(tw: mention de situation de guerre, ptsd, bombardements sur civils, amnésie traumatique.)

“ Puis, Kleo lève les yeux – le ciel est en train de redevenir bleu ; ce doit être le matin. Elle ne sait plus si elle a peur. Dans sa fragilité naissante, le désespoir d'une solitude terrible a remplacé son innocence, son vacarme intérieur. À ce moment elle se tient, déchirée, sans voix pour appeler à l'aide, sans preuve du massacre définitif d'une foi juvénile en la bonté de l'existence, seule face à la haine absurde d'une terre qu'elle avait habité. Et elle se dit que Dieu n'est pas là. Dieu s'est incarné dans sa seule solitude à l'instant, dans la béance malencontreuse de toutes les souffrances.


Dans le ciel, les âmes perdues la regardent.

Elles crient, elles crient, elles crient.

Elles crient comme elle à l'absence.” 



(m) · max · 27-31 ans · métier au choix · situation civile au choix (libre)

Then : Ils se sont rencontrés là-bas, en Afghanistan. Au milieu de la terreur, de l’air sec et des horreurs. Max, c’était l’un de ces idéalistes qui étaient venus là par conviction, et qui s’était vite laissé dépasser par sa propre naïveté, lorsqu’il avait observé à quoi pouvait ressembler la réalité, lorsqu’elle n’était pas écrite, ou racontée à la télé. C’était pas un soldat, il avait pas été biberonné à la violence comme tous les autres qui trainaient dans le sable ; mais il s’était dit qu’il pourrait encaisser. Il a fait partie du même convoi humanitaire qu’elle, et peut-être qu’elle s’est un peu retrouvée, dans le cynisme de sa candeur gâchée. Elle aussi elle avait pensé trouver un sens là-bas, elle avait bêtement songé qu’elle se sentirait utile, qu’elle ferait la différence : l’un et l’autre n’ont découvert qu’une amère désillusion, peut-être trop jeunes pour se coller la mort devant les yeux chaque matin.
Ils se sont aimés là-bas, au milieu de l’air sec et des histoires crève-cœurs. Idylle sous le signe des utopies raturées, de quelques mois à peine. Jusqu’à août ; des bombardements civils, desquels Max est une victime collatérale. On dit qu’il a eu de la chance, qu’il n’a aucune blessure grave. Mais sa mémoire, elle, n’est plus qu’une page blanche lorsque les derniers mois sont évoqués : amnésie traumatique, ce sont les mots qu’on utilise pour en causer. Et Kleo n’est alors plus qu’une inconnue, qu’un visage fade qu’il ne reconnaît plus. Trop difficile à encaisser pour Ackerley, qui prend la tangente, le cœur écorché. Lors du départ d’un autre convoi, elle en profite et s’échappe. Max, elle ne le reverra plus.

And now : Ça fait plusieurs années, maintenant. Kleo garde le souvenir de Max sur le cœur, porte en solitaire le deuil des instants passés, des tendresses délabrées. C’est presque comme un deuil au fond, d’être la seule à s’accabler de cette pointe de douleur, de savoir que l’autre a été libéré du souvenir de la perte, de cette mémoire qui blesse et re-blesse. Elle n’y pense plus si souvent, ou seulement en coup de vent ; lorsqu’elle sent l’odeur du sable, ou à la vue criarde d’une tâche de sang. Max n’existe plus, mais il est vivant : réalité difficile à accepter au début, mais Kleo a fini par le digérer. Petit à petit.
Mais s’il y a bien une chose qu’elle n’imagine plus à force, c’est de le revoir ; parce que les fantômes n’ont pas de place chez les vivants, qu’ils sont bons qu’à hanter les souvenirs – pas à les retrouver. Et si Max avait en réalité commencé à se rappeler ? Si de souvenirs, il était celui qui était hanté – de flashs, d’images sans queue ni tête, drôles de pièces d’un puzzle impossible à reconstituer ? Pire, si par un odieux hasard, c’est à Brisbane qu’il se retrouvait aujourd’hui, quel désordre pourrait alors se créer dans l’au-delà factice qu’elle avait elle-même imaginé ?

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