@Sailor Prescott & @Hera Weaver

T’es un peu perdue dans tes pensées, en poussant la porte de la boutique. L’année qui s’est écoulée, et qui, indirectement t’as menée ici, est loin d’avoir été la plus belle de ta vie. Pourtant elle a été riche, en rebondissements comme en remises en questions. T’étais pas heureuse, surtout dans les premiers mois. Sentiment de solitude, d’ennui aussi, qui t’ont entrainé sur une pente glissante, de mauvaises habitudes, celles de te tourner vers l’alcool pour tromper cette solitude et cette ennui. Boire seule, chez toi ou ailleurs, juste pour oublier que t’étais mal dans ta peau, que tu savais plus comment te projeter dans le futur, comment trouver du plaisir dans ton quotidien.

Deux évènements sont venus te sauver de toi-même. Le second, chronologiquement, fut l'accident. Renversée par une voiture en essayant d’éviter à quelqu’un de subir le même sort, tu t’en es sortie avec des fractures, au bras et aux côtes, et un genou en vrac. Et puisque alcool et médicaments ne font pas bon ménage, t’as pas eu le choix que d’arrêter complètement, pendant un temps. Pas évident, si on prend en compte qu’abîmée comme t’étais, tu pouvais pas bosser, ni même jouer pour le plaisir, aussi l’ennui est monté en flèche.

Le premier, ce fut Leon, qui, débarquant chez toi pour te parler de quelque chose, a remarqué qu’il y avait un souci, et t’as poussé à en parler, t’as convaincu de chercher de l’aider aussi. Il est bien placé pour, faut dire. Mais sa visite avait un autre but, aussi. Une proposition, venue égayer un peu les cieux de ton avenir. Tes soucis, tes blessures aussi, ont sans doute ralenti un peu le projet, mais une fois l’idée émise par le guitariste, tu t’y es un peu raccrochée comme à une bouée de sauvetage. L’idée de monter un groupe, pour faire de la musique entre amis, pour le plaisir, pour faire un peu autre chose que ce que vous faites au quotidien, ça t’as remotivé, un peu.

Et c’est la raison pour laquelle tu es ici. T’es équipée pour tes performances avec l’orchestre, mais la batterie en tant que telle, ça fait longtemps que t’y a plus touchée, et t’aurais besoin de compléter un peu le tout, faire le point sur ce qui te manques. La petite sonnette qui retentit lorsque tu entres te sors de tes rêveries, et tu avances dans la boutique en cherchant du regard le propriétaire. Un gars, rencontré y’a maintenant un bon moment dans un bar, qui était venu te secourir d’un individu un peu collant, et avec qui t’avais plaisamment échangé durant la soirée. Un gars avec qui tu partages une passion pour la musique, et qui tient cette fameuse boutique, dont tu avais noté l’adresse, sans que l’occasion ne se présente pour t’y rendre, depuis. Tu finis par le repérer, et tu t’approches, un sourire au lèvre. “Bonjour, Sailor.” Vos prénoms respectifs ayant été un de vos sujet de discussion, à l’époque, t’as retenu le sien. La question reste de savoir si lui te reconnaîtra. Ça fait pas loin de  deux ans, après tout, et vous ne vous êtes plus croisés depuis.

@Hera Weaver

Reprendre son rythme n'est pas aussi aisé qu'il l'avait escompté. Contrepoids assez prévisible des vacances que Sailor s'est cédées ; sitôt les fêtes et leur affluence interminable terminées, il avait choisi de fermer boutique, pour la première fois depuis des mois. Non qu'il soit un acharné du travail – bien au contraire, sur le principe, il y sera à jamais réfractaire. Sauf qu'il porte cette malédiction-là de ne pas savoir user de son temps libre, finissant trop souvent cloîtré dans son appartement à jouer de la gratte ou le regard rivé sur une quelconque aventure émulée par sa console. La bougeotte ne l'a pas quitté, mais il faut croire que la fainéantise a pris le dessus. Et, reconnaissons-le, il adore son travail ; enfin, les parties manuelles et sociales, pas les chiffres ni les stocks à surveiller. Néanmoins, l'année s'était avérée plus que correcte financièrement, s'était-il aperçu en faisant les bilans prévisionnels, et il s'était dit que cela justifierait bien deux semaines de vacances.
Il les avait prises : simplement, il n'en avait rien fait. Comme à son habitude, il s'y était pris trop tard pour organiser un voyage, s'était convaincu que les étoiles n'étaient pas alignées dans cette optique-là, et s'en était remis à sa routine habituelle, le travail en moins. À cet égard, s'en remettre à son atelier ne lui avait pas semblé être un tel crève-coeur. En revanche, ouvrir à l'heure semble encore être un effort incommensurable, et il n'est pas passé un jour depuis qu'il a relevé le store de la boutique sans qu'il se demande si les clients voient un zombie au travers de ce grand gaillard aux yeux cernés.

Alors, il n'est rien de dire qu'il n'est pas particulièrement concentré, ce jour-là. Une playlist de latin jazz résonne dans son local pour le retenir de somnoler, et Sailor, lui, sifflote du mieux qu'il peut les airs qu'il reconnaît afin de maintenir un semblant de stimulation dans son cerveau. Lorsque retentit la clochette annonçant immanquablement que quelqu'un a passé le seuil de la boutique, il se retient de pousser un soupir de soulagement, songeant définitivement qu'il pourrait embrasser cette personne, quelle que soit, pour la remercier de l'avoir sorti de sa torpeur. Braquant le regard sur l'entrée, il s'apprête à sortir l'habituel discours réservé aux nouveaux arrivants : bienvenue chez Sid'n'Paul, que cherchez-vous aujourd'hui ? N'hésitez pas à me faire signe si je peux vous être utile !, assorti avec un bonne année encore de saison – ceux-là, il ne les compte plus, depuis qu'il a rouvert, et se languit de voir le mois de janvier toucher à son terme pour ne plus avoir à répéter ses voeux à qui voudra bien les entendre. Pourtant, les mots connus par cœur se suspendent lorsqu'il voit la cliente : visage qu'il remet très bien, se revoyant plutôt vite dans ce petit bar où ils s'étaient croisés, il y a bien longtemps, déjà. Les mêmes souvenirs doivent traverser la femme, car le sourire qu'elle lui adresse est immédiatement amical – et non pas simplement poli, comme s'y limitent généralement ses clients – et c'est par son prénom qu'elle l'interpelle. Ce qui, après avoir suscité une certaine joie en lui, le plonge dans l'embarras, car lui n'est plus sûr de l'identité qu'elle lui avait donnée. Quelque chose en rapport avec une divinité ; de cela, il est persuadé, car ils en avaient parlé et que, même sans l'évoquer, ce n'était pas banal. « Bonjour ! Mh… Athena ? » Qu'il tente de deviner dans une grimace, sortant la première déesse grecque qui lui passe par la tête – l'une des seules dont il se souvienne, car ses quelques lectures à ce sujet datent de l'adolescence – avant de songer que ça ne sonne pas correctement. « Désolé, j'suis assez physionomiste et j'me rappelle parfaitement de votre visage, mais j'ai énormément de mal à me souvenir des prénoms. » S'explique-t-il dans un sourire d'excuses, en espérant que ce soit pris de bonne grâce. Elle n'avait pas eu l'air de s'offusquer facilement, quand ils s'étaient rencontrés, mais les deux n'avaient discuté qu'une heure, peut-être, ce qui est bien insuffisant pour oser jouer les juges de caractère. « Ca m'fait plaisir de vous revoir, en tous cas. Vous allez bien ? Pas eu trop de lourdingues dans les pattes, depuis celui d'la dernière fois ? » Est-ce qu'il en fait des tonnes pour qu'elle voie que, malgré l'oubli de son nom, il se rappelle bel et bien d'elle ? Probablement ; Sailor a du mal à s'en empêcher. « Qu'est-ce qui vous amène ici, vous recherchez du matériel ? »

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Le jeune homme n’a guère changé, en deux ans, la même présence sympathique, la même douceur dans la voix. Seul le contexte est bien différent. Ici, pas de compta au milieu des soulards, pas d’ivrogne venu t’importuner. T’es beaucoup plus dans ton élément, tout comme lui, certainement. Entourés de partitions et d’instruments, le vrai bonheur, quoi. Ton sauveur d’un soir semble, lui aussi, se souvenir de toi - à croire que la rencontre à été suffisamment mémorable - bien que ton prénom ne lui revienne pas en mémoire. Un rictus amusé naît sur ton visage à sa tentative. “Ah, presque ! Juste une génération au dessus.” Encore aujourd’hui, tu pourrais citer par cœur l’arbre généalogique des divinités grecques, tant t’en as entendu parler plus jeune. Ne voulant pas le laisser dans l’embarras plus longtemps, tu précises. “Hera.” Tu secoues doucement la tête à ses excuses, pas offensée pour un sous. T’étais déjà pas sûre qu’il te reconnaisse, alors ton prénom … “C’est rien. Vous avez tapé dans la bonne mythologie, c’est déjà pas mal.”

“Moi aussi !” C’est sincère. Ça a toujours été une des choses les plus intéressantes à tes yeux, dans les bars : les rencontres impromptues, les discussions passionnantes avec de parfaits étrangers, que parfois tu revois, parfois pas. Certaines de ces rencontres ont bouleversé ta vie, d’autres, comme celle-ci, t’ont juste laissé un doux souvenir. “Ça va bien, merci ! Et vous ?” Un petit rire franc s’échappe de ta gorge lorsqu’il évoque le lourdingue qui a provoqué votre rencontre. “Mmmh, non, pas trop. Faut dire que j’ai un peu moins fréquenté les bars, ça doit jouer. Et le fait que j’ai passé la barre fatidique de la cinquantaine.” Tu dis ça surtout comme une boutade. En vérité, t’as pas tellement remarqué de différence, depuis ton anniversaire - ton âge précis n'est pas écrit sur ta tronche. C’est surtout dans ta tête que le cap est un peu dur à passer.

“Vous faites toujours votre compta en public ?” Ça t’avais marqué, ça. Qu’il arrive à se concentrer avec le boucan alentour, sur une tâche aussi fastidieuse que de la comptabilité - tâche que, par bonheur, t’as jamais eu à effectuer, en dehors de la tenue sommaire de ton compte en banque. Mais sa boutique est encore bien là, c’est qu’il doit bien s’en sortir, avec ses chiffres. En bon vendeur, d’ailleurs, il n’oublie pas de demander ce qui t'amène ici.

“Oui ! C’est une longue histoire, mais pour faire court, faudrait que je me remette à la batterie. Sauf que celle que j’ai est probablement plus vieille que vous. Ce qui allait très bien pour l’usage que j’en faisais, mais si je m’y remet plus sérieusement, autant le faire avec du matériel en bon état.” Ce groupe que t’as proposé Leon, c’est bien entendu avant tout pour le plaisir, et justement. C’est l’occasion de te faire plaisir, un peu, de t’offrir du bon matériel, pour pouvoir profiter un maximum de l’expérience. “J’me suis dit que c’était l’occasion ou jamais de passer ici.”

@Hera Weaver

« Ouhla, vous allez m'perdre, avec les générations. » Déjà un miracle qu'il ait su sortir un nom ; les suivants qui lui viennent, rares, sont plutôt des divinités masculines, donc rien qui colle. Quant à la généalogie, c'est vraiment trop lui en demander, à son grand regret. Heureusement, son interlocutrice accepte sa confusion de bonne grâce et lui redonne son prénom. « Mais bien sûr ! J'vais tâcher de m'en rappeler, cette fois. Quoique, vous connaissez l'dicton, jamais deux sans trois. Faudra peut-être encore me rafraîchir la mémoire. » Ce n'est qu'une plaisanterie : il entend bien s'en souvenir, quoique s'il faut attendre deux années de plus pour leur prochaine entrevue, l'entreprise promet d'être ardue. « Ca va aussi. C'était la trentaine, pour moi, le dernier cap. Pas facile, ces décennies rondes. » Sailor n'a jamais été de ceux trop perturbés par le temps écoulé – peut-être parce qu'il est encore assez jeune pour se permettre de ne pas s'en inquiéter, ou bien trop effronté – mais étrangement, la trentaine, ça lui a fait un petit quelque chose. À moins que ce ne soit l'inévitable regard jeté vers le passé à cette occasion ; la rétrospective n'était pas vraiment à son avantage. « En tous cas, vous n'avez pas changé, j'pense que si c'était aujourd'hui, le même type reviendrait vous draguer sans hésiter. J'sais pas si c'est rassurant ni ça vous redonnera envie d'aller dans les bars, sans doute pas, mais vous n'y détonneriez pas. » Il a cette franchise-là, Sailor, qui, à tout moment, pourrait mettre mal à l'aise ; il a trop l'habitude de dire les choses telles qu'il les pense, pour le meilleur ou pour le pire. Un rire lui échappe, à l'évocation de sa comptabilité. Toute la situation l'amuse, en réalité : il est assez saisissant de voir que chacun d'eux a tiré un souvenir si particulier de l'autre, et qu'il soit si agréable, deux ans après, de se les remémorer, comme de vieux amis. « Figurez-vous que oui. Et j'crois pas encore avoir foiré d'addition, donc ça marche pas si mal. J'ai essayé quelques fois de la faire ici, mais c'est trop distrayant, avec les instruments autour. Quel ennui de faire des chiffres alors qu'on peut prendre une guitare. » L'expérience le lui a prouvé : ses capacités de concentration assez limitées, un rien peut lui faire mettre une tâche en pause, y compris si c'est une activité qui lui plaît. Alors, sa comptabilité, n'en parlons pas.

« C'est une bonne nouvelle, ça ! » Ils se comprennent, entre passionnés de musique : que quelqu'un se remette à son instrument, quelle que soit la raison qui l'avait poussé à le délaisser – ceci ne regarde pas Sailor –, c'est toujours un prétexte à la fête. « Vous reprenez professionnellement, ou pour le loisir ? Et du coup, vous voudriez de quoi redonner un coup de neuf à votre batterie actuelle, ou carrément en acheter une nouvelle ? On va trouver votre bonheur, dans tous les cas. Vous êtes sur une batterie acoustique ou électrique ? » Tandis qu'il interroge Hera, il balaye déjà du regard l'espace de la boutique, réfléchissant à ses stocks pour trouver exactement ce qui conviendra à sa cliente du jour.

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“Vous en faites pas, j’le ferais avec plaisir si le besoin devait se présenter.” Tout le monde n’a pas la mémoire des noms - toi, t’as cette chance, un de tes rares talents - et encore moins une connaissance détaillée de la mythologie grecque. La plupart des gens connaissent Zeus et Poséidon, Hadès à la rigueur, et ça s’arrête là. Toi-même, tu ne t’y es vraiment intéressé qu’en raison de ton prénom, l’histoire et les mythologies n’ayant jamais été tes domaines de prédilections. “Ah, je comprends ! J’ai pas eu trop de mal à la trentaine, mais à partir des quarante, j’avoue que ça a commencé à être rude.” A trente ans, t’avais encore de l’espoir. Mais plus les décennies avançaient plus tes rêves s’éloignaient, et plus t’avais peur d’avancer en âge. Et d’une certaine manière, la cinquantaine a presque été libératrice de ce point de vue là.

“C’est gentil, merci. Même si effectivement, j’suis pas sûr que ça me rassure des masses, de savoir que j’pourrais encore attirer ce genre de lourdeaux.” A vrai dire, ça te manque pas tellement que ça, de sortir dans les bars. T’as plus autant envie qu’avant de te retrouver entourée de monde, de bruit. Le calme t’attire de plus en plus, et t’as définitivement plus la patience pour supporter certains types que tu peux croiser dans ce genre de situations. “Eh bah, je vous admire d’autant plus ! Mais je vous rejoins sur ce point : les chiffres, c’est vraiment pas mon truc.” Les maths, c’était encore moins ton truc que l’histoire. Les sciences dures, de manière générale, c’était pas pour toi.

Vous en revenez au sujet de ta venue, et la conversation se fait encore plus fluide. La musique, c’est votre domaine à tous les deux, votre passion, et votre métier, aussi la compréhension est immédiate. Un sourire nait sur tes lèvres en voyant son enthousiasme, qui fait écho au tien. “Pour le loisir. J’ai un ami guitariste qui m’a suggéré qu'on monte un groupe ensemble, pour le plaisir. Et l’idée me plait bien, j’adore toujours mon boulot, mais ça me manque un peu de jouer autre chose que du classique.” Pour l’instant, le groupe en question se limite à Leon et toi, mais t’as aucun doute sur le fait que vous trouverez des gens pour venir s’ajouter à vous. A minima un.e bassiste et quelqu’un pour chanter, histoire d’avoir une line up relativement complète.

En attendant, ça te laisse le temps de te remettre un peu à niveau sur la batterie. A l’orchestre, tu pratiques sur certains composants de la batterie, grosse caisse, caisse claire, cymbales. Mais individuellement. Tout ensemble, ça t’arrive quasi jamais, et y’a sûrement un peu de travail pour que le résultat puisse être présentable. “J’pense que je vais partir sur du neuf, j’ai envie de me faire un peu plaisir et puis, j’pense que ça sera plus rentable au final.” D’autant que financièrement, tu peux largement te le permettre. “Acoustique, plutôt.” T’as aucun doute sur le fait de trouver ton bonheur ici. La boutique respire l’amour de la musique, il y règne une ambiance qui te plaît beaucoup, et t’as confiance en son propriétaire.

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« Un cours de mythologie ? J'serais presque tenté. » Sailor ne plaisante même pas ; bien que ses capacités d'attention médiocres et sa mémoire en passoire semblent attester du contraire, il est du genre à s'intéresser à tout et n'importe quoi. Alors, pourquoi pas verser dans les légendes anciennes ; nombreux sont les artistes qui s'en sont inspirés, elles doivent bien susciter leur lot d'idées. De son côté, Sailor prendrait tout ce qui est susceptible de le faire un peu rêver. « Mh. J'aurais dû m'douter que j'étais pas au bout de mes peines. J'vous aurais bien proposé de trinquer à ces décennies, mais j'ai oublié de mettre les bières au frais. » Et, même s'il a la fâcheuse tendance de l'oublier, Sailor est là pour vendre, pas pour jouer les barmen. Au moins ne pourra-t-on jamais lui reprocher d'être un de ces commerçants bougons, qui grognent au moindre renseignement. Lui en fait presque trop. Petite grimace, à sa réponse ; il s'est montré maladroit, bien qu'Hera ne semble pas lui en tenir rigueur. Et il compatit, surtout, pas bien à l'aise de penser à ses congénères qui ont cette sale manie de gâcher le plaisir des autres. « Ouais, c'est rien de marrant… Enfin, tant que vous vous privez pas pour ça, c'est l'essentiel. Et n'hésitez pas, si un jour vous avez besoin de quelqu'un pour les faire fuir. » C'est une distraction qui lui paraît presque amusante – mettre toute son ironie décomplexée au service d'Hera, et au détriment de ces types qu'il n'est pas le dernier à exécrer.

Finalement, ils en viennent au vif du sujet ; et c'est avec une approbation riche d'enthousiasme que Sailor acquiesce, en entendant le projet d'Hera. « J'étais dans un groupe, y'a longtemps. C'est une belle idée, et c'est vrai que ça va vous changer de jouer professionnellement. » Il ne sait pas s'il aurait pu, lui. Non qu'il ne prenne pas la musique assez sérieusement pour s'imaginer en faire un métier, bien au contraire : mais création et contraintes lui semblent être d'éternels contraires. Du moins, ce n'est pas ainsi qu'il envisage sa passion, pas sans liberté. Et peut-être que c'est la raison pour laquelle il n'a jamais pu réellement se considérer comme un artiste, à l'opposé d'Hera qui, au-delà de tout doute, en est une. « J'avoue que j'ai surtout des vieilleries retapées en rayon, j'fais plutôt dans les pièces de collection, au niveau des instruments… Mais vous avez d'la chance, j'ai récupéré quelques pièces neuves lors du destockage d'une boutique à Caloundra. Je crois que j'ai ramené deux batteries Yamaha et une Ludwig… Venez. » La menant vers l'arrière de la boutique, il se gratte l'arrière de la tête dans un geste gêné – il n'a pas encore pris le temps d'exposer correctement les instruments en question, et le tout a juste l'air négligé. « Toutes mes excuses, c'est un peu le bordel, mais elles sont en parfait état, vous pouvez vérifier par vous-même. Et j'peux vous prêter des baguettes, si vous voulez les essayer. »

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“Eh ben, si jamais un jour vous voulez en savoir plus, vous saurez où aller.” T’es peut-être pas la mieux placée pour donner un cours de la sorte, à dire vrai. La pédagogie, même si t’en es pas totalement dépourvue, c’est pas non plus ton principal point fort. A minima, ça pourrait donner quelque chose d’assez drôle. “Mmmh, c’est p’tet pas plus mal, à nous deux on en cumule suffisamment pour que ça finisse sous la table, cette histoire.” Quatre-vingt ans passés, à vous deux, l’air de rien, ça commence à en faire, des années. Mais de toute façon, t’es là, avant tout, pour un but précis, même si le côté social de ton passage ici n’a rien pour te déplaire non plus. Et puis, toi et l’alcool, vaut mieux que tu fasses attention. “Oh j’ai clairement pas l’intention de laisser ce genre de choses m’empêcher de faire ce que je veux. J’ai ralenti sur les bars, quand même, mais plus parce que j’aimais pas trop vers où ça me menait.” Tu ne sais pas tellement pourquoi t’as mentionné ce dernier point, mais tu ne t’y arrêtes pas.

“Oui, c’est certain ! Bon, pour l’instant, c’est que lui et moi, donc on est pas encore tout à fait en mesure de jouer grand chose, mais c’est un début.” Guitare et batterie, y’a sûrement de quoi faire, mais vous aspirez tout de même à quelque chose d’un peu plus élaboré. Et t’as pas trop de doute quant au fait que vous allez trouver des gens compétents. En attendant, toi, t’as une batterie à trouver, sinon le groupe se résumera à un seul guitariste et c’est tout. Par chance, il semblerait que tu sois bien tombée. “Oh, intéressant ça !” Ton ancienne, c’est une Yamaha, mais t’as rien contre tester autre chose aussi. T’es pas du genre à être particulièrement attachée à une marque. Tu le suis jusqu’à l’arrière boutique, haussant les épaules avec un sourire face à ses excuses - qui te semblent bien inutiles. “Vous excusez pas, j’avoue que je m’en fiche un peu que ça soit bien en ordre ou pas. Vous verriez le bordel, chez moi …” Ça reste une arrière-boutique, c’est pas fait pour être bien rangé. “Mais je veux bien essayer, oui, autant voir avec laquelle les sensations seront les meilleures.”

Tu les observes, d’abord, même si à l'œil nu, elles semblent relativement similaires, à l’exception de la couleur, et effectivement, toutes en excellent état. Il te tend des baguettes, et tu te places derrière la première, pas aussi à l’aise que tu ne l’aimerais. Tu te sens terriblement rouillée, mais tu te lances, testant la première, puis les deux autres, tour à tour. “C’est de la très bonne qualité, c’est certain !” Tu regrettes pas d’être venue ici, ça risque de devenir ta nouvelle boutique favorite. “Mais j’suis curieuse d’avoir votre avis, est-ce que y’en a une qui sonnait mieux ?”

@Hera Weaver

Cette fois-ci, Sailor n'a pas le curiosité de pousser le sujet. Il connaît les errances de bar et leurs effets néfastes ; même s'il ne peut préjuger que ce que sous-entend Hera fait écho à ses propres ressentis, il estime pouvoir compatir. Et il n'oublie pas qu'elle est une cliente, pas une amie. Alors, il répond à la tirade d'un simple hochement de tête entendu, préférant largement à ce terrain celui de la musique, sur lequel ils s'engagent enfin. « Vous m'avez dit que votre ami est guitariste, c'est bien ça ? J'fais de la basse, si jamais. C'est pas pour m'incruster, mais si vous voulez donner plus de chien à vos répétitions, ça peut toujours être utile. » Évidemment, une guitare et une batterie, c'est un début : avec de bons musiciens, cela fait même très bien illusion. Mais, à ses yeux, la basse fait partie de ces couches indispensables à ajouter pour obtenir un bon son, quand bien même les néophytes ne réaliseraient pas son importance. Quant à lui, sans doute n'est-il pas le meilleur bassiste que la terre ait porté – il se considère tout juste adéquat – mais il estime pouvoir faire l'affaire, en attendant qu'Hera et son ami trouvent mieux. D'autant plus s'il ne s'agit que de sessions musicales décontractées. Elle peut toujours refuser la proposition, de toute façon ; le cas échéant, Sailor s'excusera sans hésiter d'avoir été trop présomptueux. « OK, ça me rassure. Tout ça pour dire que j'suis certainement négligé, mais pas mes instruments. » C'était sa seule peur, que l'aspect général de cette zone ne rebute sa cliente ; quant à l'état de la marchandise, il n'y a rien à redire, et Sailor en met sa main à couper. S'il met bien un point d'honneur sur une chose, dans ce commerce, c'est de chouchouter ses instruments, même si les apparences porteraient potentiellement à suggérer le contraire. « J'vous en prie. Attendez… » Pivotant le menton, il aperçoit un carton étiqueté baguettes ; sans faire de cérémonie, il en extirpe deux et les tend à la musicienne. « Et voilà, j'vous laisse tester. »

Reculant d'un pas, les bras croisés, il la laisse faire ses essais ; observant discrètement, car il sait que l'occasion d'entendre une percussionniste professionnelle n'est pas souvent donnée, mais sans la déranger pour autant. Évidemment, la manière dont Hera s'y prend, pour le coup, n'a pas grand chose de mélodique, mais il y a tout de même quelque chose de fascinant dans sa manière de faire danser les baguettes. Sailor s'y perdrait presque ; même lorsque le silence revient, il s'étonne presque de l'entendre s'adresser à lui – d'abord parce qu'il était pris dans le moment, et ensuite, car il peine à se trouver légitime de la renseigner, alors que la femme est clairement à un niveau de musicalité bien supérieur au sien. « Alors… J'aime beaucoup la Ludwig. Mais c'est la marque que mon… que le batteur de mon groupe utilisait, donc j'suis peut-être biaisé. » Dans la panique, il a failli s'épancher. Parler de son ex – vu que, par malheur, celui-ci se trouve être le batteur en question. Quelle idée. Au moins le rattrapage a-t-il été correct. « Vous utilisez quelque marque, normalement ? Une de celles que j'ai là, ou autre chose ? Les habitudes ont la vie dure, c'est peut-être mieux de vous orienter vers ce que vous connaissez. »

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“C’est ça !” Et pas n’importe quel guitariste. Un guitariste de renom, une vraie star, même si sa célébrité s’est bien étiolée depuis - cause de bien des malheurs pour ton ami. Mais il se reprend, reprend goût à une vie loin des projecteurs depuis quelque temps, et t’es contente d’avoir l’occasion de refaire de la musique avec lui. La dernière fois, ça remonte à la fanfare du lycée, et autant dire que vu vos âges, ça commence à dater. “Oh, c’est vrai, vous me l’aviez dit la dernière fois !” Une information parmi toutes les autres échangées ce jour-là, qui pourtant avait ça d’important qu’elle établissait votre passion commune.  “Je lui proposerais, c’est vrai que ça peut être une bonne idée ! Et je sais pas pourquoi, mais je suis sûre que vous vous entendriez bien tous les deux.” Que ce soit pour répéter, ou même pour l’intégrer au groupe - en soit, t’aurais rien contre, selon son niveau, le but c’est pas non plus de faire le nouveau hit band du siècle - l’idée mérite d’être étudiée. T’en toucheras un mot à Leon dès que t’en auras l’occasion, d’autant que comme tu viens de le dire, il y a quelque chose qui fait que t’imagine bien les deux homme interagir positivement.

“Je comprends ! Mais j’étais pas inquiète.” C’est une arrière boutique, pas une vitrine, on s’en fout que ça soit bien rangé, tant qu’on s’y retrouve, c’est l’essentiel. “Merci.” Baguettes en main, tu testes un peu chacune des options, les trois présentant à tes yeux - et tes oreilles - des avantages et des inconvénients. D’où ta question, un avis extérieur étant toujours bon à prendre. “Oh je vois. Ça a duré longtemps, votre groupe ?” T’es curieuse un peu d’en savoir plus sur son expérience, à la fois par curiosité personnelle, mais aussi pour avoir plus de détails à fournir à Leon. “J’ai une Yamaha, je crois, mais honnêtement, j’suis pas très très ancrée dans tout ce qui est habitudes. Surtout que j’ai pas assez pratiqué dans les dernières décennies pour vraiment avoir entretenu des habitudes.” T’as des collègues qui sont particulièrement fidèles à une marque d’instrument, toi t’as jamais été comme ça. Tu préfères tester tes options sur le moment, parfois, on trouve des choses inattendues. “Et niveau prix, elles se situent comment ?” Autre détail important. T’as beau venir avec des économies, et prête à y mettre le prix, tu peux pas non plus claquer de l’argent que t’as pas.

@Hera Weaver

« J'avais dit beaucoup de choses, j'suis surpris que vous vous en rappeliez. » C'est indéniable, Sailor est un moulin à paroles. Même avec l'inconnue qu'Hera était, ce soir-là – voire, surtout avec des inconnus. Ceci dit, la musique étant ce qui avait scellé leur discussion, qui, autrement, aurait largement pu s'arrêter au départ du dragueur importun, ce n'est pas si étonnant, qu'elle ait retenu ce détail-là. Lui-même avait gardé en tête qu'elle était percussionniste, quand bien même son prénom ne lui est pas spontanément revenu. Des passionnés avec une mémoire bien sélective, en somme. « Parfait ! Attendez, avant que j'oublie… » De quelques pas, il s'achemine vers sa caisse, sur laquelle il récupère la carte de la boutique et, à l'aide d'un stylo traînant là, y griffonne son numéro. « Tenez, on pourra se reparler plus facilement, comme ça, si besoin. Ca vous évitera de revenir juste ici si vous voulez juste m'inviter à une répèt'. »

Après lui avoir tendu le carré cartonné, il se reconcentre sur cette question de batterie ; et sur la question que sa remarque ne manque pas de provoquer – il fallait s'y attendre. Même s'il ressent toujours une certaine émotion, au moment d'évoquer le groupe, le sujet n'est pas d'une sensibilité à vif. Sailor peut en parler sans souci, tant qu'il continue de faire la part des choses ; de ne pas laisser l'affect, encore prépondérant malgré le temps écoulé, prendre le dessus. « Assez longtemps, oui. Je dirais… six ou sept ans. C'était une sacrée expérience. On n'a jamais rien fait de sérieux, on s'contentait de jouer dans la rue, dans des bars… Honnêtement, j'me demande encore comment on a été assez fous pour se lancer là-dedans, et en vivre tant bien que mal, mais c'était fort. » Ils étaient libres ; c'est ainsi que Sailor l'entend. Des années durant lesquelles ils avaient réussi à vivre sans contrainte, mués seulement par leur passion, leurs envies. Parfois trop, pour ces dernières, puisque c'est précisément ce qui avait causé la perte du groupe, de leur amitié. Mais quelle époque. « Ah, c'est rare, des musiciens qui soient pas toqués, au niveau des instruments. J'ai l'impression que la norme, c'est de n'jurer que par une seule marque. » Remarque-t-il en riant. « Bonne question, en effet. Alors, cette Yamaha est à 1500 dollars,c'est plutôt d'entrée de gamme, par rapport à l'autre que je fais à 1900, avec un set plus complet. Et la Ludwig à 2300, c'est le même set que la Yamaha à 1900 mais la qualité est légèrement meilleure. À vous de voir selon vos besoins. »

@Sailor Prescott & @Hera Weaver

“Il faut croire que c’est une rencontre qui m’a marqué.” Ce qui n’est pas faux, en vérité. Si des interactions surprenantes dans les bars, t’en a connu quelques-unes au cours de ta vie, il est en revanche plus rare qu’elles mènent à une discussion aussi intéressante que celle que vous avez partagé à l’époque. D’abord, sans doute, parce qu’il était rare qu’un homme vienne te voir pour te sortir du pétrin plutôt que pour venir te draguer lourdement. C’est peut-être pour ça, aussi, que le jeune homme t’as marqué. Le fait qu’il tienne une boutique d'instruments, aussi, est quelque chose que t’as cherché à graver dans ta mémoire, en tant qu’information pouvait être utile plus tard - ce en quoi t’as eu raison. “Ah, nickel, bonne idée ! J’vous tiendrai au courant rapidement !” Tu attrapes la carte qu’il te tend, et tu la glisses dans ton portefeuille, histoire de ne pas la perdre - t’en serais bien capable.

“Ah oui, quand même ! Mais c’est très formateur, en vrai, comme expérience. Avant d’être dans un orchestre j’ai aussi un peu fait ça, de jouer de ci de là, et j’adorais ça.” Toi, c’était pas dans un groupe restreint, mais plutôt au fil des voyages et des rencontres, mais l’idée reste là même. C’est cette proximité avec un public, et surtout cette envie de jouer peu importe le succès que ça rencontre qui importe. Qui montre la passion. “Ça fait longtemps que vous avez arrêté ?” C’est marrant, on dirait un peu la continuité de votre première discussion d’il y a deux ans, comme si vous aviez repris en cours de route. Il faut dire que quand il s’agit de musique, tu pourrais causer pendant des jours, et tu suspectes que c’est son cas également.

“C’est vrai ! Vous verriez certains de mes collègues !” T’en as certains qui sont de vraies créatures d’habitude. Et ce sont souvent les mêmes qui s’avèrent être les plus superstitieux, à avoir des rituels avant les représentations, ce genre de chose. Pas ton style, mais t’y es tellement habituée que ça te fait toujours sourire. Il t’annonce les prix, et tu hoches la tête, songeuse. Tout est plus ou moins dans le budget que t’avais envisagé, ce qui ne va pas t’aider à faire ton choix. “Mmh, j’hésite. Est-ce que je reste raisonnable, ou est-ce que je me fais plaisir ?” Dans tous les cas, t’as largement ce qu’il faut pour n’importe laquelle. En termes de son et de sensations, la première Yamaha est nettement en dessous des deux autres, à tes yeux. Entre l’autre Yamaha et la Ludwig, c’est une affaire de détails. Et d’esthétique, aussi. “J’vais peut-être partir sur la Ludwig quand même. Quitte à m’y remettre, autant le faire avec la meilleure qualité, non ?”

@Hera Weaver

Le sourire qui flotte sur ses lèvres est révélateur de sa nostalgie ; sans doute Sailor l'arbore-t-il toujours, au moment d'évoquer, même à la dérobée, le groupe et ce qu'ils ont vécu. Même si le temps lui avait fait prendre dans sa pleine mesure l'irréalisme de l'utopie qu'il avait pourchassée tête baissée, entraînant ses camarades dans son délire et vers leur chute, il ne cesserait peut-être jamais de regretter ces temps-là. Et d'espérer, dans un coin de son esprit encore un peu gamin, de pouvoir un jour revivre quelque chose de vaguement similaire. Une aventure quelconque, même si elle devait n'avoir aucun rapport avec la musique ; qu'importe. Cela étant, avec les années, son côté rêveur a bien dû un peu se gâter. Cette idée-là, il la garde dans le tiroir de celles qui n'ont aucune chance de se réaliser, tout en se persuadant que les plus belles années appartiennent désormais au passé. Un cynisme dont il n'a jamais été coutumier, être soleil se plaisant à l'optimisme ; pourtant, il lui semble trouver un certain réconfort, à enfin laisser de côté ses idéaux chimériques. « J'sais pas si c'était vraiment formateur musicalement, parce qu'on jouait toujours un peu la même chose, finalement… Humainement, oui, par contre, pas de doute là-dessus. C'est cool que vous ayez fait ça aussi… J'crois qu'on en avait un peu parlé, mais l'orchestre a dû vous changer. » Il réfléchit rapidement, se retenant, pour répondre, de compter sur ses doigts. Si le résultat auquel son calcul mental aboutit lui paraît aberrant, ce n'est pas tant en raison d'un défaut dans ses additions, plutôt le fait qu'il évite soigneusement de penser à cela en nombres. La mesure est trop concrète, et ne joue certainement pas en sa faveur. S'il y a une occurrence qui pourrait lui faire une peur bleue quant au temps qui passe, ce serait bien celle-là. D'avoir à déterminer depuis combien d'années tout a volé en éclats. « Ca fait cinq ou six ans. J'saurais pas vous dire précisément, ça commence à dater, comme vous pouvez l'constater. » Il ne s'attend pas à ce qu'Hera comprenne à quel point ce creux l'a marqué : il n'y a certainement qu'à ses propres yeux que c'est aussi vertigineux. Car Sailor sait également qu'à bien des égards, il est resté quelque part dans un trou paumé du pays, n'importe où sauf à Brisbane, et que ses sentiments ont cruellement évité le moindre retour à la case départ. Il n'est plus le même, pourtant, il le sent dans ses réflexions, ses réactions, au quotidien comme dans les moments où il y repense, mais trop de choses lui semblent encore similaires, malgré ces années égrainées.

« C'est sûrement cliché », admet-il de bonne grâce, « mais j'avoue que j'imagine les musiciens d'orchestre comme des gens très carrés, rigides, même… Alors, ça m'étonne pas du tout, que vous m'disiez ça. Même si j'dois reconnaître que vous, vous ne rentrez pas dans la case que je me représentais. » Elle a quelque chose d'original, Hera, qui l'a frappé dès leur première conversation, et doit être la raison pour laquelle lui aussi s'est souvenu d'elle de manière si limpide. Rien à voir avec la représentation largement stéréotypée qu'il se fait du monde de l'orchestre. Quant à savoir s'il a parfaitement tort ou si elle est un cas isolé, peut-être qu'il n'aura jamais la réponse. « Si vous pouvez vous permettre de prendre la Ludwig, je pense que c'est un excellent choix. » Remarque-t-il simplement, d'un air déférent : avec le temps, il a appris à interférer aussi peu que possible dans les tergiversations de ses clients – à moins que ces derniers ne demandent explicitement des conseils, qu'il est toujours ravi de prodiguer –, ne voulant pas prendre le risque de les influencer, surtout si leur préférence devait se porter sur l'instrument le plus cher qui, bien évidemment, est l'achat qui arrangerait le plus ses affaires. Mais Hera est une professionnelle : en tant que telle, il ne peut que l'encourager à aller vers la meilleure qualité possible.