C’était peut-être une bêtise.
D’accepter, sans broncher. De ne pas essayer de creuser. De ne pas se chercher d’excuses. De ne pas trouver un moyen d’y couper. Non, cette fois, Neva ne l’avait pas fait. P arce qu’elle avait envie de venir. Envie de le voir. Envie de laisser tomber les murs – de cesser de se prendre la tête. De se priver, en permanence. De prendre sur elle pour ne pas s’autoriser ce qui lui plaît. Est-ce stupide, ce qu’elle fait, depuis des mois maintenant, avec Finn ? Est-ce stupide de fermer la porte, de se refuser le bonheur ? De le repousser, avant de changer d’avis ? L’autre fois, dans le bar, elle avait dérapé. Elle avait dérapé et ils avaient fini la nuit ensemble. Et ce n’était pas juste pour lui. Parce qu’après, elle ne lui avait rien donné plus. Dans le fond, c’était juste comme avant – comme ce qu’ils avaient, partagé, avant que Finn ne veuille plus et que Neva se ferme comme une huître. Avant qu’elle ne prenne ses distances. Elle avait flippé – flippe encore. De se lancer dans une histoire pour laquelle elle n’est pas prête. De se lancer dans une histoire tout court. Cela fait pourtant plus de deux ans à présent qu’elle est divorcée. Elle est allée de l’avant.
Voilà peut-être pourquoi elle a accepté de le retrouver, aujourd’hui, Finn.

Elle ne savait rien d’autre que le nom du lieu où le retrouver. Le Lone Pine Koala Sanctuary. Un lieu où elle est déjà venue, naturellement, Neva. Un lieu où elle a même emmené son fils. Cet endroit-là, à Brisbane, il est connu, populaire – on y va au moins une fois dans sa vie, quand on vit dans le coin. Mais aujourd’hui, elle est seule. Leo est chez son père, parce que c’est sa semaine – un nouveau partage de sa garde en place depuis quelques mois maintenant auquel elle se fait doucement. Son fils lui manque, maintenant, une semaine sur deux, mais elle sait que c’est pour le mieux. Cela lui fait aussi plus de temps pour elle. Lui donne la possibilité de se rendre disponible, par exemple, aujourd’hui. L’esprit presque tranquille. Elle est pourtant nerveuse.
De voir Finn, le retrouver. De ce que cela pourrait vouloir dire – de ce qui pourrait se passer.

Elle arrive à l’heure prévue.
Un peu curieuse, excitée aussi. Elle ne sait pas ce qui l’attend, Neva. Mais elle aime ce goût d’inconnu. Cette adrénaline, ce frisson qui la parcourent. Elle approche donc de l’entrée, la brune, quand elle aperçoit finalement Finn, non loin de là. Son regard croise le sien, et elle répond à son sourire, Neva. Bientôt, elle le rejoint. « Hey. » le salue-t-elle, très sobrement. Restant tout de même à une distance raisonnable. « Merci pour cette invitation, même si tu ne m’as pas dit grand-chose. » plaisante-t-elle en riant doucement. La surprise ne lui déplaît pas. Cela bouleverse un peu son quotidien. La sort de sa routine. « Le temps est agréable, en plus. » Comme il peut l’être en plein hiver australien. Elle est bien contente d’être là et pas enfermée chez elle, Neva.

Elle avait envie de venir. Envie d’accepter. Envie de le voir, surtout.
C’est dur de se le dire, se l’avouer. Pas parce que c’est une honte. Pas parce que c’est interdit. C’est juste dur pour elle, de l’assumer. Elle se met la pression, se pose peut-être trop de questions. Elle a juste peur, au fond. D’aimer, et puis de se laisser l’être. Et de le montrer, et d’officialiser. Et que cela devienne sérieux, et compliqué. Et que cela lui fasse mal, encore. Elle a renoncé à Finn parce qu’elle n’était pas prête à tout cela – parce qu’elle avait peur du jugement, parce qu’elle était marquée par trop de choses. Mais la vérité, c’est qu’il lui manque. Et qu’encore, elle y pense. Que l’idée qu’il soit avec quelqu’un d’autre lui fait comme un pincement au cœur. La chagrine, l’emplit de regret. Elle sait se faire plus de mal encore que nécessaire. Et puis, l’autre fois, dans le bar, elle n’a pas réfléchi – la distance, c’en était fini. Elle le voulait, lui. Et elle n’a rien lâché. Et lui, il s’est laissé emporter. Entraîner. Il mériterait mieux, pourtant. Mieux qu’elle et son indécision, elle et ses hésitations.
Mais il l’avait suivie. Et il voulait la voir aujourd’hui.

Elle est venue. N’arrive pas à se dire qu’elle n’aurait pas dû.
N’arrive pas à regretter. Peut-être n’est-ce pas une nécessité. Peut-être que pour une fois, elle pourrait juste p r o f i t e r. Sans se poser trop de questions. Sans se punir. Sans se priver. Se flageller. Elle est contente de le voir, le retrouver. Au Lone Pine Koala Sanctuary, en prime – c’est doux, original. Elle est déjà venue – mais c’est bizarre de venir là, avec lui. Elle le rejoint donc, le remercie. Il la remercie, elle, d’être venue. Elle se contente de hocher la tête. « C’est vrai que c’est déjà un bon début, y’a pas trop de suspense. » plaisante-t-elle, en riant doucement. Au moins, le temps est agréable comme elle le fait remarquer, et elle ne peut que hocher à nouveau la tête, Neva, quand Finn souligne l’avantage de vivre en Australie, particulièrement notable en cette saison. « On n’est pas près de s’en lasser. » Elle, en tout cas, cela fait trente-quatre ans qu’elle y vit, trente-quatre ans qu’elle ne s’en passe pas, trente-quatre ans qu’elle apprécie. Elle a déjà eu l’occasion de voyager ailleurs et les hivers dans d’autres contrées n’avaient rien d’enviable.

Il l’entraîne bien vite, Finn. Direction les caisses où il paye d’emblée deux entrées – avant même que Neva n’ait pu protester. Puis ils entrent, passent devant des stands dont émanent de délicieuses odeurs. « Pourquoi pas, ça donne faim. Un truc facile à transporter. » Toujours pratique, Neva. C’est peut-être un réflexe de mère – avec Leo, elle a l’habitude, et elle l’applique désormais dans toute sa vie au quotidien. « Qu’est-ce qui te fait envie ? » demande-t-elle alors à Finn – peut-être a-t-il une préférence, ou une envie. Lui lui demande ensuite si elle est déjà venue. « Ouais, plusieurs fois. Mais c’est un endroit dont je ne me lasse pas non plus. Et toi ? » Elle pourra y revenir, encore et encore, avec ou sans Leo. C’est avec son fils qu’elle est venue la dernière fois, même si elle n’en parle pas. Pas encore. Il faut lui laisser le temps, laisser les choses se faire naturellement. « On commence par quoi ? » demande-t-elle finalement, curieuse de voir dans quel ordre ils vont faire le parcours.