« Il y a bien quelqu’un que je peux appeler pour venir te chercher? Tu n’es clairement pas en état de conduire, Rhett. » Le sourire jusqu’aux oreilles, le diététicien appuya son coude contre le bar et posa son menton dans sa paume. « Tu t’souviens d’mon nom? » Les sourcils froncés, le barman se gratta le menton en hochant doucement la tête. « Tu me l’as dit il y a deux minutes. » Soudainement moins impressionnés, le trentenaire prit son verre qu’il inspecta de près en faisant tournoyer le liquide ambré qu’il contenait. « Ah. » Lui qui croyait avoir développé une relation privilégiée avec le barman à force de passer du temps à lui parler. Disons que s’il obtenait le titre de client mémorable, ce ne serait pas pour les bonnes raisons. Il n’était pas méchant, Rhett, mais l’homme qui n’avait d’autre choix que de l’écouter préférait sans doute passer sa soirée à faire autre chose que d’écouter le Barrows raconter sa vie misérable. « Rhett… Tu dois avoir de la famille? Des amis? » Le brun hocha la tête en sortant son téléphone de sa poche. Il le déverrouilla à l’aide de son pouce et le tendit au barman. « Sadie. » lâcha-t-il dans un soupir avant de vider le contenu de son verre d’une traite. Puis il s’assoupit la tête dans ses bras croisés jusqu’à ce que sa sœur arrive au bar pour le ramener chez lui. Ou plutôt chez elle après qu’il l’ait suppliée pour que Serena ne le voit pas dans cet état.

Complètement assommé par un horrible mal tête, Rhett n’osait même pas ouvrir l’œil malgré les rayons de soleil qui réchauffaient de plus en plus sa peau. Il était confus et se rappelait à peine du déroulement de la soirée de la veille tellement il avait bu. Ce n’était pas la première fois qu’il y allait un peu fort depuis que le diagnostic de Serena avait été posé et ça lui faisait un peu peur, ce sentiment de perdre le contrôle sur sa vie. Avec un peu de chances, les personnes de son entourage qui avaient été contactées pour venir le chercher au fil des mois ne se parleraient pas et croiraient ainsi qu’il s’agissait d’un cas unique. Serena, en revanche, le trouverait sans doute un peu moins drôle s’il continuait à découcher ainsi sans donner de nouvelles. S’il n’avait pas regardé son téléphone depuis la veille, il devinait sans difficulté les multiples appels manqués ainsi que les messages qu’il y trouverait de la part de sa femme et ses beaux-parents qui étaient à la maison pour le weekend. D’ici à ce qu’il en prenne connaissance, il s’agissait bien du cadet de ses soucis quand il ne se rappelait même pas s’être rendu chez Sadie.

Le corps endolori, Rhett se redressa dans le lit en grognant avec seulement un œil entrouvert, aveuglé par la lumière du jour à laquelle il ne s’était pas encore habitué. Toujours endormi, il posa ses mains sur le lit de parts et d’autres de ses cuisses, constatant alors que les draps étaient humides à sa gauche. Il ne put s’empêcher de grimacer en constatant les dégâts avant que son regard ne soit attiré par sa main gauche où son alliance était manquante. Hm? Les sourcils froncés, il tenta tant bien que mal de se souvenir ce qu’il en avait fait. L’avait-il perdue au bar ou l’avait-il retirée avant de s’y rendre dans l’optique de terminer la soirée en bonne compagnie? Il culpabilisait rien que d’y penser, sachant très bien que ce n’était pas impossible quand il avait trompé Serena avec Valentina en mars 2023, mais il préférait croire qu’il l’avait oubliée sur l’évier après avoir pris sa douche chez lui. Des bruits de pas s’approchant de la chambre attirèrent son attention, suivis de trois petits coups que Sadie toqua à la porte. « Entre. » dit-il en caressant d’une main son visage sur lequel on pouvait très bien apercevoir les traces de son oreiller. L’air désolé, il posa son regard sur sa sœur qui s’approcha avec un verre d’eau et deux cachets pour son mal de tête. « Je suis désolé… j’ai vomi dans ton lit. » dit-il en désignant les draps humides d’un mouvement de tête. Honteux de l’état dans lequel elle l’avait trouvé la veille, il saisit le verre d’eau et les cachets sans trop oser la regarder. « Merci… » Il se dépêcha d’avaler les cachets en prenant une gorgée d’eau, laissant planer le silence un temps entre eux sans savoir quoi dire. « Merci pour hier. Je ne me souviens pas de grand-chose… j’espère que je n’ai pas ruiné ta soirée. » Parce qu’il se sentait comme un poids pour tous ses proches depuis qu’il leur avait annoncé la nouvelle. Il détestait déranger.

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Était-ce ça la crise de la trentaine? Remettre toute sa vie en question au point de se saouler la gueule dans un bar jusqu’à perdre la carte? Plus rien n’allait et Rhett ne voyait pas la lumière au bout du tunnel. Comment serait sa vie s’il avait rompu avec Serena un peu avant qu’elle reçoive son diagnostic? Forcément, il aurait été présent pour elle puisqu’elle ne demeurait pas moins la mère de son fils, mais est-ce qu’il en aurait eu autant sur les épaules? Peut-être que non. Au final, c’était sans doute le karma qui lui retombait dessus pour avoir fait semblant toutes ces années d’avoir des sentiments pour sa femme alors que ce n’était pas le cas. Il ne cessait de se dire qu’il aurait mérité d’être celui en train de se battre pour sa vie. « Y a pas de mal, je t’enverrai la note. » La rembourser pour le nettoyage, c’était la moindre des choses. Heureusement, de déraper à ce point ne lui arrivait pas très souvent, encore moins sous les yeux de Sadie qui ne devait pas avoir vu son frère dans cet état depuis ses années universitaires. Elle était bien jeune à l’époque. « Je te dois bien ça. Je te ferai un chèque. » Ou un virement, peu importe ce qu’elle préférait. Tout pour se faire pardonner et que cette nuit soit oubliée. « J’étais tranquillement dans mon lit. J’te cache pas que tu l’as ruinée, mais je préfère ça à choisir plutôt qu’il t’arrive quelque chose. » Il sourit d’un air désolé, regrettant un peu plus sa présence ici maintenant que Sadie lui confirmait qu’il avait ruiné sa soirée. Rhett détestait se montrer vulnérable, encore plus devant ses sœurs de qui il n’avait jamais été particulièrement proche. Il devait être le grand frère fort, pas celui qu’on ramassait à la petite cuillère en plein milieu d’un bar aux petites heures du matin. La prochaine fois, il contacterait quelqu’un d’autre. « Ça n’arrivera plus. Des potes m’ont vendu leur nouvelle sélection de Whisky, ça faisait tellement longtemps que je n’avais pas bu. Je n’ai clairement plus vingt ans. » Il rit légèrement en espérant être crédible. Pas question d’admettre qu’il touchait le fond.

« J’ai prévenu Serena que tu étais ici. Je n’ai … rien dit d’autre. » Il hocha lentement la tête. « Merci. » Il se sentait un peu plus léger de savoir que son épouse ne pouvait s’inquiéter en se demandant où il avait passé la nuit encore une fois. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il ne se prendrait pas des remarques remplies de jugement de la part de ses beaux-parents comme ses propres parents ne se gêneraient pas de le faire. Il n’avait pas la force d’avoir ce genre de discussion ce matin, encore moins de se retenir de dire ce qu’il pensait pour éviter des conflits. Les parents de sa femme lui permettaient de souffler quand ils prenaient la relève auprès de leur fille, il ne voulait surtout pas se les mettre à dos. « Jure-moi que tu ne diras rien aux parents non plus. » Sinon il en entendrait parler jusqu’aux fêtes de fin d’année. « T’as la force de te lever ? Tu veux manger un truc ? J’ai un super remède contre la gueule de bois. » Toujours assis sur le lit, il remua un peu ses jambes comme pour en vérifier la force. « Ça devrait aller. » Il n’avait pas beaucoup de force ni d’énergie, mais il devrait quand même être en mesure de se lever sans s’écraser au sol comme il aurait pu le faire en quittant le bar. « Hmmmmmm je ne sais pas. Je dois me méfier? » Les deux mains posées sur le matelas, il se poussa afin de se lever en grognant. « C’est pas un smoothie couleur mixte de pelouse et de terre que tu essaies de me vendre quand même? » Rien que l’image suffisait à lui donner un haut-le-cœur. « C’est quoi ton remède miracle? Je te suis. » Il fallait bien qu’il se remette sur pied s’il voulait rentrer chez lui un jour.

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TW: alcool, maladie & aide médicale à mourir

« Tu me dois même plus que ça! Mais tu te rattraperas plus tard. » Plus que ça? Il n’avait pas grand-chose à lui offrir, surtout si son salaire se voyait impacter par un congé forcé. Parce que s’il ne se reprenait pas en main, c’était forcément ce qui risquait de lui arriver. Ce n’était pas parce qu’il était propriétaire de la clinique qu’il était à l’abri, surtout que Maverick avait déjà fait remonter des plaintes à son sujet quelques mois auparavant. Rhett n’était visiblement plus en état de donner un bon service à ses patients et il voulait tout sauf nuire à son associé même s’il n’arrivait pas à prendre la décision de se retirer temporairement. « Une compensation pour le réveil nocturne? Dommages et intérêts? » exagéra-t-il dans le même ordre d’idées. Il répondait avec humour à son tour en espérant dédramatiser la situation. Il ne souhaitait pas que Sadie s’inquiète pour lui quand c’était théoriquement son drôle de veiller sur elle en tant que grand frère. Un rôle qu’il n’avait pas spécialement occupé étant donné le climat familial particulier dans lequel ils avaient grandi, mais il essayait d’être présent pour elle comme il le pouvait désormais qu’ils étaient deux adultes. Ils avaient déjà une plus grande proximité qu’il pouvait avoir avec Aster. « Mouais, j’ai un peu de mal à te croire, Rhett. » Il retint son souffle tandis qu’elle poussait un soupir. Il détestait mentir à ses proches, mais il détestait encore plus laisser paraître sa fragilité. Que sa sœur ne le croie pas le faisait se sentir comme un enfant qui avait fait une bêtise et qui se faisait surprendre. « Change de potes alors hein, car ce n’est pas correct de leur part de t’avoir abandonné dans le bar, seul. C’est le barman qui m’a appelé. » Honteux, il baissa les yeux vers ses mains, les lèvres pincées. Le ton sec de Sadie lui avait bien fait comprendre qu’il n’avait pas intérêt à continuer de lui mentir. Malgré tout ce qu’il pouvait dire, sa sœur n’était pas dupe. « Je me souviens. » Pas de tout, mais de ça, oui. Au moins, il n’avait pas terminé la soirée dans les bras d’une autre comme il l’avait fait un an plus tôt.

« C’est pas la première fois que ça arrive, n’est-ce pas? » Rhett déglutit difficilement en soupirant légèrement. Ses pensées se bousculèrent dans tous les sens, à la recherche d’un mensonge crédible à lui dire pour qu’elle ne pose pas davantage de questions, mais il était fatigué de toujours faire semblant. « Non… » lâcha-t-il finalement d’une voix presque inaudible. Il ne v oulait pas devenir un fardeau pour ses proches, et surtout, il devait demeurer apte à s’occuper de Jayden s’il ne voulait pas le perdre lui aussi. « Je voulais juste… penser à autre chose. » Oublier que tout était en train de s’écrouler autour de lui. Ce n’était pas la bonne méthode et il le savait, mais il n’avait pas trouvé mieux qui le satisfasse. « Promis! Ça ne regarde que nous! » Il la remercia d’un léger sourire, soulagé que son état ne vienne pas aux oreilles de leurs parents qui ne feraient rien d’autre que lui ajouter encore plus de pression. « T’as vraiment mauvaise mine mon gars. » Il n’avait pas de mal à le croire s’il se fiait à la façon dont il se sentait. « T’as pas une solution miracle pour que je sois présentable avant de rentrer? » Trois pouces de maquillage peut-être? « Fais-moi confiance! Tu boiras ce que je te donne de toute façon. » Hmmmm. « On verra. » dit-il avec un air dubitatif. « Commence par ça! Allez, cul sec. » Rhett retourna le verre dans tous les sens, l’approchant de son nez pour en humer le contenu. « Ça a l’air… délicieux. » Tentait-il de la convaincre ou de se convaincre lui-même? Il grimaça, puis vida le verre d’un trait avant de frissonner de dégoût. « Dégueulasse. C’est quoi? » Mais ce n’était pas tout! « Ensuite tu prendras ça. Attention, c’est chaud. » Il vida le contenu de la tasse sans broncher, espérant au moins que ces boissons infectes lui feraient du bien et qu’il ne les buvait pas pour rien. « Bon, tu vas te decider à me parler ou je dois te tirer les vers du nez? Comment va Serena? » Les épaules crispées, il posa son regard sur sa sœur sans rien dire parce que la réponse lui semblait plus qu’évidente. Cette question qui le gorçait à s’ouvrir et qui le mettait dans une position qu’il n’aimait pas. « Mal. Sereine. Je ne sais pas. Ça n’ira pas en s’améliorant, Sadie, il n’y a pas de remède… » Il baissa la tête une fois de plus vers ses doigts qui encerclaient toujours sa tasse vide. « Elle… » Il prit une pause, incapable de poursuivre tellement il anticipait la suite. Prononcer ces mots qu’il préférait oublier. Au bout d’un moment à se battre contre lui-même, il se lança sans daigner la regarder. « Elle veut l’aide médicale à mourir… Elle en a parlé à son médecin. » Une vague d’émotions le traversa tandis qu’il prononçait finalement c es mots pour la première fois. Pendant des mois, il avait essayé de rester dans le déni, mais il ne pouvait plus. « J’peux pas… » murmura-t-il d’une voix tremblante avant de s’éloigner vers une fenêtre dans l’espoir que cette distance lui permette de reprendre le contrôle de ses émotions qui le submergeaient de plus en plus. Épuisé physiquement et mentalement, Rhett perdit toutefois le contrôle, ses épaules se secouant sous les sanglots qui perçaient le silence. Inarrêtable, il laissa doucement glisser au sol, écrasé par le poids du désespoir.

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