@Renfield Halstead
Ce n’est pas encore tout à fait chez elle. L’appartement est encore trop nouveau pour Emery. Il y a des tas de rangements qu’elle n’a pas encore ouvert, des zones d’ombre dans ce logement qui appartient à un autre, cette habitation où elle n’a réellement pris ses quartiers que dans la chambre qu’elle loue. Les choses sont sur le point de changer, cependant. A mesure que la date limite pour rendre son appartement approche, Emery profite de ses fins de journée et de ses soirées pour rapatrier petit à petit les éléments de décoration et autres biens matériels qui lui sont chers. A commencer par le cadre qu’elle vient de fixer au-dessus du meuble de télévision. Le poster n’est pas très grand mais la présence du dessin fait en un seul trait apporte une touche de féminité qui manque cruellement dans les lieux. Tant pis si le cadre n’est pas tout à fait droit. Tant pis aussi si l’utilisation du marteau pour planter le clou a laissé de la poussière de placopatre sur le meuble, trace si légère qu’Emery ne la remarque même pas. Fière d'elle, c'est un nouveau post-il qu'elle attrape et finit par coller sur la porte du réfrigérateur.

@Emery King
Une nuit comme les autres, tu as fait ton tour de garde, tu as contrôlé, mais rien. Une nuit sans embûche. Une nuit comme les autres. Un bâillement s’extirpe de tes lèvres. Et comme d’habitude, tu n’as presque pas dormi, bien trop pris par tes cauchemars. Spirale infernal. Une main qui passe dans tes cheveux, tes pas qui se dirigent vers la cuisine, mais tu t’arrêtes. Tu fronces les sourcils en voyant cette chose. Cette poussière, ce changement. Clignant des yeux, elle a osé. Elle a osé modifier un aspect du salon. Tu n’en crois pas tes mirettes et encore plus en voyant la chose. Qu’est-ce que ? Tu restes planter là durant dix bonnes minutes, essayant de comprendre ce que cela signifie. Tout ce que tu vois : la poussière, le désordre et l’incohérence. Tu finis par reprendre tes esprits, il te faut la balayette, une lingette et remettre tout en place. Tes doigts qui se crispent, le poing qui se ferme. Tout va bien se passer Renfield, tu sais que c’est bien, une nouvelle expérience. Et tu dois lui laisser un peu de terrain, mais ça.. ça n’a pas de sens. Attrapant un post-it.

@Renfield Halstead
Elle commence à avoir l’habitude de cet instant de lecture offert à chaque fois qu’elle rentre du boulot ou presque. Sachet de nourriture chinoise à la main (son repas de ce soir), elle n’a pas encore posé son sac quand elle lit les deux notes laissées par son colocataire. Le placard ? Comment ça, le placard ? La voilà qui fronce les sourcils, avant que ces derniers ne se haussent avec interrogation. Elle ne sait même pas ce que sont les lipides et les glucides, comment est-elle censée les séparer ? Et puis, qui fait ça, d’abord ? C’est officiel, elle vit avec un taré. Avec un de ces psychopathes dont on parle dans les podcasts de true crime qu’elle aime écouter certains soirs. Peut-être qu’elle devrait se renseigner un peu plus sur le gugusse, juste pour être sûre de ne pas finir découpée et en morceaux dans le frigo. Quoi que, non. Il n’oserait sûrement pas mélanger de la viande fraîche avec les lipides.

@Emery King

Main que tu portes à ton visage, frottant tes yeux au passage. Un nouveau bâillement qui s’extirpe de tes lèvres. Est-ce que la nuit fut bonne ? Un peu mouvementé, mais rien de dérangeant. Mouvementé dans le sens qu’il y a eu du chahut dans la ruelle juste à côté de ton poste. Deux jeunes qui discutaient, tu n’es pas sorti pour aller voir, mais leur grabuge t’a tenu en éveille. Techniquement tu n’as pas besoin de ça. As-tu dormi en rentrant ? Oui et non. Rien de très concluant. Tu verses ton café, attendant avant de grincer des dents. Parce que tu as remarqué les objets qui n’étaient pas à leurs places. Tu prends sur toi. Tu ne vis plus seul. Tu peux le faire. Même si tu n’as envie que d’une chose : passer l’aspirateur, ainsi que la poussière et bien sûr tout désinfecter. Le but de cette opération est que tu apprennes à vivre avec une autre personne. Tu ne pensais pas cohabiter avec une souillon. Tu avais pourtant précisé une personne propre et ordonnée. Encore une, qui a menti pour obtenir gain de cause.

@Renfield Halstead
Elle n'a pas répondu aux derniers post-its, Emery. Pourquoi faire ? Son colocataire trouvera toujours une excuse pour justifier la raison pour laquelle elle n'est visiblement pas encore autorisée à éparpiller ses affaires dans l'appartement. L'homme n'est apparemment pas habitué à vivre en colocation. Ou alors il est complètement neuneu et personne n'a pris le temps de lui expliquer le concept. Elle ne sait pas trop. Toujours est-il que ça l'a agacée, mais que la brune a décidé de faire preuve de maturité. Comprenez par là qu'elle a ragé dans son coin et qu'elle s'en est tenue à un silence exemplaire. Pas de post-it. Rien. Toutefois, ça n'aura pas duré longtemps. Assise sur le canapé, un pot de nouilles instantanées à la main et une fourchette dans l'autre, elle repense à la remarque qui gisait sur la petite note collante, celle qui date désormais de cinq ou six jours. Elle entend son colocataire lui rappeler que ce qu'elle mange n'est pas bon pour la santé. Ou plutôt, elle imagine sa voix. Parce qu'elle n'a pas la moindre idée de ses sonorités. Elle ne l'a toujours pas croisé. Ce qui est à la fois étrange et en même temps, pas une mauvaise chose vu leurs dernières interactions. Pour autant, elle se dit que pour prendre un peu plus d'espace dans l'appartement, peut-être qu'il faudrait qu'ils apprennent à se connaître. Mais entre son emploi du temps et le sien, impossible de caser la moindre rencontre. D'autant plus que le fameux Renfield n'a pas l'air d'être de ceux qui font la fête comme Emery le fait.

@Emery King

Le temps, une chose qui t’effraie et qui t’aide à la fois. Tu vis dans une spirale où tout est rythmé, organisé, tu as ne laisse pas de place à l’improvisation. Tu détestes ça. Les jours passent et se ressemblent. Tu enchaînes les gardes, tu dors mal, rêvant d’elle. Aujourd’hui, tu te sens grognon, tu sais que la date fatidique approche. Tu aimais ce jour avant, mais ça c’était avant. Tes yeux se posent sur ce bout de papier. Nouveauté, ces derniers jours, ta colocataire fut absente et ça ne t’a pas dérangé. Tu avais l’impression de vivre à nouveau seul, un plaisir. Et puis tu voyais ses affaires traîner. À croire que les gens ne sont pas ce qu’ils disent. Est-ce que tu es resté bloquer sur sa présentation ? Pour sûr. Elle t’avait dit être propre, tu as l’impression que c’était une supercherie pour obtenir un toit. Les gens sont prêts à tout de nos jours, tu devrais le savoir. Tel un robot, tu attrapes une tasse et t’y verses un café. Une petite grimace qui apparaît, rictus ancien, tu peux entendre sa voix. Son rire. Cœur qui se brise à l’intérieur. Elle est toujours là, même si elle n’est plus là.

@Renfield Halstead
Son colocataire n'est pas vraiment des plus accueillants, ni des plus chaleureux. Face à l'initiative d'Emery, son premier réflexe est de douter. Peut-être qu'il a raison. Ils ont l'air trop différents l'un de l'autre pour se trouver des passions communes. Pourtant, lire et regarder la télévision, ça n'a rien d'exceptionnel. Elle aussi, elle lit... de temps en temps. Et elle aussi, elle regarde la télévision. Passant outre le premier jugement porté par Renfield et sans prendre la peine de lire le post-il qu'elle aperçoit sur la porte du frigo, la jeune femme saute sur l'occasion, attrapant le bloc de notes collantes qui se trouve dans le tiroir pour répondre au premier.

@Emery King

Ta tête qui se pose à nouveau contre le cousin, ce n’est pas un bon jour. Tu n’aimes pas ce jour, tu fermes les yeux, espoir qu’en les ouvrant, ça soit un autre jour. Pourquoi pas une autre époque. Un. Deux. Trois. Tu les ouvres, tournes la tête vers ton réveil. Hélas, ce n’est pas le cas. Tu souffles et sors de ton lit, à quoi bon ? Tu n’as pas vraiment trouvé le sommeil, normal. Depuis son absence, tes nuits sont courtes et ta spirale ne cesse de t’affaiblir. Un jour peut-être tu retrouveras un semblant de vie. Un jour. Tes yeux se posent sur ce petit bout de papier, ta seule communication du moment et puis tu analyses la cuisine. En temps normal, tu aurais soupiré, de désappointement, mais là. Sourcils qui se froncent, tu ne comprends pas. Machinalement tu ouvres un placard, sourcils qui froncent encore plus. Mirage ? Réalité ? Tu ne sais pas trop. Tu attrapes les deux petits bouts de papier que tu lis. Stupeur, voir surprise qui se lit sur ton visage. Est-ce que tu t’attendais à cela ? Pas du tout, comme quoi y a encore de l’espoir pour le genre humain ou du moins ta colocataire. Gentil, que tu songes, tu dois rester gentil, elle fait un effort Renfield, ne gâche pas tout. Sa voix que tu entends en toi, tes yeux qui se ferment un instant. Juste un. Tu as l’impression qu’elle est là, que sa main se pose sur ton épaule. Qu’elle se souffle ses mots à l’oreille…

@Renfield Halstead
Et si c'était ça, la clé pour que tout se passe bien ? Prendre le temps de bien ranger, au millimètre près. Ce n'est pas naturel pour Emery qui, même si elle tend à laisser des choses traîner ici et là, estime être suffisamment ordonnée pour tenir une maison propre. Les choses perdent de leur charme, quand rien ne dépasse et qu'on a le sentiment de vivre dans un catalogue Ikea. Mais soit, s'il ne faut que quelques assiettes pour que son colocataire se détende, elle prendra le temps qu'il faut pour tout ranger. D'autant plus qu'il serait dommage de tout ruiner alors qu'ils ont enfin trouvé un point commun. Emery l'a toujours dit : la musique est capable de rapprocher toutes les âmes.

@Emery King

Un pas après l’autre, tu circules dans l’appartement. Un pas en arrière, tu regardes du coin de l’œil la cuisine. Est-ce que tu es en train de rêver ou bien elle aurait enfin compris ? Il te faut un instant avant de réaliser qu’elle a effectivement tout remis à sa place. Au millimètre près, tu avances vers la cuisine pour regarder et tout est bon. Un sourire apparaît sur ton visage, peut-être que tu as été dur avec elle ? Elle a enfin compris comment on range une cuisine correctement, tu as envie de la féliciter, mais non. Il paraît que cela serait mal venu.

@Renfield Halstead
Le sac est abandonné dans l’entrée, le gobelet d’ice latte vide sur le plan de travail. Quand elle est seule dans l’appartement (c’est-à-dire, tout le temps), elle ne s’embarrasse pas des conventions ménagères. Nul besoin de tout ranger tant que son colocataire n’est ni dans les parages, ni sur le point de l’être. Tout en laissant traîner ses affaires, Emery prend le temps de ranger les plats du traiteur vietnamien dans le frigo avant d’arracher le post-it collé sur la porte de ce dernier. Aussi psychopathe soit son colocataire, force est d’admettre que celui-ci a bon goût et que la musique classique figure sur la liste de leurs points communs. C’est même le seul, pour l’instant. Et ce n’est visiblement pas suffisant pour qu’il la tutoie. Elle tique sur le vous qui la fait se sentir si vieille alors qu’elle n’est même pas à la moitié de sa vie.

@Emery King

Tu souffles. Pourquoi ? Pourquoi cette question. Tu ne comprends pas les gens, tu aimes les formules de politesse. Tu aimes vouvoyez les gens. Tu as besoin de ça, de cette constance et puis tu ne la connais pas, alors pourquoi la tutoyez ? Non, décidément tu ne comprends pas ces gens qui font tout un fromage de ce langage. Tu n’es pas ami avec tout le monde, tu ne ressens pas le besoin d’être amis avec tout le monde. Non, ce n’est pas toi. Travailler de nuit est bénéfique pour ça, tu n’as pas besoin de voir les gens, donc d’être gentil. Tu n’as pas besoin de faire copain, copain avec tes collègues. Pas besoin d’écouter leurs histoires, tu peux être toi-même.

@Renfield Halstead
Emery a laissé passer les jours sans prendre la peine de répondre aux derniers post-it de son colocataire. Une souillon. C'est ainsi qu'il l'a appelée. Une souillon. Le mot tourne en boucle dans sa tête. Evidemment, qu'Emery est vexée. Elle est de celles qu'on a qualifié de 'jolies' toute leur vie. Elle est de celles qui se sont habituées au compliment, qui prennent un air de rien quand on le leur dit mais qui ne sauraient s'en passer. Elle est de celles qui aiment plaire, qui aiment qu'on lui dise qu'elle sente bon ou qu'on complimente sa tenue. Jamais ne quitterait-elle son logement sans être un minimum apprêtée. Alors évidemment, le mot souillon bloque. Quel con. Mais ce jour-là, la brune reprend un feutre, et un post-it. Le Crime de l'Orient Express est sur la table basse du salon, terminé.

@Emery King

Il est temps de faire un tri dans toutes ces notes. Les jours passent et les notes s’entassent, ce qui est étrange puisque tu avais pris habitude de les jeter. Et aussi étrange que celui puisse paraître, ces derniers jours, tu les as gardés. Pourquoi ? Tu ne sais pas. Tu n’as pas répondu à ses derniers post-it. Tu lui as suggéré un nouveau livre en cette fin d’année, un ouvrage dont tu attends toujours un retour. Un autre Agatha Christie, tout aussi connu, qui est à tes yeux, un chef-d’œuvre. Les dix petits nègres. Tu as adoré ce roman, la tournure, l’écriture, cette auteure est un pur génie à tes yeux. Tu espères que l’histoire lui aura plu. En échange, elle t’a conseillé une autre télé-réalité. Tu grimaces toujours en regardant le petit écran, te cachant les yeux lorsqu’ils sont dévêtus. Pourquoi est-ce qu’elle t’inflige tout cela, tu te le demandes. Tu lui as pourtant expliqué que tu étais mal à l’aise, tu t’es livré sur toi-même et résultat ? Rien. À croire que ta souillon de colocataire a un sens de l’humour. Enfin d’après Lis, c’est ça, toi tu ne comprends pas. Tu penses juste qu’elle tente de t’infliger les pires sévices. Ton regard ce pose sur le calendrier, comprenant la date, tu hésites un instant. Est-ce que tu dois ? Pourtant tu sais que c’est la tradition et pour une fois, tu aimerais faire les choses comme il se doit.

@Renfield Halstead
C’est en rentrant de la première des nombreuses soirées organisées pour fêter son anniversaire qu’Emery, trop ivre pour se comporter comme une adulte, découvre le post-it laissé par son colocataire. Cela fait un petit moment qu’elle n’a pas eu de notes. Au départ, cela lui a fait du bien. Pas de souillon à l’horizon, au moins. Et puis elle a fini par se demander s’il était toujours en vie, le Renfield. Au point où elle a fini par laisser traîner une tasse : c’est lorsqu’elle l’a trouvée rangée dans un placard le lendemain qu’elle a compris que son colocataire était toujours de ce monde. Et aujourd’hui, il ressuscite. La note l’attend sur le frigo, déclenchant une ruée vers le gâteau que la brune déguste avant de répondre.

@Emery King

Ton regard qui se pose sur ces notes. Une est assez mal écrite, un peu à la va-vite et l’autre simple. Peu d’échanges ces derniers temps. Tu es responsable, faire un pas vers l’autre ce n’est pas facile pour toi. Là, tu en as fait un gros en t’excusant et la réponse est guère satisfaisante. Est-ce qu’elle se rend compte ô combien ce n’est pas simple pour toi ? Pas vraiment apparemment. Tu contemples à nouveau ces deux bouts de papier. Bientôt six mois que vous cohabitez et tu ne sais toujours pas quoi en penser. D’elle, ainsi que de la situation. C’est une souillon, ça tu n’en doutes pas, mais tu as l’impression qu’elle fait des efforts. Peut-être devrais-tu en faire toi aussi ? Tu prends une des fiches que tu as écris spécialement pour elle. Dois-tu le faire ? Lis pense que non, mais pour ton bien être, tu penses que oui. Si elle applique tes méthodes de rangement, tout le monde sera heureux. Surtout toi et c’est ce qui importe. Non, Lis a dit non, ça fait de toi un égoïste et elle doit se sentir bien ici. Une légère grimace apparaît sur ton visage, tu prends le bloc-note et enlèves le premier message. Reprendre du début.