Étrangement, ce soir, elle n’avait pas vraiment envie de rester tard au travail, Camila. Elle n’avait pas particulièrement envie de rester seule dans les locaux, dans le silence, à ruminer ses pensées. Car, ce soir, c’est sans doute ce qu’elle aurait fait. C'est ce qu’elle fait depuis trop longtemps, déjà. Ruminer. Ressasser. Tourner la situation dans tous les sens. Tout ce qu’elle déteste, Camila, elle qui préfère la légèreté, l’insouciance, en toutes circonstances. Elle, qui ne veut surtout pas se prendre la tête. Qui veut juste s’amuser, profiter, rire, prendre de la distance avec la douleur, les choses trop importantes. Elle concentre toute son énergie sur sa petite entreprise, évidemment, aussi. Mais en-dehors de cela, non : elle ne veut pas de complications, de prises de tête. C'est pour cela notamment, qu’elle a fait il y a des années le choix de faire cavalier seul. Mais maintenant, et depuis bientôt trois ans, il y a Arshan, dans sa vie. Arshan, avec lequel elle compose, pour l’aider à obtenir la nationalité, pouvoir retrouver les siens. Il n’a jamais été aussi prêt d’y arriver. C'est une bonne nouvelle. Mais cela les rapproche du moment où il n’aura plus besoin d’elle. Où il partira, où il l’oubliera.
Et l’idée lui fait mal, à Camila.

C'est bizarre, entre eux. Depuis des mois, maintenant.
C'est peut-être ce qui a motivé nombre de ses soirées tardives au bureau.
Mais ce soir, elle ne le fera pas. Ce soir, elle a autre chose en tête, Camila. Elle veut rendre visite à sa cousine. Une visite surprise - et à vrai dire, alors qu’elle se met en route, elle se dit qu’elle aurait peut-être dû lui envoyer un message, tout de même. Sait-on jamais, qu’elle ne soit pas là, et qu’elle se retrouve bêtement devant sa porte. Mais l’idée lui était venue au cours de la journée, quoiqu’elle traînait à vrai dire dans sa tête depuis quelques jours. Elle ne pouvait pas oublier sa rupture, Camila. Ne cesse de s’inquiéter pour elle, depuis. C'est sa cousine – c'est la famille. Et elle est importante, Solana. C'est qu’elles ont grandi ensemble, aussi. Alors elles ont un certain attachement, un lien particulier. Camila se soucie autant d’elle que de Livia.
Elle s’est mise en route après le travail, donc. A prévenu tout de même Arshan, des fois qu’il s’inquièterait. Peut-être que cela ne lui fait ni chaud ni froid. Après tout, il a autre chose en tête, ces derniers temps. Pas le moment d’y penser. Heureusement, elle arrive bientôt en vue de l’immeuble de sa cousine. Se gare sur le parking, attrape son sac, et puis, une bouteille de vin qu’elle a pris soin d’acheter en passant, et quelques trucs à grignoter. Elle n’allait pas venir les mains vides, après tout.

Elle ne tarde pas à rejoindre l’immeuble, la brune. Monte les escaliers, en voyant que l’ascenseur est encore à l’un des étages, malgré ses talons qui commencent quelque peu à lui cisailler les pieds. Elle arrive bientôt à bon port ; frappe à la porte de l’appartement de sa cousine, grand sourire aux lèvres. Mais elle n’entend pas de bruit de pas. Elle tente à nouveau de frapper, une seconde fois. Se dit que oui, décidément, elle aurait dû prévenir. La voilà prête à sortir son téléphone pour appeler directement Solana et demander si elle est dans les parages, quand cette dernière surgit, l’interpellant en la reconnaissant. Un nouveau sourire se dessine automatiquement sur les lèvres de Camila. « Hey. » répond-elle en retour. Solana est étonnée de la voir, évidemment. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’elle vienne ici. « Rien de grave. Je voulais juste te faire un coucou. » Et s’assurer qu’elle va bien avec la rupture, surtout. Mais elle ne le dira pas, Camila, ou en tout cas, pas comme cela. « J’te dérange pas au moins ? Sinon, on peut reporter. » Elle ne s’en vexerait pas. Elle sait qu’elle peut être un peu trop impulsive, parfois. « J’ai apporté du vin. » Ce disant, elle brandit la fameuse bouteille, Camila, avec un sourire victorieux, avant de se mettre à rire.

L'emploi du temps est souvent complet. Elle court toujours un peu partout, Camila. Toujours très occupée. Ou toujours du genre à faire en sorte de l’être. Surtout depuis qu’avec Arshan, les choses se sont compliquées. Comprendre : depuis qu’elle a commencé à éprouver quelque chose, ce qu’elle refuse pour l’heure d’avouer. Car Camila n’avoue pas facilement ce genre de choses, surtout parce qu’elle déteste se mettre à nue, déteste se sentir vulnérable. Et puis, parce qu’elle ne sait pas gérer les sentiments. Parce qu’elle reste, notamment, hantée par un certain nombre de mauvaises expériences. Pourtant, avec Arshan, ce pourrait être différent. Non – ce ne serait pas possible, de toute façon. Il faut qu’elle s’ôte cette idée du crâne, il a une famille qui l’attend. Une famille qu’il rêve de pouvoir retrouver, qui en vient à cruellement lui manquer. Pourtant, elle y pense, Camila, parfois, et plus qu’elle ne le devrait. C'est peut-être aussi pour cela que ce soir lui est apparu comme le moment idéal pour se taper l’incruste et se pointer à l’improviste chez sa cousine. C'est qu’elle pense à elle depuis des jours, s’inquiète pour elle aussi. Veut s’assurer que tout va bien, car ce n’est pas parce qu’elle est nulle en amour, Camila, qu’elle ne se soucie pas des histoire et peines de cœur éventuelles des siens.

Au moins, elle ne débarque pas les mains vides.
Mais, en se retrouvant à attendre, à se demander si Solana est réellement dans les parages, elle se dit qu’elle aurait tout de même mieux fait de l’aviser par message. Cela n’aurait pas fait de mal. Cependant, Solana finit par arriver – de quoi la rassurer. Bien sûr, celle-ci s’étonne de la trouver sur le pas de sa porte. Camila s’explique bien rapidement, finit par lui demander si elle ne la dérange pas – c'est un peu tard pour se le demander, cela dit, il aurait fallu y penser avant. Au moins, Solana ne semble pas mécontente de la voir, et paraît convaincue par l’argument de la bouteille de vin. « Je sais toujours comment parler à ton cœur. » argue-t-elle, Camila, sourire en coin, avant de suivre Solana, qui déverrouille la porte. Bientôt, la voilà à l’intérieur de son appartement. Rejointe par sa cousine, cette dernière s’excuse alors de l’odeur et explique oublier parfois être la seule responsable désormais pour sortir la poubelle. Elle ne sait pas comment interpréter les choses, Camila – si elle oublie, n’est-ce pas bon signe ? « J’avais pas trop remarqué, t’en fais pas. Est-ce que tu penses à faire le minimum pour ta survie quotidienne, quand même ? Te laver, te brosser les dents, tout ça ? » la taquine-t-elle en riant, son éternel sourire en coin. En tout cas, Solana ouvre la fenêtre, ce qui fait entrer dans le logement un léger filet d’air. Pas désagréable, notamment avec le printemps qui pointe doucement le bout de son nez, depuis quelques temps. Deux coupes sont désormais sorties, bientôt remplies du vin amené par Camila. Alors, Solana ne tarde pas à lui demander comment elle va, s’enquérant aussi bien du travail que son fameux mariage. Le faux, au sujet duquel elle s’est retrouvée à mentir, même auprès de sa famille. « Moi ? Oh, ça va, la routine. Tout va bien. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, comme on dit. Arshan va bien aussi. » Elle hausse les épaules. Elle est quand même un peu décontenancée. Non, il y a quelques petites choses qui la torturent, en vérité, mais ce n’est pas pour se confier, qu’elle est venue, Camila. C'est plutôt qu’elle s’inquiète, pour Solana. « Et toi ? Le boulot à l’agence ? Les retrouvailles avec la vie de célibataire ? » demande-t-elle, finalement sans trop de tact. Du Camila tout craché. Pourtant, elle le demande l’air de rien. De l’inquiétude, malgré tout, dans le regard, attendant avec attention la réponse de Solana. Elle l’imite cependant, attrapant l’autre coupe, puis la porte à ses lèvres pour boire quelques gorgées.

La famille, c’est important. Surtout chez les Castillo. Même pour Camila, qui s’est très vite montrée indépendante. Même pour Camila, qui a toujours mille et un projets, qui est sans cesse bien occupée. Mais pour les siens, elle tâche toujours de trouver le temps. C’est important. Mais cela lui tient à cœur, aussi. Ce n’est pas parce qu’elle a grandi avec l’idée qu’on ne délaissait pas les siens, qu’elle fait des efforts. Elle, elle ne s’est jamais vraiment forcée à quoi que ce soit, de toute façon. Non, elle y tient, c’est tout. Que ce soit pour Livia ou Moisés, ou pour leur cousine Solana. Elle s’en fait un peu pour elle, à présent. Elle s’en fait pour elle, depuis sa rupture. Pourtant, Solana ne semble pas non plus au bord du désespoir. Elle semble même aller plutôt bien, elle doit l’avouer, Camila. Mais peut-être n’est-ce qu’une apparence : après tout, elle est bien placée pour savoir qu’on revêt parfois un masque, qu’on prétend que tout va bien. Elle est même la première à le faire, elle qui parle si peu de ce qu’elle ressent, surtout si c’est quelque chose de négatif. Alors elle a décidé de rendre visite à Solana. N'est pas venue les mains vides, ce n’est pas dans ses habitudes. Elle ne perd pas une occasion d’apporter une bonne bouteille de vin, de toute façon.

Solana ne croit pas si bien dire quand elle lui dit par taquinerie qu’elle ignorait qu’elle pouvait être bonne comédienne. Est-ce vrai, au premier degré ? Est-elle bonne comédienne, avec son mariage ? Est-ce qu’on y croit, à son coup de foudre, à sa soudaine union avec Arshan ? C’était il y a bientôt trois ans, maintenant. Peut-être qu’avec le temps, le mensonge paraît un peu plus réel, à mesure qu’elle s’attache à lui. Peut-être qu’elle le regarde un peu différemment, aujourd’hui. Mais bref – Camila n’est pas là pour songer encore à son mari. Elle est là pour Solana, veiller sur elle à sa façon, même si c’est elle-même la plus jeune, et elle ne tarde pas à lui poser un million de questions. « Hm, me voilà rassurée. » Elle esquisse un sourire amusé, surtout au mom que sa cousine a lâché. Double-pique quand on sait que Camila ne se voit pas du tout mère. Mais avec ses proches, elle peut être très protectrice – Livia en sait quelque chose, en fait autant les frais que Solana, sinon plus, d’ailleurs. « Pour la cuisine, au moins, on est deux. Alors je ne peux pas t’en faire le reproche. » Elle lâche un léger rire, la brune. Elle n’est toutefois pas dupe face à la tentative de diversion de sa cousine. Et Camila étant Camila, au sujet d’Arshan, elle ne s’étend pas tant que cela. Pour dire quoi ? Elle ne peut même pas être honnête à ce sujet avec ses propres proches. Pourtant, elle en aurait, des choses à dire. Si seulement elle se l’avouait. Autant dire que même pour elle, un bon verre de vin n’est pas de refus – ce qui est chose faite, à présent. Elle retourne la question à Solana à propos de son boulot et de sa nouvelle vie de célibataire, écoute sa réponse tout en buvant des gorgées de vin. « Au moins, tu peux dormir en étoile de mer dans ton lit, et ça, c’est le paradis. » assure-t-elle d’un air entendu. Et dire qu’elle le fait toujours, ce que nombre de gens ignorent, encore. Une information retient alors son attention, la fait relever le regard vers sa cousine, aussitôt. « Tadgh ? Comment ça ? » Elle veut tout savoir à présent, la brune. Curieuse de savoir ce que cela peut vouloir dire.

Elle est bien mal placée pour parler d’amour, Camila. Mais cela, on ne le sait pas. On le savait du moins avant – avant Arshan, avant leur mariage blanc il y a trois ans. Cela fait un bout de temps, à présent, qu’ils semblent ensemble. Cela fait un bout de temps que Camila ne semble plus être sur le marché, et un bout de temps même à dire vrai qu’elle n’a plus particulièrement eu envie de partager avec d’autres ses nuits. Mais cela, elle n’est pas encore prête à l’avouer. Il lui faudra sans doute encore du temps, ainsi que des rebondissements. Cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas s’en faire pour Solana et sa récente rupture. Peut-être que ce n’est rien de grave, que Solana ne se morfond pas nécessairement. Mais pour cela, encore faut-il s’en assurer, n’est-ce pas ? Alors Camila s’est pointée sans prévenir – mais avec une bouteille de vin. Et elle doit l’avouer : à première vue, Solana n’a pas l’air d’une épave. Elle la fait même dire à l’appeler mom et à lui dire qu’elle n’oublie pas le minimum vital pour sa survie. « Et c’est toi qui m’appelles mom ? » lui retourne-t-elle, sourire en coin, avant de rire de plus belle. Des deux, peut-être Solana est-elle celle qui a davantage le profil pour cela. Camila, en règle générale, est assez discrète sur son inquiétude, ses sentiments, même à l’égard de ceux qui comptent le plus, finalement. « Tout à fait. Au moins, on fait tourner les restaurants à nous deux, c’est déjà bien, non ? » Elle rit bien en tout cas, en venant là. Peut-être qu’elle-même en avait besoin, Camila, même sans être dans la même situation que Solana.

Les voilà désormais en train de boire un bon verre de vin. N’en avaient-elles pas cruellement besoin ? Sans doute serait-ce exagéré – mais Camila a toujours un peu fait dans l’excès. Pas sa faute – plutôt celle à son soleil en Verseau, si l’on veut son avis. En tout cas, elle peut attester du fait que Solana n’a pas l’air effondrée ; et donc, par ricochet, elle peut se permettre de citer tous les bons côtés de la vie de célibataire. Avec, pour commencer : dormir en étoile de mer. La réponse de Solana ne fait pas disparaître son sourire, qui au contraire, s’étend un peu plus encore. « J’en étais sûre, on y prend vite goût. Mais je vois que tu envisages déjà la possibilité de retrouver quelqu’un, profites-en quand même tant que tu peux ! » Elle éclate de rire, la brune, avant de reprendre : « Sinon, tu pourras toujours prendre un lit king size. » Sur ces mots, elle hausse les épaules, avant de porter la coupe de vin à ses lèvres. Elle ne manque pas de se concentrer sur Solana quand celle-ci mentionne Tadgh. Il ne lui en faut pas plus pour se poser mille et une questions et chercher à savoir ce que sa cousine veut dire exactement. « Incroyable, tu penses que c’est un signe ? » Bien sûr, Camila a ce petit regard en coin, ce sourire un peu malicieux. Elle n’irait pas vraiment conseiller à Solana de se remettre directement en couple – mais qui sait, peut-être peut-elle s’amuser ? Elle a cependant sa réponse tout de suite, Camila : ça ne veut rien dire. « Mouais. Tu me connais, je crois pas trop au destin, mais ça fait quand même beaucoup de réapparitions. Et là paf, comme par hasard, c’est pile le moment où vous êtes libres tous les deux ? Peut-être que ça ne veut rien dire, mais c’est toi qui l’as mentionné. » Ce n’est pas une accusation, cependant, juste une observation que Camila souligne, avec son habituel sourire en coin, avant d’aller s’asseoir sur une chaise.