larme fatale (loïs)
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 larme fatale (loïs)


Declan O'Toole
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MEMBRE ☆ midnight love
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Declan O'Toole
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messages : 39
rps : 9
pseudo : youngblood.
id card : harris dickinson - kidd (ava) - staff bhc (code sign), ynejr (icons)
pronom irl : elle
multicomptes : sierra, sailor, kendall, ilsa & jolene
à contacter : sierra.
présence : présence réduite.
larme fatale (loïs) 13.1
âge : 28 ans tout juste fêtés, réchappé du club des 27, comme par miracle.
statut civil : célibataire aux émois sans envergure ; trop égoïste pour s'adonner à des romances délétères, il leur préférera toujours des tendresses éphémères.
occupation : tennisman, joueur obsessionnel qui a élevé son sport au rang d'art, persuadé que nul sacrifice n'est trop grand pour la victoire.
adresse : 206, fortitude valley, colocation trouvée par hasard après s'être laissé convaincre qu'il n'était pas en mesure de vivre seul ; contre toute attente, il s'est pris d'affection pour les lieux et surtout ses habitants.
intervention pnj : Oui
pronom perso : il
trigger : tout ce qui touche de près ou de loin à l'inceste ou la pédophilie // les descriptions de viol, agression sexuelle, violence conjugale // la romantisation de relations avec gros écart d'âge.
warning : relation coach/élève malsaine, contacts physiques inappropriés, dépression, consommation de drogue, overdose, deuil.
infos rp : présence : quotidienne, réponses entre 1 et 4 semaines, selon l'inspi et le temps.
style rp : j'écris en il ; entre 300 et 1500 mots, selon le rp, l'inspi, etc.
dialogues : en yellowgreen, français ou anglais.

en vrac : everything i wanted, w/ leo.
kisses to my exes, w/ nilsa.
larme fatale, w/ loïs.
feels like home, w/ astro roomies.
no easy way out, w/ miles.

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· Dim 8 Sep - 0:47

larme fatale

@Loïs Paxton - tw : addiction.

« T'as prévu de prendre la parole, aujourd'hui ? »

Une distraction pour l'œil morne, jusqu'alors tourné vers un ciel peu assorti à son esprit. Un soleil éclatant, à en friser l'insolence. Et c'est ce qu'ils osent appeler hiver. C'est plus sombre, dans sa tête. Nuageux, plutôt que bleu. Un vrai hiver, à l'anglaise, froid et pénétrant. Brisbane est en inadéquation avec sa réalité, comme souvent. Et ça l'emmerde, Declan. Comme s'il n'avait rien à faire là, engoncé dans son sweat-shirt qui s'avérera vite trop chaud – une rébellion tant qu'une cotte de mailles, fomentant sa combustion. Il en a relevé la capuche, ayant au moins la jugeote de jouer du jeu d'ombres projeté sur son visage, en guise de déguisement. Chester l'a reconnu, bien sûr. Cela fait suffisamment de temps qu'il voit Declan errer dans son groupe de soutien, généralement dans ce genre d'accoutrement. Le genre d'homme qui observe sans en avoir l'air. Et qui écoute, surtout : Declan ne serait pas surpris de l'entendre rappeler l'histoire de chaque personne l'ayant un jour racontée, ne serait-ce qu'une fois, dans cette salle. Au fil des mois, la voix de Chester est devenue une constante familière, rassurante, tout comme sa discrétion bienveillante. Ce qui l'inquiète, ce sont les inconnus qu'il a vus se succéder à l'entrée. S'il s'est habitué à voir, à peu de choses près, les mêmes têtes au fur et à mesure des réunions en petit comité, celle-ci a exceptionnellement été ouverte à un plus large public. Des victimes d'addictions, et des victimes collatérales. Declan est les deux, comme l'a si justement souligné son coach – détesté pour l'occasion, lui qui a si fréquemment raison. Il a été le junkie, et celui à qui la drogue a tant pris. Il lui semble en avoir suffisamment conscience pour s'épargner de ressasser sa propre histoire au travers d'étrangers qui ne partagent avec lui que la tragédie d'avoir perdu quelqu'un dans ce fléau. Mais il faut reconnaître que les conseils de son entraîneur ne l'ont jamais desservi, et que Declan, lui, est trop honnête pour prétendre devenir meilleur sans réellement faire des efforts en ce sens.

C'est tout juste s'il a tressailli, trop attaché à son immobilité de statue : la réponse ne se fait pas attendre, pourtant. « J'en sais rien. J'avais préparé un… un discours, un truc du style, enfin, tu vois. Et maintenant… Je sais pas. Y'a un peu trop de monde pour moi, je crois. J'ai pas envie de me faire remarquer. » Pas de timidité mal placée : de toutes ses afflictions, ce n'est pas un trait de caractère dont il souffre. Mais, vu le volume qui s'est déjà engouffré dans le bâtiment, les probabilités que quelqu'un le reconnaisse ne sont pas ridicules. Pas si élevées, bien sûr, mais pas ridicules. C'est quelque chose dont ils avaient déjà parlé, avec Benny. Que sa santé passait avant ce genre de risques, si délicats soient-ils, et que personne ne pouvait lui reprocher une addiction passée, tant que ses tests de dopage revenaient impeccables. Declan s'était dit que cet optimisme avait quelque chose d'un peu facile, tant qu'ils étaient dans le domaine de l'hypothétique. Si ses problèmes venaient à se savoir, on ne lui pardonnerait pas si aisément. Qu'importent les résultats de tests, on remettrait toute sa carrière en question. On le huerait à chaque occasion. Autant jeter l'éponge dès que le scandale éclaterait – ou s'assurer que le secret en reste un. « Fais ce qui te semble le mieux, Declan. » Est-ce une pointe de désapprobation, qui perce la voix de Chester ? Bien sûr que non. Il nage dans un délire – sa phobie toute personnelle, handicapante, de décevoir chaque personne qu'il croise, quand bien même celles-ci ne sont pas assez proches de lui pour qu'il suscite un tel sentiment. « Ne tarde pas à entrer, ça s'est déjà bien rempli : je pense qu'on va commencer d'ici cinq minutes. » Declan acquiesce, se tord le cou pour voir Chester disparaître par la porte. Une inspiration, un coup d'œil sur les alentours. Cinq choses qu'il voit, quatre qu'il peut toucher, trois sons, deux odeurs et un goût. Comme s'il n'était pas trop tendu pour tenir des listes – damné soit son thérapeuthe. Expiration, quand les poumons picotent. Cette méthode-là ne lui a jamais fait défaut.
S'étouffer et, in extremis, se sauver.

Les chaises sont en rang, pas en cercle. Prévisible, puisque seule cette configuration permet d'accueillir toutes les personnes s'étant déplacées, mais pour Declan, c'est l'équivalent d'un territoire inconnu, pour ne pas dire hostile. Par chance, il reste un siège à l'avant-dernier rang. Il suffit de s'y asseoir et de ne pas bouger, jusqu'à la fin. D'oublier que l'immobilité lui réussit rarement. Une fois installé, il relève enfin les yeux, à temps pour voir Chester s'adresser à la foule. « Bonjour et bienvenue à tous, merci d'être venus nombreux. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle Chester. J'organise des réunions de narcotiques anonymes ici depuis cinq ans, et je suis moi-même sobre depuis huit ans. Le format est un peu différent aujourd'hui car cette rencontre n'est pas ouverte qu'à celles et ceux qui combattent une addiction, mais à toutes les personnes qui ont été touchées d'une manière ou d'une autre par la drogue. On sait combien le dialogue et l'écoute sont précieux, c'est pourquoi j'espère que les échanges que vous aurez cet après-midi pourront vous apaiser, vous aider à trouver les réponses que vous cherchez peut-être, et vous donner des raisons de continuer de vous battre. N'oubliez pas que, quelle que soit votre histoire, vous n'êtes pas seul. » Le silence qui règne est preuve de consensus : Chester sait parler, inspirer, c'est ce qui avait le plus marqué Declan, la première fois qu'il l'avait rencontré. Et ce dernier y croirait presque, à ce discours, au bien-fondé de sa propre présence là, alors qu'il en doutait encore, quelques minutes plus tôt. « Je vais passer la parole à ceux qui veulent la prendre, n'hésitez pas à vous manifester. » Quelques personnes se succèdent. S'il fait de son mieux pour les écouter, Declan a du mal à se sortir de ses pensées. C'est ce qu'il craignait, que ses propres souvenirs prennent le dessus. Des mois qu'il est sur la brèche, il n'a jamais eu l'orgueil de se croire guéri – mais, parfois, le temps s'écoule d'une telle manière qu'il goûte à l'oubli. Et les déclencheurs brutaux n'en sont que plus cruels.

« Merci d'avoir partagé votre vécu. Est-ce que quelqu'un d'autre voudrait nous raconter quelque chose ? » Il lui semble que le regard de Chester glisse sur lui – c'est imperceptible, sûrement même pas vrai, mais suffisant pour qu'il baisse la tête, comme un écolier voulant à tout prix éviter une prise de parole. Au diable, ce que ce Declan s'était imaginé dire. Ce sera pour une autre réunion – une moins… originale. Le temps lui paraît suspendu, tandis qu'il attend que quelqu'un choisisse de reprendre le flambeau, pris en otage par le silence oppressant.
Peut-être qu'il préférait les écouter parler, finalement.


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Loïs Paxton
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âge : trente-et-une années, horloge brisée depuis trois ; posez-lui la question, et Loïs rechignera à se dire encore vraiment vivante. Tout juste spectre — à peine vacillante.
statut civil : célibataire ; confond le toucher des amants avec celui des partenaires perdus, la danse des corps étreints avec toutes celles qu’elle ne connaîtra plus.
occupation : il y a bien une époque où elle se disait danseuse avec fierté, elle le disait en souriant, en redressant le nez. Désormais immobile derrière le bureau d’accueil d’un cabinet d’avocats, le mouvement de poignet pour répondre au téléphone est bien la dernière danse qu’elle s’accorde, ces jours-ci.
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trigger : injection de drogues, romantisation des relations toxiques, age gap 15+, grooming, agressions sexuelles.
warning : dépression, deuil, validisme internalisé, blessure physique, tca.
infos rp : • entre 700-1600+ mots, en fonction du type de rp.
• dialogues uniquement en français.
• réponses souvent sous dix jours.

disponibilités : 2/3 — à discuter en mp.
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— jeux en cours :
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· Ven 13 Sep - 11:32

larme fatale

@Declan O'Toole — tw : mention d'inégalités sociale, addictions, consommations de drogues dures, deuil, perte d'un proche, overdose mortelle.

Est-ce que tu vas y aller, finalement ?

Elle a les yeux qui se perdent hors de la fenêtre, qui dépassent l'alu de l'encadrement pour en bouffer l'extérieur, oublier ce qui se passe en dedans. Du bleu dans du bleu sur du bleu, du bleu qui danse et des immeubles de fer qui jouent avec. Brisbane est presque paisible à cette heure du jour, on oublierait presque en quoi le quartier se transforme une fois le noir éclot et les étoiles levées ; lorsque s'échappent les rats au milieu du rien, de cette nuit qui poisse, contre les lumières qui chialent toute la fatigue de la rue. Elle a l'air stoïque et absolu des statuaires lorsqu'elle réfléchit, la pupille qui tremble et grignote le paysage comme pour y trouver des réponses. Lorsqu'elle était petite, c'était la neige à l'infini, qui l'aidait à penser ; ici il a fallu trouver autre chose, les lignes d'horizon qui s'étalent au loin, la mer qu'on devine sous le soleil et dans le cœur des oiseaux. Elle peine à y trouver la poésie que son iris mendie, puisqu'elle a vu les travers de la cette ville : ici on comprend vite que quand on est pas riche, on est plus pauvre d'ailleurs, alors on se met à en voir un tas d'autres choses que les gens normaux ne voient pas. Les recoins, les replis, les endroits où se terrer et les murs contre lesquels se plaquent ceux qui portent la honte de n'avoir pas réussi. Loïs se trouve à la frontière exacte entre les deux mondes, sur le fil qui les traverse. Elle se débrouille assez bien avec son salaire de standardiste pour pas avoir à crever la dalle, écoute toute la journée la crème de la fils-de-puterie du droit pénal parler de millions, mais croise le soir des types racler les fonds de poubelles des fast-foods de son quartier. Elle connait la Brisbane des nantis et des tailleurs serrés, des quartiers qui jamais ne s'éteignent et brillent trop fort pour que n'apparaisse ce qui tombe d'en-haut ; mais chaque jour, elle retrouve Brisbane la grise, celle des oubliés au cœur de fer, des acharnés au sol, qui reniflent le ciel pour constater qu'en lui comme en eux, la lumière est partie. Et si l'injustice l'étrangle, elle n'est même plus vraiment en colère : ça aussi, elle avait essayé. Mais elle avait fini par se lasser de la rancoeur, qui avait fini par porter le goût fade de l'habitude.

Je sais pas si c'est une bonne idée.

Elle ne sait plus si elle avait attendu deux secondes, deux minutes ou deux heures, pour répondre à Lula. Le regard de sa colocataire traine sur son épaule, et elle sait bien qu'elle n'est pas sûre de quoi lui dire. On sait jamais trop quoi conseiller à ceux qui ont tutoyé le deuil, on se sent vite comme une merde d'imposteur, de donneur de leçons. C'est comme voir la mort comme une recette de cuisine, ajouter une pincée de résilience, une cuillerée à soupe d'oubli et deux grammes de Lexomil. Chacun deale à sa manière, et même les camés du chagrin oseraient pas se filer des conseils entre eux. Parce qu'ils savent bien que chaque fantôme est différent, et hantent les cœurs et les côtes d'une façon propre ; qu'ils grignotent les coins de leurs tristesses par des bords opposés, dans la chaleur invisible de ceux qu'on ne peut pas voir, pas distinguer. Tout ce qui leur reste, c'est de parler de leurs fantômes, de se réunir façon Ghostbusters ratés, pour expliquer aux autres à quel point ils échouent chaque jour un peu plus à éradiquer celles et ceux qui les hantent, qui les retiennent sur les bords d'un chagrin infini.

Mais Jan, moi je ne veux pas te chasser. Si tu veux tu peux rester, en moi, contre moi, rester pour voir avec moi comme la ville est grise et comme les rats courent, sur les trottoirs et dans ma tête.

Fais ce qui te semble le mieux, Loïs.

Pendant des mois, c'est exactement ce qu'elle a fait. Prendre la mort comme recette de cuisine, suivre les étapes scrupuleusement, passer du déni à la colère, de la colère à la tristesse. Tristesse tellement triste qu'elle avait fini par la conjurer d'un rire qui en elle tuait trop de choses, un rire au milieu du désastre de sa vie trop vide sans lui. Puis elle avait arrêté. Elle ne savait pas vraiment si c'était un abandon ou autre chose, mais ça lui avait fait du bien. Elle avait arrêté de s'obliger à quoi que ce soit, de peindre le visage qu'elle voudrait faire prendre au deuil avant même de le vivre ; mais maintenant, elle ne savait plus trop ce qui était le mieux pour elle, ce qui aurait risqué de creuser en elle des trous de chagrin et de solitude, reconnaître les pioches qui pilonnaient sa poitrine. Pour ce qui était de la tristesse aussi, elle vivait sur le fil.

*

C'est une appréhension bizarre qui la tenaille, aux portes de la salle déjà remplie. Il y a trop de monde, trop d'oreilles pour écouter, trop de fantômes tenus en laisse qu'elle ne peut pas voir mais qui hantent la salle en gémissant, en aboyant. Ça se voit qu'ils ont essayé de tout faire pour les mettre à l'aise ; y'a une odeur de café qui flotte dans la salle, et la fille à côté d'elle secoue frénétiquement le pot de cannelle au dessus de sa tasse, visiblement décidée à transformer sa boisson en pain d'épices. Même les biscuits sur la table ont l'air moins secs que d'habitude, cakes maison enroulés dans leurs papiers alu réconfortants qui disent l'amour que tous ont pour ces chers inconnus, ces cassés-du-cœur.
Plus loin, elle reconnaît Chip, un garçon qu'elle voyait souvent aux réunions avant. Il pousse une petite exclamation dès qu'il la voit, lui claque une bise sonore direct en enroulant son bras derrière sa nuque. Elle aime pas trop les embrassades dans ce genre là pourtant, mais Chip est adorable, alors c'est difficile de lui refuser. Il est tellement triste qu'il rigole tout le temps, petit corps d'adolescent pour contenir toute la peine d'un massacré. Il l'appelle chou ou chérie, change de couleur de cheveux toutes les deux semaines (aujourd'hui, il a les tifs tellement blanches qu'il foutrait la honte à un renard polaire) et l'admire tellement qu'il se demande ce qu'elle a pu dire pour qu'il la voie comme ça. Il s'est assis au premier rang comme un espèce de fayot, pour être bien certain d'être aux loges d'honneur pour admirer leur prière commune, la splendeur du désaxage qu'ils portent tous et qu'ils dégueulent un à un. Ça l'emmerde un peu Loïs, parce qu'elle préfère rester planquée au milieu des autres désaxés, mais elle a pas trop envie d'être seule donc elle s’assoit à côté de lui.

Les prises de parole sont toujours hésitantes, au début. C'est normal, personne n'a envie d'être le premier à avouer qu'il s'en sort pas, qu'il nage à la surface de la misère des autres avec la peur d'un jour se voir chopper le pied par en dessous pour couler. Mais une fois qu'on a tous pigé qu'on était hors-circuit, à courir comme des dératés derrière des wagons qu'on attrapera jamais, ça va mieux. Les gens se détendent et commencent à raconter des dingueries, même des trucs qu'on a pas envie d'entendre. C'est le jeu. On vient pas là pour se faire brosser dans le sens du poil mais pour se faire un peu tabasser, et en général si on ressort en chialant à gros torrents c'est que quelque chose a fonctionné.
Le dernier type a raconté la manière dont il était devenu un espèce de Yes Man petit à petit, à dire oui à toutes les cames possibles, se les foutre dans le gosier sans discrimination dès qu'on lui en tendait. Il avait raconté comment la dernière fois il s'était senti cramer, dépasser les limites rouges de sa propre tolérance, couler au fond d'une misère bien chienne qui lui avait collé le cerveau aux parois du crâne. Ça l'avait tellement fait flipper qu'il avait essayé de tout arrêter, il disait, j'ai honte de ce dans quoi j'ai trempé mon âme je vous jure, j'avais le corps noir et la tête qui partait dans le siphon du lavabo avec tout ce que j'étais qui coulait dedans. Il disait, j'ai eu peur de crever, mais j'ai encore plus peur de pas avoir envie d'arrêter.

Ça avait foutu un espèce de blanc, de voir ce gamin de même pas vingt ans raconter ces histoires de came qui te déboulonnent le crâne. Mais peut-être qu'elle ne pouvait parler qu'après ça, justement ; après l'horreur vécue de l'intérieur, parce qu'il fallait raconter la suite de l'histoire. Alors elle ne sait pas trop pourquoi, mais elle lève la main. À ses côtés Chip se tord le cou pour la dévisager, parce qu'il sait qu'elle cause jamais beaucoup, qu'elle préfère écouter. Et lorsqu'on lui offre la parole, qu'elle sent autour d'elle toutes les oreilles se déployer et les fantômes de chacun s'agiter, elle regretterait presque de pas être restée tranquille à attendre que ça se passe. Loïs a la bouche sèche soudain, alors elle fixe un point plus loin – l'imper au tissu blanc vif que Chester a laissé trainer sur le dossier d'une chaise. Ça ressemble vaguement à de la neige, alors ça l'aide à se concentrer.

J'ai perdu mon meilleur ami. Celui avec lequel je parlais et parfois non mais qui pigeait quand même, qui me prêtait des thunes, qui me servait des shots douteux quand ça allait pas, celui qui avait tout dansé avec moi, qui connaissait mon corps, ma tête, mes obsessions, le nom de tous mes os, je l'ai perdu. C'était une nébuleuse, Jan. Un espèce de cœur trop fort et trop solide autour duquel il faisait graviter tellement de gens qu'il m'en foutait le tournis, et moi j'avais l'impression qu'il pourrait jamais s'écrouler. Qu'il serait toujours plus grand, les mains noués à des flots d'énergies qu'on voit pas mais qui sortent de partout en crevant la Terre. Parce qu'il m'a toujours portée, et qu'il m'a jamais laissée tomber. Et puis il se moquait tellement de l'idée de la mort que j'ai fini par le croire, par me dire que y'avait rien ici qui pouvait le foutre au sol. Un truc comme quoi les nébuleuses ne connaissent pas la gravité. » Elle marque un temps de pause et elle ferme les yeux, Loïs. Son dos s'appuie sur le dossier de la chaise en plastique et elle lève le menton, pour voir se dessiner derrière ses paupières les ombres des néons blancs. « Il est mort un soir, tout seul dans les chiottes d'une boîte de merde. Il est mort tout seul, dans une cabine qui pue la pisse et la baise et la solitude, tout seul sans sa galaxie, juste parce qu'on était trop occupés à le voir briller pour faire attention à ce qu'il se foutait dans le nez. Pour lui demander si lui aussi il avait besoin porté.

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Declan O'Toole
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· Mer 16 Oct - 0:42

larme fatale

@Loïs Paxton - tw : addiction, consommation de drogue, overdose mortelle.

Declan, il déteste ce silence parce qu'à la manière d'un cancre planqué au fond de la classe, il a peur qu'on l'interroge quand même, et qu'il tombe tout à fait à côté de la plaque. Qu'après tant d'histoires qui prennent aux tripes – bordel, il a même vu la femme d'à côté de lui porter discrètement un mouchoir à son ras de cil – de types qui ont davantage souffert, qui s'en sortent mieux ou qui ne s'en sortent pas, ceux qui iront peut-être retrouver leur dealer dès la séance levée – mais peut-être pas, et c'est pour déjouer les probabilités qu'ils sont tous là –, le peu que lui a à raconter serait ingrat. Car il fait partie des privilégiés, ceux qui ont pu se faire envoyer en cure avant de totalement dégénérer, vivant sans même un neurone de cramé, il fait partie de ceux dont on s'accordera à dire qu'il n'aurait même pas dû sombrer. Et, parce que l'esprit est si enclin à l'oubli, à l'enfouissement des traumatismes au plus profond de ses nombreux plis, il est le premier à se demander ce qui avait bien pu se passer, la première fois qu'il y avait touché.
Puis il s'en rappelle, et se souvient pourquoi il valait mieux continuer à oublier.
De toute façon, tout cela n'a rien d'une compétition. Il n'y a pas de douleur plus légitime qu'une autre, pas de hiérarchie dans l'addiction. C'est ce qui se répète entre ces murs, en tous cas – dans les faits, ce ressenti ne se raisonne pas.

Il y a une main qui se lève, osant prendre la relève du témoignage qui a ému tout le groupe. Et un certain relâchement, dans l'assemblée ; car, assurément, personne ne pouvait être à l'aise dans ce silence de mort. Même la voix de Chester n'avait su s'habiller de sa tessiture habituelle en relançant les participants, c'est dire le noeud que le gamin a resserré dans leurs poitrines à tous, pour que l'homme qui peut tout entendre en soit ébranlé. À croire qu'on ne s'y fait jamais vraiment, à ces trajectoires d'anges déchus. Qu'il y aura autant de larmes à verser que de ravages à raconter – un bon signe, par ailleurs, qu'ils n'ont pas perdu leur humanité. Pour prouver la sienne, Declan tend l'oreille. La voix lui semble familière, mais pas ce qu'elle relate, paradoxalement. Il s'est résolu à ce que cela reste un mystère au bout de quelques mots, face à l'anonymat d'un dos. Ceux-ci s'enchaînent et il écoute, non sans mettre ses propres sentiments en parallèle. Declan songe même que malgré son silence, quelqu'un aura, sans le savoir, mis des paroles sur ce qu'il n'a su dire.

C'était une nébuleuse, Jan.
Son sang n'a fait qu'un tour. Il y a quelques secondes où il le sent taper si fort à ses tempes que, perdu dans ce vacarme intérieur, il laisse s'échapper certains mots. Le discours de Loïs n'est plus qu'un texte à trous, qu'il essaiera certainement de combler, plus tard. Il lui semble en saisir l'essentiel, quand elle s'approche du terme. Il est mort tout seul. Declan voudrait se lever, et protester de toutes ses forces. Clamer qu'il était là, comme si cela ne l'incriminait pas d'autant plus. Avoir été là aurait dû signifier pouvoir braver la catastrophe. Mais Loïs l'a mieux dit : Jannik écoutait, et prétendait n'avoir jamais besoin qu'on lui rende la pareille. Ce soir-là, comme les autres, Declan avait admis à demi-mot pourquoi il avait tant besoin de se défoncer, et n'avait pas une seconde songé à retourner la question. Quoiqu'il l'avait demandé, une fois, quand ils avaient commencé à se lier. Jannik avait juste dit qu'il aimait se sentir libre, loin des attentes de sa discipline ; oublier les regards rivés sur lui, disséquant ses moindres mouvements pour y apposer une note. Que c'était le moyen tout trouvé pour se sentir léger – et Declan s'était dit que ce besoin était curieux, venant de quelqu'un qui enchaînait les portés. Toujours est-il qu'il s'en était contenté, alors qu'il aurait dû savoir – vu les raisons qui, lui, le poussaient à se droguer – qu'il était inquiétant que Jannik consomme autant, sinon plus que lui.

Loïs s'est tue, et il s'est levé – après avoir observé quelques secondes de silence, pour être sûr de ne pas la couper. La vérité, c'est qu'il a songé à s'exprimer, dans cette salle de parole soudainement transfigurée en lieu de procès. Au tour de la défense d'avancer son plaidoyer. Et Loïs, elle, ne sait même pas qu'elle a pris place sur le banc opposé. Parce qu'elle ne doit pas l'avoir vu, pas encore ; mais l'on commence à se tourner vers lui, grande statue coincée dans sa prison de marbre, et bientôt elle fera de même. Declan ne lui en laissera pas l'occasion. Ses piteuses envies de vengeance n'ont aucune substance, nées du seul sacrifice du peu d'orgueil qui lui reste – d'autant qu'il a beau mille fois retourner les mots de Loïs, il n'y a pas une seule issue qui ne lui donne pas raison.
Peu importe que Declan n'ait jamais voulu l'abandonner : Jannik était bel et bien mort seul.

Maladroitement, il se fraye un chemin, parmi les chaises en rang. Pousse la porte d'entrée, un peu plus fort qu'escompté – lui qui ne voulait pourtant pas se faire remarquer. Dehors, il a envie de hurler. Il ressort machinalement une cigarette de son paquet. Un truc pour s'occuper les mains, focaliser sa respiration autour du bâtonnet – si nocif soit-il, ce doit être mieux que de laisser ses poumons exploser. Et, comme à chaque fois qu'il a mal, qu'il songe à définitivement disparaître de la face de la Terre, il a les mains qui tremblent, un manque fantôme qui se saisit de ses os. Parce qu'il ne l'a jamais oubliée, cette extase pernicieuse que seuls les dealers marchandent, et ne l'oubliera certainement jamais. Tous les anciens camés de la salle pourraient en attester : ce qui est dur, c'est d'accepter qu'il n'y a que la drogue qui ouvre à ces bonheurs viscéraux, et que rien d'autre ne les fera monter aussi haut. Ce qui est dur, c'est de ne pas rechuter malgré cette conscience. C'aurait été dans son discours, s'il avait eu la façade de se lancer – de devancer Loïs, d'inverser les rôles. Elle qui le reconnaît, avant de choisir entre colère et miséricorde.

Je suis sobre depuis presque deux ans – ça en fera deux à la fin de l'année. J'ai vingt-sept ans, et je suis incapable de vivre seul. Je sens que mon coach, celui qui a dû me foutre deux fois en désintox, a peur de me lâcher des yeux. Et que je tiens seulement parce qu'il le fait pas. Je suis comme un môme, sauf qu'un môme, le pire qu'il pourrait faire, ce serait dévaliser un magasin de bonbons. Moi, si on me lâchait dans la nature, je me donnerais pas une semaine avant d'aller supplier des dealers de me filer une dose. Et ça me dégoûte, je me dégoûte, parce que si je me suis sevré, c'était pas parce que j'ai vu la mort de trop près. C'était pour ma carrière, mon fils – dans cet ordre, ouais – et surtout parce qu'on m'y a forcé.

Il a fini par s'asseoir sur un banc, après avoir trop fait les cent pas. A troqué la clope – énième du paquet – contre un chewing-gum mâché rageusement. Des cinq, quatre, trois, deux, un enchaînés – mais rien n'y fait, sa tension se remet à tutoyer les sommets dès qu'il darde son regard vers la porte d'entrée, la voyant à chaque fois frémir, avant de réaliser en quelques secondes d'immobilité que ce n'est qu'un produit de son imagination. Le temps s'étire, Declan se demande où ils en sont, à l'intérieur. Peut-être aux conversations plus privées, entre ceux dont les proches ont été fauchés et ceux revenus de cet enfer et capables de l'expliquer. Il se demande si quelqu'un va parler à Loïs, lui offrir un vécu sur lequel projeter celui de Jannik. Une réponse, enfin, à la question qui n'en a jamais eue. Pourquoi. Declan attend. Espère un peu, aussi, bien qu'en manquant de conviction. Puis la porte bouge et, cette fois, ce n'est pas une hallucination.

Il a eu tout le temps pour réfléchir, décider de son plan d'action. Tout le temps pour choisir de se barrer, aussi. Pour décider ce qui vaut mieux – son équilibre, ou celui de Loïs. Comment en arbitrer, lorsqu'une guérison semble ne pouvoir opérer qu'au mépris de l'autre ? Sauf qu'il n'a pas pensé et que, lorsqu'il la voit passer le seuil, il se lève par instinct. « Loïs. » À sa hauteur, il brave les regards interloqués – et celui, toujours aussi peu amène, de l'intéressée. Avec le temps, il avait appris que l'étrange camaïeu bleuté de ses prunelles, dans des tons presque exclusivement de glace, et la droiture rigide de ses immenses yeux ne se voulaient pas nécessairement menaçants, même s'ils en avaient l'air ; cela étant, à son égard, il écarte la piste d'une simple illusion d'optique. « Laisse-moi deux… une minute, s'il te plaît. » Il ne saurait même pas comment la combler : il n'est pas allé au fond du raisonnement, doutant qu'elle lui accorde quoi que ce soit. « Je suis désolé. Je pourrais te le dire mille fois et ça serait toujours pas assez. Je suis vraiment, vraiment désolé. »


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âge : trente-et-une années, horloge brisée depuis trois ; posez-lui la question, et Loïs rechignera à se dire encore vraiment vivante. Tout juste spectre — à peine vacillante.
statut civil : célibataire ; confond le toucher des amants avec celui des partenaires perdus, la danse des corps étreints avec toutes celles qu’elle ne connaîtra plus.
occupation : il y a bien une époque où elle se disait danseuse avec fierté, elle le disait en souriant, en redressant le nez. Désormais immobile derrière le bureau d’accueil d’un cabinet d’avocats, le mouvement de poignet pour répondre au téléphone est bien la dernière danse qu’elle s’accorde, ces jours-ci.
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• dialogues uniquement en français.
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· Jeu 31 Oct - 16:24

larme fatale

@Declan O'Toole — tw : mention d'addictions, de consommation de drogues dures, deuil, perte d'un proche, overdose mortelle.

Ils s'étaient tous demandé pourquoi. Ça se voyait au moment des obsèques, dans les discours bégayants et névrosés de ceux qui hésitaient, qui trébuchaient sur leurs propres mots en se demandant s'ils étaient pas en train de raconter de pures conneries sur celui qu'ils étaient venus enterrer. La vérité, c'était que personne avait vraiment compris ce qui s'était passé. Ils le savaient tous, que Jan avait tendance à vouloir approcher les astres de trop près ; c'était un putain d'Icare personnifié, et ça se devinait même dans sa danse : insufflant la vie au mythe, dans son obsession à dépasser ses limites corporelles pour voler vers cet inconnu auquel il aspirait de toutes ses forces. Mais cette façon de vénérer le trop, le trop haut, le trop loin, de chérir chaque paroxysme de l'existence, c'était aussi leur manière de vivre à tous, alors personne s'en était inquiété. Fallait être malade pour s'infliger ça, les répétitions sept heures par jour, la traque de l'infini dans le corps au travail, aller au bout de son être, danser sans compter. De cette philosophie de vie, Loïs le soupçonnait d'avoir voulu s'échapper – juste un peu, juste quelques soirs. Et puis peut-être aussi, oublier la fin qui arriverait tôt ou tard : le corps qui lâche, et puis la perte de tout, de la passion, de la vie elle-même et de son sens le plus pur. Les ailes brûlées d'Icare.
C'était ce qui lui était arrivé, à elle : Jan en avait été témoin, et soutien. Et murée dans l'égoïsme de sa petite souffrance, sans doute n'avait-elle même pas songé à lui demander ce que ça lui faisait à lui, de la voir comme ça – sorte de prédiction nauséabonde de l'issue qui leur pendait tous au nez, à force de demander l'impossible à leurs corps surmenés. Elle ne lui avait pas demandé, parce que lui était toujours là-bas, là-haut, dans cet endroit de ciel et d'astres où il était toujours possible de penser voler jusqu'au soleil ; et parce qu'il avait sans doute autre chose à foutre que de songer à la chute. Elle aurait peut-être dû le faire, lui demander s'il avait peur, lui aussi.

Parfois oui, Loïs s'en voulait.

À demi-mots, c'était ce qu'elle avait voulu confesser. En parlant de la solitude de Jan, elle tissait des liens invisibles vers la sienne, vers celle qui étreignait tous ceux qui vivaient l'extase et qui tremblaient de peur à l'idée de se la voir arrachée. Elle avait voulu confesser sa culpabilité rance, sa rage contre le monde, contre les corps qui flanchent et qui se cassent, contre les paradis artificiels que l'on offre à ceux qui tremblent trop. Sa gorge se serre, lorsque se déploie autour d'elle un lourd silence : elle se sent très conne, ressent soudain le poids de ses mots jusque dans ses os. D'un regard agité, elle papillonne autour d'elle, nerveuse ; mais visiblement, personne n'a envie de réagir ou d'enchainer sur autre chose, et tout le monde semble bien décidé à la laisser crever d'embarras en solo. Y'a même quelqu'un qui en profite pour se casser (après tout, on est pas là pour regarder le silence dans le blanc des yeux) et d'une torsion du cou machinale, elle jette un coup d'œil vers la silhouette en question. Ce ne serait pas... ?
Elle n'est pas sûre ; mais un drôle de tressautement secoue sa poitrine lorsqu'elle retrouve sa posture normale. À sa gauche, la main de Chip trouve la sienne, et ses doigts plongent entre les siens. « C'était super courageux, chou ». Encouragement auquel elle ne répond rien (à peine un sourire qui lui donne un goût de fer dans la bouche, accompagné d'une pression rapide de phalanges) et tourne la tête vers une fille au bout du rang, qui a enfin repris la parole. De l'extérieur, on pourrait croire Loïs captivée par son récit ; la vérité, c'est qu'elle est juste atrocement soulagée que quelqu'un se soit enfin décidé à parler. Mais elle écoute que d'une oreille, essaie de se concentrer sans y parvenir tout à fait. Parce que Jan dans sa tête, toujours, avec son sourire de traviole. Jan, et puis la silhouette qui s'est échappée de l'auditoire : car dans l'histoire, l'une et l'autre s'étaient liées à tout jamais, d'une façon étroite qu'elle n'avait jamais tout à fait réussi à accepter.
Il devait avoir reconnu sa voix, le fond de récit, le nom de Jan ; et quelque part, elle lui était reconnaissante d'avoir eu la décence de se casser direct, sans céder à la complaisance de lui dire, par après, à quel point il avait été touché. Pour ça, il arrivait des mois trop tard – ou trop tôt, ça dépend comment on voyait les choses. Loïs était toujours en colère, parce qu'elle savait faire que ça au fond, et qu'elle osait pas avouer qu'elle en voulait aussi à Jan, d'avoir choisi cette nuit-là pour sortir respirer l'air de la liberté sans elle. L'air d'un monde où elle n'était plus là pour piétiner ses doutes, qu'il avait choisi de ravaler à grands coups de gin et de came, où s'étaient noyées sa voix, sa douceur, sa tristesse et sa solitude. Et elle s'en voulait à elle, aussi.
Mais c'était plus facile d'en vouloir à Declan.

Declan planté comme un bâton rigide à l'entrée du bâtiment, dont les yeux de chiot triste cherchent les siens. Elle a envie de les lui faire bouffer, lui dire qu'il a pas le droit de la regarder comme ça, comme si elle était la salope de l'histoire alors qu'elle a encore rien dit. Qu'il a pas le droit de lui balancer ses excuses mal branlées, qu'elle a rien demandé elle ; elle avait même été jusqu'à lui filer le bénéfice du doute, et soupçonner qu'il avait eu la bonne idée de se tailler vite pour pas la croiser. Mais visiblement, Declan a regardé assez de Disney dans sa vie pour penser que c'est comme ça qu'on répare les choses : avec des jolies tirades, des mirettes chialantes et des lèvres qui tremblent.
Elle reste interdite une seconde, peut-être deux. Ses prunelles quittent bien vite les traits de son visage pour déborder sur le reste, le gris de la ville qui se découpe derrière ses épaules (tout ce qui n'est pas lui, finalement, et qui peut lui permettre de garder un peu de sang-froid). Nerveusement, ses doigts plongent dans son sac pour en tirer un paquet de cigarettes, et en coincer une entre ses lèvres alors qu'il enchaine les désolé, désolé, vraiment désolé. Ses phalanges dérapent sur la roulette du briquet une fois, deux fois, trois fois ; et lorsque la flamme jaillit, il a déjà fini de parler. Pas bien longue ta minute, ducon. T'avais rien de plus en stock pour étoffer ?
Tant pis : c'est elle qui comblerait les secondes restantes, le temps que le papier et la nicotine n'en finissent de se consumer.

De quoi t’es désolé exactement ? Lâche t-elle finalement en redressant les yeux vers lui. « Qu’on se soit retrouvés tous les deux dans la même pièce aujourd’hui ? D’avoir pensé que c’était une bonne idée de m’attendre à la sortie pour me faire ton numéro de camé repenti ? » Une micro-seconde de pause, ses doigts tremblants portent la clope à ses lèvres pour la laisser en inspirer la fumée âcre. « Ou de t’être défoncé la gueule avec lui ce soir-là jusqu’à ce qu’il en crève ? Qu'elle ajoute alors, consciente d'utiliser des mots plus crus que ce qui ne devrait.

Une mimique étrange se faufile au coin de ses lèvres, fugace ; un truc qui ressemble à un sourire sans en être un, tressaut dénué d'humour alors qu'elle lui confisque son regard, qu'elle rive sur ses pompes.

Je suis pas prêtre, t’es pas dans un putain de confessionnal, et je vais pas te donner la divine absolution, Déclare t-elle sobrement. « Alors garde tes excuses, et démerde-toi autrement avec ta culpabilité, Declan.

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· Jeu 7 Nov - 20:21

larme fatale

@Loïs Paxton - tw : addiction, overdose mortelle, deuil.

Certains matches sont perdus d'avance. Declan devrait être le dernier à le dire, et s'être tiré plus d'une balle dans le pied avec cette mentalité, mais il l'a perçu trop de fois. Dans un regard, un frémissement du muscle, un courant d'air. Qui sait ce que ressent l'adversaire ; le doux souffle de la victoire, ou une même sensation d'échec imminent – puisque rares sont les situations où le destin ne tient qu'en une seule paire de mains. Il faudrait partager le désespoir, pour espérer un combat juste. Par auto-sabotage ou sixième sens, Declan a rarement réchappé de ce pressentiment. Celui qu'il éprouve maintenant.
Il ne sait pas s'il pourra un jour gagner, face à Loïs – ni même ce qui définirait le moindre accomplissement. Le désespoir, ils le partagent bel et bien, pourtant. N'empêche qu'en un échange de regards, Declan est parti perdant.

Le pardon. Ils ont passé assez de temps dessus avec sa thérapeute pour qu'elle puisse se payer une maison. On ne peut pas l'imposer aux autres, seulement se pardonner soi-même.
Tu t'es pardonné, Declan, non ?
Cela ne fait pas bien longtemps qu'il arrive à l'affirmer avec quelques grammes d'assurance. C'est presque comme s'il avait eu le déclic, un beau jour. Accepter ses fautes en reconnaissant que toutes ne lui incombaient pas, et puis avancer. Ca, évidemment, c'était la version édulcorée. Il l'a dit une ou deux fois, persuadé d'y croire. Et si c'était pas la bonne, la prochaine le serait. Un jour, enfin, ce serait vrai.
C'est sans compter sur les redescentes. Machine bien huilée, fonctionne toujours de la même manière, régulière. Quand il est seul, qu'il se rappelle, et que tout se glace autour de lui. Jamais il n'aura été davantage d'accord avec Loïs que dans ces moments-là, où il se dit que c'est lui qui aurait dû crever. Presque jusqu'à finir le travail, même si, à quoi bon ? Parfois, il rationalise, avec la certitude que Jannik n'avait jamais eu besoin de lui pour se droguer, et que le destin avait juste voulu se foutre de sa gueule en précipitant une déchéance courue d'avance. Mais, en général, il peut presque se voir tracer lui-même la ligne qui l'a tué. Mauvais endroit, mauvais moment. Qu'est-ce qu'elle est cruelle, cette culpabilité du survivant.

Il est furieux, tout à coup. C'est le pire, parce qu'il s'était promis de garder son calme. D'accepter les coups bas, les vacheries. D'être un putain de punching-ball humain, si c'était ce dont Loïs avait besoin. Mais la colère est plus vicieuse que ça, instillée violemment sous sa peau – autant dire qu'il n'a jamais fallu grand-chose pour entrer dans sa tête. Suffisait d'une insulte bien placée, et évidemment, elle a tapé dans le mille. Le ton se fait déjà plus acide. « T'as qu'à dire ça plus fort, pour bien que tous les camés repentis qui viennent de foutre leurs tripes sur la table t'entendent. La classe. » Mais elle doit tous les plaindre. Trouver de l'amour pour eux, quelque part – celui qu'elle aurait réservé à Jannik, s'il s'en était sorti, parce qu'il aurait fini par leur ressembler. Il n'y a que lui pour qui elle soit incapable d'éprouver la moindre pitié. Sans doute n'en voudrait-il pas, d'ailleurs, mais à ses yeux, l'ironie frise l'indécence. Il ne lui échappe pas que la séance était vouée à la compréhension et à l'acceptation de l'autre – celui qui souffre, qui a merdé, qui a fait du mal, qu'importe. Et eux sont là, plus enclins à se sauter à la gorge qu'à s'écouter.
C'est même pas un match perdu d'avance ; c'est un match nul. À en rentrer chez soi plus amer qu'on n'en est parti.

Sa temporisation était crasse – au moins autant que l'injure que lui a réservée Loïs – mais a le mérite de le faire réfléchir, quant à la suite. Plus posément, étrangement, que durant ces heures à faire les cent pas. Comme s'il fallait gueuler un bon coup pour enfin respirer. La colère sue encore par tous ses pores, mais il a le sentiment de la maîtriser. Il regarde au loin. L'horizon. Il finira bien par se libérer. « J'ai pas besoin de ton pardon. » On ne sait pas si c'est lancé à Loïs ou au vent, puisque les yeux s'évitent. Mais, bordel, ça lui fait un bien fou de le dire enfin – même sans être sûr que ce soit vrai. Parce qu'elle sera toujours l'ombre dans le paysage, la seule personne qui ne le laissera pas faire amende honorable, et donc l'ultime regret que Jannik lui aura laissé. Car s'il avait cédé une dernière volonté, ç'aurait certainement été quelque chose comme la protéger. Au lieu de quoi il est là, à remuer le couteau dans leurs plaies – la sienne, béante de savoir que Loïs le hait.
Mais, non, il n'attend pas d'être pardonné.

« Je suis désolé que t'aies à vivre sans lui. » Moi aussi, je sais ce que ça fait. De l'avoir aimé, et de continuer à l'aimer, pour rien. Mais Declan s'est tu, conscient qu'il n'y a aucun univers où il pourrait rapprocher leurs douleurs et s'en sortir indemne. Pas mécontent de ce qu'il a dit, en revanche. C'est ce qui lui paraît le plus juste. Sincère, même s'il a vu la catastrophe de près. L'autre scénario, celui où il ne lui reste qu'à purement se renier. Maintenant, à lui d'affronter le constat vertigineux – qu'il était à deux doigts de s'écraser, pour apaiser l'orage dans ses yeux.
Lui restera un poids sur le coeur : l'envie de lui dire que, malgré tout, ils étaient beaux, ses mots. Qu'ils l'ont transpercé, mais qu'ils lui ont surtout rappelé toute la beauté dont Jannik avait été le vaisseau. Un miracle pour eux, pauvres mortels, et pour lui, un fardeau.

Une porte a claqué sur la fin de son murmure, même pas sûr qu'elle en ait entendu l'intégralité. Chester, dernier survivant, qui s'approche. « Tout va bien ? » Le regard porté sur eux lui paraît circonspect et, pour une fois, Declan n'est pas persuadé de ne devoir cela qu'à sa paranoïa. S'ils étaient restés chacun dans leur coin, le rapprochement aurait été moins évident. Mais, comme par hasard, les voilà face à face. Loïs, Declan, et leurs cicatrices en miroir. « Ouais, ça va, merci. » Il a reculé d'un pas, laissé la tension se dissiper un peu. À moins qu'il ne lui ait donné plus d'espace pour exister. « J'disais juste combien son témoignage m'a touché, c'est pour ça que je suis sorti. »


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