est important. Pour Neasa, en tout cas. Elle ne sait pas d’où cela vient. Peut-être que les Fraser se sont naturellement soutenus, épaulés, après la mort de leur père. Mais il lui semble que c’était déjà le cas, quand il était encore là. Puis les Fraser se sont liés aux King, et les deux familles n’en ont plus formé qu’une. Cela ne veut pas dire que la cohabitation a toujours été facile, évidente. Il y a eu des loupés, une phase d’adaptation et de familiarisation, d’apprivoisement. Mais il y a eu aussi beaucoup de beaux et de bons moments. Des souvenirs qu’ils n’oublieront jamais, à présent. Quand ils étaient plus jeunes, et puis même encore maintenant. Comme quand Senàn s’est retrouvé accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis, qu’il a accepté sa sentence sans essayer de se battre une seule seconde pour prouver son innocence. Son emprisonnement les a ébranlés, chacun à leur façon. Elle se souvient très bien comment Emery a réagi, Neasa. Elles n’en parlent pas, n’en parlent plus, n’en ont jamais vraiment parlé, dans le fond. Mais cela pèse dans l’air, depuis. Même encore aujourd’hui.

Elle est tout de même contente de la voir, de se retrouver à cuisiner à l’improviste ces cookies. Elle a tout de même l’impression que sa demi-sœur choisit soigneusement les sujets qu’elle aborde. Comme en lui posant des questions sur d’éventuelles vacances, par exemple. L’idée n’est pas mauvaise, à vrai dire. Neasa gagnerait à se reposer un peu plus. Elle lâche en tout cas un rire aux mots d’Emery. « C’est de toi ou de moi que tu parles, là ? » plaisante-t-elle en riant doucement. « Starbucks et TikTok, je devrais m’en remettre, mais... De toute la vie culturelle et de mes cappuccinos au lait d’avoine, je suis pas sûre. » fait-elle, sourire en coin. Elle l’avoue sans honte, Neasa : elle est une pure citadine. Elles ont peut-être cela en commun, toutes les deux. Finalement, ne sont-elles pas en train de vivre un petit moment de complicité ? Pourquoi alors Neasa est-elle obligée de tout gâcher, en mentionnant son frère aîné ?
Parce qu’il faut peut-être briser la glace, crever l’abcès. Parce qu’elle sent bien que c’est un sujet de crispation. Qu'il faut marcher sur des œufs, souvent. En tout cas, Neasa n’abandonne pas. Continue, s’accroche, quoiqu’elle s’interrompe brièvement pour mentionner que tout est bon pour le beurre. Elle parle de l’ancien boulot de Senàn. Celui qui le faisait rêver depuis toujours. Cela avait beaucoup un lien avec leur père, elle le sait. « J’espère pour lui. » L’espace d’un instant, ses pensées divaguent. Elle s’y perd, doucement, avant de les chasser, pour se reconcentrer sur Emery. « Hm, je sais pas si la volonté suffit. » Pour s’en donner les moyens, il faut tout de même que des opportunités se présentent. Son passé carcéral ne doit pas jouer en sa faveur, désormais. « Oui, c’est sûr. Ça lui permet de prendre du recul et de retrouver doucement ses habitudes dans le coin, aussi. » Elle hausse les épaules. Elle sait que son frère a encore du mal à se réadapter à la société. À s’y sentir à l’aise. Mais cela viendra, n’est-ce pas ? Elle veut y croire.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : mort, deuil.
La famille, c’est important.
Plus encore depuis que son père est mort. Plus encore depuis que leur mère et toute leur fratrie ont été ébranlés par cette perte. Il a fallu se serrer les coudes, s’épauler, répondre présent les uns pour les autres. Il a fallu avancer, chacun à son rythme, mais ensemble. Ils ont quitté Édimbourg, ils ont même quitté l’Ecosse, tout court. Changé de vie radicalement, pour venir s’installer en Australie. Ici, leur mère a refait sa vie, a rencontré Arthur. Arthur qu’il a fallu accepter, tout comme ses filles. La famille a changé. La famille s’est agrandie. Ils ont gagné deux sœurs, même s’ils ne partagent pas le même sang. Une grande famille recomposée, qui est tout aussi importante. Cela ne s’est pas fait en un jour – il a fallu apprendre à se connaître, à s’apprivoiser. Pour certains, comme Senàn, cela a été plus compliqué. Mais pas pour Neasa. Bien sûr, au début, elle a eu l’impression que leur mère remplaçait leur père. Mais cela n’a pas duré. La méfiance a fini par se dissiper, et la douleur par s’apaiser. Elle n’a pas oublié son père, Neasa. Mais elle a fait la paix avec sa disparition. Est allée de l’avant. Et, tout naturellement, elle s’est attachée à Arthur, Emery et Joy. A trouvé en ces dernières, des sœurs – elle qui en était dépourvue.

Alors oui, la famille, c’est important. Et la famille, pour Neasa, ce sont les Fraser autant que les King.
Pour autant, ce n’est pas toujours rose. Tout ne va pas toujours bien. C'est compliqué entre Senàn et Tadgh. C'est compliqué entre Emery et Neasa. Il y a des non-dits qui planent encore dans l’air, même s’ils n’en parlent pas. Ces deux dernières ne font actuellement pas exception à la règle. Elles tournent autour du pot, le navire tangue dangereusement, ou bien se dirige même tout droit vers l’iceberg. Neasa le sait, quand elle commence à parler de Senàn. Mais elle ne peut pas s’en empêcher. Peut-être que parfois, pour faire avancer les choses, il faut mettre les pieds dans le plat. « Sans doute. Mais peut-être qu’il faut se laisser le temps de se reconstruire avant d’affronter les choses et de chercher les opportunités. Comme tu dis, peut-être que le bar lui convient pour le moment, pour ça. » Peut-être devraient-elles lui poser simplement la question, pour en avoir le cœur net. Mais quelque chose lui dit que ce serait une conversation difficile à avoir avec Senàn. Tout comme avec Emery, d’ailleurs. Elles tournent encore autour du pot. Elles semblent au moins d’accord sur le fait que son boulot au bar lui permet sans doute de retrouver ses habitudes. « Oui, j’imagine. » Elle a bien noté comme Emery évitait son regard, Neasa. Comme elle le garde posé sur la pâte, qu’elle malaxe. « Tu as besoin que je t’aide avec autre chose ? » s’enquiert-elle alors. Ce pourrait être une façon de changer de sujet. Mais non. Neasa offre sincèrement son aide, avant d’enchaîner, le plus naturellement du monde : « Tout va bien, entre vous ? » Et entre nous ? Parce que dans le fond, cela commence à lui peser. Cette tension sous-jacente, qu’elle ne peut s’empêcher d’ignorer, ni d’éprouver. Peut-être qu’il serait temps d’en parler.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : mort, deuil.
Ce n’est pas toujours facile, la famille. On peut se serrer les coudes autant que possible, éprouver une tendre affection pour les siens, mais pour autant, cela peut être compliqué parfois. Cela peut même être douloureux. Tout n’est pas toujours rose – et Neasa, elle en sait quelque chose. La sienne a traversé des moments difficiles, à bien des moments. D’abord, quand Senàn, Eòin et elle ont perdu leur père, très jeunes. Quand ils ont quitté l’Ecosse avec leur mère pour recommencer à zéro en Australie. Puis quand leur mère a rencontré le père d’Emery et Joy. Quand Senàn l’a mal vécu, a enchaîné les conneries. Puis quand, des années plus tard, il s’est retrouvé en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis. De cela, Neasa n’en a jamais douté. N’a jamais perdu la foi en son frère aîné. Mais cela n’a pas été aisé, ni agréable, ni simple. Ce n’est pas passé comme une lettre à la poste, cela ne s’est pas fait sans dégâts, conséquences. Tous les Fraser-King ont été ébranlés, chacun à leur façon. Tous les Fraser-King ne s’en sont pas forcément encore remis. Cela fait quelques temps maintenant que Senàn est sorti de prison – il est encore en train de retrouver ses marques, de retrouver sa vie, cependant.

Ce n’est pas toujours facile, la famille. Mais c’est important. Chacun en a cependant sa propre conception. Elle ne sait pas si elle a la bonne, Neasa. Est-ce qu’elle a eu tort, de rester optimiste tout au long du procès, de l’emprisonnement de Senàn ? Est-ce qu’elle a eu tort de le défendre, de croire encore en lui ? A-t-elle été aveugle ? Lui a-t-elle trouvé trop d’excuses ? Peut-être. Mais s’ils l’avaient abandonné, que serait-il advenu de Senàn ? Senàn, si fragile, si torturé, décimé par les épreuves – il semble aller un peu mieux, maintenant. Un peu, c’est déjà énorme. C’est étrange d’en parler avec Emery. Il y a toujours ce truc qui flotte dans l’air. Ces espèces de non-dits. Mieux vaut sans doute parler cookies. « Je m’en occupe. » répond-elle à sa (demi)-sœur, s’exécutant. Elle ne tarde pas à trouver une plaque de cuisson à l’endroit où leurs parents les rangent habituellement, puis cherche le papier sulfurisé – cette fois plus compliqué à retrouver. Elle en découpe ensuite une feuille et la dépose sur la plaque. Pendant ce temps, Emery s’est occupée de former une boule avec la pâte. Elle est en train de se laver les mains, quand Neasa l’interroge finalement. Lui demande cash si tout va bien entre elle et Senàn. Emery ne répond pas tout de suite – mais ce qui surprend le plus la Fraser, c’est la tournure qu’elle emploie. Je suppose. « Tu supposes ? Tu n’es pas sûre ? » demande-t-elle doucement, sans être le moins du monde dans le reproche. Elle essaie de comprendre, c’est tout. Elle finit par se laver à nouveau les mains, en vue d’aider Emery à former les petites boules pour les cookies, cette dernière lui tendant d’ailleurs une cuillère. Puis Neasa s’exécute, avant de reprendre, visiblement trop partie sur sa lancée pour s’arrêter : « Parfois, j’ai l’impression que tu évites encore de parler de certaines choses. » Et peut-être a-t-elle aussi du mal à comprendre ce que réellement, elle pense. De tout cela. De Senàn. Ce disant, Neasa ne détache pas son regard des petites boules qu’elle commence à former.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : mort, addiction, drogue.
Il y a toujours ce truc dans l’air. Cela fait des années que cela dure. Depuis le procès, à vrai dire. Peut-être avant ? Mais on dirait bien que quelque chose s’est brisé chez les Fraser-King, quand Senàn a été condamné à la prison. Chacun a été ébranlé ensuite à sa façon. Chacun l’a soutenu à sa manière, chacun s’est aussi fait son avis sur ce qu’il s’était passé, sur ce que Senàn avait vraiment fait. Concernant Neasa, elle sait pertinemment qu’elle est restée la plus optimiste du groupe, celle qui n’a jamais cessé de croire en leur frère. Peut-être a-t-elle conservé son admiration d’enfant, incapable d’entrevoir une autre possibilité, finalement. Peut-être a-t-elle fermé les yeux ; peut-être trop pardonné à Senàn. Peut-être lui a-t-elle trop cherché d’excuses, vis-à-vis de ses problèmes, de ses addictions. Peut-être. Peut-être ne veut-elle pas voir les choses en face, elle non plus, bien qu’elle essaie à présent d’ouvrir la discussion avec Emery. De l’encourager à dire tout ce qu’elle retient depuis des années. Leurs non-dits ont fini par se glisser entre elles, et, oui : c’est ce truc qui désormais pèse dans l’air.

Elles sont peut-être sur la défensive. Et Neasa se met peut-être, peu à peu, à attaquer. A s’étonner de la réponse de sa sœur – à rebondir sur un détail. Cela ne veut pourtant rien dire, sans doute. Mais c’est la brèche que Neasa semble avoir choisie pour se lancer. Elle ne rebondit pas à la réponse d’Emery – à quoi bon. Elle a peut-être exagéré en insistant sur quelques mots qui ne veulent peut-être rien dire de spécifique, mais c’est la perche qu’elle s’est elle-même tendu et a choisi de saisir. Les voilà désormais à former des boules avec la pâte de cookies. Elles pourraient continuer en silence, ou à parler de banalités, mais non : Neasa met quelque peu les pieds dans le plat. Ose sous-entendre que certains sujets semblent toujours tabous. Sans quitter des yeux le plan de travail, elle entend Emery lui demander un exemple, comme si elle ne comprenait pas. Doit-elle abandonner, Neasa ? Elle qui, d’ordinaire, ne prend pas de gants, dit les choses sans détour, c’est autre chose quand il s’agit de sa famille. Celle qu’elle ne veut pas blesser, ou encore compliquer. Ils ont tous assez donné. « Comme le procès. » finit-elle par lâcher, d’un calme en apparence olympien. En réalité, à l’intérieur de sa poitrine, elle sent son cœur tambouriner. Appréhende un peu la suite. Est-ce vraiment une bonne idée d’en reparler ? Maintenant, elle se remet à douter. Mais c’est trop tard, la voilà lancée, Neasa. « On peut laisser le passé derrière quand on l’a réglé ou qu’on a fait la paix avec lui. » répond-elle, doucement cependant. Elle n’est pas dans le reproche, elle expose des faits. Ou essaie. « Tu en penses quoi ? » demande-t-elle, soucieuse de son avis. De l’écouter parler, si seulement c’est possible. Mais Emery semble s’être depuis longtemps forgée une carapace, difficile à pénétrer.

( can't escape forever ), @Emery King

tw : mort, addiction, drogue.
Neasa veut maintenant croire que le pire est derrière eux. Que les Fraser-King peuvent aller de l’avant, à présent – que tout ne peut qu’aller mieux dorénavant. Elle est peut-être trop optimiste, aveuglée, naïve. Mais elle croit que tout voir en noir n’aiderait pas la situation. Maintenant, Senàn n’est plus en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. Elle aurait aimé pouvoir lui rendre justice, néanmoins. Blanchir son – leur – nom, qu’on admette enfin qu’il avait été emprisonné à tort. Mais elle a compris qu’elle n’y arriverait jamais, Neasa. Que le procès avait déjà eu lieu, qu’on ne pouvait pas le refaire, pas revenir en arrière. Alors, dès lors qu’elle l’a compris, elle s’est efforcée d’être au moins un soutien pour Senàn, autant que pour leur mère, leur famille toute entière. Cela ne veut pas dire qu’elle a toujours fait les bons choix, qu’elle a toujours trouvé les mots justes, qu’elle n’a jamais été maladroite. Elle reste humaine, Neasa, avec ses défauts. Peut-être peut-on lui reprocher son manque de tact, par exemple, en cet instant précis. Elle y va un peu cash en disant à Emery qu’elle a l’impression qu’elle évite de parler du procès de Senàn – comme d’autres choses, à vrai dire.

Regrette-t-elle d’en avoir parlé si directement ?
Peut-être. Mais elle n’est pas certaine qu’il y ait de bonne façon de dire les choses.
Pas certaine qu’il soit non plus nécessaire de prendre des gants.

Alors voilà, elle a mis les pieds dans le plat, Neasa.
Et elle a senti tout de suite la différence. Dans l’attitude d’Emery, dans son ton. Dans sa façon d’éluder les choses. Mais elle finit par lâcher la pâte à cookies pour regarder Neasa, pour de bon. Lui dire ne pas comprendre ce qu’elle attend d’elle. « Moi non plus, à vrai dire. » confesse-t-elle, un peu perdue dans ses pensées. Elle se reconnecte toutefois à la réalité, sans trop tarder, et reprend : « J’ai juste l’impression qu’il y a toujours un truc qui traîne dans l’air. » Entre elles, surtout. Un peu de rancœur ou de tension qui a subsisté. Peut-être que cela vient de Neasa, finalement. Peut-être est-ce elle qui devrait parler ouvertement de ce qu’elle pense et ressent. Peut-être. En tout cas, Emery reprend bientôt la parole et la Fraser ne peut retenir l’étonnement qui se dessine sur son visage. « Je n’ai pas demandé d’excuses. » répond-elle cependant, calmement. Le but n’est pas de se disputer, de hausser la voix, se blesser, se faire du mal. Mais les derniers mots de sa sœur l’interrogent plus encore. Elle aussi, a lâché la pâte à cookies à présent. « Ce que tu avais à faire ? » répète-t-elle, fronçant les sourcils. Peut-être devrait-elle juste abandonner. Après tout, est-ce si grave, désormais ? Ne faut-il pas aller de l’avant, comme elle est la première à le dire et le penser ? Et en même temps, elle l’a dit, Neasa : il y a toujours ce petit truc dans l’air.