@Renfield Halstead
Elle n’est pas censée être dans l’appartement, Emery. Conformément au deal passé, elle est censée être ailleurs. Son colocataire et elle ne se croisent pas, jamais. Quand elle est là, il est au travail. Quand il est là, elle est à la bijouterie ou en vadrouille. L’arrangement lui va très bien. Bien sûr qu’au départ, il y a eu de la curiosité. Et puis il y a eu les premiers différents, par post-it ; ceux-là même qui l’ont poussée à se dire que finalement, c’est très bien s’ils n’ont pas d’interactions quotidiennes. Emery a pourtant transgressé la règle. Le bouleversement récent dans sa vie l’a poussée à refuser de passer le week-end chez ses parents, comme prévu. Elle ne peut pas confronter son père, pas encore. Devrait-elle continuer à l’appeler comme ça, d’ailleurs ? Arthur l’a élevée, mais ce n’est pas à lui qu’elle doit sa vie. De son vrai père, elle ne sait pas grand chose. Et ça fait mal, tout ça. Elle ne sait pas comment le gérer, Emery. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle est incapable de passer du temps avec sa famille – en est-elle seulement légitime ? Alors elle est restée à l’appartement. Consciente de ne pas être seule entre les murs mais pas franchement d’humeur à faire face aux maniaqueries de Renfield, elle s’est faite toute petite depuis son réveil, allant même jusqu’à attendre que le couloir soit vide pour le traverser pour se rendre dans la salle de bain. Sous l’eau, ses méninges s’agitent. Elle aimerait pouvoir les faire taire. Mais la douche ne suffit pas pour calmer ses pensées.

En revanche, une distraction finit par arriver. Elle est enveloppée dans une serviette nouée sur son buste quand la porte de la salle de bain s’ouvre en grand. Après un sursaut, ses yeux se posent sur un visage qu’elle connaît et qui n’aide en rien son état mental actuel. Le grand idiot du hall. Celui qui s’est obstiné à la prendre pour la factrice. Celui qui l’a profondément agacé. Celui qui vit visiblement sous le même toit qu’elle. Il se retourne subitement et elle s’esclaffe, rire plutôt jaune. L’univers lui en veut, elle ne voit pas d’autres solutions.

– Putain de merde, lâche-t-elle dans un souffle.

Ce n’est pas tout à fait comme ça qu’elle imaginait leur première rencontre. Dans son idée, bien que peu construite, elle portait au moins des vêtements. Et surtout, le Renfield des post-it n’avait certainement pas le visage de l’abruti des boîtes aux lettres.

– Sors, ordonne-t-elle alors qu’elle bouge enfin, plaquant sa paume de main contre son dos pour le pousser dans le couloir, jusqu’à pouvoir claquer la porte derrière lui.

Dos à celle-ci, dans la salle de bain, Emery prend quelques secondes pour respirer. Tout va bien se passer. Certes, ne rien comprendre, l’avoir traitée de souillon et la prendre pour la factrice, c’est beaucoup de défauts pour un seul homme. Mais maintenant, elle ne peut pas faire comme s’il n’existait pas. Qu’ils le veuillent ou non, ils vont devoir composer l’un avec l’autre. Après avoir pris le temps de s’essuyer, Emery enfile les vêtements embarqués avec elle. Ce n’est qu’une fois vêtue d’un pantalon en linge large et d’un crop-top qui ne cache que la moitié de son buste que la brune daigne sortir de la salle de bain, retrouvant ainsi son colocataire dans le couloir.

– Premièrement, je suis pas factrice. C’était un malentendu. Deuxièmement, je sais que je devrais pas être là mais j’ai eu un… changement d’emploi du temps de dernière minute, ment-elle éhontément.