@joy king & @Yaël Saunders

Un mois. Trente jours. Sept-cent-vingt heures. C’est peu et beaucoup à la fois. Ce n’est pas un temps suffisant pour accepter l’idée qu’une relation de dix-sept ans prenne fin et c’est, au contraire, d’innombrables minutes à se rappeler pourquoi c’est la chose à faire. Yaël essaie encore de se convaincre que cette décision est la meilleure ; elle se raccroche autant que faire se peu à cette longue discussion qu’elle a eue avec Daphne à ce sujet. Elles n’ont pas d’autres alternatives, elles n’ont plus d’issue de secours. Elles ont donné à leur mariage toutes les chances qu’il méritait mais il n’en reste aujourd’hui plus aucune. Leurs ressources sont épuisées. Toute nouvelle tentative reviendrait à s'exposer au risque de souffrances supplémentaires. Or, les deux femmes sont lasses. Il est temps d’aller de l’avant. Il leur faut passer à autre chose.

Elles savent, toutefois, que cette mécanique ne pourra réellement s’actionner qu’une fois que leur situation administrative sera elle-même en mouvement. Tant et aussi longtemps qu’elles resteront liées par le mariage, elles se raccrocheront à leur passé et elles ne seront pas pleinement libres de vivre l'instant présent pour préparer le futur. Alors, elles ont commencé à évoquer les modalités. L’hébergement de leur plus jeune fils Jude ne fait l’objet d’aucun débat : elles fonctionnent déjà sur le mode d'une garde alternée - une semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires - et ne souhaitent rien changer. Concernant les biens, chacune conservera son véhicule et leurs affaires seront partagées par moitié ; elles sauront s’entendre sur le départage. Certaines questions sont plus délicates à trancher et la procureure ne sait pas encore ce qu’elle souhaite : garder la maison familiale, vendre sa part à son épouse ou se débarrasser purement et simplement du bien en le vendant à un tiers ? Consciente qu'il est grand temps de solliciter un avis extérieur sur la question et de mettre en place cette procédure à laquelle Daphne et Yaël ne peuvent échapper, Yaël a fini par se rapprocher d'un cabinet d'avocats.

Rectification. Yaël a pris rendez-vous avec Joy King, associée du cabinet où Yaël elle-même a commencé sa carrière dans le monde du droit et, de surcroît, son amie. C'est bien cette dernière qualité qui risque de rendre la collaboration délicate ; Yaël ignore si la blonde acceptera de représenter ses intérêts alors que des liens personnels les unissent. Saura-t-elle faire preuve d'une totale indépendance comme sa profession le requiert ? Aura-t-elle les conseils avisés et parviendra-t-elle à les donner face à une amie ? Yaël est confiante et ne doute pas que Joy saura parfaitement traiter son dossier, même si cela implique de devoir parfois couper court aux illusions de Yaël. Car, si pour le moment ce divorce se présente bien, la procureure ne connaît que trop bien ces dossiers pour savoir que tout peut déraper à n'importe quel moment. Elle ne se croit pas au-dessus des autres et n'exclut pas que son épouse et elle ne parviennent pas à passer outre un différend sans l'aide de leurs conseils.

Installée sur un fauteuil en cuir dans la salle d'attente, sa tasse à café désormais vide sur la table basse face à elle, Yaël se tire sur sa jupe pour lui enlever tout pli. Ses jambes sont croisées et le pied qui se retrouve en l'air bouge nerveusement, trahissant le fait qu'elle n'est pas tout à fait sereine de sa démarche. À mesure que l'heure du rendez-vous approche, le doute s'installe de plus en plus. Elle commence à se demander si elle n'aurait pas mieux fait de parler à Joy de son envie qu'elle la représente autour d'un repas plutôt que de passer par la case aussi formelle du rendez-vous à son cabinet.  D'autant que Joy est au courant de l'état du couple de son amie et du fait que les deux épouses ont décidé de mettre fin à leur mariage. Cela étant, il y a des principes auxquels Yaël ne déroge pas et le fait de se faire payer les conseils d'un professionnel en est un.

Soudain, la voix de la secrétaire retentit dans la salle d'attente.

- Madame Saunders ? Maître King va vous recevoir.

Sans attendre plus longtemps, Yaël remercie la jeune femme et se lève. Quelques secondes s'écoulent avant que la silhouette de son amie n'arrive à sa hauteur. Déjà elle peut y lire la surprise qui est la sienne. Si elle avait des doutes quant à l'identité de cette Saunders, les voici désormais envolés.

- Bonjour Joy, la salue-t-elle en lui offrant tout de même une accolade. De nombreuses personnes ici savent qui est la procureure et le lien qui l'unit à l'avocate. Laisse-moi t'expliquer avant de protester, ajoute-t-elle tout bas en se reculant de quelques pas, prête à suivre son amie dans son bureau pour avoir cette discussion en toute intimité.