-- 06. Anna. Elle n’a été qu’un nom, une plume pendant tout ce temps. Anna et son cœur trop grand. Anna et son besoin de venir en aide aux autres. Évidemment qu’Anna faisait partie d’un programme de correspondance pour les aînés seuls. Quand Midge fut trop affaiblie pour écrire, c’est lui qui a pris la relève. Écrivant ce qu’elle lui dictait, lui lisant les lettres de cette inconnue. Il avait ajouté une note, se présentant. Elle remarquerait le changement d’écriture de toute façon. Et, à sa surprise, la lettre suivante contenant une feuille qui lui était adressée. Et, comme ça, elle est devenue sa confidente. Ils s’écrivaient tout, des pensées les plus loufoques aux secrets jamais avoués. Il avait suggéré qu’ils se voient ou s’appellent – elle refusa. Si tu deviens tangible, je ne pourrai plus me passer de toi. Il comprenait, il éprouvait la même chose. Sa vie était à Brisbane, la sienne à l’autre bout de l’Australie auprès de sa mère malade. Peut-être dans une autre vie, ils auraient un meilleur timing. Aux funérailles de Midge, il se tenait dans un coin quand une main délicate et chaude se glissa dans la sienne. Un regard et il comprit. Anna. Plus belle, plus douce, plus parfaite et tangible que dans ses rêves les plus fous. Elle est restée avec lui quelques temps, repoussant le moment fatidique où elle devrait retourner à sa vie. Ils ont été impulsifs, un peu fous. Ils sont rentrés chez elle, à Brisbane, fiancés et éperdument amoureux. -- 07. L’accueil qu’il reçut à Brisbane de l’entourage d’Anna fut particulier. Elle n’avait jamais parlé de son correspondant, cet ami quasi imaginaire avec lequel elle partageait chaque pensée, chaque émotion. Ils se sont mariés rapidement, un truc simple. Un sentiment d’urgence les habitants, comme s’ils avaient attendu trop longtemps. Ils étaient dans leur cocon, cette espèce de bulle de bonheur, de soif de vie et d’amour. Il aurait dû être triste – et une part de lui l’était – mais elle l’a sauvé. Elle lui a offert le meilleur cadeau qui soit : l’avenir, les possibilités. Et tout ça, ce bonheur, a duré quelques mois. Parce que c’était trop beau pour durer, pour être vrai. Non ? Aussi ridicule que ce soit, elle est morte. Subitement. Seule. Il était parti quelques heures faire des courses puis un rendez-vous chez le coiffeur. À son retour, il était trop tard. Rupture d’anévrisme. Le plus crève-cœur ? Si elle n’avait pas été seule à ce moment, elle aurait pu être sauvée. -- 08. Il a hérité de ce qu’elle possédait. Ils étaient mariés, après tout. Ses parents ont tenté de lui mettre des bâtons dans les roues ; ils se connaissaient à peine, ils venaient de se marier. Ce n’était pas comme s’ils avaient partagé leurs vies ou bâtit quoique ce soit ensemble, disaient-ils. Autant les propos et accusations étaient blessantes, autant ils comprenaient. Au final, il n’a pas tenu à se battre non plus. Il leur a laissé tout ce qu’ils voulaient. Sauf le bar dont elle était co-propriétaire. Parce que c’était ce qu’elle aimait le plus. Ce projet monté avec Ida, ce refuge. Parce que chaque fois qu’il y mettait les pieds, il pouvait la sentir entre les murs de l’endroit. On aurait sûrement cru qu’il vendrait la part d’Anna à Ida. Mais non, il y tenait trop. Malgré les malaises et les tensions avec Ida. Il a offert lui aussi de racheter sa part. Elle refusa, évidemment. Alors ils sont coincés ensemble, dans cet endroit qui ne peut faire autrement que leur rappeler celle qu’ils ont en commun : Anna.