Elle poursuit sa vie. Comme si de rien n’était. Comme si elle ne s’était pas fait briser le cœur. Elle refuse de laisser cela l’arrêter, Paulina. Elle refuse de se laisser freiner. Elle est un peu fleur bleue, pourtant. Mais elle a cessé d’espérer que Scott reviendrait, lui donnerait une explication valable, quelque chose qui arrangerait tout, quelque chose qui leur permettrait d’être à nouveau ensemble. Elle n’a plus envie de cela, à présent. Elle a cessé d’espérer parce que la rancune a pris le pas sur tout le reste. Elle ne lui courra pas après. Elle se veut mieux que cela, trop fière, indépendante – elle veut montrer qu’elle n’a pas besoin de lui, qu’elle ne se soucie pas de lui. Alors évidemment, elle n’est pas revenue vers Scott depuis qu’ils se sont recroisés près de la grande roue, là où ils allaient si souvent quand ils étaient ensemble. Pourquoi faire ? Ses explications ont été vagues, sans queue ni tête, n’ont rien donné. Elle n’allait pas rester à attendre quelque chose qui ne viendrait jamais. Elle n’allait pas, une fois encore, lui courir après. Alors Paulina n’a pas cherché à le recontacter. À quoi bon ? Elle préfère mimer l’indifférence.
C'est ce qu’elle a fait, quand lui-même l’a recontactée.

Il voulait la voir, il voulait lui parler. Lui proposait de venir chez lui le retrouver.
Au début, elle ne savait pas trop quoi faire. Ne savait pas si elle voulait venir, si elle voulait rester à distance. Si elle voulait lui répondre, ou l’ignorer. Finalement, Paulina, elle ne s’est jamais décidée. Jusqu’au dernier moment, elle a hésité. Parce qu’elle se disait qu’il ne méritait pas qu’elle se déplace. Parce qu’elle se disait qu’elle ne voulait pas – encore – écouter ses salades. Qu'elle n’avait pas de temps à perdre, à lui accorder.

Alors, au dernier moment, la voilà qui arrive chez lui. L'heure qu’il a proposée est déjà dépassée. Elle s’en fout. Prend tout son temps pour arriver devant la porte de son appartement. Et dire qu’ils prévoyaient de s’installer ensemble. Bientôt, la voilà qui frappe vigoureusement à la porte pour signaler sa présence. Porte qui s’ouvre. Scott qui lâche qu’elle est là. Sans doute ne l’attendait-i plus, à ce stade. Peut-être ne s’attendait-il même pas à ce qu’elle vienne, puisqu’elle n’avait pas répondu. Elle se pointe en retard comme une diva, diva qu’elle est pour de vrai, au fond, Paulina. « De toute évidence. » se contente-t-elle de répondre, fermée. Sans esquisser un seul sourire. Pourquoi faire ? Elle n’est pas ravie d’être là. Elle ne sait même pas pourquoi elle est venue. Moment de faiblesse, peut-être. Infime lueur d’espoir. Celle qu’il ne mérite pas. Il l’invite à entrer ; elle s’exécute, sans un mot. Une fois à l’intérieur, elle reste droite, silencieuse. Hautaine. Attend qu’il reprenne la parole, ce qu’il fait. La remercie d’être là. Lui propose à boire. « Ça dépend, t’as quelque chose de fort ? » lâche-t-elle avec un rire ironique. Quelque chose de fort, comme pour souligner qu’elle en a besoin, vu la situation. « Je peux ? » fait-elle en désignant le salon, avant de se diriger vers celui-ci. « Je me permets, je connais le chemin. » ironise-t-elle alors, la brune. Comme pour enfoncer le clou.

Ils ne sont pas du même monde.
Et Paulina entend bien le lui faire sentir, le lui rappeler.
Paulina entend bien faire sa diva, sa princesse pourrie gâtée.
Celle qu’elle a véritablement été.

Ils ne sont pas du même monde.
Finalement, cela a fini par les séparer. L’argent. Le truc qui reste une différence entre eux, depuis le début. Ils ont eu beau faire comme si cela n’avait pas d’importance, ce n’est pas vrai. Ils ne sont pas du même monde, ils n’ont pas la même famille, ils n’ont pas eu la même enfance, la même éducation, la même vie. Elle est née avec une cuillère en argent dans la bouche, Paulina. Elle, elle n’a manqué de rien. Elle a peut-être même eu trop. Comme n’importe qui, elle a connu ses malheurs, ses maux – mais les siens sont moindres. Parce qu’elle est privilégiée, Paulina. Et elle pensait que l’argent ne se mettrait pas entre eux, naïvement. Pourtant, c’est ce qui est arrivé. Elle se retrouve à être presque plus en colère contre Scott pour avoir accepté, que contre ses propres grands-parents, pour l’avoir proposé. Scott prétend cependant ne pas avoir accepté l’argent pour la quitter – pourquoi, alors ? Parce qu’il l’a pris quand même, alors cela ne change rien, aux yeux de Paulina.

Pourtant, elle est venue.
Mais pas de bonne grâce. Et sans avoir répondu à son message.
Elle vient en diva, elle vient en princesse. Elle vient pour faire chier, faire mordre la poussière. Elle vient, avec sa condescendance, cet air hautain qu’elle avait, peut-être, quand ils se sont rencontrés déjà. Celui qu’elle affiche encore, à d’autres, parfois. Paulina reste Paulina. Paulina reste une gosse de riches, derrière sa gentillesse, sa générosité et son empathie. Cela signifie donc, qu’elle a des défauts. Et pas des moindres. Scott doit bien le savoir, après avoir partagé sa vie deux ans durant. Et s’il l’a oublié, alors il ne veut désormais que s’en rappeler, étant donné comme elle se comporte actuellement, Paulina. A peine arrivée, et déjà à le juger depuis son piédestal. Il lui propose à boire et elle ne peut pas lâcher son ironie, la brune. Lui demande s’il a quelque chose de fort, parce qu’elle en a besoin pour soutenir cette conversation. Voilà ce qu’elle sous-entend. Scott ne se démonte pas, cependant. Elle lui doit bien cela : il a du courage encore pour lui faire face. Pour endurer sa rancœur. « Tequila, soyons fous. » ironise-t-elle, Paulina. Elle essaie de faire bonne figure, mais elle a désespérément besoin d’un truc fort, en réalité. D’un truc même qui pourrait la faire oublier. Parce que la rancœur fait mal, et elle n’arrive pas à lâcher du lest. Elle est entrée en tout cas, pour faire comme chez elle, dans cet appartement où elle a passé tant de temps. Ils auraient dû avoir le leur, si seulement Scott n’avait pas tout gâché. Bientôt, les verres sont là. Bientôt, Scott reprend son discours habituel et elle ne peut que lever les yeux au ciel. Peste capricieuse. « J’entends beaucoup d’excuses, beaucoup de c’est compliqué, et pas beaucoup d’explications. » rétorque-t-elle. Mais Scott s’explique, un peu. Scott mentionne un problème familial. « Un problème familial ? » Elle connaît son rapport à sa famille. Elle connaît son histoire. Du moins, une partie. « C’était dangereux, sérieusement ? » Elle s’agace. Mais elle est curieuse, Paulina. S’inquiète un peu aussi, malgré elle. Paraît finalement plus intéressée qu’elle ne le voudrait. « On était à deux doigts d’emménager ensemble et t’es même pas capable de me dire toute la vérité. T’as préféré me tenir à l’écart de ce qui s’est passé, peu importe ce que c’est. » Son problème familial, dangereux. Pour elle, ce n’est que du flan, des excuses encore bidons. Elle ne le croit pas vraiment, au fond.

Elle n’a pas pu s’en empêcher. De venir, de lui parler. Trop curieuse de voir les réponses qu’il lui apporterait, ce que Scott lui dirait. Quelles excuses il se trouverait. Et en même temps, elle savait qu’elle entendrait de quoi l’énerver. Si seulement elle daignait l’écouter. Pour cela, ce n’est pas encore gagné. Paulina se sait en position de force ; Paulina a décidé de faire chier. Paulina a décidé de ne pas plier, de ne pas laisser Scott gagner. Mais elle n’a pas pu s’empêcher de venir. Elle aurait pu le ghoster jusqu’au bout, puisqu’elle n’avait même pas répondu à son message. Elle aurait pu lui faire ainsi comprendre qu’elle n’attendait plus rien de lui. Qu’elle tournait la page. Qu’elle ne voulait plus entendre parler de Scott. Mais non, elle est venue, Paulina. Une partie d’elle s’en veut – d’être si faible, d’être pathétique, d’avoir l’impression de lui courir après. De lui accorder encore trop d’attention, d’intérêt, alors qu’il ne le mérite plus, le brun. Il l’a déçue ; il l’a trahie. Il lui a planté un couteau dans le dos. Elle s’en fiche, de ses mots doux, ses déclarations. Elle n’y croit plus vraiment. Pense qu’il s’est fichu d’elle, depuis le début, finalement. Elle n’arrive plus à le croire, à présent, et remet tout en question. Toute leur histoire, depuis le début.

Il la sert. Un truc fort, comme elle le lui demande. De la tequila, qu’il sert dans deux verres, en buvant le sien cul sec. Paulina ne tarde pas à l’imiter. Elle en a bien besoin, en vérité. De se détendre, de sentir l’alcool s’infuser dans ses veines. Puis Scott reprend la parole. Elle ne retient pas un rire amer, d’abord. « Sérieusement ? Tu vas me faire ce numéro-là ? » Mais ils ne sont pas du même monde, c’est évident. Ils l’ont toujours su, autant l’un que l’autre. Cela s’est mis entre eux, parfois. Cela a pu donner naissance à des conflits. Elle demande de vraies explications, Paulina. Elle reste droite, insensible en apparence, à son pardon. Ne répond pas, se contente de rester silencieuse. Jusqu’à la provocation sur sa famille. « Va t’faire foutre avec tes jugements, Scott. Tu sais rien de qui j’crois ou non ! » Elle en veut à ses grands-parents, Paulina. Elle n’a pas pardonné. Elle ne s’est pas remise du couteau dans le dos que eux aussi lui ont planté. Mais cela ne regarde pas Scott, ne le regarde plus. Elle n’a pas besoin qu’il en rajoute, ni qu’il inverse les rôles. Ce qu’elle veut, là, surtout, ce sont des explications. Ce que Scott ne tarde pas à lui donner – même si elle ne peut s’empêcher d’halluciner. Elle essaie cependant de ne rien en montrer. D’écouter jusqu’à ce que Scott ait terminé. Elle fronce les sourcils, malgré tout. Et peu à peu, le doute l’envahit. Quand enfin il finit de tout lui raconter, elle laisse le silence s’installer. Elle a besoin de temps, Paulina, pour digérer. Pour encaisser le coup. Comprendre tout ce qu’il lui dit, également. Elle libère cependant vite sa main de la sienne en reculant. Contact bref qui lui a fait l’effet d’une décharge électrique. « C’est tout ce que tu as trouvé à inventer ? Quelle imagination. » répond-elle finalement, glaciale. Elle s’est convaincu qu’il disait n’importe quoi. Pourtant, le doute subsiste, même si elle ne l’avouera pas. Pas si facilement, en tout cas. « D’abord : j’ai pas besoin d’être protégée. » Ou peut-être que si, mais elle préfère prétendre le contraire. « Et si c’est vrai, ce que tu racontes, alors je ne comprends pas que tu n'aies rien dit, danger ou non. Tu leur as fait croire que tu allais me quitter ? Tu as disparu sans rien me dire, tu as cru que j’allais penser quoi, au juste ? Ça ressemblait pas assez à une rupture, pour toi ? » Il y a la colère dans sa voix et ses yeux, il y a aussi la douleur, il y a aussi l’incompréhension. Pour une fois, Paulina descend un peu de son piédestal, moins froide, moins hautaine, moins indifférente qu’elle n'en avait l’air. Peu importe les raisons de Scott, au fond. Le problème reste le même : il l’a tenue à l’écart de tout cela.

Paulina se croit en position de force, se croit au-dessus de tout. Pour elle, c’est une évidence : Scott est coupable. Scott a mis un terme à leur relation, Scott a détruit tout ce qu’il restait de leur histoire. Cela ne veut pas dire qu’il a eu envie de le faire, qu’il a cherché un moyen de tout réduire à néant. Non, cela, elle n’en doute pas, Paulina : il n’a peut-être pas vraiment voulu la quitter. Mais ce qu’elle lui reproche, c’est de ne pas avoir fait les choses correctement. De s’être laissé soudoyer – mais surtout, de ne pas lui en avoir parlé. D’avoir décidé cela tout seul. De n’avoir jamais songé à lui en toucher un mot. Non, dès le début, cela semble être apparu inconcevable aux yeux de Scott. Il n’a pas voulu l’y mêler, il a voulu sans doute la protéger – ce que Paulina n’a jamais demandé. Alors elle est en colère, elle est rancunière, pas disposée à pardonner. Elle est quand même venue. C’est peut-être de la faiblesse, c’est aussi qu’elle est humaine : elle a besoin de réponses. Besoin de comprendre. Besoin d’essayer, même si elle n’en a pas l’air. Elle veut comprendre ce qui l’a poussé à le faire. Alors même si on ne dirait pas qu’elle écoute, qu’elle a son idée toute faite de la situation dans sa tête, ce n’est pas tout à fait vrai.

Mais, cruelle peut-être, elle lui sort comme une provocation que c’est tout ce qu’il a trouvé à imaginer. Dire qu’elle ne le croit pas serait un mensonge – mais elle a besoin d’intégrer, de digérer. Elle a besoin d’évacuer deux-trois choses, aussi. Parce qu’il lui a fait un mal de chien, Scott, en ne lui disant rien. En tout cas, ses mots font mouche, tapent en plein dans le mille et Scott lui semble retourner la question. T’es pas sérieuse là ? qu’il lui sort – et la brune fait de son mieux pour rester imperturbable, hautaine, pour ne pas descendre de son piédestal. Et Scott est peut-être blessé – en tout cas, le ton monte désormais. « Je ne sais plus ce que je crois. » rétorque-t-elle, bras croisés. Pourtant, elle sait qu’il dit la vérité. Elle peut le concevoir, du moins. Elle a toujours su qu’ils étaient différents, qu’ils ne venaient pas du même monde, et quand ils se sont rencontrés, personne n’aurait misé sur eux. D’ailleurs, ils ne se sont pas entendus le moins du monde, à ce moment-là. Cela n’a changé que plus tard. Elle reste toutefois campée sur sa position, quand Scott tente de lui demander ce qu’elle aurait fait, dans l’autre sens. Il s’est rapproché, et cette fois, elle ne recule pas, Paulina. Elle reste là. Elle demeure forte. Ou elle essaie. Et il continue, le brun. A dire qu’il ne pouvait pas faire autrement. Qu’il ne voulait pas qu’il lui arrive quelque chose. Cela, elle ne le conçoit pas, en revanche. Elle l’a dit : elle n’a pas besoin d’être protégée. Peut-être n’a-t-elle pas conscience des risques, non plus. « Mais toi non plus, tu comprends rien, Scott ! Si les rôles étaient échangés, je t’en aurais parlé, putain ! » s’énerve-t-elle, haussant la voix en retour. Elle sent ses yeux devenir humides. « T’avais pas le droit de prendre une décision pour deux, même si c’était pour pas qu’il m’arrive malheur. Mais t’as décidé tout seul, de ce qui était selon toi le mieux. C’est pas toi qui décides pour moi, c’est ça qu’tu comprends pas, toi ! » Personne ne décide pour elle. Pas même ses grands-parents, qui l’ont trop longtemps fait pour sa mère, en lui imposant tout un tas de choix de vie. « Ça change rien que tu sois là maintenant. J’peux pas te pardonner en un claquement de doigts. » Est-ce qu’elle pourrait pardonner un jour ? Malgré elle, elle donne l’impression de laisser la porte ouverte, sans être certaine de ce qu’elle veut. Ni de ce qu’elle veut dire. C’est peut-être la tequila qui fait effet – la même qu’elle attrape à son tour pour se resservir, encore trop princesse sans doute pour imiter Scott quelques instants plus tôt en buvant à même la bouteille.

Elle aurait pu ne pas venir. Rien ne l’y obligeait. Après tout, elle croit ne plus rien lui devoir. C’est un peu comme si elles s’étaient envolées, leurs deux années d’histoire. Comme si elles n’avaient pas existé, ou comme si elles n’existaient plus. Comme si elles n’avaient plus d’importance, ne pesant plus bien lourd dans la balance. Mais elle est venue quand même, Paulina. Elle voulait entendre ce que Scott avait à lui dire. Voulait entendre les explications, les excuses. Voulait surtout comprendre. Comprendre comment il a pu accepter l’argent de ses grands-parents, Scott. Et ce, même s’il s’évertue à lui répéter qu’il ne l’a pas pris pour la quitter. Elle est là pour l’entendre. Et puis, peut-être aussi par faiblesse. Il ne suffit pas d’être en colère, rancunière, pour effacer tout à fait ces deux années. Pour éteindre l’amour qui continue de brûler en elle. Elle a beau essayer de l’éteindre, il ne suffit pas de le vouloir pour le pouvoir.

Le ton monte.
Elle ne sait plus si c’est elle ou si c’est lui d’abord.
Car Scott ne s’écrase pas pour autant. Scott ne se considère pas fautif – ou pas à 100 %.
Scott rétorque, Scott répond.
Alors oui, le ton monte.

Et Paulina, tout de même, le provoque.
Bien sûr qu’elle le croit, en vérité. Mais elle ne peut pas s’en empêcher. Voilà comment a tourné leur relation : ils ne se font plus de bien, à présent. A se faire des reproches tour à tour, l’un à l’autre. Elle lâche un rire amer, Paulina, face aux mots de Scott. « Pardon ? » Elle est outrée, la brune – autant par le fait que Scott la qualifie ironiquement de parfaite que par celui qu’il souligne leur différence d’univers. « Donc tu vas m’attaquer là-dessus ? Après deux putains d’année, parce que j’refuse de t’croire, tu vas me sortir l’excuse qu’on est pas du même monde et ça va tout justifier ? » Elle est en colère, plus encore, Paulina. Finalement, c’était une évidence que leurs mondes finiraient par les éloigner, les séparer. Elle ne pensait simplement pas que cela se passerait de cette façon-là. Et elle a beau ne pas s’être attardée là-dessus, avoir donné l’illusion de défendre sa famille, elle sait parfaitement quels sont les torts de ses grands-parents. Mais elle ne peut rien faire face à cela, Paulina. « J’ai jamais dit qu’ils avaient le droit. Mais ils se le sont donné et t’y as contribué. » rétorque-t-elle froidement. « Qu’est-ce que tu crois que j’peux faire, sérieux ? Ils ont déjà fait chier ma mère. » Au fil de sa phrase, sa voix a baissé. Elle ne veut pas en parler davantage. Ni mentionner son père dont elle ne se souvient pas, son père dont elle ne parle jamais, Paulina. De toute manière, Scott reprend vite la parole. Continue ses excuses – selon la brune –, face auxquelles elle reste insensible. Elle ne veut plus entendre qu’il a fait cela pour elle, cela pour eux. « Arrête de brasser de l’air, tu tournes en rond. » Tout cela, elle a l’impression de l’avoir entendu déjà dix, vingt fois. Trop de fois, depuis que Scott est réapparu et que Paulina a refusé de lui pardonner.

Et puis, tout à coup, elle ne sait pas pourquoi, elle baisse la voix.
Peut-être déjà trop fatiguée de se battre. Trop fatiguée de tourner en rond, d’entendre toujours les mêmes choses. Ou juste de lutter. De batailler. Ou peut-être que c’est juste la tequila. Alors elle plie un peu, Paulina, quand Scott avance que maintenant, il est là. Mais elle le dit : cela ne change rien. Cela ne suffit pas. Et Scott s’approche encore, en répétant ses mots. Puis attrape sa main qu’elle ne dégage pas, pour la poser contre son cœur. Puis il y a son autre main qui se pose contre sa taille et que Paulina laisse, un instant, là. Il lui demande pardon. Et l’espace d’un instant, elle y croit. Elle écoute, sans un mot cependant. Puis il y a ses derniers mots qui la bouleversent, font battre son cœur plus vite, plus fort, alors qu’elle sent le souffle de sa respiration. Sache que je t’aime. Comme si cela suffisait. Mais au lieu de tout arranger, peut-être, ces mots-là mettent plutôt fin à ce moment d’égarement. « Arrête. » Pas d’agressivité dans sa voix, cependant. Elle l’a soufflé, avant de secouer la tête et de se dégager de ses bras. Puis de reculer, pour retrouver une bonne distance. « T’es sacrément présomptueux. » Elle recroise les bras. « En admettant même que je te pardonne un jour, jamais ils te laisseront revenir comme ça. Surtout si t’as pris leur fric. » Ils, c’est son grand-père et sa grand-mère. Les responsables de leur rupture, indéniablement. Est-ce qu’il a pensé à tout cela, au moins, Scott ? A-t-il vraiment cru pouvoir prendre leur argent sans la quitter et s’en tirer aussi facilement ?

Il l’énerve.
A faire preuve d’autant de culot, de condescendance. A se remettre si peu en question. A se trouver mille et une excuses. A vouloir retourner la situation en la poussant à ouvrir les yeux sur l’attitude de ses grands-parents. Comme s’ils étaient les seuls coupables, dans tout cela. Comme s’il n’était pas coupable d’avoir accepté leur offre, Scott, même si ce n’était soi-disant pas pour la quitter. Comme si Paulina elle-même était aveugle. Elle ne l’est pas, pourtant. Elle est loin d’être ravie et d’accepter ce que ses grands-parents ont fait. Mais que peut-elle faire ? Elle est coincée. C’est sa famille – chose que Scott ne semble pas comprendre. C’est son monde. Celui dans lequel elle a grandi, celui auquel elle a toujours appartenu, celui auquel elle ne pourra jamais renoncer. Cela, elle n’est pas sûre qu’il l’ait compris, Scott. Dans le fond, peu importe. Qu’est-ce que cela changerait, à présent ? Ils ne sont plus ensemble. Et rien de ce qu’il pourra dire ou faire ce soir, n’y changera quoi que ce soit. Même si elle est venue, Paulina. De toute façon, le ton monte beaucoup trop pour qu’ils puissent espérer une quelconque réconciliation. « Je détourne pas tes mots. C’est toi qui dis que je n’peux pas comprendre, que j’ai pas grandi dans une caravane avec l’odeur des moteurs et de la clope. C’est exactement ce que tu me dis : que j’ai pas grandi dans le même monde que toi. » rétorque-t-elle, croisant les bras, demeurant impassible, froide. Ils ne semblent pas bien partis pour trouver un point sur lequel tomber d’accord. Pour trouver à s’entendre, se comprendre, baisser les armes. « Non, je suis pas parfaite. Mais j’aurais voulu trouver une solution. » Elle n’en démordra pas, Paulina. Peu importe ce que Scott peut lui dire.

Elle n’aime pas que Scott critique sa famille. Même si c’est vrai. Même si ses grands-parents ne sont pas blancs comme neige. Elle a parfaitement conscience de tout cela, ne cherche pas à les couvrir ni à leur trouver des excuses. Mais que peut-elle faire, alors ? Elle, elle croit qu’elle n’a pas le choix. Elle ne peut pas tourner le dos à sa famille. Pas pour quelqu’un. Pas pour un amour qui peut ne pas durer – qui s’est, de toute évidence, déjà cassé la figure. « J’ai pas de conseil à recevoir de ta part. » rétorque-t-elle encore, fermée. Elle veut qu’il arrête d’en parler, Scott. Qu’il arrête d’essayer de les monter contre eux. Elle sait ce qu’ils ont fait, elle connaît leurs torts, mais elle n’a pas besoin qu’il en rajoute. Et puis, cet échange lui fait déjà trop mal au cœur. « J’ai pas envie d’en parler. » Elle en a déjà trop dit. Elle ne veut pas parler de sa mère. De ce qu’elle a cru comprendre, découvrir, des années plus tard, à propos de son père. Sa mère n’a pas trop eu le choix que l’épouser. Ses parents, à l’époque, le lui avaient plus ou moins imposé. Pour perpétuer la lignée. Ne se marier qu’entre riches familles, surtout pas à des personnes issues d’un monde plus modeste que le leur. Comme Scott.

Et puis, cela dérape. Un peu.
Scott s’approche. Scott, bien trop près. Scott, qui lui attrape la main, la pose sur son cœur. Lui sort ses belles paroles. Pose son autre main sur sa taille. Comme avant. Et leurs visages, trop proches. Paulina finit par se dégager, après s’être perdue quelques instants. Elle finit par lui demander d’arrêter. Mais elle n’est plus autant en colère. Cela se voit, se sent, s’entend. Et lui qui continue, lui demandant si elle veut qu’il arrête vraiment. Alors, finalement, Paulina ne répond rien – ce qui est déjà une réponse, en soi. L’aveu qu’elle ne veut pas vraiment qu’il cesse, même si elle n’ira pas le reconnaître. Elle finit par dire qu’il est présomptueux, à s’accrocher comme cela. A être si sûr de lui. « Fallait y penser avant. » commente-t-elle, quoique moins froidement. Moins provocante. Sans chercher la dispute. Ils tournent en rond, de toute façon. Mais elle se sent moins rancunière. Si proche de céder. Il faut pourtant lutter. « Tu devrais réaliser un peu mieux les conséquences de tes actes. Tu es naïf si tu crois pouvoir reprendre ta vie comme si de rien n’était. » souffle-t-elle. Quant à ses avis sur sa façon à elle de réagir face à ses grands-parents, elle n’en veut plus, Paulina, maintenant. Elle est assez grande.