Elle avait un truc, ce soir. Un anniversaire – celui d’un ami d’ami, d’une connaissance en somme. Le genre de personne très populaire qui connaît plein de monde, qui invite une foule à son anniversaire. Peut-être que c’est surtout pour entretenir les relations, peut-être que c’est sincère – dans le fond, peu importe. Parce qu’elle appréciait tout de même la star de la soirée, elle est venue, Neasa. Et puis, aussi parce qu’elle devait y retrouver quelques têtes connues, quelques amitiés qui aux années ont survécu, ou d’autres qui ne l’ont pas fait mais qu’elle est quand même ravie de revoir ou de recroiser. Alors elle avait confirmé sa présence ce soir, Neasa – car après tout, pourquoi pas. Ce n'était pas en restant terrée chez elle qu’elle rencontrerait qui que ce soit, de toute façon, et peut-être qu’elle commençait à en ressentir le besoin. Rencontrer quelqu’un. Avancer, tout du moins. Cela ne veut pas dire qu’elle cherche nécessairement une relation sérieuse. Pour cela, il faudra encore du temps – retrouver de l’assurance, et puis la confiance. En les autres, en l’amour, en elle-même. De toute manière, elle ne cherche pas forcément à trouver quelqu’un avec qui finir la nuit, Neasa. Elle se dit que c’est peut-être l’occasion de se faire aussi de nouveaux amis. Tant de bonnes raisons de venir, en somme.
Alors elle est venue.

Il y a du monde, ce soir. L’hôte de la soirée, dont c’est l’anniversaire, possède en prime une belle maison dans les beaux quartiers de Brisbane. Cela permet au moins de rendre la fête agréable, plus que si elle avait lieu dans un appartement où l’on serait les uns sur les autres. Là au moins, il y a de l’air, il y a un jardin, il y a même une piscine pour ceux qui voudraient piquer une tête – et comme elle est chauffée, on n’a pas à craindre d’attraper froid, étant donné la saison hivernale. Très peu pour Neasa, en tout cas. Elle, jusqu’à présent, après avoir brièvement salué l’hôte de la soirée, très vite accaparé, elle a retrouvé les personnes qu’elle connaissait. Elle est allée de groupe en groupe, tranquillement, discutant naturellement, se présentant aux têtes inconnues, apprenant à faire connaissance.
Maintenant, elle ne sait plus depuis combien de temps elle est arrivée, son téléphone sagement rangé dans son sac, n’y ayant même pas touché. Elle s’amuse un peu, tout de même, Neasa, même si elle se dit qu’elle ne rentrera pas tard – son projet de création d’agence occupe une grande partie de son temps, et même si elle a délaissé le boulot pour ce soir, demain une grosse journée encore l’attend. Elle prend quand même un bout de gâteau quand on le lui propose, distraitement, sans vraiment demander ce qu’il y a dedans. Elle ne sait plus il y a combien de temps c’était – maintenant, cela lui semble remonter à une éternité, mais en réalité, cela doit faire seulement une demi-heure. Elle ne fait pas le lien, en tout cas, Neasa, entre le fameux gâteau avalé et le soudain apaisement qu’elle ressent. Précisément ce qu’il lui fallait, finalement. Elle se sent détendue, joviale, elle a le rire facile, la sociabilité plus aisée aussi, sans s’en rendre compte. Les autres sont un peu pareils, dans le fond. Et elle passe encore de groupe en groupe, Neasa, jusqu’à trébucher, un peu trop détendue, se rattrapant au dernier moment au bras de quelqu’un. « Ooooh pardon ! » s’exclame-t-elle aussitôt, et bien qu’elle soit désolée, elle ne peut retenir un rire, Neasa. « Oh, Maverick. J’t’avais pas vu. Ça va ? » Il y a bien son cœur qui va vite, dans sa poitrine, quand elle le reconnaît – mais c’est certainement un mélange entre le fait que ce soit lui, le fait qu’elle se soit rattrapée à son bras et le fait que dans le gâteau qu’elle a mangé, il n’y avait pas que des ingrédients lambdas. D’ailleurs, c’est certainement grâce à ce dernier qu’elle semble tout à coup si à l’aise face à lui qui reste son ex. Celui qui, peut-être, la déteste. Elle est peut-être la dernière personne qu’il ait envie de voir, d’ailleurs.
A moins qu’il n’ait mangé du même gâteau ?

C’est une soirée comme elle en a connues d’autres. Ni la première, ni la dernière. Une invitation qu’elle honore par courtoisie – pas certaine de rester, s’éterniser. À moins que peut-être, elle tombe sur quelqu’un qu’elle connaisse. Ou quelqu’un qui la retienne. À quand remonte la dernière fois où elle s’est perdue dans les draps de quelqu’un ? Trop longtemps. Neasa n’a plus le temps. Ni l’envie – ou bien c’est le déni. Elle a autre chose en tête, un projet plus grand, un projet qui l’obsède, lui prend tout son temps. Projet dont elle rêve même la nuit. Créer son agence. Cela fait des semaines et des semaines, des mois, même, qu’elle est dessus. Qu’elle rencontre du monde – son banquier, ses auteurices, des partenaires. Qu’elle monte vraiment son entreprise, tout en poursuivant ses activités actuelles en parallèle. Alors non, Neasa n’a pas le temps pour les rencontres. La tête est ailleurs, tandis que le cœur se répare doucement. Dans le fond, ce projet, c’est peut-être aussi pour ne pas penser au reste. À la mélancolie qui l’emplit, à la solitude qui l’habite.
Dans le fond, ce n’était pas plus mal, de venir, ce soir. Cela lui évitait d’encore bosser.
Sans jamais s’arrêter.

C’est une soirée comme elle en a connues d’autres. Une soirée pas désagréable, contre toute attente. Non pas qu’elle ait douté du contraire – c’est seulement qu’elle n’était pas certaine d’être tant que cela d’humeur à la fête. D’humeur à sociabiliser, discuter. Faire du small talk avec des inconnus. Et pourtant, elle s’en est bien sortie. N’est pas encore partie. Elle qui se pensait déjà presque dans son lit à cette heure-ci. Mais les heures ont passé. Maintenant, c’est l’heure du gâteau et elle est toujours là, Neasa. Elle en a même mangé une part. N’a pas fait le lien entre celui-ci et l’euphorie qui maintenant l’habite. Pas désagréable, celle-ci, non plus. Au fond, peut-être que c’était pile ce qu’il lui fallait.
Elle manque toutefois de trébucher, tout à coup peut-être trop tête en l’air. Faut croire qu’elle n’a pas trop perdu de ses réflexes, parce qu’elle s’accroche à un bras. Ç’aurait pu être l’occasion rêvée de flirter (puisqu’elle se sent d’humeur), si le bras en question n’appartenait pas à son ex qui, aux dernières nouvelles, la déteste. Vraiment ? Il avait l’air de la détester un peu moins, lors de l’épisode du train – mais pas de là à enterrer la hache de guerre. Pourtant, voilà Neasa, toute spontanée, toute naturelle, qui entame la conversation le plus simplement du monde. Et Maverick, qui semble mettre plus de temps qu’elle à la resituer, avant de finir par lui répondre. Lui dire qu’il se sent un peu bizarre – comme elle, un truc de dingue. « Mais non ! Moi aussi ! » L’état bizarre ne semble pas la défaire de cette plénitude qui ne la quitte plus. Elle sourit toujours, peut-être plus grand qu’elle ne se l’autoriserait face à lui en temps normal. « Sinon, ça va. Cette fête d’anniversaire est cool. » Haussement d’épaules, sourire aux lèvres toujours grand. « Mais c’est fou que tu sois là, et moi aussi. » Hasard de dingue. Le monde est définitivement petit. À ce moment-là, quelqu’un passe, s’excuse, gentiment bouscule – demande s’il reste du space cake. Et là, tout s’éclaire (ou presque). « Attends, tu crois que… » demande-t-elle à Maverick, ébahie. Presque comme une enfant. Puis elle éclate de rire, Neasa. Cela fait du bien, au fond.