Valentin's day + @Delilah Winchester

Pourquoi avais-je osé mettre mon profil dans cette application ? Probablement parce que ma précédente histoire me manquait. Il fallait aller de l’avant, je le savais et je ne voulais pas reproduire les erreurs du passé avec Livia. Je devais passer à autre chose, alors sortir me semblait être une très bonne solution. Pas bêtises, pas d’alcool, juste un bon moment entre deux adultes consentants, il n’y avait rien de mal à cela, pas vrai ? Ma motivation pour m’inscrire se trouvait dans cette volonté d’aller de l’avant. Vivre, profiter, je pouvais le faire, alors pourquoi m’en priver !

Très rapidement, l’application m’avait donné un point de rendez-vous. Un bar à jazz ? Intéressant. Pas d’informations sur ma valentine —enfin, excepté son prénom qui, à sa consonnance sonnait féminin, mais encore là, je n’avais aucune certitude—, Delilah. C’était un magnifique prénom. Alors que je me préparais, il y avait quelque chose d’amusant à imaginer les traits qui se cachaient derrière une si belle appellation. Un exercice intéressant quand on y pense, surtout que le visage que je voyais se dessinait sous les formes d’un dessin au fusain… Déformation professionnelle, je suppose.

Dans mon costume noir, je regardais la devanture du bar. Une profonde inspiration pour chasser un stress naissant, et j’étais à l’intérieur. La chaleur du bar —provoquée par un grand nombre de clients et une ambiance électrique contagieuse— me donnait presque le tournis, m’obligeant à déboutonner partiellement ma chemise blanche. Tant pis pour l’élégance, j’allais fondre comme neige au soleil si je n’essayais d’avoir un peu de fraicheur.

D’après l’application, je devais m’annoncer au bar et une table nous avait été reservé. Un processus intriguant quoique qu’agréable pour éviter de se perdre avec toutes les personnes présentes et le manque d’information sur mon duo de ce soir. Je prie donc place, ne commandant qu’un simple thé glacé en attendant Delilah. Mon attente ne fut pas très longue, et la claque mentale que je me prise était incontestable. Loin de mon dessin au fusain imaginaire, c’était une toile magnifique, amplie de mystère qui se présentait à moi.

—Bonsoir, Delilah, c’est Arman, disais-je en me levant pour la saluer, un peu mal à l’aise par ce genre de présentation toujours un peu délicate. Enchanté. Je pensais te prendre quelque chose à boire, mais, je me suis dit que c’était peut-être un peu trop directif et surtout que je ne connaissais pas encore tes gouts… Donc, j’n’ai rien commandé, désolé. Le concert, commence dans une quinzaine de minute, on a le temps.

Un sourire et je repris ma place. Merde, j'étais plus mal à l'aise qu'un adolescent. Mais qu'est-ce qui n'allait pas avec moi, bon sang? Il fallait l’admettre, cet algorithme était percutant… C’était presque flippant.

Valentin's day + @Arman DeLeon
( o u t f i t ) ⋄ Delilah ne s’attendait pas à grand-chose en remplissant le questionnaire pour les rendez-vous organisés de la Saint-Valentin. Répondre aux questions s’est surtout avéré être une bonne partie de rigolade dans la mesure où elle a fait cela en compagnie d’une de ses plus proches amies. Sorcha et elle n’ont pas hésité à refaire le niveau de leurs verres de vin à chaque fois que celui-ci atteignait un seuil critique, tout en décortiquant les différentes réponses proposées pour les questions qui leur étaient posées.

Le jour venu, c’est avec une hâte certaine que la psychiatre consulte le mail qu’elle reçoit de la ville, entre deux consultations de patients. Si elle lit le contenu du message assez rapidement, elle se laisse volontiers emporter par ce qui lui est annoncé. Pour elle, les festivités se dérouleront au Chattanooga Jazz Bar. Il n'en faut pas davantage à Delilah pour se prêter de plus fort au jeu ; si les organisateurs ont été à même de deviner quel genre d'endroit est susceptible de lui plaire pour un premier rendez-vous, nul doute qu'ils lui auront trouvé la personne idéale avec qui lui faire partager cette soirée.

C'est avec cette idée en tête que la psychiatre fait un saut par chez elle pour se préparer, avant de rejoindre le bar à jazz pour l'heure annoncée. En arrivant sur les lieux, l'excitation qu'elle ressent est à son comble. Elle ne se fait d'ailleurs pas prier pour passer devant une autre participante qui, plus réfractaire qu'elle, lui cède volontiers sa place. En quelques minutes à peine, Delilah décline son identité et l'organisateur l'informe qu'elle aura la chance de passer sa soirée en compagnie d'un dénommé Arman. Il lui indique également que son cavalier est déjà arrivé et qu’il l’attend sur la cinquième table à gauche. Des remerciements prononcés à la volée et voilà que Delilah et son engouement rejoigne la salle du bar en dénombrant les tables à côté desquelles elle passe. Déjà son regard s’envole un peu plus loin pour s’arrimer dans celui d’un homme. Si elle n’a pas fini de faire ses calculs, Delilah ressent en son for intérieur que c’est lui. Le ressenti est probablement le même de son côté, puisqu’il ne tarde pas à se lever pour l’accueillir. La psychiatre constate qu’elle a vu juste, dans la mesure où il connaît son prénom et qu’il lui confirme son identité, et il n’en faut pas davantage pour que son sourire resplendisse de plus bel.

- Bonsoir, Arman, le salue-t-elle en retour. Ravie de te rencontrer.

Déceler les émotions des autres est le point fort de Delilah. Peut-être est-ce une déformation professionnelle. Toujours est-il qu’une forme d’angoisse semble émaner de l’homme. Aussi décide-t-elle, instinctivement, de lui tendre – peut-être un peu maladroitement- pour parfaire ces présentations. Leur poignée de main est brève ; pour autant, Delilah doit reconnaître que ce contact n’était pas désagréable. Physiquement, en tout cas, cet homme lui plait. La prévenance qui semble le caractériser également.

- Je ne suis pas très difficile, tu n’aurais pas pris de grand risque, assure-t-elle dans un sourire, tout en s’installant face à lui après avoir déposé son sac à main à côté d’elle sur la banquette. Écoute, je vais prendre la même chose que toi, ça me donnera une idée de tes goûts, comme ça.  

Ainsi tourneront-ils au thé glacé en ce début de soirée, puisque la psychiatre profite du passage d’une serveuse pour commander « la même chose que monsieur », avant de reporter son attention sur celui-ci.

- Tu es déjà venu ici avant ? s’entend-elle lui demander. Le Jazz, c’est plutôt ton truc, ou c’est un mauvais point pour les organisateurs de l’évènement ?

Valentin's day + @Delilah Winchester

Il n’y avait pas à dire, ma cavalière était sublime. J’avais beau me répéter mentalement que j’avais bien assimilé cette information, dans mon esprit, je continuais à me le répéter. Mine de rien, ma dernière entrevue avec une femme, c’était Livia… Et ça commençait à dater. Dans sa douceur, Delilah parvenait à me rassurer. Le fait qu’elle soit devant moi, bien réelle, aussi, ça devait jouer sur le fait que j’étais plus calme, maintenant. Je pouvais enfin passer une bonne soirée. C’était ça le but de cette nuit, n’est-ce pas ?
Un thé glacé pour elle, aussi. Ce jeu de mimique me plaisait bien. Je lui répondis donc.

—Et bien, la prochaine, tu choisis ce que tu veux, et je le prendrais, comme ça, je verrais tes propres gouts, soufflais-je avec un air presque de défi enfantin.

Des « jeux » de ce genre, c’était mon type. M’amuser avec pas grand-chose, c’était quelque chose qui me faisait grave kiffer. Puis, la conversation tourna vers le lieu. Malgré les bruits parasites, j’arrivais à l’entendre si je me penchais un peu sur notre table.

—Eh bien, bonne question ! Je n’écoutes pas de Jazz, non pas parce que je n’aime pas ça, mais je n’ai jamais pris le temps de découvrir ce genre. Je pense surtout que les organisateurs m’ont envoyé ici car l’atmosphère me plait… Et me donne furieusement envie de la dessiner. L’architecture du lieu, les lumières, l’ambiance, c’est tellement un style qui me parle. Je me vois faire une belle toile d’un bon mètre sur un mètre cinquante rien pour cette partie de la pièce…

De mes mains, je mimais un écran avec mes pouces et index pour lui montrer le point de vue que j’imaginais pour cette toile encore inexistante. Il fallait dire que le mélange de lumières violettes et dorées donnait à cette salle un air presque mystique. Et il ne m’en fallait pas plus pour imaginer ce que mes pinceaux et mes crayons pouvaient faire de ce lieu. Un instant d’observation ou le faire de ma valentine arriva.

— Oh et… Santé ! A notre soirée, continuais-je de répondre en levant mon verre, Et toi, tu aimes ça le Jazz ? ou… Ils se sont trompés pour toi ?

Je me sentais enfin un peu plus détendu, et le sourire de Delilah n’y était pas pour rien.

Valentin's day + @Arman DeLeon
( o u t f i t ) ⋄ L’air espiègle qu’elle décèle sur le faciès de son interlocuteur la fait sourire. S’ils parviennent à s’amuser de choses aussi simples que de choisir les boissons de l’autre pour apprendre à se connaître, il va sans dire que c'est une dynamique qui convient et qui plaît à Delilah. Elle acquiesce d’ailleurs d’un signe de la tête, notant la demande d’Arman pour y faire droit si une deuxième tournée venait à être commandée. Ce dont elle ne doute pas, pour l’instant. Durant ces premières minutes ensemble, aucun red flag ne s’est hissé. L’homme qui lui fait face semble charmant et bien élevé. Delilah aime à croire que les organisateurs de l’évènements ont fait matcher des profils qui se ressemblent et qui peuvent s’apporter des choses l’un l’autre. Alors, il ne lui en faut pas davantage pour se laisser bercer par la perspective d’une soirée enchantée.

L’oreille attentive, elle écoute Arman parler et apprécie ces petites informations qu’il dévoile sur lui. Est-ce une manière intelligente de se présenter sans paraître dans le « moi-je » ? Dans tous les cas, la psychiatre comprend que l’homme qui lui fait face à un attrait pour l’art. Le fait qu’il parle de toile et même des dimensions de cette dernière lui glisse l’indice que cette passion est très probablement ce qui le fait vivre. À l’écouter parler, on dirait déjà qu’un nouveau projet artistique germe dans son esprit. Il le matérialise même avec ses mains pour montrer l’exact endroit qu’il pourrait reproduire sur sa propre toile. Si Delilah est parfaitement attentive à ce qu’il lui raconte, elle ne détache son attention qu’au moment où la serveuse arrive avec leurs boissons. Le thé glacé déposé devant elle la fait sourire ; ce n’est pas dans les dix prochaines minutes qu’elle commencera à raconter n’importe quoi parce que l’alcool fait des siennes et c’est probablement pour le mieux.

- Santé, répond-elle en imitant son interlocuteur avant de porter sa paille à ses lèvres. Tu dessines, donc, rebondit-elle sur leur discussion maintenant que la serveuse s’est éloignée. C’est ton métier ? La peinture, plus précisément ? croit-elle avoir compris. Tu as un type de peinture en particulier ou tu touches un peu à tout ?

Un univers très éloigné de celui de la santé dans lequel évolue Delilah. Eux deux ne se seraient jamais rencontrés dans la sphère professionnelle et c’est probablement ce qui rend cet évènement et ce match surprise d’autant plus attrayant. Les organisateurs ont mis sur le chemin de la psychiatre un homme qu’elle n’aurait très certainement pas rencontré autrement et certainement pas dans ce lieu où aucun d’eux n’a l’habitude de venir.

- J’aime le jazz, avoue-t-elle alors que ses parents adoptifs l’ont bercée dans cette culture. Un sourire tendre se greffe sur ses lèvres alors que ses pensées se tournent vers cette famille qui l’a choisie. Je crois qu’il n’y a pas un dimanche où mes parents, ma sœur et moi n’avons pas dansé sur du Louis Armstrong, Nina Simone ou Aretha Franklin.

Valentin's day + @Delilah Winchester

L’ambiance me donnait clairement envie de peindre. Il y a de ses lieux qu’on ne peut pas vraiment expliquer, qui ont cette atmosphère qui nous touchent beaucoup. Parfois, il s’agit d’un lieu à vous couper le souffle, et parfois, il ne s’agit là « que » d’un simple bar faisant office de salle de concert. Et, j’ignorais si c’était parce qu’en plus de tout ça, ma valentine était sublime, mais j’avais cette impression que j’allais me souvenir de cet endroit pendant un moment… Et, ça, c’était beau.

Forcément, je me devais de parler de tout ça. Aussitôt répondais-je, que je me sentais partir dans des explications farfelues à propos de ma probable raison ici. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Delilah semblait réceptive, comme si l’écoute était une chose idée chez elle —et croyez-moi, ça ne l’est pas chez tout le monde. — et ça faisait plaisir à remarquer. Se sentir écouter était une bonne chose, mais savoir le faire aux autres était tout aussi important. Je buvais —mon thé glacée— mais surtout les mots de ma comparse. Tout semblait indiquer que, si elle aimait le jazz, sa soirée allait être bonne, et ça me faisait plaisir pour elle.

—Et bien, nous, le dimanche, c’était plutôt bataille pour les devoirs, chaos et bonheur. Heureusement que des concerts de ce genre n’existent pas haha. On est sept frères et sœurs, ça fait du monde, et je suis le second ainé, alors forcément j’en avais du boulot ces jours-là pour aider mes parents. Mais je trouvais toujours du temps pour dessiner et peindre. Pour répondre à ta question, aujourd’hui, j’en vis. Je touche à toute forme de dessin et de peinture, je n’ai pas de préférence, tant que c’est loin de la technologie que je ne maitrise pas ! Je suis illustrateur pour la maison d’édition Jolie Plume, et à côté je fais des tableaux et des œuvres d’art que je vends sur internet… Je ne veux pas frimer mais il se murmure même que j’ai bientôt une exposition mais… C’est un secret… Et toi, que fais-tu dans la vie ? Mise à être boire du thé glacé à des concerts de jazz ?

Un rire m’échappait avant de reprendre une gorgée de ma boisson. J’étais tout à elle.

Valentin's day + @Arman DeLeon

TW : fausse couche

( o u t f i t ) ⋄ Tous les dimanches de Delilah n’ont pas été aussi beaux que ceux qu’elle dépeint et qu’elle a vécu avec sa famille adoptive. Avant de trouver les Winchester – ou plutôt, avant qu’eux ne la trouvent et ne l’accueillent dans leur foyer aimant –, les dimanches de Delilah ressemblaient à tous les autres jours de la semaine. Sa mère, sous l’effet du cannabis et autres drogues, comatait sur le canapé ou dansait dans le salon avec d’illustres inconnus ou certains de ses « amis » exactement comme elle. Le calme n’existait pas dans l’ancienne vie de Delilah. Pas plus que le jazz, l’amour et la protection de parents. À huit ans, la petite fille se retrouvait à être la plus responsable de la dizaine de personnes qui prenaient sa maison comme leur havre de paix ; l’endroit où ils pouvaient être librement eux-mêmes, tous ensemble, et vivre dans une osmose parfaite. Elle n’avait ni frère, ni sœur, pour l’aider à affronter cette vie hors norme et les défaillances évidentes de Moon – cette femme qui lui a donné la vie mais qui ne s’est jamais apparentée à une mère, et moins encore à une maman. Elle a dû attendre ses onze ans ans avant de comprendre qu’il était possible d’avoir des parents responsables et adultes. Puis ses treize ans avant de découvrir ce bonheur d’être une sœur ; une grande sœur, plus précisément. Aussi, c’est un véritable sourire sincère qui se greffe sur son visage alors qu’elle écoute Arman lui parler de sa propre famille et du fait qu’il soit le deuxième enfant d’une fratrie de sept. Elle s’étonne à songer un instant que son enfance à lui a dû être plus simple que la sienne ; toutefois, Delilah interdit à ses pensées d’aller plus en avant. Elle ne laissera pas Moon lui gâcher une nouvelle chose. Pas alors que tout semble aligné pour qu’elle passe une bonne soirée en charmante compagnie.

- Sept enfants ? Woh. Vos parents étaient des warriors !

Si Delilah est la première à vouloir un enfant – elle a d’ailleurs tenté d’en avoir un seule, a essuyé plusieurs échecs de FIV avant de subir une fausse couche –, en avoir sept lui semble ressortir de la science-fiction. Elle ne peut qu’être admirative face à ces familles nombreuses, plus encore lorsqu’elles parviennent à élever des hommes aussi bien élevés, polis et gentils que ne semble l’être Arman.

Arman, qui enchaîne sur son travail, sa passion. C’est toujours avec attention que Delilah l’écoute, arborant même un sourire amusé à l’évocation d’une future exposition secrète – plus si secrète pour elle, soi-disant passant.

- J’aime bien les secrets, confie-t-elle dans un murmure, en s’avançant un peu plus en avant sur la table pour être entendue de son interlocuteur. Je sais d’ailleurs très bien les garder, alors, si tu veux m’en dire un peu plus au sujet de cette exposition, il ne faut pas hésiter.

L’instant d’après, sa paille se trouve dans sa bouche et elle boit une gorgée de son thé glacé. Dès qu’elle doit évoquer sa profession, Delilah est confrontée à une forme d’appréhension. Il lui est déjà arriver de tomber sur des personnes qui ne comprenaient pas son travail ou qui le réduisait à « essayer en vain de soigner les fous », quand celles-ci n’avaient pas peur d’être analysées.

- Je suis psy, commence-t-elle à répondre, abrégeant son métier pour espérer le faire s’apparenter à la psychologie qui n’a pas cette approche médicale, juste avant de constater que cela est idiot de sa part. Psychiatre. Ça fait parfois flipper les gens que je rencontre, se sent-elle obligée de préciser. Pourtant, je ne suis pas du genre à analyser la personne qui se trouve en face de moi et à prendre des notes sur elle pour faire son profil psy une fois rentrée chez moi, finit-elle par dire en levant les yeux au ciel alors qu’au même moment le groupe de jazz s’annonce sur la scène et salue les clients du bar.