S’il y a bien une chose que tu détestes dans la vie, c’est ne rien faire. Et n’avoir rien à faire. T’as besoin de mouvement, t’as besoin d’activité, t’as besoin de vie. L’idée de rester à glander devant la télé dans ton appart toute la journée, ça ne présente aucun intérêt à tes yeux. Pas plus que de tourner en rond en te laissant envahir par tes pensées. C’est peut-être ça le problème d’ailleurs. Tes pensées. Que tu cherches à éviter, à esquiver à tout prix, et qui te rattrapent dès que tu te poses ne serait-ce qu’un instant. Mais aujourd’hui, aucune idée lumineuse ne te vient, et ça te désespère un peu. T’es allongé dans ton canapé, le regard fixé au plafond, tandis que Trish se balade gaiement sur ton torse. La petite lézarde aime bien être sortie de temps en temps de son terrarium pour pouvoir explorer le monde. Et bien que ton attention soit happée par d’autres choses, une petite partie de ta conscience s’assure qu’elle n’aille pas s’aventurer sous un meuble où tu ne pourrais pas la récupérer. Mais le reste de ton cerveau se concentre sur d’autres choses. Enfin, se concentre. Il passe d’une pensée à l’autre, d’un souvenir à l’autre en un claquement de doigt, sans te laisser vraiment le temps de respirer ou de t’attarder sur quoi que ce soit.

Jusqu’à ce qu’un souvenir en particulier te reviennent, te faisant te redresser d’un bond (et rattraper au passage Trish, qui s’était aventurée un peu trop près de ton visage). Tu te revois voici quelques jours, te rendant au travail, relativement tard. Comme souvent, t’étais descendu du bus un arrêt trop tard, ayant oublié de faire gaffe. Résolu à marcher - pour un arrêt, t’allais pas reprendre le bus en sens inverse - t’avais commencé à te diriger vers le club, passant devant diverses vitrines éteintes, et bars animés. Et devant l’un d’eux, situé de l’autre côté de la rue, une silhouette familière était apparue, sortant de l’établissement. Chose étrange. Qu’est ce que Leon irait bien faire dans un bar ? D’autant qu’il n’avait pas l’air accompagné. Et un petit quelque chose au fond de toi te disait que quelque chose clochait, sans que tu puisses vraiment savoir quoi. Tu serais allé le voir, si t’avais eu le temps. Mais déjà en retard pour le travail, t’avais continué ta route, te promettant de creuser l’affaire. Ce que tu t’es bien entendu empressé d'oublier juste après.

Et maintenant que t’y repenses, tu te demandes vraiment de quoi il en retournait. T’as connu Leon en cure, il est sans doute légitime que le fait de le voir sortir d’un bar te paraisse incongru. Ou du moins que ça t’inquiète. Voilà ce que tu vas pouvoir faire de ta journée. Mener l’enquête. Discrètement, bien entendu. De toute façon, ça fait bien trop longtemps que tu n’as pas payé une petite visite au musicien. C’est l’occasion ou jamais. Déposant Trish dans son terrarium, tu t’assures qu’elle a bien tout ce qu’il lui faut, avant d’attraper ton abonnement de bus et tes clés, et de mettre les voiles. Et cette fois-ci, tu ne manques pas ton arrêt. L’appartement de ton ami ne se trouve pas bien loin, quelques centaines de mètres à peine que tu franchis bien rapidement. Au pied du bâtiment, cependant, trois types t'observent d’un air antipathique.

Est-ce ton t-shirt arborant un drapeau arc-en-ciel ? Est-ce le vernis rouge qui orne toujours tes ongles ? Toujours est-il qu’ils semblent très vite saisir quelle est ton orientation, et ça ne semble pas leur plaire. Les insultes à caractère homophobe ne tardent pas à fuser, accompagnées de commentaires peu ragoutants. D’ordinaire, tu n’en ferais pas grand cas, ayant l’habitude de ce genre de choses. Tant que ce ne sont que des mots, tu t’en fous pas mal. Ce qui t’inquiète, c’est quand ça devient physique. T’as déjà fini à l’hôpital une fois comme ça, t’as pas très envie que ça se reproduise. Et là, les trois hommes te barrent le chemin, et clairement, t’es pas rassuré. Ton regard va rapidement de la porte d’entrée - à quelques mètres à peine, et qui pourtant semble si loin - à tes potentiels agresseurs. Et t’es planté là comme un con à plus savoir quoi faire, tétanisé par la crainte de voir ce qui a été l’un des pires jours de ta vie se reproduire.

Planté là, tétanisé, tu ne bouges même pas quand les trois types s’avancent un peu plus vers toi, dans l’espoir sans doute de te faire réagir. Mais t’es pas capable, ni de faire un mouvement, ni de sortir le moindre mot. Tu voudrais t’enfuir en courant, ou appeler à l’aide, mais c’est comme si ton corps t’avait totalement abandonné. Le ton monte, et ta peur aussi. T’as pas envie de te retrouver une nouvelle fois à l’hôpital. De risquer de retomber dans la dépression, et dans tout ce qui est venu avec. Mais pas moyen. Tes jambes refusent de te répondre, et si t’avais pas entendu le bruit d’une fenêtre s’ouvrir, et une voix familière s’en échapper, tu te serais sans doute mis à trembler.

Immédiatement, le soulagement t’envahit. Tu parviens à lever les yeux vers l’ouverture où se tient ton ami, prenant ta défense face à ceux qui te barrent la route. Ces derniers ne semblent que moyennement impressionnés, mais au moins, leur attention n’est plus focalisée uniquement sur toi. Tu parviens à faire quelques pas mal assurés vers l’arrière avant que Leon ne disparaisse de la fenêtre et que les énergumènes se tournent à nouveau dans ta direction, un nouveau flot d’invectives à la bouche. Heureusement, si le musicien avait disparu, c’était seulement pour mieux réapparaître, tel un super héros des temps moderne, cette fois ci à la porte, avant de voler à ton secours, se postant entre eux et toi, et les menaçant d’appeler la police. T’as pas vraiment le temps de voir leur réaction que Leon te tire par le bras, et tu n'opposes aucune résistance, encore sous le choc.

Arrivé en haut, une fois la porte refermée, tu t’appuie dos contre le mur, te laissant glisser au sol, secoué par ce qui vient de se passer. T’arrives tout de même à esquisser un sourire à la boutade de ton ami, ce qui est plutôt bon signe. Et ta voix te revient pour répondre à sa question, preuve que tu devrais survivre. “Non ça va, il m’ont pas touché ou quoi.” Tu te passes une main sur le visage, comme pour t’aider à reprendre tes esprits. “J’ai eu la trouille de ma vie, par contre.” Ça sert à rien de le nier, c’est pas comme si Leon savait pas ton histoire, de toute façon. “Merci d’être venu me sortir de là, j’sais pas comment j’aurais fait sinon …”

Avec effort, tu te décolles du sol pour te relever. “Bordel.” Le mot est faible. Un bruit de pattes sur le plancher te fait tourner la tête, et tu aperçois une petite créature à poil qui trottine vers vous. Un adorable petit chien qui vient réclamer des caresses que tu lui accordes immédiatement, avant de te retourner vers “le vieux”. “A la base je venais te voir pour me changer les idées, c’est réussi !” Maintenant que tu te sens en sécurité, ton humour commence à refaire surface, et tu essayes d’occulter ce qui vient de se passer pour parler un peu d’autre chose. “J’espère que t’as des trucs à me raconter, du coup !”

Ton soulagement d’être enfin en sécurité est immense. Tu ne sais pas ce que tu aurais fait si Leon n’était pas intervenu. T’aurais fini par te faire tabasser, sans doute. Encore. Ou bien ton instinct de survie aurait enfin réagi et tu serais parti en courant. Dans un cas comme dans l’autre, tu préfères l’issue qui a réellement eu lieu. Ton ami balaye tes remerciements comme si ce n’était rien, et tu réponds sur un ton amusé. “Bien aimable !” Mais derrière l’humour se cache une réelle gratitude. T’as déjà si mal vécu ta première agression, qu’une deuxième t'aurait sûrement achevé. Au mieux, t’aurais replongé, au pire … non, vaut mieux ne pas y penser.

Le musicien te taquine gentiment, suggérant d'autres activités moins violentes que le cassage de gueule pour se vider la tête, et bien entendu, tu lui réponds sur le même ton. “J’ai déjà tout vu, sur Netflix, tu penses bien ! Du coup je me suis dit que j’allais faire une bonne action et aller rendre visite à une personne âgée.” T’exagères même pas. T’as fait le tour de ce qui pourrait t’intéresser sur la plateforme. Et sur les autres. Par contre, ce n’est clairement pas la raison de ta présence ici, mais ça, pas question de le lui dire. Le but, c’est de le sonder discrètement, pour comprendre ce que tu as vu. Pas de venir avec tes gros sabots.

Lui demander ce qu’il y a de neuf dans sa vie est un premier pas dans cette direction, même si la réponse de ton ami est, dans un premier temps, peu intéressante. Mais lorsqu’il ajouter avoir recommencé à composer, un sourire franc vient éclairer ton visage. Depuis toutes ces années que tu le connais, ça n’est presque jamais arrivé, et à tes yeux, ça ne peut qu’être un signe que ça va un peu mieux dans sa vie. Il n’y a peut-être pas de quoi s’alarmer, finalement. “Ooooh ! Faudra que tu me fasses écouter ça ! C’est chouette que tu te remettes à écrire.” Tu ne l’as pas souvent entendu jouer, encore moins chanter, en dehors des anciennes musiques du groupe, que tu connais bien entendu par cœur. Mais de voir le talent du brun à l’état brut, ça t’intéresse bien plus. “Et donc, dit moi, quelle est donc la cause de ce regain d’inspiration ? Ou bien est-ce quelqu’un peut-être ?” Ta curiosité naturelle reprend bien entendu le dessus, à la recherche d’éventuels ragots. Il doit bien y avoir une raison à tout ça, et t’as bien l’intention de la savoir.

Il poursuit en énumérant sa routine, précisant qu’il ne s’agit là de rien de trépidant. Certes, c’est son quotidien, c’est habituel, mais au moins, il ne doit pas s’ennuyer. “C’est déjà pas mal, ça te fait une vie bien remplie ! Ça te laisse du temps pour aller draguer, au moins ?” Tu le taquines sur ce point, sachant pertinemment que t’es exactement pareil. T’as pas peur de multiplier les conquêtes sans lendemain, de chercher un peu de plaisir par ci par là sans jamais t’arrêter. “Bah écoute, pas grand chose non plus, les soirs au club, certaines journées au refuge, le reste à la maison …” Toi non plus, c’est rien de bien passionnant. Sauf quand t’as des petites surprises, comme celle qui te revient en tête. “J’ai ramassé Noomi dans un bar l’autre jour, en sortant du boulot. Elle dansait sur la table.”

Le musicien est bien plus mesuré que toi quant au fait qu’il ai repris la musique, ne semblant pas trouver ça particulièrement enthousiasmant. Mais tu comprends. Tu sais à quel point c’est facile de voir les progrès des autres, et de dénigrer les siens. T’es passé par là toi aussi. Et quoi qu’en pense le brun, c’est forcément un pas dans la bonne direction. Il semble un peu perdu, dépité, peut-être, Leon, quand tu l’interroges sur ses inspirations, restant très succinct dans sa réponses. Mais ta curiosité n’est pas satisfaite, aussi tu le pousses un peu, histoire de voir si tu peux en apprendre un peu plus. “Oh, une amie, vraiment. C’est qui, je la connais ?” Des amies, Leon en a toujours eu, mais de là à écrire une chanson …

Son humeur semble un peu meilleure lorsque tu évoques ses talents de dragueur, et sa réponse te fait sourire. Il ne ment pas, il a toujours été un vrai tombeur, et t’as souvent eu l’occasion de le voir à l'œuvre. Mais tu ne peux te retenir de te moquer gentiment de sa confiance en ses talents. “En dormant, rien que ça ? Faudra que tu m’apprennes ça ! T’as réussi à pécho beaucoup, en dormant, récemment ?” En vérité, tu t’attends à moitié qu’il te réponde que oui, il a réussi à séduire dans son sommeil. Il en serait capable, c’est bien ça le pire.

Sans grande surprise, ce que tu lui raconte au sujet de votre amie commune le fait réagir. Comme toi, il semble trouver inquiétant cet événement. “Elle était seule, ouais, enfin, quand je suis arrivé elle était avec deux types qu’elle avait rencontré là et qui la reluquaient … Je sais pas ce qu’elle faisait là, mais elle avait clairement pas bu que de l’eau. Elle était même carrément torchée, pour être honnête.” T’as eu toute la misère du monde à lui faire boire un peu autre chose et à la ramener chez toi. “J’ai réussi à la convaincre d’aller chez moi, et elle a fini par dormir là, mais je sais pas ce que ça aurait donné si j’étais pas passé par là.” Et à vrai dire, t’as pas trop envie d’y penser.

T’as du mal à comprendre, toi, que Leon ne se réjouisse pas autant que toi de son regain d’inspiration, qu’il semble complètement détaché de ça. Mais s’il ne veut pas s’étendre sur le sujet, tu ne vas pas trop insister. Tu te contentes de noter ça comme un événement positif dans l’évolution de ton ami. Au moins, il accepte de t’en dire un peu plus sur la personne qui semble avoir déclenché ce retour aux sources. Un de ses collègues, donc, et ancienne prof de sa fille. Effectivement, tu ne la connais pas, même si tu as peut-être déjà entendu ce nom une ou deux fois. Peut-être par Noomi, ou par Tobias, tu ne sais plus. “Oh chouette ! Dois-je en conclure que ton charme légendaire a encore fait son effet ?”

La question est d’autant plus pertinente que le musicien répond à ta raillerie en affirmant avoir dragué dans son sommeil la veille au soir. “Ah oui, vraiment ? Je comprends mieux cet air un peu fatigué, t’as pas beaucoup dormi, c’est ça ?” Laissant de côté les insinuations graveleuses, tu prends un air triste en réaction à son refus de t’enseigner la fameuse technique. “Même pour un presque frère, tu ferais pas ça ?” Non pas que tu en ais vraiment besoin, pour être tout à fait honnête. T’es clairement pas en manque d’amant, nouveaux comme réguliers.

Cependant, tu reviens rapidement vers l’objet de ta visite. Enfin. Pas tout à fait. A l’origine, t’es venue pour voir comment allait ton ami, après l’avoir vu sortir d’un bar, mais t’es bien conscient que l’approche frontale n’est pas la meilleure. Alors tu passes par un autre chemin, évoquant un autre événement qui te tracasse - peut-être même plus que celui concernant Leon. “Oui, moi aussi. J’ai rien dit sur le coup, ça aurait servi à rien, mais tu l’aurais vue.” Vu de l’extérieur, ça ressemblait juste à une jeune femme qui profite de sa soirée en buvant un peu trop. Mais en sachant d’où elle vient, ce qu’elle a traversé, c’est pas vraiment normal. Toi même, qui n’a jamais eu d’addiction à l’alcool, tu évites de boire comme la peste, conscient que tes antécédents te rendent plus fragile. Donc de voir Noomi succomber aux sirènes de la boisson, t’aimes pas trop. “Je sais pas, honnêtement, je l’ai vu qu’une fois mais … tu crois qu’il faudrait qu’on en parle avec elle ?”

Il est mignon, Leon, à essayer de se défendre, de faire genre qu’il n’a rien à te cacher. Toi, tu ne lâches rien, bien décidé à lui faire cracher le morceau. Et ça fini par marcher, le musicien faisant remarquer qu’il ne peut rien te cacher. « Je te connais trop bien mon Leon, va falloir t’y faire ! » C’est ça, aussi, d’avoir partagé ce qui compte parmi les moments les plus difficiles de ta vie - le plus salvateur, aussi, mais bordel que c’était dur. Ça en a valu la peine, au moins. Leon fini donc par admettre la relation charnelle qu’il entretient avec sa fameuse amie, et un sourire naît sur ton visage. « Oooooh ! Mais c’est génial ça ! » Parce que tu te doutes qu’elle n’est pas juste une simple aventure sans conséquence. « Elle doit être spéciale, si elle t’inspire. »

Tu n’insistes pas plus pour l’instant, ayant obtenu l’information que tu voulais, et ne voulant pas non plus mettre le brun dans l’embarras. Mais il ne perd rien pour attendre. Tu préfères demander des conseil à ton ami, histoire que ses techniques ancéstrales soient utiles au plus grand nombre. Ce dernier botte en touche, cependant, en profitant pour se déprécier à demi mots. « T’es pas si pire, tu sais. » Tu comprends ce qu’il veut dire. Tu sais que sa vie sentimentale et affective a toujours été … chaotique, si on peut dire. Mais au final, la tienne aussi, donc pour ce que ça changerai …

Parlan de chaos, tu évoques ta rencontre récente avec Noomi, que Leon semble trouver aussi inquétante que toi. Il propose de lui en parler quand il le pourra, et tu acquiesces. « Bonne idée. Tu me diras comment tu la trouve ? » Tu sais que lui aussi est soucieux du bien être de votre amie commune, et qu’il te rapportera tout ce qu’il pourrait constater.

Tous les sujets « importants » désormais épuisés, le musicien te fait une offre que tu ne peux décemment pas refuser. « Excellente idée, je m’attendais pas à ce que la journée devienne aussi intense … » L’air de rien, même si tu fais le fier, la malheureuse rencontre de tout à l’heure t’as bien secoué, et de juste passer un moment chiale avec ton pote, ça te fera le plus grand des biens. « Mais je te préviens, je veux tout savoir sur ta fameuse amie » Les ragots, c’est le cœur de ta vie. Tu peux pas non plus le laisser trop tranquille à ce sujet.