@Isabella Langford
Un mariage, un énième mariage. Pour une fois, il n’est pas présent en tant que musicien, mais bien en qualité d’invité. Il n’est pas certain que ce soit mieux ou plus stimulant, la musique a au moins le mérite de le distraire pendant ces longues heures de célébration. Il sourit poliment et serre quelques mains, échange des banalités avec des inconnus et se joint à eux pour féliciter les nouveaux mariés. C’est un ami d’enfance qui passe la bague au doigt aujourd’hui, et dans son coin, Miles ne peut s’empêcher de l’envier un peu. Ils y étaient presque, avec Raeve. À cette promesse de toujours être là l’un pour l’autre. Pour les bons comme les mauvais moments, jusqu’à leurs vieux jours. Ils n’ont jamais pu dépasser le stade des fiançailles et ce simple souvenir lui laisse un goût amer qu’il s’empresse de faire passer avec un fond de champagne. Tout le monde semble circuler autour des tables pour trouver sa place et il décide d’en faire autant. Le plan de table n’est qu’un lointain souvenir, il s’est à peine attardé dessus le temps de repérer son nom et le numéro. Le voilà qui navigue entre les tablées pour tenter de trouver sa place et une fois arrivé devant le bon écriteau, il constate qu’une bonne partie de la table est déjà occupée. Son regard se pose brièvement les autres invités, puis se fige quand il rencontre un visage des plus familiers. « Isabella. » Un sourire étire ses lèvres et il s’assoit finalement. « Le hasard fait bien les choses. » Ou pas, seul le temps le leur dira. C’est étrange de se retrouver ici, à ses côtés, après toutes ces années. S’il semble confiant, la réalité est toute autre. S’ils n’ont plus grand-chose des jeunes amoureux qu’ils ont un jour été, le souvenir d’Isabella a toujours gardé une place particulière dans son esprit, et le simple fait de la revoir aujourd’hui le ramène des années en arrière. Une autre époque, une autre vie. L’insouciance des jeunes années, où tout était possible, tout était si simple. « Je me doutais bien qu’on ne pourrait pas s’éviter toute la soirée... » Il tente de se montrer taquin car en réalité, les mots lui manquent. Les choses ne se sont pas bien terminées à l’époque et aujourd’hui, ils ne se doivent plus rien. « C’est tout de même un plaisir de te recroiser, Isa. » Plaisir partagé ou non, qu’importe, les voilà piégés pour les prochaines heures à cette même table.

@Miles Croft

C’est le mariage de son frère, et elle devrait être heureuse pour lui. Pourtant, elle se sent comme une étrangère au milieu de cette foule animée. Sa présence ici est plus une obligation qu’un véritable désir. Ses yeux scrutent la salle avec une certaine distance, mal à l’aise dans cet environnement qui lui semble étranger. C’est d’ailleurs effroi qu’elle découvre qu’on la assise à une table éloignée de la famille, entourée des amis du marié et de quelques visages inconnus.  Exclusion subtile comme pour lui rappeler sans cesse qu’elle est en conflit avec les siens. Pour éviter de s’impliquer davantage elle plonge le nez dans son smartphone, essayant de se soustraire psychologiquement à ce qu’elle considère comme une ‘épreuve sociale’. Seulement lorsqu’elle relève enfin les yeux, Miles entre dans son champ de vision. L’effet est immédiat : elle a l’impression que le monde s’est arrêté de tourner. Dix ans se sont écoulés depuis leur dernière rencontre, et ces années lui reviennent en pleine face comme un flot de souvenirs nostalgiques. Lui, le musicien mystérieux qui savait captiver les regards et faire battre les cœurs plus vite, est là, devant elle. C’était le genre de personne dont on rêve en secret, celui qu’on imagine toujours plus séduisant dans nos souvenirs. Cependant, la réalité la frappe de plein fouet lorsqu’elle observe son visage marqué par le temps. Les rides et les cheveux blancs témoignent du passage des années, mais malgré tout, il n’a rien perdu de son charme. Ses pensées s’embrouillent alors qu’elle le regarde, et elle ne peut s’empêcher de se comparer à la femme qu’elle était autrefois. Leurs chemins se sont séparés, en grande partie à cause de son manque d’ambition. Ce qui semblait captivant à l’époque est devenu, avec le recul, un peu décevant. Faisant d’eux, deux étrangers l’un pour l’autre. Ils n’ont plus grand-chose en commun aujourd’hui. Enfin… Encore faut-il qu’ils en aient eu à l’époque. Ils ont toujours été différents mais il faut croire qu’à une époque leurs différences ne les avaient pas dérangés. En essayant de masquer son trouble, elle esquisse un sourire poli, mais celui-ci lui semble fade comparé à ce qu’elle lui réservait autrefois. « Le hasard ? Hum… oui, sûrement » répond-elle avec un ton qui se veut léger mais qui trahit son anxiété. Elle ne croit pas vraiment au hasard. En tout cas pas dans cette situation là. En fait, elle est convaincue que c’est un coup monté par son frère. Celui-ci n’a jamais caché son aversion pour son époux, et l'absence de ce dernier ce soir-là semble confirmer ses soupçons. Elle est persuadée qu’il s’agit d’une petite vengeance bien calculée. « Ça fait longtemps, en effet… » murmure-t-elle alors que sa voix trahit une tension qu'elle peine à dissimuler. Ses yeux se fixent sur la carte des menus, comme si elle cherchait refuge dans les descriptions des plats pour éviter de devoir engager une conversation plus personnelle. Ses mots semblent se dérober entre sa gorge et le bout de sa langue. Elle aurait un million de choses à lui dire, à lui demander, mais rien ne lui vient pour l’instant. « Je… hum… » Elle tente d’éclaircir sa voix, cherchant des banalités à lui servir en attendant de pouvoir occuper sa bouche de nourriture pour ne plus avoir à parler. Il faut dire qu’ils ont encore de bonnes heures devant eux avant l’arrivée de la pièce montée, ce qui lui laisse un peu de temps pour quelques bavardages. « Je suis désolée pour ce qui vous est arrivé avec Alta Mar…», dit-elle, faisant références aux dérapages et le séjour en prison dépeint dans tout les kiosques de la ville. « Mais je suis contente de voir que tu sembles aller bien. » Elle s’enfonce dans le sujet, incertaine de la direction que prend la conversation.

@Isabella Langford
En réalité, le hasard n’a sans doute rien à voir avec ce qui se passe ici et maintenant. Au contraire, Miles est de ceux qui pensent qu’il y a une raison pour tout – le bon, comme le mauvais. Que les gens traversent nos vies, et que certains partent, d’autres restent ; tous pour une raison. Ils ont un impact, et comme dans la théorie de l’effet papillon, cette croisée des chemins peut provoquer le meilleur, le pire aussi. Seulement, ils ont fait plus que simplement se croiser, par le passé, et tout est encore si clair dans l’esprit de Croft que c’en est perturbant. Peut-être car on n’oublie jamais vraiment son premier amour. Parce qu’il laisse son empreinte, et qu’il conditionne, même silencieusement, une vie de relations par la suite. Miles ne sait pas trop à quoi s’attendre, quand il croise son regard. La froideur, l’indifférence ? Un sourire chaleureux, peut-être même un début de conversation. Ses propres mots sont maladroits, et sans doute aurait-il mieux fait de se mordre la langue. Mais l’attitude d’Isabella l’intrigue, et cette tension qui semble s’installer entre elle, lui, et ce menu qu’elle malmène du bout des doigts, promet une suite des plus étranges à cette soirée de mariage. Il prend finalement place, Miles, et pour une poignée de secondes, les voilà bien des années en arrière. Côtes à côtes, prêts à défier le monde entier. Mais il sait aussi qu’il n’est qu’un imposteur et qu’il prend la place d’un autre homme, cette simple idée suffit à le tirer de ses rêvasseries, et les mots d’Isabella le percutent avec une violence inattendue. Son sourire est amer, car il peine à comprendre pourquoi elle parle d’Alta Mar, elle qui n’y a jamais cru. Il hausse les épaules et il triture nerveusement ses couverts. « Hé bien, il faut croire que tu avais raison. » Qu’il répond avec un drôle de sourire, croisant une nouvelle fois son regard. « Rares sont ceux qui perdurent, de toute façon. » C’était plus ou moins ce qu’elle avait voulu lui faire comprendre à l’époque. De tendres années où ils étaient trop jeunes, trop naïfs et divisés par des rêves et des familles qui n’avaient pas tout à fait la même vision du monde. À nouveau, son regard se perd sur les bougies et les fleurs, et ce pli sur le chemin de table qui semble retenir son attention. Son sourire s’élargit un peu plus et il secoue la tête, cette fois-ci. « Arrête de me flatter. Je sais, j’ai pris un coup de vieux et j’ai l’air fatigué. On n’a plus vingt ans, toi et moi. » Ses prunelles accrochent les siennes après ce simple constat. Tout était si simple à l’époque – tellement plus simple. « Toi en revanche, tu restes ravissante. » Les traits sont plus marqués avec l’âge, mais malgré tout, il ne voit qu’elle ; celle qu’il a connue il y a trop d’années maintenant. Les mêmes yeux pétillants, et un sourire à tomber par terre, bien qu’elle ne semble pas vraiment d’humeur à cela ce soir. « Que deviens-tu, Isa ? Et où est donc Monsieur Langford ce soir ? » Son regard sonde brièvement la pièce avant d’en revenir à elle. Ce n’est pas de la provocation, non, juste une simple curiosité qui déborde ses lippes un peu trop rapidement, une fois de plus. Ils n’ont plus rien à perdre, de toute façon ; ils ont déjà tout perdu il y trop longtemps.