Elle s’est octroyé une pause. Chose rare.
Car Paulina Simões s’autorise bien peu de breaks. Paulina Simões, au contraire, toujours, enchaîne. C’est plus fort qu’elle - elle ne sait pas se laisser aller, elle ne sait pas prendre le temp, elle ne sait pas se reposer. Paulina court toujours partout, tout le temps, sans hésiter, toujours bien trop occupée. Elle ne sait pas lâcher du lest. Elle a toujours bien trop à faire. Ou s’en persuade, se trouve mille et une tâches. C'est qu’elle a un boulot prenant, aussi, Paulina. Une chance de se construire une belle carrière, et elle entend bien faire de son mieux. De toute manière, les journées sont bien assez chargées pour qu’elle ne les voit pas passer. Ses amis ont du mal à comprendre, eux, qu’elle passe tant de temps à travailler et si peu à s’amuser. Alors qu’elle le pourrait. L’héritage familial lui permettrait bien assez de vivre de ses rentes, à se la couler douce les trois quarts de l’année. Mais non : Paulina a décidé de travailler, rêvant d’un job à responsabilité. Et elle y est arrivée. Grâce à maman, certes, mais elle entend bien montrer ce qu’elle vaut.
Car c’est cela, son problème, finalement. Elle n’est pas sûre de mériter ce job. Sait qu’elle doit tout à son ascendance.
Alors elle veut prouver qu’elle le mérite quand même, Paulina.

Mais pas aujourd’hui. Demain, plutôt.
Aujourd’hui, elle a sa journée pour elle, Paulina. Pas besoin de travailler, ni de trop s’en préoccuper. Elle peut juste se reposer, profiter. Et en l’occurrence, cet après-midi, elle a eu envie de faire un détour du côté du centre commercial de Brisbane. C'est qu’elle a un cadeau d’anniversaire à trouver pour sa mère, Paulina. Et elle n’a pas vraiment d’idées, la brune. Alors, après avoir traîné beaucoup trop longtemps sur Internet, elle a décidé d’aller directement sur place. De flâner dans les allées des magasins de luxe du centre commercial, en espérant trouver son bonheur.

Elle doit bien s’y trouver depuis une demi-heure.
Elle a un peu la tête ailleurs. A tort. Car, si elle avait fait attention, les choses se seraient sans doute passées différemment. Mais, après trente minutes et quelques à tourner en rond, elle finit par abandonner – décide de quitter cette boutique-là, Paulina, pour tenter sa chance dans celle d’à côté. Elle se dirige donc vers la sortie, tête haute, perdue dans ses pensées, ses talons cliquetant sur le sol, quand un bruit tout à coup l’arrête. C'est le portique de sécurité qui s’est mis à sonner – de quoi faire froncer les sourcils à la brune, qui ne comprend pas d’abord ce qu’il se passe. Jusqu’au moment où un homme s’approche d’elle. « Qu’est-ce qui se passe ? » demande-t-elle, sincèrement étonnée, prise de court. Car elle ne comprend pas le moins du monde, Paulina. Non, cela ne lui traverse pas l’esprit. Qu'on a glissé quelque chose dans son sac, à son insu.
Et pourtant.

Courage. C’est ce dont tu fais preuve pour venir vers elle, pour l’interpeler. Tu n’aurais pas dû accepter ce changement. Tu aurais dû rester de nuit, là où les chats dorment, où le monde est calme. Hélas tu as accepté ce changement et résultat tu te retrouves à pourchasser une voleuse. Une jeune femme qui semble bien sous tout rapport. Une jeune femme qui ne semble pas comprendre pourquoi tu ‘l’arrêtes’. Tu ne fais que ton devoir, tu es payé pour faire ça, arrêter les mauvaises personnes. Intérieurement, tu souffles, tu détestes les confrontations, tu n’aimes pas parler aux gens. Et là tu te retrouves en situation délicate, deux facteurs contre toi. Il faut souffler Ren, tout va bien se passer, ce n’est peut-être qu’un malentendu, tu aimerais. Prenant une grande respiration, intérieurement bien sûr, car tu ne dois pas montrer que tu es décontenancer face à elle. « Mademoiselle veuillez me suivre s’il vous plaît, » que tu lui demandes gentiment, bien sûr, tu n’es pas là pour la forcer. Elle est en tort certes, mais elle en reste pas moins un être humain et donc elle mérite le respect qui se doit. Son regard qui se pose sur toi. Qu’est-ce que tu fais là Renfield ? C’est une très bonne question. Y a encore quelques heures tu étais chez toi.

Au calme.

Le calme, ton réconfort, ça et la musique classique. Tu aimes te perdre dans les notes. Te perdre dans ce monde que Patsy t’a fait aimer. Elle te manque, tous les jours un peu plus, mais à travers la musique tu as l’impression qu’elle est là. Elle te sourit, elle s’amuse de toi. Elle te change, encore et toujours. Te pousse à te surpasser. Oui, elle te manque, cruellement, mais tu n’as pas d’autres choix que d’avancer. Tu as tout changé après sa disparation, à commencer par ton métier. Voilà, entre autres pourquoi tu te retrouves dans ce centre commercial. Pourquoi tu es là, c’est dû à ton collègue. Monsieur avait besoin de son week-end, alors le planning a changé. Qu’on se rassure, ton patron a compris que tu aimais les habitudes, il t’a demandé longtemps avant. Histoire que tu aies le temps de te préparer. Les gens de ton entourage commencent doucement à te comprendre, à capter comment tu fonctionnes. Et voilà comment tu as atterri ici à cette heure, face à cette jeune femme qui semble confuse. Vous êtes très loin de la vérité, l’un comme l’autre.

« Mademoiselle, s’il vous plaît, par-là. » tu insistes un peu plus, elle ne semble pas vouloir te suivre. Elle ne semble pas comprendre ce qui lui arrive. Ce que tu peux comprendre, c’est leur mode opératoire. Est-ce que tu songes un instant, qu’elle n’est qu’une victime dans tout ce schéma ? Non. Tu as les preuves sous tes yeux, où du moins tu as l’impression d’avoir tout vu. Tu n’as pas vu cette personne qui l’a bousculé, celle qui a glissé un objet dans son sac. « Mademoiselle, soit vous me suivez, soit vous videz votre sac ici-même. » tu te racles doucement la gorge. Tu dois montrer que tu as confiance en toi, que tu crois en tes paroles. Que tu sais exactement ce que tu fais. Est-ce que c’est le cas ? Absolument pas. Tu as une trouille bleue de la suite des événements, tu as peur qu’elle crée une émeute, qu’elle crie au scandale. Tu as appris avec le temps qu’une personne peut-être capable de tout, surtout si elle est énervée, effarée, bref qu’elle se laisse submerger par ses émotions. Ce qui semble le cas de la jeune femme face à toi. Reste calme que tu te répètes mentalement. Tu peux le faire.

La journée doit être agréable. Elle ne veut pas se stresser, elle ne veut pas penser au boulot. Entend déconnecter, autant que possible, même si ce n’est pas facile quand on exerce ce boulot-là. Mais elle est de bonne volonté, Paulina. Pense à ce que ses amis lui disent, souvent. Qu’elle ne profite pas assez de la vie. Qu’elle passe trop de temps à travailler. Elle devrait peut-être les imiter. Partir un peu plus à l’improviste pour des voyages, ou des fashion weeks de l’autre côté du globe. Peut-être. Mais elle ne peut pas lâcher son travail comme cela, Paulina. Surtout pas alors qu’elle essaie encore de faire ses preuves, de prouver ce qu’elle vaut. Parce qu’elle a l’impression de ne pas avoir réussi, encore. De ne pas avoir assez montré à tout le monde ce qu’elle valait. C'est sans doute maladif, ce besoin de perfection. Les autres ne comprennent pas vraiment. Mais elle a toujours été comme cela, elle, Paulina. Et dans le fond, même si elle essaie sans doute de noyer certains démons, elle croit que ses amis font la même chose, à leur façon. Que tous restent encore traumatisés par l’accident. Simplement, chacun a sa façon de vivre ce genre de choses. De réagir ensuite, pour avancer. Elle ne sait pas s’ils avancent vraiment, en vérité. Peut-être juste qu’ils survivent.

Elle fait la même chose, Paulina. Elle aussi choisit le déni, les trois quarts du temps. Elle, c’est dans le travail, qu’elle le trouve. Mais pas aujourd’hui. Non, aujourd’hui, elle est capable de profiter d’une journée agréable, sans travail. Et cela va bien se passer, pas vrai ? Elle va pouvoir passer de bons moments, être satisfaite de sa journée, sans revivre l’accident, sans se remémorer tout ce qu’il s’est passé. Sans être rongée par la culpabilité. Pas vrai ? En tout cas, elle essaie. Y arrive, peut-être, un tout petit peu. Jusqu'à ce que le portique de sécurité s’allume, quand elle quitte une boutique, la prenant par surprise.

Elle ne comprend pas, Paulina. Alors elle demande ce qu’il se passe. Notamment quand un homme s’approche d’elle, lui demande de le suivre, calmement. Mais elle ne comprend pas, ne veut pas. Elle n’a rien fait de mal. Pas elle, éternelle miss parfaite. Elle ne comprend pas, ne conçoit pas qu’on puisse douter d’elle. Penser sincèrement qu’elle ait volé quelque chose. Alors ce n’est pas tout à fait volontaire, si elle ne répond pas à l’agent de sécurité, ni ne réagit pas. C'est juste qu’elle est sincèrement prise de court, déstabilisée, ébranlée. Il la connaît pas, alors il ne peut pas savoir, ne fait que son travail ; mais cela la tue, véritablement, Paulina, qu’on puisse la croire capable de quoi que ce soit. « Vous ne pensez pas sérieusement que j’ai volé quelque chose ? » Ce n’est pas encore de la colère, dans sa voix. C'est de l’incompréhension. C'est peut-être un mécanisme de protection. Oui, sans doute. L’agent répète, pourtant. Lui demande encore de la suivre. Et, comme elle ne s’exécute toujours pas, il lui dit que si elle ne le suit pas, elle devra vider son sac. « Je vous suis. » réplique-t-elle, tout à coup plus agacée, irritée, et peut-être même, hautaine. Comme elle peut l’être, parfois. Souvent, même. Déformation issue de son milieu d’origine. Elle veut rester digne, malgré la honte qu’elle est en train de vivre, en suivant cet agent de sécurité dans ce magasin de luxe, sous le regard des clients. « Je vous assure que ce doit être une erreur, vos portiques doivent être défectueux. » s’agace-t-elle une fois encore, à présent qu’ils sont à l’écart de la clientèle et de sa curiosité mal placée.

Être à sa place, ce n’est pas ce que tu ressens à ce moment précis. Ce changement de quart, cette boutique, tout ceci n’est pas toi. Encore moins interpeler une personne, la confronter à son erreur. Non, tu ne fais pas cela en temps normal, tu restes dans ton petit bureau, observant les caméras. Songeant beaucoup à ce qu’aurait été ta vie, si tu avais été à sa place. Si c’était toi qui avait fait ces quelques courses, si tu ne t’étais pas défilé derrière ton travail. Tellement de ‘si’, mais jamais de réponse. À quoi bon ? Tu peux entendre la voix de ton petit ange sur ton épaule, elle a raison Jamie, à quoi bon ressasser le passé ? Tu ne peux pas le changer. Tu n’as pas le don de voyager dans le temps et puis ça servirait à quoi ? Si, tu avais l’opportunité de changer les choses, qu’est-ce que tu ferais ? Tu prendrais sa place, bien sûr. Et elle ? Tu sais que ta pensée est purement égoïste, que ce n’est pas toi, tu n’agis pas ainsi. Sauf que la douleur prend le dessus, vivre sans elle à tes côtés, c’est pire que tout. Alors non, tu ne te sens pas à ta place ici, tu appréhendes la suite de la conversation avec cette jeune femme. Son regard, le son de sa voix, tout te met en garde, vous ne venez pas du même monde. Elle pourrait te faire enfermer en un claquement de doigt, tu ressens cette sensation en lui parlant. Tu déglutis et tiens bon. Tu dois te montrer fermer, ne pas avoir peur, tu ne fais qu’exécuter les ordres. Tu ne fais que ton travail après tout, elle peut bien comprendre cela, non ?

Ton torse qui se gonfle un peu, reprenant un peu confiance en toi. On ne dirait pas comme ça, mais au fond de toi tu es mort de peur. Tu as peur qu’elle entame un scandale, qu’elle te tape, c’est aussi possible. Tout est possible dans cette situation, mais tu dois continuer à paraître sûr de toi. C’est ton rôle, tu ne fais rien de mal. Tu lui redemandes poliment, sans élever la voix de te suivre. Tu sais ce que tu as vu, les faits sont contre elle. Est-ce que tu as vu la vraie situation ? Non. Tu as juste vu cette jeune femme franchir les portiques et ces derniers qui s’allument. Peut-être une erreur, mais une vendeuse t’a signalé qu’il manque quelque chose. Tout se mélange un chouïa dans ta tête. Et si c’était une erreur ? Et si elle avait raison ? Tu n’aimes pas avoir le mauvais rôle dans l’histoire, mais là, pas le choix. Elle accepte. Elle émet une nouvelle hypothèse. Et si elle avait raison ? Ceci ne va pas aider tes pensées, absolument pas.

Tu souffles à nouveau, ton torse qui se gonfle un peu plus. Tu ne fais rien de mal que tu cesses de te répéter mentalement. « Mademoiselle, je vais devoir vous redemander d’ouvrir votre sac, » ton regard qui se pose sur elle. Vous êtes à l’abri des regards à présent, tu ne fais que ton travail Renfield. Tu ne fais rien de mal, pourtant tu penses qu’elle a fait quelque chose de mal. « Concernant les portiques, ils fonctionnent très bien et oui je pense que vous avez volé quelque chose. » Tu viens de dire cela sans sourciller, tu peux le faire. Pourquoi elle t’effraie autant ? Peut-être parce que la peur ne te quitte pas. Tu as déjà vu des gens de son monde détruire ceux tiens en un claquement de doigt. Alors oui tu as peur et non tu n’associes pas tous les gens fortunés , tu n’aimes pas catégoriser les gens. « Mademoiselle … s’il vous plait. » respire, expire. Et si elle était innocente ? Et si les portiques fonctionnaient mal ? Voilà, elle s’est infiltrée dans ta tête et tu n’arrives pas à voir la vérité. Et si tout ceci n’était qu’un malentendu ? C’est une éventualité, mais pour le moment tu te fies aux faits, elle est coupable.

Elle est sortie faire un tour pour se changer les idées. Changer d’air, aussi.
Elle en avait besoin. Ne voulait pas tourner en rond, chez elle. À ressasser, à tout se repasser en boucle. À trop penser à Scott. À leur dernière conversation. Et s’il disait la vérité ? Et si toujours, il l’aimait ? S’il n’avait pas vraiment accepté l’argent pour la quitter ? Elle déteste qu’il soit ainsi entré dans sa tête. Déteste autant y penser, quand elle voudrait juste oublier. Alors non, dans le fond, elle n’arrive pas tout à fait à se changer les idées, Paulina. Et si encore, elle pouvait se contenter de faire son shopping sans se poser trop de questions, ce serait déjà un bon début. Mais il faut forcément que cela foire, à un moment ou l’autre. Et elle n’avait rien vu venir, la brune. Peut-être a-t-elle manqué d’attention, trop distraite, trop perdue dans ses pensées, si bien qu’elle n’a absolument rien remarqué. Alors elle ne comprend pas pourquoi les portiques sonnent, quand elle sort, Paulina. Elle comprend encore moins quand l’agent de sécurité s’approche d’elle et lui demande de le suivre, même.

Paulina refuse de voir les choses en face.
Pourquoi le ferait-elle ? Il n’y a rien dans son sac.
Elle n’a pas volé. N’a pas besoin de le faire. N’a pas développé non plus une tendance à voler juste pour le plaisir. Non, elle est plus du style à acheter sans compter – quoiqu'elle ne batte pas le record détenu par Hasan. Mais, en tout cas, elle a largement les moyens d’acheter quelque chose dans cette boutique de luxe. Elle n’a pas trouvé son bonheur aujourd’hui, voilà tout. D'abord, elle proteste. Mais l’agent insiste, et de mauvaise grâce, elle finit par le suivre. Elle refuse d’accepter qu’on la croie coupable de vol, cependant. Blâme alors les portiques, car elle ne voit pas autre chose. L'agent de sécurité rétorque qu’ils fonctionnent très bien. Ajoute qu’il pense qu’elle a volé quelque chose – de quoi piquer la brune pour de bon. « Je n’ai rien volé, je n’ai absolument pas besoin de le faire mais il n’y avait absolument rien dans cette boutique qui m’intéressait, de toute façon. » réplique-t-elle, un brin d’arrogance dans la voix. Elle se sent humiliée, Paulina, d’être ainsi qualifiée de voleuse. Parce qu’elle n’a absolument rien fait. Et elle entend bien le prouver. « Très bien. » finit-elle par plier, posant son sac à main sur une table pour l’ouvrir, sûre d’elle. Pourtant, quand elle l’ouvre en grand, de façon bien visible pour l’agent qui l’accompagne, elle est surprise de constater qu’un bracelet s’y trouve. Et la stupéfaction se lit aussitôt sur son visage, Paulina n’en croyant pas ses yeux. Tant et si bien qu’elle reste là, quelques secondes, bouche-bée. « Ce n’est pas moi ! » s’empresse-t-elle de s’exclamer. Elle est effarée, mais surtout, elle déteste apparaître aussi coupable alors qu’elle n’a rien fait.

Pourquoi tu travailles là ? C’est une très bonne question, tu n’as pas le profil pour ce genre de travail. Pas qu’on est besoin d’un profil, tout le monde peut faire le métier qu’il désire. C’est ce que tu penses, mais toi tu aimes l’ordre, être dans ta bulle. Tout l’opposé de ce genre de métier, la preuve, tu dois agir avec force. Tu aimes l’ordre, mais pas de cette manière, toi c’est plus l’organisation. Alors pourquoi tu te retrouves ici ? Patsy. Douleur qui apparaît dans ton estomac rien qu’en songeant à ta femme. L’amour de ta vie, celle que la vie t’a repris. Tu chasses cette pensée, parce que ça te tue à petit feu. Si tu es là, c’est pour qu’une personne ne vive pas ce que tu endures depuis ce jour. Tu ne désires pas qu’un autre homme subisse les conséquences d’un tel acte. Voilà pourquoi tu as décidé d’être agent de sécurité. Pour protéger un couple, tu as l’impression que c’est bien ce que tu fais. Sortir de tes chiffres pour être dans le monde réel. Bon qu’on se rassure, en temps normal tu surveilles la nuit. Ça n’aurait pas dû être toi. Ça aurait dû être ton collègue, lui aurait mieux assuré que toi. Tu tentes de garder une contenance, mais c’est dur. Tu es mort de trac, que dire ? Elle t’effraie un peu, sa manière d’être, ses paroles. Tu sens que ça va être compliqué et tu comprends à ses paroles qu’elle vient d’ailleurs. Ne pas juger. Ne pas juger la personne qui se trouve en face de toi. Tu te racles la gorge, la preuve éclate au grand jour. Tout es là. Elle ne peut le nier. Et si ? Non, il faut que tu arrêtes de songer à tout ça. Si, ce n’était pas elle ? Sauf qu’avec des ‘si’ on pourrait refaire le monde, tu en es conscient. Parce que tu as appliqué ce ‘si’ beaucoup de fois dans tes méandres. Si tu avais fait les courses au lieu de Patsy… elle serait encore là. Ne pense pas à ça Ren, tu es au travail.

« Tout le monde dit ça, pourtant les faits sont là. » que tu dis, la trouille au ventre. Oui, tu as peur. Tu as peur de te retrouver dans ce genre de situation. Tu sais que ce métier n’est pas fait pour toi. Sauf que tu tiens bon. « Je vais devoir appeler la police. » des phrases que tu as apprises lors de ta formation. Faire peur, avant de marchander. Elle pourrait te dire que tu es la police, que c’est toi qui représentes les forces de l’ordre. Elle n’a pas tort. « Est-ce que vous avez une explication ? » et si elle n’y était vraiment pour rien ? Si, tout ceci n’était qu’un coup monté ? Pourtant tu as bien vu sur les caméras, ainsi que les portiques, tout est contre elle. Tu comprends bien à sa tête, qu’elle ne comprend pas la situation, vous êtes deux. Pourtant les faits sont là, elle est coupable. Elle doit se faire une raison et toi, toi tu dois jouer les méchants. Parce que oui, tu n’es pas dans la bonne position. Réprimander une personne, qui aime ça ? Pas toi. « Vous n’êtes pas la seule à ne pas avoir les moyens de s’offrir ce genre de chose… ou alors vous êtes malade. » supposition, encore, toujours, mais tu ne veux pas spéculer. D’un côté, tu dis vrai, des gens n’ont pas les moyens de s’offrir certains objets donc ils volent. Et d’autres ? Eh bien, ils ont ce besoin de voler, la cleptomanie est reconnue de nos jours.

Elle a tout à fait sa place dans ce magasin, Paulina. C'est ce qu’elle se dit, en tout cas. Elle est légitime à cet endroit. Parce qu’elle a les moyens de payer. Parce qu’elle n’est pas dans le besoin, parce qu’elle vient d’une famille (très) aisée. Non, elle n’est pas à plaindre, la brune. Loin de là, même. Et même si elle ne veut pas abuser de ses privilèges, c’est un peu hypocrite de sa part. Elle peut se montrer hautaine, parfois. Elle peut se montrer arrogante, même, Paulina. Elle peut être ce cliché vivant du milieu dont elle vient, finalement. Elle n’est pas aussi modeste qu’elle le prétend – autant que ses amis, elle apprécie ce luxe dans lequel elle a grandi, dans lequel elle évolue, qui lui permet de vivre confortablement, qui lui a offert nombre de portes. Elle est le cliché de la petite fille riche, même si elle n’est pas aussi capricieuse et prétentieuse que d’autres. Mais, oui : sa modestie peut parfois n’être qu’une façade. Qu'un genre qu’elle se donne, Paulina. Et cela ressort, cela la trahit, dans des moments comme celui-là : quand on l’accuse de quelque chose qu’elle n’a pas fait, poignardant en plein cœur son ego.
Mais, peu importe l’origine sociale, est-ce que n’importe qui ne serait pas vexé en se retrouvant précisément dans ce genre de situation ?

C'est le cas de Paulina, présentement, en tout cas. Mais le pire, c’est qu’elle ne comprend pas. Elle est là, ébahie, quand elle découvre le bracelet présent dans son sac. Pourtant, ce n’est pas elle, comme elle s’évertue encore à le dire à l’agent qui ne la croit pas une seule seconde. Alors, pour une fois dans sa vie, Paulina expérimente le douloureux sentiment d’injustice. Mais l’agent continue, l’enfonçant, de quoi accroître l’agacement de Paulina – son désespoir, surtout, plus qu’autre chose. Car c’est cela qui domine par rapport à la colère, quand elle comprend qu’il ne la croit pas, alors qu’elle n’a rien fait. « Je ne sais absolument pas ce qu’il fait là, je n’ai rien fait. » répète-t-elle encore, avec moins de verve, décontenancée, perdue, presque hébétée. Dans le fond, cela se voit : elle ne comprend pas. Elle en vient à se demander si, par mégarde, elle a pu accrocher un portant ou quoi que ce soit d’autre, se mettant doucement à douter d’elle-même. Chose rare. Pire : et si elle avait machinalement pris le bracelet, sans même s’en rendre compte, parce qu’elle était ailleurs ? Ce genre de choses arrive, non ? Mais son sang ne fait qu’un tour quand l’agent de sécurité annonce qu’il va devoir appeler la police. « LA police ? » Elle ne peut tolérer cet affront, cette humiliation, alors qu’elle n’a rien fait, Paulina. « Non, parce que je vous le redis : ce n’est pas moi qui ai mis ce bracelet dans mon sac. » répète-t-elle, plus calmement, posément. Elle réfléchit à toute allure, Paulina, pour tenter de trouver un moyen de démontrer son innocence. « Vous n’avez pas de caméra de surveillance ? Vous verrez bien que je n’ai pas mis ce bracelet dans mon sac. » fait-elle, croisant les bras. Sa question est rhétorique – elle sait bien qu’il y a des caméras de surveillance, Paulina. Puis elle croit halluciner en entendant les mots de l’agent, qui avance qu’elle n’aurait pas les moyens de s’offrir ce genre de bracelet. « Je ne vous permets pas de faire ce genre de suppositions. » réplique-t-elle, au comble de la condescendance. « J’ai parfaitement les moyens de me l’offrir, et même des dizaines d’autres. » Foutue gosse de riches qui s’en vante, qui ne vaut finalement pas mieux que les autres. Peu importe les belles histoires qu’elle se raconte.

Les mots qui sortent de ta bouche sont durs, tu en es conscient. Ce n’est pas dans tes habitudes, tu ne t’occupes pas de ce genre d’affaire en temps normal. C’est à ce moment que ton petit bureau te manque. Ton ancienne vie te manque. Celle où tu te tairais dans un clapier, que tu passais tes journées derrière un ordinateur. Cette vie-là est loin derrière toi, très loin. À présent, tu dois faire face à ce genre de situation, gérer des clientes qui volent ou qui mentent. Le protocole ne t’a pas aidé sur tout ça et encore moins les manuels. Tu te racles doucement la gorge, tentant de calmer tes mains. Tu trembles, un peu trop à ton goût. Tu ne dois pas baisser le regard et flancher. Tu es l’autorité, c’est toi qui dois mener la danse. Et ça. Ça tu ne sais pas faire, absolument pas. Tu n’as pas l’habitude d’exercer de l’autorité ou de te montrer. Tu es timide, calme et aime être dans ton coin, l’opposé de ce que tu dois faire là. Respirant un bon coup, tu lui as expliqué les faits. Tu dois téléphoner à la police, c’est dit dans le protocole. Tu dois les appeler en cas de litige ou enfreins au règlement. Et c’est ce qui se passe à ce moment précis. Elle a volé, le dit bracelet se trouvait dans son sac. Puis les caméras la montre bien entrain de quitter les lieux assez rapidement. Les portiques fonctionnent, alors il ne reste qu’une hypothèse : elle. Tous les chemins mènent à elle. Tu pourrais songer à l’idée qu’une tierce personne l’a bousculé et mis le bracelet dans son sac. Tu pourrais songer à ça, mais ce n’est pas l’idée qui émerge dans ton cerveau.

« Si ce n’est pas vous, qui aurait pu mettre le bracelet dans votre sac ? Il n’est pas arrivé ici par hasard. » regard droit, torse un brin bombé. Tu peux le faire, tu dois tenir ce rôle, celui qui est le tien à présent. Tu es la figure d’autorité ici, tu ne dois pas flancher. « les caméras vous montrent entrain de sortir assez rapidement. » tu t’approches des vidéos, lui montrer qu’elle est coupable ? C’est une bonne idée, ça peut aussi te montrer qu’une autre hypothèse est en jeu ici. Qu’elle est victime d’un coup monté. Tu t’installes et passes la scène pour la jeune femme. Tu ne reviens pas sur ses propos, une gosse de riche, encore une. Tes collègues t’ont prévenu sur ce genre de clientèle, par moment ils ont les mains baladeuses. L’envie de prouver qu’ils peuvent jouer les durs. Tu ne flanches pas pour autant, rester fort, rester dur, même si c’est l’opposé de ce que tu es. Tu n’es pas ce genre de gars, bien au contraire, mais tu n’as pas le choix. C’est ton rôle, toujours ce rôle. Ce masque que tu mets au quotidien, celui de l’homme qui va bien. Alors que c’est faux. « je peux comprendre que vous soyez confuse, mais nous ne pouvons pas en rester là. » tu pourrais lui proposer de payer le fameux bracelet, de ne plus lui demander de revenir ici durant un certain laps de temps. « vous voyez, il s’agit bien de vous. » tu tournes ton écran pour qu’elle puisse se contempler. Les preuves sont là, et c’est aussi à ce moment là, que tu remarques l’autre jeune femme. Est-ce qu’elles sont deux dans le coup ? Ne pas flancher.

tw : accident mortel, homicide involontaire.
Ces derniers temps, elle est plus tourmentée qu’elle ne le voudrait. Elle aimerait être un roc, Paulina. Elle aimerait demeurer forte, indifférente, inflexible. Pouvoir poursuivre sa vie comme si de rien n’était. Avoir déjà oublié Scott, aller de l’avant. Elle aimerait surtout ne pas se laisser ralentir par cette rupture, ou par n’importe quel obstacle de la vie. Comme cet accident qui a ébranlé tout son groupe d’amis – jusqu’à y semer la discorde, en exclure un membre. Mais ce n’est pas comme cela, la vie. Elle peut bien prétendre être forte, assurée, hautaine, ce ne sera toujours qu’une apparence. Elle est la première à avoir mal vécu ce fameux accident, à ne pas avoir voulu mentir, à avoir détesté que Hasan porte le chapeau. Maintenant, on ne se remet pas de tout cela en un claquement de doigts. Trois ans ne suffisent pas à cela, ne suffisent pas à oublier, à faire comme si cela n’avait pas existé. C’est la même chose avec Scott. Elle a beau faire comme si elle n’avait pas besoin de lui, Paulina, elle a beau prétendre que cela n’a pas d’importance, ce n’est pas le cas. Cela l’ébranle. Elle n’y peut rien. Elle doit prendre le temps qu’il faut pour tourner la page. En attendant, cela arrive de ne pas tenir le coup. Cela arrive d’être tourmentée.

A présent, elle se met à douter. A se demander si, à cause de tout cela, elle pourrait faire des choses dont elle ne se souvient plus. Si elle pourrait en venir à voler, mais à être tellement dans le déni, qu’elle oublierait. Alors, face à cet agent de sécurité, sa confiance en elle faiblit peu à peu. Elle essaie de ne pas le montrer, Paulina, mais elle doute. Elle n’a, tout à coup, plus foi en elle-même – elle, autrefois douée en persuasion, si douée avec les journalistes notamment, quotidiennement. Là, soudainement, tout ce quoi elle croyait avoir foi, s’effondre. Pourtant, elle essaie de garder la face face à cet agent. De ne pas se démonter. Elle est obstinée, mais surtout de plus en plus désemparée. Rongée par ce sentiment d’impuissance, mêlé au doute qui l’emplit peu à peu. Puis il y le mot qui donne le ton, fait prendre conscience de la gravité de la situation : la police. Le mot qui rappelle l’accident, rappelle sa culpabilité, sa responsabilité dans une autre chose. Elle insiste, Paulina, encore et encore, répétant qu’elle n’a pas mis ce bracelet dans son sac. L’agent lui demande qui aurait pu le faire, alors. « Moi aussi, j’aimerais bien le savoir ! » s’évertue-t-elle encore, cependant, à rétorquer. Elle arrive à court d’arguments, pourtant, Paulina, ne sait plus quoi faire pour prouver son innocence. Elle le voit bien, qu’il ne la croit pas. Pour lui, l’évidence est là. Elle hallucine quand il l’accuse d’être sortie rapidement, comme si c’était un tort, comme si cela suffisait à lui donner l’air coupable. « Et ? C’est un crime ? » s’agace-t-elle encore. « Je n’ai pas pour habitude de marcher à deux à l’heure, je ne vois pas en quoi sortir rapidement m’incrimine. A mon avis, si j’avais vraiment voulu voler ce bracelet, je serais sortie tranquillement pour éviter d’attirer l’attention ! » C’est simple, à ses yeux : si elle avait voulu le voler, elle s’y serait prise plus intelligemment. Pour elle, c’est trop bête, trop facile, trop évident, comme façon de faire. Bientôt, Paulina, elle remonte sur ses grands chevaux en arguant que si elle avait voulu ce bracelet, elle aurait pu se le payer. Au moins, l’agent accède à sa demande et visualise les images des caméras de surveillance. Mais Paulina s’agace du moindre mot qui sort de sa bouche – alors que dans le fond, elle le sait, il ne fait que son travail. Ce n’est pas tout à fait contre lui, qu’elle en a. « Confuse ? » répond-elle, en manquant de s’étouffer. Pourtant, c’est la vérité. En ce moment, elle est confuse, perdue, tourmentée – même si elle ne veut pas l’avouer. Elle regarde quand même les images et l’agent lui fait remarquer que c’est bien elle. Elle ne répond rien, Paulina, fronçant les sourcils, paniquée intérieurement à l’idée d’avoir volé sans s’en rendre compte – perdrait-elle l’esprit ? Ou bien serait-elle à ce point dans le déni ? Mais alors, elle voit une autre femme. « Vous pouvez remettre un peu en avant ? S’il vous plaît ? » demande-t-elle, presque en le suppliant. « Il y a quelqu’un d’autre, regardez ! » Elle observe attentivement la suite, espérant trouver la preuve de son innocence.

Cette situation te déplaît. Tu n’aimes pas avoir le mauvais rôle. Tu détestes annoncer des nouvelles. Et le pire là-dedans, tu n’aimes pas discuter avec les gens, batailler, trouver des arguments. La prochaine fois, tu diras non pour un changement de poste. Tu aimes travailler la nuit. Tu aimes croiser personne, être dans ta bulle. Tu déglutis, tu n’aimes vraiment pas cette situation. Tu vois bien qu’elle s’énerve. Sauf que tu ne fais qu’appliquer le code. Tu appliques ce que le livre, ainsi que la formation t’ont enseigné. Tout est fonctionnel. Tout est en ordre. Si tu suis la logique, elle est coupable. Tu ne vois pas d’autres explications. Tu donnerais n’importe quoi pour te trouver ailleurs. Tu es pratiquement sûr que tes autres collègues régleraient mieux ce problème. Un contre-temps, comme dirait certains. Prenant une grande inspiration, tu peux y arriver.
Elle ne mâche pas ses mots, elle va droit au but. Tu respires intérieurement. Tu peux le faire Renfield. Inspire, expire. Est-ce que c’est un crime ? Tu aimerais dire non, comme elle le souligne. Ce n’est pas un crime de marcher rapidement, de sortir vite d’un magasin. Tu vois que tu es en train de perdre la main. Tu dois garder le ‘pouvoir’, c’est ça qu’ils disent dans ton livre. Ne pas montrer au coupable que tu es dans son camp. Tu peux le faire. Régler tout ça rapidement, tu hésites un instant avant d’appeler la police. Peut-être que revoir les images de sécurité t’aideront. Et puis son regard pourra peut-être apporter quelque chose de nouveau. Tu as peut-être loupé un détail. Sûrement. Ou pas. Tu ne sais plus. Tu as envie de la croire, elle n’a pas l’air méchante. Juste d’un autre milieu. Un milieu qui lui offre ce qu’elle désire, ce qui n’est pas logique de voler. Sauf que la logique pour certaine personne… c’est différent. Tu as déjà vu des princesses voler juste pour l’adrénaline. Aussi bien c’est sa passion. Tu souffles intérieurement, ne répondant pas à ses remarques. Cela ne sert à rien d’attiser un peu plus le feu. Tu vas lui montrer qu’elle est coupable, appeler la police et l’histoire sera fini. Voilà.

Les images passent sous vos yeux et elle te demande de ralentir ou plutôt de revenir en arrière. « Deux secondes, je vais zoomer, si je peux. » elle veut te montrer qu’elle n’est pas seule. Qu’une personne l’a frôlé et qu’elle est sortie. Tu mets sur pause. Quoi faire dans ce genre de situation ? Elle te regarde, puis les images, tu fais les deux. Tu dois réagir Renfield. « bon, on peut penser qu’elle a hypothétiquement mis le bracelet dans votre sac. » tu vois bien que son regard n’est pas encourageant pour la suite. « Et comme le bracelet est là, que vous semblez de bonne foi, je peux vous laisser repartir. » vous avez tous les deux des choses à faire. Toi, tu as envie de retourner dans ta bulle, qu’on te laisse tranquille. Tu n’aimes pas cette situation, tu la détestes même. Et elle ? Eh bien tu présumes qu’elle aimerait être ailleurs, partout sauf là. « Je vais vous laisser partir, mais faites attention la prochaine fois. » que tu rajoutes, plus pour elle que pour toi. Tu recules le siège et pars en direction de la porte. Est-ce que tu dois la raccompagner. « Je pense que j’ai pas besoin de vous raccompagner. Désolé pour le désagrément. » tu fais un petit sourire, gêné par la situation. Tout est bien qui finit bien. Elle n’est pas la voleuse et tu n’as pas besoin d’appeler la police. Tu reprends place dans le fauteuil, plus que quelques heures et ce cauchemar prendra fin pour de bon. Décidément la journée ça te réussit pas. Tu aimes bosser de nuit, tout est plus calme et paisible. Assurément.