@Jules de Sario & @Gracie Moon

Les vinyles défilent sous ses doigts, et Jules semble particulièrement concentrée, cherchant à reconnaître chacune des pochettes. Pour la plupart, les noms qui s'étalent en lettres grandes ne résonnent absolument pas en elle, mais la serveuse ne se décourage pas : elle sait qu'elle a des lacunes, dans le monde musical, et encore plus lorsqu'il s'agissait de vinyles. Mais aujourd'hui, elle n'était pas là pour elle : c'était l'anniversaire de son père, bientôt, et ce dernier ne jurait que par son lecteur dont il prenait soin, déposé sur une table sur-mesure en plein milieu de son bureau. Jules savait qu'elle lui ferait forcément plaisir, en lui dégottant des perles rares qu'il ne possédait pas encore. Pour autant, elle y allait à l'aveuglette, hésitait depuis plusieurs minutes à partir à la recherche d'un vendeur qui pourrait l'aider à trouver ce qu'elle cherchait. Le problème, c'est que justement, la brune ne savait pas très bien ce qu'elle voulait. Avec un soupir frustré, elle s'était emparée de son téléphone portable, avait vainement essayé de joindre sa mère. Pas de réponse, bonne nouvelle : avec la fin d'année approchant, ses parents croulaient forcément sous les demandes de location de chalets et de villas en tout genre, et Jules n'obtiendrait probablement une réponse qu'en fin de journée. Bien trop tard, puisqu'elle n'avait pas vraiment la possibilité de passer son après-midi à patienter sagement dans la boutique en question.

En pleine introspection, prête à faire demi-tour, la serveuse ne se concentrait pas réellement sur ce qui pouvait bien se passer autour d'elle, malgré le nombre impressionnant de clients qui virevoltaient dans la boutique. Une voix douce et familière la sort subitement de ses pensées, l'interpellant grâce à son prénom. Jules détache son regard des bacs pour chercher la provenance de cette exclamation, s'accroche rapidement au regard de son amie, de l'autre côté de l'allée, face à elle. Concentrée, la serveuse ne l'avait même pas remarqué jusqu'à cet instant. « Gracie ? » Elle répète, presque par mimétisme, beaucoup par surprise. S'il y avait bien un lieu où elle ne s'attendait pas à croiser son amie, c'était bien celui-ci. Jules avait beau ne pas la connaître par cœur, leurs personnalités différentes les ayant toujours empêché de se rapprocher lors de leurs soirées communes, il n'en demeurait pas moins que la brune avait toujours pris la peine d'écouter avec attention, lorsque Gracie osait parler d'elle à voix haute. Sa timidité avait touché Jules droit au cœur : c'était comme découvrir un trésor immergé au fond de l'océan, mais ne pas en posséder la clé pour en découvrir le contenu. Avec le temps, et au fur et à mesure que son amie laissait échapper des bribes de son quotidien et de sa façon d'aborder la vie, la curiosité de la serveuse s'était transformée en un intérêt sincère et romantique. Mais à l'époque, Gracie filait le parfait amour avec celui qui semblait être l'homme de sa vie, et Jules venait tout juste de rompre ses fiançailles. Ce n'était probablement pas les parfaites circonstances pour se déclarer, et même la brune en avait été consciente. Elle avait préféré taire la mélodie de son cœur, habituée aux crush passagers pour lesquels Jules ne souffrait jamais vraiment, même lorsqu'ils n'étaient pas réciproques. De toute façon, les deux femmes ne se voyaient pas aussi régulièrement que ça, ne se retrouvaient côté à côté seulement lorsque leur groupe d'amis en commun s'adonnait à l'organisation de soirées variées. Avec le temps, Jules avait fini par se faire une raison. « Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu as acheté un lecteur ? » Elle lui demande en souriant largement, désignant du doigt les boites de disques qui les séparaient. « Je suis contente de te voir, ça faisait longtemps que je n'avais pas eu de tes nouvelles. » Aucun reproche dans sa voix et à peine un regret dissimulé : la jeune femme est consciente qu'elle aurait très bien pu faire le premier pas vers Gracie, si elle souhaitait comprendre pourquoi cette dernière avait subitement disparu de la plupart des soirées organisées. Elle n'avait pas vraiment d'excuses, Jules, mais avait eu la tête ailleurs, accaparée par ses fiançailles achevées sans même avoir vraiment commencé.