L’après-midi semble s’éterniser, sans qu’Oakley ne sache quoi faire. Il a écouté, a pris des notes, a participé à quelques interventions quand des questions pertinentes lui venaient ou qu’il était intéressé par le sujet. Depuis plus d’une heure cependant, sa motivation n’est plus là. Les intervenants se succèdent, exposent leurs sujets et répondent aux questions sans réussir à le captiver, et après quelques morpions contre lui-même, il n’attend plus que la pause salvatrice du café. Une tasse, des biscuits, de quoi noyer son ennui dans son estomac et penser peut-être à autre chose. Il faut se dire que c’est souvent ce qui se passe avec les séminaires, quelques sujets intéressent, d’autres non, et Oak doit bien se faire une raison. Encore quoi… trois heures peut-être, et il pourra vaquer à d’autres occupations pour sa soirée. Pas qu’il ait des plans bien précis, mais il pourra sans doute motiver l’un de ses amis à aller boire un verre avec lui pour qu’il se change les idées et renoue avec sa jeunesse pas encore envolée. Il a souvent l’impression qu’elle lui échappe, qu’il n’en profite pas assez, et ça lui laisse cette peur de perdre son temps. Pourtant il a été bien occupé Oak, avoir un doctorat en poche à vingt-sept ans ce n’est pas rien, mais il a été trop concentré sur ses études pour réellement vivre autrement. Lui qui, pourtant, rêvait il n’y a pas si longtemps de voir le monde. M’enfin, ce n’est pas aujourd’hui qu’il gagnera son billet. A la place il ramasse ses affaires rapidement et sort dès qu’il est clair qu’on va pouvoir profiter d’une pause. Il connaît ce genre de moments : bientôt il y aura une telle foule devant les cafetières et les biscuits qu’il ne sera plus possible de se procurer quoi que ce soit. Il se débrouille donc pour être l’un des premiers arrivés, se servir abondamment et reculer pour laisser la place aux autres. Il déambule alors entre les groupes, sourit à quelques collègues, échange quelques mots avec ceux qu’il a déjà croisés plus tôt dans la journée. Jusqu’à remarquer une ancienne amie à l’autre bout du hall. « Salut Dora. » dit-il après avoir marché jusqu’à elle. Il lui adresse un sourire en la saluant d’un geste de la main. Ca fait un moment qu’ils ne se sont pas vus tous les deux, mais ça ne change rien à sa bonne humeur et son plaisir de la voir ici. Au contraire, il est heureux de pouvoir échanger avec quelqu’un d’autre que les vieux professeurs qui s'agglutinent près du buffet. « C’est rare de se voir en dehors de la bibliothèque. » Oui, et ça le fait rire d’ailleurs qu’ils puissent se rendre compte l’un comme l’autre, qu’ils ont une vie en dehors des livres. Abonnés tous les deux aux salles de travail, ils ont passé beaucoup de temps à travailler ensemble, se donner de la motivation pour avancer leurs recherches et l’écriture de thèse. Différents sujets, différents domaines même, mais l’envie similaire de continuer pour décrocher enfin le fameux diplôme. « Qu’est-ce que tu penses de la journée ? » demande-t-il avec curiosité. Il ne veut pas se plaindre ou sous-entendre son ennui tout de suite, au cas où son amie y trouve totalement son compte.

Oak se faisait un plaisir à l’idée de cette journée de séminaire. Une journée sans étudiant, sans cours à donner et questions auxquelles répondre. Il n’est pas à l’abri, bien sûr, des questions que ses pairs pourraient lui poser sur ses projets de recherches ou d’avenir, mais il a appris à développer quelques techniques pour les éviter. Foncer vers le café et les biscuits dès que la pause est lancée par exemple, est une merveilleuse manière d’éviter les gens avec qui il ne veut pas parler et chercher, discrètement, avec qui passer un bon moment. En distinguant Dora dans la foule, il n’a aucun doute que c’est avec elle qu’il veut échanger. Amie de longue date, sur les bancs de l’école et à la bibliothèque, ils ont traversé les mêmes épreuves liées au doctorat et à la thèse. Il est toujours plus simple de parler avec elle plutôt qu’avec des professeurs plus âgés, qui ont fini leurs études depuis plus longtemps et ont oublié avec le temps les nuits d’insomnie et les cauchemars à cause de son sujet de recherche. Oak en a fait, Dora aussi sans doute, tout comme chaque membre de la petite bande qu’ils étaient. « Ça me fait plaisir aussi. » Ca fait un moment qu’ils ne se sont pas vus d’ailleurs, un peu moins abonnés à la bibliothèque depuis que leur diplôme a été validé. Il pourrait même dire que ça fait trop longtemps, parce que Dora a toujours été quelqu’un qu’il a apprécié, même s’ils n’ont pas eu énormément d’occasion pour se côtoyer dans des contextes plus légers. « Clairement, on a le droit d’avoir une vie en dehors aussi. » Ils sont humains après tout, et peuvent profiter d’une tasse de café et de quelques biscuits tout en sachant qu’ils n’ont pas à se remettre au boulot dix minutes plus tard. Même s’il faut admettre que la journée n’est pas beaucoup plus passionnante que celles qu’ils ont l’habitude de passer ensemble. « C’est plutôt pareil pour moi, il y a des interventions intéressantes mais c’est plus l’heure de la sieste qu’autre chose là. » Il rit un peu, se sentant enfantin de dire ça et en même temps, ils savent tous les deux que faire des pauses est important pour la productivité. Certaines journées à la bibliothèque se résumaient plus en diverses pauses qu’en recherches intensives, mais avec le temps Oak avait compris que c’était normal. Personne ne pouvait être rempli d’énergie tous les jours. « Et je crois que j’ai perdu assez vite l’habitude d’être de ce côté là des choses, rester assis à écouter c’est moins prenant que d’être débout à expliquer les choses. » Être professeur n’est pourtant pas une grande vocation pour Oak et il n’est pas certain qu’il fera ça toute sa vie. Mais à choisir, il doit admettre que ses jours en tant qu’étudiant sont bel et bien terminés et qu’il en est heureux. « Et toi alors, tu as pu garder quelques cours après ta soutenance ? » Ayant fait leurs études dans deux universités différentes, ils savent qu’ils n’ont pas été logés exactement à la même enseigne et n’ont pas eu accès aux mêmes choses.