@Lincoln Murphy & @Ally Hurley  

« Allez Neva, pas longtemps. Une heure ou deux histoire qu'on s'amuse. On est vendredi soir et on est toutes les deux chez nous. On aura assez de temps pour s'emmerder quand on sera mortes ! » Depuis une dizaine de minutes, Ally casse les pieds de l'une de ses plus proches amies pour la convaincre de sortir ce soir, non sans utiliser l'hyperbole pour ponctuer chacune de ses phrases. Il faut dire que, pour Ally Hurley, un vendredi soir sans sortir s'apparente à une vraie punition. Elle est encore trop jeune pour ne pas profiter de la piste de danse et trop belle pour refuser les verres que de potentiels prétendants adorent lui offrir. À cela s'ajoute le fait qu'elles n'ont pas passé une soirée rien que toutes les deux depuis longtemps et que son amie n'a pas la garde de son fils en ce vendredi soir. Les planètes sont donc toutes alignées pour qu'elles passent une soirée parfaite, plus encore alors qu'une élégante - et nouvelle - robe noire attend Ally dans son dressing. Malheureusement, Neva campe sur son refus, tant et si bien que la jeune Hurley se trouve toujours assise en tailleur sur le canapé, à se servir son deuxième verre de vin. « Alors quoi, on vide chacune notre bouteille par téléphone ? C'est triste, non ? » interroge-t-elle encore son amie en portant son vin blanc à ses lèvres.

La réponse de Neva, elle ne l'entend pas. Celle-ci est masquée par quelqu'un qui frappe à la porte et qui fait se redresser instantanément la brune. Son amie lui aurait-elle fait la surprise de se rendre jusqu'ici en lui faisant croire qu'elle était également sur son canapé ? Ally aime croire à ce scénario, même si de nombreux éléments sont manquants pour le rendre crédible, comme le bruit du moteur de la voiture lorsqu'elles étaient en conversation.

- Haha ! s'esclaffe Ally. Je crois bien qu'on sonne à la porte. Bouge pas, j'arrive tout de suite, dit-elle avec un sous-entendu évident.

Persuadée de trouver Neva derrière la porte, Ally ne coupe pas la communication téléphonique mais abandonne tout de même son smartphone sur la table basse. Son verre en main, elle parcourt les quelques mètres qui la séparent de l'entrée et ouvre la porte pour tomber sur... Deux cartons de pizzas surplombés d'une boîte de chocolats. La mise en scène aurait pu faire perdurer le quiproquo si une voix grave n'avait pas résonné. Aucune chance que Neva ne sache aussi bien travestir son timbre. Et Ally a beau se hisser sur la pointe des pieds, son mètre cinquante-neuf ne lui est d'aucune aide. Son calvaire ne dure que quelques secondes puisque déjà le livreur dévoile son identité, laissant Ally coite. Rares sont les fois où elle ne bouge pas partout et où son bagou n'assomme pas les oreilles de ses proches. Pourtant, face à Lincoln, la voilà bien incapable de faire le moindre pas ou d'émettre un infime son. C'est d'ailleurs à cause de l'inertie qui est la sienne qu'il s'arroge le droit d'entrer à l'intérieur de la maison, à côté d'une Ally tellement déstabilisée par la situation qu'elle prend le temps de finir son verre de vin avant de refermer la porte dans le plus grand des calmes. À quel accueil croit-il avoir le droit, au juste ? C'est précisément la question qui est inscrite dans le regard bleuté qu'elle fait peser sur lui. Mais déjà l'homme se justifie et offre à Ally le droit d'avoir toutes les réactions. Elle peut hurler, frapper, faire ce qu'elle veut. La réalité est bien plus triste, bien plus cruelle, parce que tout ce qu'elle veut, au fond d'elle, c'est se ruer dans ses bras et le serrer si fort qu'il ne pourra plus jamais s'en aller. Seulement, elle n'en a pas le droit et elle refuse de lui faire un tel cadeau alors qu'il l'a lâchement abandonnée. Elle finit donc par le contourner, reprend son téléphone pour couper la communication sans même prévenir son amie, et se ressert un verre avant de revenir à hauteur de Lincoln. Ses yeux le dévisagent, son regard le parcourt des pieds à la tête.

- Excuse, j'crois pas te connaître, finit-elle par lâcher après de très longues minutes de silence. Je connais personne qui bosse chez Stone & Brew, dit-elle en reconnaissant l'emballage cartonné de la pizzeria du quartier. Elles sont déjà payées ? demande-t-elle encore attrapant comme elle le peut les pizzas malgré son verre de vin qui l'encombre et en dépit de la catastrophe qui se profile.

@Lincoln Murphy & @Ally Hurley  

Ally sait que sa mascarade ne durera qu’un temps, que Lincoln saura retourner la situation en un temps record pour faire oublier son départ et le silence radio qui s’en est suivi. Seulement, elle n’a pas envie de le laisser gagner aussi facilement. Elle a été blessée par son attitude et elle n’a pas envie de tout effacer d’un simple coup de chiffon. Alors qu’importe ce qu’il lui dira ce soir, quelles seront ses excuses et ses prétextes, elle fera en sorte d’être en opposition avec tout ce qui lui raconte. Et cela commence maintenant.

- Pas si difficilement oubliable que ça, a priori.

Elle feint qu’elle a tourné la page, elle feint l’indifférence, alors que son cœur cri de rage. Elle est en colère qu’il soit parti comme ça, tout autant qu’elle lui en veut de se repointer comme au bon vieux temps, à l’improviste et avec des pizzas sous le bras. Elle décide donc de porter son attention sur les victuailles qu’il a ramenées. Mais Ally étant Ally, la catastrophe n’est pas loin alors qu’elle essaie de s’emparer des cartons de pizza, son verre de vin toujours à la main. Voyant la bêtise arriver, Lincoln s’empare du verre en refusant l’accès aux pizzas à Ally, tout en usant de ses meilleures blagues pour tenter de la dérider. D’ordinaire, cela marche. De manière générale, entre Lincoln et Ally, tout fonctionne. Leurs prises de bec ne durent jamais très longtemps, mais il y a fort à parier que celle-ci soit plus longue que toutes les autres.

- Il n’y a pas de flics ici mais j’ai qu’un mot à dire pour qu’ils rappliquent.

Ça sonne comme une mise en garde. Pourtant, comme à l’accoutumée, cela passe bien à des années lumières au-dessus de la tête de Lincoln qui préfère critiquer la bouteille qu’Ally a ouverte. Un soupir bruyant passe les lèvres de la plus jeune alors qu’elle n’a pas même le privilège de se saisir des pizzas. Soit. Pourquoi est-il venu l’embêter dans sa soirée, si ce n’est pas pour lui permettre de profiter d’un repas tout fait et critiquer tout ce qui sera à sa porter ?

Un autre soupir suit. Celui de Lincoln, cette fois-ci. Il n’a pas la même origine et c’est sans doute ce qui pousse la trentenaire à arrêter son regard dans celui de son ami. Tout semble soudainement beaucoup plus sérieux. Puis, le photographe commence à faire les cents pas. Jamais rien de bon ne se profile à l’horizon quand il commence à jouer les animaux captifs.

Ce sont finalement des excuses qui finissent par passer la frontière de ses lèvres, non sans provoquer un haussement de sourcils chez la brune. Puis, c’est un rire cynique qui la saisit, alors qu’il reconnaît ne pas avoir donné de nouvelles.

- Non, sans blague ? J’avais pas remarqué.

C’est plus que de ne pas avoir donné de nouvelle. C’est ne pas en avoir pris, c’est ne pas avoir répondu aux sollicitations de ses amis, à leurs appels, à leurs messages, aux photos qu’ils pouvaient lui envoyer pour leur dire qu’eux, ici, pensaient à lui, où qu’il soit. Ce sont des mois entiers de silence, d’incertitude et de peine que Lincoln essaie de balayer avec deux pauvres pizzas et des chocolats qui sont probablement en train de fondre pour avoir été posés sur les cartons brulants. Pourtant, Ally n’aurait pas le droit de jouer à l’indifférente, parce que Roi Murphy n’en a pas envie.

- T’as pas envie de jouer à ça ? Et t’as envie de jouer à quoi ? À qui disparaît le plus longtemps sans donner le moindre signe de vie ?

Finalement, il n’a peut-être pas tout à fait tort. Le mieux est sans doute de s’expliquer dès à présent et de ne pas remettre cette confrontation à plus tard. C’est pourquoi Ally balaie d’un signe de la main la dernière proposition qui lui est faite de reprendre sa conversation téléphonique. Elle n’a pas envie de lui expliquer qu’elle passait son vendredi soir au téléphone avec une copine parce qu’elle n’avait rien de plus intéressant à faire. Il serait fichu de se moquer et, pire que cela, de croire qu’il peut reprendre sa place de meilleur ami après l’avoir lâchement abandonnée.

- Qu’est-ce que tu fais là ? finit-elle par lui demander en croisant ses bras sur sa poitrine, tout en lui faisant toujours face.

@Lincoln Murphy & @Ally Hurley  

Ally connaît Lincoln depuis plusieurs années et, très rapidement, il a pris cette place de meilleur ami dans sa vie. Fiable, loyal, présent, il a toujours rempli toutes les qualités requises en amitié pour devenir ce genre de personne dont on ne peut plus se passer. Un portrait bien différent de celui qu’il illustre dans ses relations avec les femmes, alors qu’il apparaît plutôt comme un bourreau des cœurs, pour ne pas dire connard fini. Ally ne s’est jamais sentie en danger, elle n’a jamais cru qu’il finirait par la traiter avec aussi peu d’importance que ces nanas qui passent dans son lit. Et pourtant…

Pourtant, Lincoln est parti et n’a plus donné de signe de vie. Il a filtré les appels et les messages de ses amis. Pendant de très longs mois, Ally n’a pas eu la moindre nouvelle de ce dernier et, sans aucun moyen d’entrer en contact avec lui, elle a accepté son triste sort. Ça lui a déchiré le cœur et la blessure est toujours à vive à en voir l’accueil qu’elle lui réserve alors qu’il ose se pointer avec des pizzas supposées lui faire oublier le comportement difficilement excusable qu’il a eu.

La mâchoire serrée, la posture fermée, Ally finit par demander à Lincoln ce qu’il fait là. Pourquoi se pointer ce soir avec des pizzas ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-il de retour pour de bon ou n’est-il que de passage ? Ce n’est pas en indiquant qu’il est venu manger des pizzas avec sa meilleure amie qu’il apporte les précisions suffisantes et, d’ailleurs, cela suffit à noircir encore plus les yeux de la trentenaire.

Les bras toujours croisés contre sa poitrine, elle ne peut faire autrement que lever les yeux au ciel lorsqu’il lui avoue qu’elle lui a manqué. Foutaises. Si elle lui avait réellement manqué, il aurait décroché son téléphone et composé son numéro. Ally lui aurait répondu ; certes, elle aurait sans doute fait la gueule une ou deux minutes, mais elle aurait été tellement heureuse d’avoir des nouvelles de son amie qu’elle n’aurait pas été difficile à convaincre. Les choses auraient été plus faciles qu’elles le sont aujourd’hui alors que cette situation s’est inscrite sur la durée.

D’ailleurs, Lincoln finit par faire le parallèle avec le tibet. Ce simple rappel à cette période génère des battements de cœur irréguliers chez Ally. Elle se souvient de leurs retrouvailles au bar : du soin qu’elle avait mis à se préparer pour qu’il la trouve jolie et de l’emballement de son cœur lorsqu’il avait dit – pour rigoler – qu’il avait pensé à elle chaque heure. Ces retrouvailles avaient été comme une renaissance pour Ally à qui il avait forcément manqué une partie d’elle-même en l’absence de Lincoln. Si elle avait su, à cette époque, que ce n’était qu’un avant-goût de ce qui l’attendait réellement.

- T’as voulu me parler à des centaines d’occasions…

Elle soupire, Ally, avant de tourner les talons pour finalement attraper les boîtes à pizza et les emmener sur la table basse. Elle ne tarde pas à s’asseoir en tailleur à même le sol et à ouvrir celle qui se trouve en haut pour en attraper une part et croquer dedans. Elle sait très bien que son visage a perdu de son éclat mais, la vérité, c’est qu’elle est triste. Triste d’aussi peu compter pour Lincoln alors qu’elle, elle pourrait lui offrir la lune.

- Assume juste le fait d’être parti et de n’avoir voulu prendre des nouvelles de personne, Linc. Assume-le, le défie-t-elle en relevant son regard vers lui. Ok, t’as voulu prendre le large et t’as eu des affaires à régler à Londres. Mais dans ce cas, pourquoi t’es revenu ? Pourquoi t’es là aujourd'hui ?