Elle avait besoin de prendre l’air, ce soir. C’est souvent le cas, depuis des mois. Chez elle, elle a l’impression d’étouffer. Enfin, surtout quand elle est seule – et ce soir, c’est précisément ce qui l’attendait. Peut-être que c’est la solitude, au fond, qui l’oppresse. Arlo n’aime plus du tout se retrouver tout à fait en solitaire. Car dans ces moments-là, la morosité se réveille, la tristesse s’empare d’elle. Des mois qu’elle essaie de remonter à la surface, de sortir la tête de l’eau. De ne plus penser à Hasan – mais la dernière fois qu’elle est allée à une fête, elle est quand même tombée sur lui. Pire : il était venu la voir, l’avait emmenée manger quelque part. Elle avait trop bu, elle le savait, il le savait, et lui pour une fois était sobre – elle avait été désagréable, froide, mais elle l’avait laissé faire. Laissé l’emmener. Pas laissé lui répéter une fois encore qu’elle était mieux sans lui. Bref. Ce soir, elle est sortie, allée à une fête où elle devait retrouver quelques anciens potes de fac – avec lesquels elle était plus ou moins restée en contact. Des potes de bachelor qu’elle ne voit plus si régulièrement, parce que cela commence à remonter, maintenant. Elle est venue, alors. Au moins, cela lui évitait de broyer du noir chez elle.

Elle n’est pas trop mal, cette soirée. Même si elle a l’impression de ne plus (re)connaître grand monde. Elle ne s’est pas trop ennuyée, c’est déjà cela, d’une certaine façon. Elle n’a pas trop bu, non plus – du moins, pas autant que la dernière fois. Au moins, elle ne pense pas tomber sur Hasan, ici. Mais elle regrette un peu d’être venue seule. Parce que même si elle n’a pas abusé de l’alcool, Arlo, les trois petits verres qu’elle a bus, compilés à la fatigue de sa semaine de boulot et aux quelques trucs qu’elle a grignotés, lui font un peu tourner la tête. Surtout, elle a un gros coup de barre et l’envie de ne pas trop tarder à rentrer – pas sûre cependant de se sentir en état, assez safe pour rentrer en solo. Pas assez confiance pour rentrer non plus en taxi. Alors elle tente le tout pour le tout : appelle Sam, le seul de ses colocataires dont les projets devaient se terminer « le plus tôt » ce soir, le seul à même d’être disponible, en somme. Bingo : elle ne tarde pas à l’avoir, lui demander une toute petite faveur – est-ce qu’il pourrait venir la chercher, elle ne marche pas très droit, elle ne le sent pas. Arlo, elle n’a pas pour habitude de demander, ni de faire des caprices. Là, c’est exceptionnel. Mais Sam, gentiment, accepte. Elle raccroche, patiente quelques temps, le temps que son colocataire puisse arriver à la bonne adresse. Et elle l’a appelé à temps, parce que la batterie de son téléphone descend terriblement. Il va bientôt s’éteindre.

Il finit par arriver, Sam. Quand elle est en train de se servir un verre d’eau, la tête lui tournant toujours autant. Elle le voit, parmi la foule, puis lui fait un grand signe de la main en l’interpelant. « Sam, je suis là ! » essaie-t-elle de hausser la voix avec la musique, pour qu’il l’aperçoive. Puis, tant bien que mal, elle se fraye un chemin jusqu’à lui, parmi l’océan de personnes parlant, dansant, riant, tout autour. « Désolée, ma batterie est morte. » Peut-être a-t-il essayé de l’appeler pour lui dire qu’il était là, mais elle n’en sait malheureusement rien. Heureusement qu’il a pu monter, Sam. Elle va pouvoir y aller, maintenant, Arlo, mais elle a de nouveau la tête qui lui tourne et fait signe à son ami qu’elle va s’asseoir. Juste deux minutes. Histoire de retrouver ses esprits.