@Matthew Hurley & @Marlon O'Connor

Il a commencé à prendre conscience que sa consommation d’anti-douleurs était peut-être excessive, Marlon. Plus d’un an après son accident, et alors que l’intégralité de ses soins sont terminés, il ne devrait plus en avoir besoin. Son front ne devrait pas suer à grosses gouttes quand une demi-journée passe sans qu'il avale ses pilules magiques. Il commence à en prendre conscience, Marlon. Sans aller jusqu'à évoquer l'idée qu'il puisse souffrir d'une quelconque addiction, il a décidé de tirer la sonnette d'alarme en début de semaine, après un week-end passé sans trop en consommer. Dès le lundi, il a cessé toute prise d'anti-douleurs ; comme ça, sans préavis et sans étape. Les premiers jours ont été très difficiles ; l'irritabilité de Marlon était à son comble et ce sont ces collègues de la caserne qui en ont fait les frais. À mesure que la semaine s'est poursuivie, l'état d'esprit de Marlon a commencé à s'apaiser et le manque à se faire moins présent. Toutefois, le quarantenaire n'avait pas encore renoué avec sa sérénité habituelle. Alors, le week-end approchant, il s'est manifesté dans le groupe What's App de l'association de pêche de la ville.

Salut, qui pour une journée pêche demain au Lac Wivenhoe ?

Les réponses ne se sont pas bousculées, loin de là. Mais Matthew a tout de même répondu présent à l'appel et, par messages privés, les deux adhérents ont convenu de l'organisation de leur week-end. C'est ainsi qu'ils se sont retrouvés, chacun avec leur véhicule, à Cormorant Bay dès neuf heures du matin ce samedi. Leur installation a été rapidement montée ; hameçons accrochés, mortier et appâts préparés et les cannes ont pu être plongées dans l'eau un peu plus d'une heure après leur arrivée. Depuis leurs chaises de pêche, ils se sont adonnés à leur passion commune.

Adeptes de la pêche "no kill", Marlon et Matthew n'ont jamais aussi bien tenus leur promesse qu'aujourd'hui. À l'heure de partager leur déjeuner, ils comptaient seulement deux prises à leur actif. Une chacun. Ce qui est pour ainsi dire... Très mauvais. Mais cela a au moins permis à Marlon de s'occuper l'esprit.

L'après-midi n'a pas été beaucoup plus fructueuse. Les heures ont défilé sans qu'aucun poisson ne se manifeste, malgré le fait qu'ils aient changé à plusieurs reprises d'emplacement. Le pompier croit même avoir piqué du nez à plusieurs occasions, tant et si bien que lorsqu'une des cannes a enfin émis le signal qu'une prise se trouvait au bout de la ligne, il a volontiers laissé ce plaisir à Matthew. Le bar pêché faisait à peine 1,2 kgs. En souvenir de cette journée catastrophique en matière de pêche, Marlon a tout de même immortalisé l'instant en prenant une photo à l'aide du portable du policier. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il a fait une allusion au film des Simpson et au fait qu'il aimerait parfois être autorisé à pêcher de la même manière qu'Homer. Fort heureusement, son acolyte avait la référence et le rire l'a emporté. Sur cette dynamique, Marlon s'est proposé d'aller chercher les bières dans la glacière qu'il avait laissée à l'ombre de son pick-up.

Alors qu'il revient à hauteur de leur installation, Marlon se rassoit volontiers sur sa chaise et décapsule deux bières. Il prend le temps de faire tinter son goulot en verre contre celui du policier, avant de porter son regard au loin et d'entamer une nouvelle sorte de discussion.

- On ne peut pas dire que ce soit une journée très fructueuse. Mais toi tu désespères pas, je vois que t'as relancé la ligne, note Marlon à haute voix, avant d'initier un sujet plus personnel. Et alors comme ça, tu as une sœur ? demande-t-il.

Il ne sort pas cette information de son chapeau, Marlon. Plus tôt dans la journée, alors qu'il immortalisait la prise de Matthew avec son téléphone, ce dernier lui a confié qu'il l'enverrait à sa sœur qui regretterait à coup sûr de ne pas avoir voulu se joindre à eux.

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Depuis sa soirée d'anniversaire, l'esprit de Matthew tourne en boucle sur les mêmes thématiques. Celles qui le poursuivent depuis des années, une décennie même. Les sœurs Almeida. Entre l'intervention de Bianca sur le palier de sa demeure, et l'irruption d'Iris dans son bureau au commissariat, Matthew ne fait que penser à elles. À cette sensation de manque qu'il croit ressentir vis-à-vis de Bianca, mais également aux interrogations qu'il a pu faire naître chez celle qu'il a autrefois tant aimé. Et si Iris découvrait quelque chose ? Si elle ne se contentait pas des informations délivrés par Matt et qu'elle partait à la conquête de plus de détails. Auprès d'Isabella, mais également de Bianca. Connaissant la curiosité de son ex, Matt craint qu'elle puisse arriver à démêler le vrai du faux. Il a l'impression qu'elle pourrait le démasquer du jour au lendemain. Ce serait grave, terrible même, si la vérité venait à se savoir et qu'Iris découvre tous les détails de la relation que partage sa sœur avec son ex. Elle a beau avoir brisé le cœur de Matthew, il n'a pas envie de lui faire du mal, ni même la faire souffrir car il n'est pas fichu de contenir ses désirs.  Elle n'a rien demandé Iris. Et certainement pas ces horreurs-là ! Mais c'est plus fort que lui. Matthew commence même à se demander si ce n'est pas plus que de l'attirance, plus que du désir, mais il est encore loin dans ses interrogations. Pour l'heure, il ressent juste le besoin de se changer les idées. D'autant qu'il ne travaille pas ce week-end. Mais Ally ne semble pas très encline à vouloir l'aider. L'idée d'aller faire les magasins un samedi ne l'enchante pas, même si elle lui propose de partir relativement tôt. Proposition étonnante, dont Matthew sait d'avance qu'elle ne sera pas tenue le jour J. Par chance, ou plutôt par miracle, il reçoit un message sur son groupe de pêche. Un sourire immense fait s'étirer ses lèvres alors qu'Ally commence à imaginer à voix haute la journée de demain. Matthew la stoppe dans son élan et lui annonce qu'il a prévu une journée pêche avec un type de l'association. Comme toujours, Ally s'oppose à cette journée. Et quand Matthew insiste sur le fait qu'il s'y rende, elle refuse catégoriquement de se joindre à lui. Rien d'étonnant, Ally n'a jamais voulu venir pêcher avec son frère. Tant pis pour elle !

En véritable passionné, Matthew a préparé toutes ses affaires depuis la veille au soir. Il arrive pile à l'heure sur le lieu du rendez-vous, et s'affaire à installer leur campement le plus rapidement possible. Plus vite ce sera fait, plus vite ils pourront tous deux s'adonner à leur passion commune. Matthew espère pouvoir admirer diverses espèces, mais il déchante vite à mesure que les heures défilent. Seuls deux poissons ont mordu leurs lignes dans la matinée. Quand à l'après-midi ce n'est franchement guère mieux. Elle s'écoule tranquillement, sans qu'aucun autre poisson ne vienne mordre la ligne. Un soupir las s'échappe des lèvres de Matthew qui refuse pour autant d'abandonner. Marlon s'endort, ennuyé par ce calme absolu. Les cannes ne bougent pas. Matthew les fixe, se confie même la tâche de surveiller celle de son ami. La joie le gagne enfin lorsque un petit bar daigne mordre la ligne. Il était temps ! Après des heures à l'attendre ! La passion est telle que ses yeux pétillent de bonheur, et qu'ils se prennent en photo avec. Depuis le temps qu'il attendait, Matt... ça devenait presque agaçant. Parce que ce calme et ce silence, ça a tendance à l'amener à réfléchir, à penser à celles qu'il cherchait justement à éviter avec une journée à pêcher.

Matt laisse finalement le poisson rejoindre le lac lorsque Marlon fait illusion à Homer. Un léger rire s'échappe d'entre ses lèvres. Lui aussi il aimerait bien pouvoir pêcher comme lui. Ça semble si facile dans les Simpson, mais en même temps si risquer. Est-ce qu'il voudrait mettre en danger sa vie pour une passion d'ordinaire si paisible ? Pas sûr. Ally lui en voudrait trop.

Quoiqu'il en soit, ils doivent fêter ce bar ! Alors Matthew hoche la tête à la proposition de Marlon de boire une bière. En son absence, Matt en profite pour relancer la ligne plus loin sur la droite, alors qu'au même instant, Marlon revient parmi lui.  Matthew se saisit de la bière qu'il lui tend, en lui offrant un sourire en retour. Le tintement qu'échappe les bières en s'entrechoquant fait sourire le policier, tandis que son regard se repose sur le lac. Il abandonne enfin les cannes à pêche pour observer l'horizon. La nuit commence à tomber. La remarque de Marlon sur le fait qu'il ne désespère pas amuse Matthew, qui se contente de hocher la tête en guise de réponse. Mais en réalité, ça commence à l'agacer. Il se demande s'ils ne devraient pas changer de spot. Seulement, c'est peut-être un peu tard pour ça...

- Ouais ! Je ne t'en avais jamais parlé ? demande-t-il alors qu'il sait pertinemment que ces compagnons de pêche ne sont pas ceux avec lesquels il parle le plus. En réalité, le temps passé avec eux est plus souvent comblé par le silence que par des mots. C'est même plutôt rare qu'un sujet intime vienne se mêler à leurs échanges. Le dernier en date avec Marlon, étant la thématique Abigaïl. Elle est plus jeune que moi, et m'exaspère plus que tout. Je crois qu'elle me manipule trop avec ses yeux doux. Et j'ai un grand-frère aussi ! Il est marin, explique le Hurley en souriant, se sentant plutôt libre de raconter sa situation familiale à Marlon. Ou en tout cas, de lui parler du trio le plus important de son existence.

S'il y a bien une personne à laquelle il tient plus que nul autre, c'est elle. Sa sœur. Sa Pooh. Elle lui manquerait presque ce soir. Il faut dire qu'il n'a plus l'habitude d'être séparé d'elle, sauf à cause du travail, ou quand Ally est de sortie.

- Et toi Homer ? Je t'ai jamais demandé... T'as des frangines ? Des frères ? Sympas ou peu retardés ? relance-t-il le sujet en essayant d'amuser son camarade de pêche.

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Avoir choisi la pêche comme deuxième activité sportive, après le football, n’est pas anodin. Marlon avait ce besoin de trouver une activité requérant du calme et de la patience. Ajouter la nature à tout cela et des coéquipiers aussi discrets que lui lui convenait bien. C’est ainsi qu’il a réadhéré à l’association de pêche l’année qui a suivi sa première inscription et qu’il fait parti de ce groupe depuis un peu plus de deux ans désormais. Deux années non-entières puisqu’elles ont été entrecoupées par l’hospitalisation de Marlon, mais deux années tout de même. Pourtant, en deux ans, les discussions personnelles qu’il a eues avec le policier se comptent sur les doigts d’une main. D’aussi loin qu’il se souvienne, Marlon et Matthew n'ont échangé qu’à propos de leur métier respectif et d’Abigail. Leur ex commune. Ça les a fait sourire d'apprendre ça, mais ils n'ont pas approfondi la discussion, conservant chacun leur intimité.

En dehors de ces deux aspects de la vie du policier, force est de constater que Marlon ne sait rien de lui. Jusqu'à aujourd'hui, il ignorait même que Matthew avait une sœur dont il semble suffisamment proche pour lui envoyer la photographie de son unique prise du jour. Suffisamment proche, aussi, pour la taquiner en l'informant de ce qu'elle a manqué en décidant de ne pas se joindre à eux.

-Non, ça me dit rien, réagit Marlon qui n'a pas le moindre souvenir d'avoir déjà entendu parler de la sœur de son coéquipier de pêche.

À mesure que Matthew se livre dans une description sommaire du lien qui l'unit avec sa sœur, un sourire amusé s'étire sur les lèvres du pompier. Il a désormais la certitude de ne jamais avoir entendu parler de cette sœur. Vu le portrait qui vient d'être dressé par Matt, il s'en serait souvenu, c'est certain.

- C'est à toi d'être fort et de ne pas te laisser manipuler, hé ! s'en amuse Marlon. Marin ? Je vois. L'eau et ta famille, c'est une grande histoire d'amour, donc ?

Il ne peut pas dire qu'il en aille de même de son côté, Marlon. Les O'Connor ne sont jamais partis en vacances, pas même en week-end au bord de la mer ou sur les plages de Brisbane. Les seules fois où Marlon se rendait près de l'océan quand il était adolescent, il le faisait avec ses amis ou il y trainait l'un de ses frères pour échapper à la punition qui suivait toujours les conneries monumentales qu'il faisait. Mais jamais il n'y est allé avec Jane ou Bryan. La discussion s'oriente d'ailleurs doucement sur la famille de Marlon ou, plutôt, sur sa fratrie. Il s'octroie une nouvelle gorgée de bière avant de répondre.

- Pas de frangine non. Tant mieux, pas de petite paire d'yeux pour me faire craquer ! s'en amuse-t-il encore.

Dans le même temps, Marlon extrait le paquet de cigarettes de la poche de son pantalon pour en glisser une entre ses lèvres, avant d'en proposer une à son acolyte. Le cendrier au milieu de leurs chaises est plein et démontre sans mal l'ennui qu'ils ont eu à tuer aujourd'hui.

- Trois frères, en revanche. Et aucune histoire d'amour avec l'eau. Mon deuxième frère, Keith, a même failli se noyer dans une piscine quand on était gosses, grimace le pompier en se remémorant cet épisode dramatique de leur vie.

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Avoir une petite sœur comme Ally, ce n'est franchement pas de tout repos. Chaque nouvelle journée qui passe apporte son lot de folies. Il faut se préparer à toutes les possibilités ; comme l'adoption spontanée d'un lapin, la livraison d'une garde robe entière, ou encore la vaisselle de la veille au soir trainant encore dans l'évier après une nouvelle journée de garde. Avec Ally, rien n'est jamais certain. Le positif là-dedans est qu'elle éloigne Matthew de sa vie de routine – qui lui a toujours convenu – et lui fait plutôt vivre une vie de montagnes russes. Lui ça l'agace, même si dans le fond, il doit reconnaître redouter désormais le jour où Ally quittera la maison. Il s'y est habitué, à ses caprices et à ses fantaisies. Parler d'elle l'amuse toujours, Matt, qui ne rechigne donc pas à expliquer sa situation fraternelle au pécheur. Ally et ses facilités à obtenir toujours tout ce qu'elle désire. Il lui accorde l'adjectif de manipulatrice, ce qui semble amuser Marlon, autant que ça l'amuse lui. Dans le fond, c'est bien ce qu'elle est Ally. Parce que d'un simple regard, elle arrive à obtenir tout ce qu'elle veut de la part de ses frères ainés.

- T'as bien raison, répond-il en riant sans retenu. C'est à lui de faire attention à ne pas se laisser faire. Il faut qu'il prenne sur lui, sinon à cette allure, il finira par offrir sa maison à sa frangine. Ce sera à lui de la quitter pour se trouver un autre domicile.

La situation l'amuse réellement. De son regard rieur, le flic observe le pompier dans son fauteuil, avant de regarder à nouveau à l'horizon. Lorsque le sujet délaisse Ally pour s'orienter vers sa famille au complet, son sourire laisse place à une moue plus attristée, presque colérique. Ses sourcils se froncent alors que Marlon l'interroge sur sa famille. Seule sa tête se hoche pour apporter une réponse au blond, puisque Matthew n'a pas tellement envie d'expliquer que la réalité est autre. Oui. L'eau et sa famille c'est une grande histoire d'amour. Mais c'est aussi la cause de beaucoup de souffrances. Gamin, il n'a jamais été emmené en vacances pécher à bord d'un bateau, il n'a jamais été en vacances tout court, avec ses parents. Il est arrivé que leur mère conduisent ses trois enfants au port lorsqu'elle eut à remplacer certains collègues absents. Gérant garde et mômes au regard pétillant face aux navires, au phare et aux containers. Ce n'est pas arrivé souvent, mais suffisamment pour qu'ils y croisent des travailleurs maritimes trop gentils pour ne pas leur accorder de leur temps. Quant à leur père, dès qu'il revenait de longs voyages, il leur montrait des livres, leur expliquait comment faire des nœuds, et parlait de sa passion pour les bateaux. Sans leur montrer, jamais, une seule pointe d'amour. Le souvenir de ce paternel absent fait lâcher un soupir agacé à Matthew. Il n'a pas envie de penser à ses parents, et n'hésite donc pas à tourner la conversation vers la famille de Marlon. Elle sera probablement plus intéressante que de parler de ses géniteurs à lui.

Matthew se délecte d'une nouvelle gorgée de bière quand Marlon fait une allusion à Ally. La remarque manque de le faire s'étouffer, alors qu'il rit sans réussir à se retenir. Il l'a bien cernée. Après avoir toussé à plusieurs reprises, le policier attrape une clope que lui tend le pompier, et le remercie d'un simple geste de tête. Il attrape son briquet et se penche sur son fauteuil pour allumer la cigarette de Marlon avant la sienne. Lorsqu'il tire une première bouffée de tabac, Marlon reprend la parole pour lui expliquer sa situation familiale.

Un prénom retient son attention. Keith. Comme Keith O'Connor ? Ses méninges fusent tandis qu'il tente de se souvenir du nom de famille du pompier. Si Matthew n'est pas celui qui gère les inscriptions dans l'association de pêche dont il fait parti, il se rappelle avoir déjà vu le nom de Marlon lors d'intervention mêlant pompiers et forces de l'ordre. « LT. O'Connor ». L'inspecteur tire à nouveau sur son cylindre alors qu'il relie Keith O'Connor au lieutenant O'Connor. Comment n'avait-il jamais pu faire le lien avant aujourd'hui ? Probablement a-t-il été trop distrait par la gentillesse du pompier pour l'associée au caractère désobligeant et désagréable de Keith ? Ça l'agace de ne pas avoir réaliser avant aujourd'hui, car maintenant il a l'impression de se trouver dans une situation cocasse, gênante même. Parler de l'ex petit-ami de Bianca avec son frère n'a rien de bon. Bien au contraire, ça le fait flipper Matt. Les taffes s'enchainent et le cylindre diminue à une allure folle tandis qu'il laisse son regard glissé sur l'homme à ses côtés. Des O'Connor ça ne court pas les rues ; mais peut-être qu'il se trompe, peut-être qu'ils ne sont pas frères. Il l'espère en tout cas, parce qu'il ne se voit pas confier à Marlon détester son frangin.

- Ton nom c'est bien O'Connor ? demande-t-il en soufflant la fumée par ses narines. Lorsque le pompier acquiesce, Matt soupire. Je ne savais pas que Keith était ton frère. Ni qu'il s'était noyé gamin, note-t-il à voix haute en sous-entendant connaître le cadet de Marlon.

Il s'étonne d'apprendre que Keith a peur de l'eau. Avec une compagne comme Bianca Almeida il aurait dû réussir à combattre cette crainte, non ? Bianca est une amoureuse, une passionnée d'eau, de la mer et de ce qui s'y trouve. Les fonds marins sont un régale pour elle. C'est donc surprenant qu'elle ait pu être en couple avec un homme redoutant d'y foutre les pieds.

- À l'époque où Keith sortait avec Bianca Almeida, j'étais en couple avec sa frangine, explique-t-il brièvement pour devancer Marlon et éviter qu'il lui pose une question bizarrement formulée. Et tes autres frères, ils ont peur de l'eau eux aussi ? demande-t-il précipitamment en espérant mettre de côté le sujet Keith ; et celui des sœurs Almeida.

Il ne s'était jamais senti aussi mauvais inspecteur avant aujourd'hui. D'ordinaire, Matt fait attention aux moindres détails ; en commençant par un nom de famille.

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TW : noyade

1993. Il a onze ans. Sa mère vient de lui peigner les cheveux et de les lui plaquer avec du gel pour lui donner un faux air d’enfant sage. En réalité, Jane a dû s’y reprendre à pas moins de six reprises avant de parvenir à avoir une once de contrôle sur son fils aîné. La tâche a été rude mais elle est arrivée à ses fins en transformant chacun de ses quatre garçons en portrait type pour les magazines. Les O’Connor se sont rendus chez leurs nouveaux voisins sous leur faux air de famille parfaite ; seulement, la mascarade n’a duré qu’un infime temps. Alors que les adultes étaient à l’intérieur et les six gamins à l’extérieur, les deux plus grands de la famille O’Connor ont imposé leur jeu à leurs nouveaux voisins. Les règles ? Lancer le ballon dans la tête des deux nouveaux venus. Marlon et Taron sont habiles avec la balle et se fichent bien des conséquences de leurs actes ; ils ne loupent que rarement leurs cibles. Keith se mêle même à la partie alors qu’Irwan, du haut de ses trois ans, les regarde en riant, sans doute amusé de ne pas être la proie de ses grands frères. Toutefois, au bout de quelques minutes, les voisins commencent à protester. Marlon et Taron chaussent leurs airs de gros durs en s’approchant d’eux pour leur faire comprendre que la négociation n’a pas sa place ici. C’est dans le même temps que le drame se produit ; Keith, parti chercher le ballon qui a roulé jusqu’à la piscine, finit par tomber tête première dedans. Il n’a que six ans et est incapable de s’extirper seul de cette situation. Personne ne saura jamais combien de minutes s’écoulent, durant lesquelles Keith s’accrochent à la vie. Toujours est-il que dès que Marlon est alerté de l’absence de son frère et qu’il comprend qu’il est prisonnier de l’eau, il n’hésite pas un seul instant à plonger. Tant pis pour ses cheveux bien peignés et ses fringues pour une fois repassées. À cet instant, seul son frère compte et Marlon vit les secondes les plus longues de sa vie entre le moment où il sort son frère de la piscine et celui où ce dernier finit par revenir à lui en crachant de l’eau sur le sol dallé.

Les pensées de Marlon sont ainsi orientées vers l’un des épisodes les plus dramatiques de sa vie quand Matthew le ramène à la réalité en l’interpelant sur son nom de famille. Une taffe de cigarette et un acquiescement de la tête plus tard et voilà que l’inspecteur de police fait le lien entre le frère de Marlon et Keith O’Connor. Peu curieux, le pompier ne cherche pas à savoir comment Matthew et son frère se connaissent. Il se dit que cette information viendra à lui si son interlocuteur souhaite poursuivre sur ce sujet. Et c’est précisément ce qu’il se passe.

Une nouvelle fois, Marlon est renvoyé vers le passé. Un passé moins ancien que l’épisode de la noyade, mais qui remonte tout de même. À quelle époque Keith sortait-il avec Bianca ? Ce devait être quand Marlon lui-même était en couple avec Bethany. La relation de son frère s’est terminée avant son propre mariage à lui. Cela remonte à la louche à une dizaine d’années.

- Ah ! C’est marrant ça ! réagit Marlon en alternant bière et cigarette. Ça remonte eux deux, si je ne dis pas de connerie, dit-il en finissant par écraser son mégot de cigarette dans son cendrier de poche, avant de balayer la dernière question de Matt d’un signe de tête négatif. Non, non, ils n’ont pas peur de l’eau, les autres. Juste Keith à cause de son trauma de quand il était gamin. Il n’a jamais su s’en défaire et je pense que ça ne changera jamais. Enfin bon, ça ne l’empêche pas de vivre, ce n’est pas comme si ça le handicapait au quotidien ou dans sa vie pro. Vous vous entendiez bien ? Vous avez toujours des contacts ? s’entend-il demander.