Ce soir, elle est libre. Libre de sortir, libre de rentrer tard, libre de ne pas rentrer tout court. Libre d’être elle-même, d’être Lis, de ne plus être seulement mère. Libre de faire ce qui lui plaît, de se faire plaisir, de penser à elle-même. Libre d’être libre, simplement – et dieu sait que cela lui fait du bien, à la blonde. Et puis, libre de voir qui elle veut. Depuis quelques temps, c’est Jonty, qu’elle voit, notamment. Jonty qui devient récurrent, presque permanent. C’est doux, c’est beau, c’est agréable, et puis, surtout, c’est simple. Alors, quand il lui a demandé quand est-ce qu’ils se verraient, elle n'a pas hésité à chercher à se rendre disponible – comprenant, trouver quelqu’un pour garder son fils. Ou voir avec Senàn s’il voulait le garder, en l’occurrence, puisqu’il est le premier auquel elle le propose, naturellement. C’est qu’il est nettement plus à l’aise avec Leon, maintenant – maintenant que le temps a passé, que le père et le fils ont appris à se connaître, s’apprivoiser, s’aimer. Désormais, Lis peut aussi profiter de sa vie de célibataire et c’est en grande partie parce que Senàn se sent capable de s’occuper de Leon seule, qu’elle peut le faire.

Et puis, cela l’aide à avancer. Se changer les idées. Oublier, ce que pour lui, elle a éprouvé. Peut-être qu’il en reste encore un peu, aujourd’hui.
Mais ce soir, elle n’était qu’à Jonty. Enfin, façon de parler. Ils se voient, c’est tout. Parfois, elle se dit que cela ne la dérangerait pas, ne lui déplairait pas, qu’ils soient plus. Mais elle ne veut pas tout gâcher. Préfère prendre aussi les choses comme elles viennent. Ce n’est pas désagréable, de se laisser porter, pour une fois. Ce soir, ils sortaient. Ils sont allés au cinéma. C’était chouette, agréable. Maintenant, ils rentrent chez Jonty. Un appartement qu’elle commence à connaître, Lis. Et il vient l’enlacer – un contact doux, plein de tendresse, de celle dont elle a terriblement besoin, depuis si longtemps. Compter pour quelqu’un. Même s’ils n’en ont pas là, cela lui en donne l’illusion, cela lui fait du bien. « Hm, qu’est-ce que tu as ? » À boire. Dans le fond, elle a bien une idée. Est-ce que cela a changé depuis la dernière fois ? Et elle remonte à quand, d’ailleurs, la dernière fois ? Cela ne lui semble pas si loin que cela – car cela ne l’est pas. Loin. Cela ne l’est pas, car ils se voient de plus en plus souvent, mine de rien. Et la voilà qui lâche un rire, Lis, se laissant doucement embrasser – avant de répondre à son étreinte, de l’imiter avec ses baisers. « Plutôt, oui. Ça semble marcher, en plus. » Pas de mal à l’admettre. Pas désagréable non plus. Lis a envie d’être là, est contente d’être là. « Alors comme ça, maintenant tu veux que je reste un peu plus longtemps ? » demande-t-elle, en plaisantant, reprenant ses mots, sourire en coin. C’est marrant, cela. Non pas qu’il ne voulait pas qu’elle reste, avant. C’est juste qu’une fois de plus, il faut croire que leurs dates deviennent un peu plus récurrents.

C’est une relation confortable, douce, agréable. Rien d’officiel, rien de sérieux, du moins pas tant que de tels mots n’ont pas été prononcés. C’est peut-être sous-jacent, depuis quelques temps – elle sent que cela prend de l’importance, que cela devient plus profond. Qu’elle s’attache, peut-être, doucement. D’un autre côté, il y a toujours quelque chose qui semble peser au-dessus d’elle : Senàn qui fait toujours partie intégrante de sa vie, parce qu’il est le père de son fils. Mais elle a avancé, Lis, depuis le râteau qu’il lui a maladroitement et involontairement mis – c’est-à-dire, sans vouloir la blesser, pas prêt. Elle n’est pas restée l’attendre, Lis, parce qu’elle a compris que cela ne servait à rien. Alors elle s’est simplement inscrite sur une appli de rencontre, pour en faire, des rencontres. Pas pour se jeter tête la première dans une histoire compliquée, au contraire – pas pour tomber désespérément amoureuse de quelqu’un d’autre. Elle voulait juste se vider la tête, se changer les idées, et puis, surtout, surtout, ménager un peu son cœur. S’attacher n’était pas dans ses plans, mais elle a l’impression, peu à peu, qu’elle le fait avec Jonty. Qu’elle commence à s’habituer à lui, et puis, à apprécier vraiment sa compagnie.
Voilà pourquoi elle est là, ce soir. Pas certaine d’avoir envie de partir.

Jonty non plus, à vrai dire. Il a l’air de vouloir qu’elle reste. Vraiment – ce n’est pas juste pour lui faire plaisir. Ce n’est pas pour la retenir. Ce n’est pas juste pour la séduire. Elle l’entend, que c’est vrai, que c’est sincère. L’entend dans sa voix, le voit dans ses yeux, le sent dans ses bras qu’il enroule autour de sa taille. « Qu’est-ce que tu me ferais avec du gin ? » demande-t-elle, sourire en coin. Se la jouerait-il mixologue pour elle ? Cela dit, au lieu d’un cocktail, elle se rabattrait sans problème sur un bon verre de vin – blanc, naturellement. Et comme il annonce, Jonty, que c’est sa technique pour qu’elle reste, elle s’en amuse, tout en se laissant embrasser. Sourit, amusée, plus encore quand il avoue qu’elle est peut-être en train de le faire tomber sous son charme – et voilà la blonde parcourue d’un frisson, face à cette confession. Parce que ses mots, derrière la plaisanterie, la malice, le flirt, sont teintés d’une sincérité qui, sans l’étonner pour autant, la surprend. C’est que cela devient sérieux, tout à coup, mais c’est dit si subtilement, ne la brusquant nullement. « Possible ? Comment ça se fait que tu ne sois pas sûr ? » Toujours la même malice dans la voix et dans le regard. Toujours le même sourire en coin un peu timide, mais qui trahit qu’elle s’amuse. Ne fait que flirter encore davantage. « Je te rassure quand même, j’ai pas très envie de m’échapper. » lui offre-t-elle en aveu, en retour. Une micro-confession qui veut dire beaucoup plus : qu’elle est bien, avec lui, Jonty. Qu’elle a pris goût à le voir et le revoir, sans s’en lasser, jamais. Elle se perd déjà si volontiers dans son regard, Lis. Se laisse si volontiers caresser la joue. Si volontiers bercer par ses mots, par son cœur qui bat la chamade. « C’est une invitation ? » Elle s’amuse aussi à chercher, à se la jouer énigmatique, à faire les questions et les réponses. « Personne ne m’attend avant demain matin. » ajoute-t-elle justement, en haussant les épaules. Avant d’avancer ses lèvres pour l’embrasser, réduisant à néant le peu d’espace qui, encore, les séparait.

Elle a l’impression de se retrouver. De revivre, un peu, aussi – même si dans le fond, elle sait que cela fait déjà quelques temps qu’elle est plus épanouie. Depuis que Senàn assume son rôle de père, depuis qu’il a pris de l’assurance surtout à ce niveau, parce que cela la soulage, parce qu’il peut prendre le relai avec Leon, parce qu’elle peut avoir plus de temps pour elle-même, alors. C’est ainsi qu’elle a pu, un peu plus régulièrement, rencontrer, fréquenter d’autres personnes. Sortir un peu de son rôle de mère pour être femme, avant tout. Cela lui avait manqué – d’autant plus qu’elle était devenue mère jeune, Lis, en tout cas à ses yeux. Elle était encore en milieu de vingtaine quand elle était tombée enceinte, et comme elle était seule, elle avait renoncé à bon nombre de choses, notamment de libertés, pour élever son fils. Maintenant, oui, elle a l’impression de se retrouver – et c’est doux, agréable. Comme Jonty. Pas besoin de savoir ce qui se passe entre eux, pas besoin de le nommer à tout prix. Pas besoin d’avoir trop d’attentes, non plus – elle a déjà connu son lot de déceptions, Lis.

Elle se laisse juste porter, rien qu’une fois dans sa vie. Sans trop se prendre la tête. C’est juste facile et elle aimerait que cela le reste. « Oh, je vois, tu as ton jardin secret. » plaisante-t-elle, sourire en coin, avant de reprendre : « Alors je veux bien un verre de vin, je suppose ? » Elle lâche un rire, la blonde. Dans le fond, peu importe. Elle se sent déjà si bien d’être là, peu importe ce qu’elle boira – ce n’est que secondaire. Pas pour cela qu’elle est là, naturellement. Les voilà qui s’amusent à tourner autour de quelque chose, un quelque chose sur lequel aucun ne semble chercher à mettre de mot… quoique ? Jonty a envie qu’elle reste, il est aussi possible qu’il soit en train de tomber sous son charme et Lis s’amuse de cette fausse hypothèse. « Prudent parce que tu te méfies de moi ? C’est vrai que je suis très dangereuse. » Elle s’amuse, une fois de plus. Choisit donc la première option citée. Ne s’éloigne pas plus de Jonty, appréciant sa proximité, sa chaleur, son contact. Elle avoue ne pas avoir vraiment envie de s’échapper, de son côté. Et comme Jonty annonce qu’il meurt d’envie de lui montrer combien il est doué pour préparer le petit déjeuner, Lis demande si c’est une invitation – avant de glisser une importante information. Personne ne l’attend avant demain matin. Ce qui veut dire que son fils est entre de bonnes mains. Chez son père. Senàn ne s’occupe pas de ses affaires. Parfois, elle espèrerait un peu plus, peut-être. Jonty prend sa réponse et sans doute son baiser comme un oui, une confirmation de son envie de rester. Elle en lâche un rire. « Tu lis dans mes pensées. » s’amuse-t-elle, une fois de plus. Puis elle ajoute : « Oui, je découvrirais tes talents de cuisinier avec grand plaisir. Comment refuser une telle proposition ? » C’était trop tentant. Et puis, elle l’a dit, personne ne l’attend ce soir, personne ne l’attend avant demain. « Donc barman, maintenant cuisinier… que caches-tu encore ? » Elle prend un air suspicieux, comme si elle essayait de le percer à jour.

Cela fait seulement quelques temps que cela dure. Alors elle ne le connaît pas tout à fait encore, Jonty. Elle apprend au fur et à mesure. Et inversement. Elle en apprend un peu plus, à chaque fois qu’ils se voient – parce qu’ils discutent, s’amusent. Elle passe de bons moments. Cela lui change les idées, lui vide la tête aussi. Cela rompt la monotonie de son quotidien, la routine. Cela distraie son cœur qui reste, bien malgré lui, attaché à un souvenir. Attaché à Senàn, toujours si présent dans sa vie, mais pas prêt pour quoi que ce soit. Pas prêt pour elle – ni même, peut-être, intéressé par elle. Il y a de toute façon Leon au milieu. Fréquenter quelqu’un d’autre, quelqu’un d’extérieur, quelqu’un qui ne fait pas partie de cette vie-là, alors, c’est agréable. C’est apaisant. Jonty est au courant, bien sûr, qu’elle a un enfant. Mais ne l’a pas rencontré. N’a pas besoin de le faire. Ils n’en sont pas là, et peut-être qu’ils ne le seront jamais – le principe même de leur relation, c’est de ne pas lui mettre de nom. De ne pas se mettre la pression. De se laisser porter.
C’est ce que Lis fait.

Pourtant, les rendez-vous se sont faits plus réguliers, plus rapprochés. C’est qu’elle le voit de plus en plus, Jonty – c’est que Lis l’apprécie. Se sent plutôt bien, avec lui. Du reste, on verra bien, puisque c’est ainsi qu’ils fonctionnent, depuis le début. Ce soir, elle restera sans doute – puisque Jonty, autant qu’elle, semble en avoir envie. Ce sera l’occasion, peut-être, d’en apprendre encore plus. De passer un bon moment. Elle s’amuse déjà beaucoup, la blonde, actuellement – tout cela juste pour un verre de vin, que Jonty s’apprête à lui servir. « Ce que je préfère. » Elle hoche la tête, comme pour ponctuer ses mots. Comme pour dire, c’est parfait, ou, décidément, les étoiles sont alignées. Et elle rit, encore. C’est si doux, si agréable. Non, Lis n’est pas vraiment dangereuse, ne ferait même pas de mal à une mouche. Jonty ne semble pas le penser non plus. « Tu as l’air d’y croire terriblement. » Nouveau sourire en coin. Même s’ils ne se connaissent pas depuis longtemps, et pas encore complètement, pour cela, c’est une évidence : Lis, c’est une gentille. Peut-être trop. De son côté, elle restera volontiers pour goûter aux petits déjeuners de Jonty. Comme elle s’amuse de ce qu’elle ne connaît pas de lui encore, il s’approche, lui tend son verre et entretient le mystère. « Merci. » répond-elle, d’abord, pour le verre – ou peut-être le baiser sur ses lèvres. « Peut-être qu’au contraire, mon intérêt pourrait croître à mesure que j’en apprendrais plus sur toi. » Haussement d’épaules, l’air de rien, malgré le sourire en coin. C’est vrai : elle n’a pas l’impression que son intérêt va se perdre, elle apprécie d’en savoir plus sur lui. « Tu pourrais me dire un truc sur toi que je ne sais pas, et je t’en dirais un sur moi en retour. » Ce disant, elle porte le verre à ses lèvres, après avoir brièvement humé le vin, avant d’en avaler quelques gorgées.