Le boulot, le boulot, le boulot.
Elle ne fait que penser à cela. Que parler de cela.
Que vivre pour cela. Manger, respirer, rêver de cela.
Cela ne la dérange pas.

Elle est passionnée par ce qu’elle fait, Neasa.
Elle a trouvé un métier qui lui plaît, un métier qui colle à ses aspirations. Il y a quelques fois où elle se dit qu’elle aurait bien tenté d’être publiée, elle aussi, mais elle a renoncé à cela. Elle a décidé d’être du côté des auteurs – mais pas en écrivant elle-même, plutôt en les accompagnant. En leur prodiguant des conseils, en défendant leurs intérêts auprès des maisons d’édition, négociant, prenant part aux échanges sur leurs droits d’auteur, et puis, en bataillant pour les faire publier. De jeunes auteurs amateurs, il y en a des tonnes – pourtant, il est difficile de trouver le chemin jusqu’aux maisons d’édition, assaillies de manuscrits en tous genres. Elle est là pour les y aider, Neasa. Quand elle sent le potentiel, sent que cela peut en valoir la peine. Depuis le temps, elle a développé un flair – ou du moins, elle essaie. Et puis, ses relations dans l’édition aident. Plus facile d’obtenir ainsi au moins la lecture d’un manuscrit.

Elle essaie de déceler aussi les perles rares. Les auteurs qui n’ont pas conscience de pouvoir le devenir. Ceux qui ne font pas vraiment dans la littérature, mais qui ont quelque chose à apporter au monde, autrement.

Mais, voilà : Ula, ce n’est pas n’importe qui. Ula, c’est la fille de Maverick.
Rien que pour cela, c’est peut-être une mauvaise idée.
Peut-être serait-il temps de rebrousser chemin.
Mais Neasa croit au potentiel de Ula ; alors elle ne le fait pas.

Elle est venue déjeuner au restaurant où Ula travaille.
Réservation pour le dernier service de midi, histoire d’être parmi les derniers clients en début d’après-midi. Elle a tenté de contacter Ula au culot, quelques temps plus tôt. Pour lui dire qu’elle venait aujourd’hui, qu’elle aurait aimé lui parler – si elle avait ne serait-ce que cinq minutes à lui accorder. S'était présentée, comme agent littéraire. Omis de préciser, qu’elle était sortie avec son père. Est-ce que Ula le savait ? Est-ce qu’elle connaissait son nom ? Est-ce que Maverick avait seulement parlé d’elle ? Pas sûr. À l’époque, leur histoire débutait à peine. C'était il y a un an. Il ne les avait pas présentées officiellement. Tant de questions laissées en suspens. Mais Neasa a décidé de ne pas les laisser l’arrêter. De tenter. Elle verrait bien. Rien n’était fait, après tout.
Son déjeuner arrive à sa fin. Achevé avec une merveille de pâtisserie – d’Ula elle-même, peut-être. La salle du restaurant se vide, peu à peu, mais elle reste. Aperçoit bientôt Ula. Lui fait un signe de la main, sourire aux lèvres, puis se lève. Vient à sa rencontre « Bonjour, Ula. » fait-elle, quand elle arrive à sa hauteur. « Neasa Fraser, enchantée. » L’espace d’un instant, elle se dit que c’est vraiment étrange, tout cela. C’est la fille de Maverick. Oui, c’est peut-être vraiment une mauvaise idée. « Merci de me rencontrer. » Elle y tient – la brune n’était pas obligée d’accepter. « La pâtisserie que j’ai commandée était délicieuse. » tient-elle à ajouter, d’ailleurs. Avant d’entrer dans le vif du sujet. Expliquer ce pourquoi elle est là.