La journée a été longue, sans l’être vraiment. La journée est passée vite, tout simplement. Passée sans qu’Aster ne la voie vraiment filer. Non pas qu’elle s’en plaigne – c’est tout ce qu’elle préfère. Quand elle peut passer des heures et des heures à jouer. Cela étant, aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait ce qu’elle a fait. Les rendez-vous se sont enchaînés, par rapport à la sortie imminente de son album. Celui sur lequel elle a bossé si dur toute l’année, et même la précédente. Elle avait rendez-vous à la maison de disque alors, la blonde, pour régler les derniers détails, pour qu’on lui parle aussi de la soirée de lancement. Tout un tas de choses qui la dépassent et lui font tourner la tête. Elle est nerveuse, Aster, stressée par le lancement, inquiète à l’idée que cela ne marche pas, ou pas assez. Cela trouble ses nuits, ses songes. Ses journées, aussi. Aujourd’hui, elle s’est sentie ailleurs. Complètement à la ramasse. C’est encore ce qu’elle ressent quand elle quitte le restaurant où ses producteurs l’ont invitée à dîner. C’est tellement fou, tout ce qui lui arrive, qu’elle se sent étourdie. Même quand elle rejoint la rue et que le brouhaha des voitures l’accueille. Elle essaie tout de même de reconnecter ses neurones – car maintenant, il faut rentrer. Et rentrer entière. La nuit est tombée sur la ville, quoique les journées rallongent.

Elle devrait rentrer. Pourtant, elle passe devant un bar qu’elle connaît et ressent l’envie de s’y arrêter. Pas longtemps, juste histoire de boire un verre, se poser, mettre de l’ordre dans ses pensées. Il lui semble que Stevie n’est pas à l’appartement ce soir, et pour une fois, elle n’a pas envie de se retrouver dans le silence, la blonde. Elle veut encore sentir l’effervescence de la ville, comme si elle partageait toute entière son excitation. Comme si les gens riaient, s’enthousiasmaient, pour les mêmes raisons. Mais ils ne s’en doutent pas une seule seconde. Ils ne savent pas qui elle est, Aster, quand elle franchit la porte de ce bar, qu’elle s’assoit à une table. Le serveur n’en sait rien non plus, pas plus quand il prend sa commande – un verre de vin blanc –, car les quelques affiches concernant son album qui commencent à fleurir timidement ne suffisent pas à en faire une figure connue. Ni cela, ni les 3 000 et quelques personnes qui la suivent sur Instagram. Une musicienne, une pianiste, cela ne fait pas autant de bruit qu’un groupe de musique ou un chanteur, et cela lui va, lui convient. Car Aster n’aime pas être trop dans la lumière, préfère l’ombre réconfortante.
Perdue dans ses pensées, elle pourrait y rester. Sauf que son regard vogue distraitement, malgré elle, de table en table. Erre sur les visages qu’elle ne connaît pas. Jusqu’à ce qu’elle en reconnaisse un. Rhett. Rhett ? Soudainement, Aster se redresse. N’en croit pas ses yeux. Pourtant, c’est bel et bien son frère, là-bas, à une autre table. Et il n’est pas seul. Non, il y a quelqu’un d’autre avec lui. Une jeune femme, avec laquelle il semble en grande conversation. On dirait qu’il flirte. Aster fronce les sourcils, essaie de mieux voir. Mais les secondes passent, plus elle en est sûre – et la voilà tout à coup prise d’une rare impulsion, se levant et partant en trombe en direction de son frère. « Salut, Rhett. » Elle essaie d’avoir un ton normal, pourtant l’agacement perce dans sa voix tandis qu’elle se tourne vers la femme à côté. « Enchantée, je suis Aster, sa sœur. Et vous êtes ? » demande-t-elle, avec un sourire poli, forcé. Malgré elle, le ton de sa question a été sec. Peut-être s’est-elle fait des films, peut-être s’est-elle mêlée de ce qui ne la regardait pas. Tant pis. Pour une fois dans sa vie qu’elle est impulsive, peut-être peut-elle empêcher un désastre.
Et là tout à coup, comme cela, son regard tombe sur la main de son frère. Sans l’alliance à son doigt.