Citation :

J'ai un programme de cours à terminer, on se donne rdv à 20h45 ? Le groupe commence à 21h30.

Message envoyé, tu reposais ton téléphone sur le bureau. Ton appartement était tristement silencieux. Il était toujours calme, avec souvent un fond sonore musical, mais aujourd'hui la lourdeur de tes émotions se reflétait dans l'espace. Café en main, tu scrutais l'écran de ton ordinateur. Il te fallait deux lectures pour percuter correctement ce que les mots signifiaient. En pleine réorganisation de ton cours de littérature comparée entre la littérature afro-américaine et africaine, tu voulais revoir complètement le plan du cours et le scénariser autrement. Tu avais eu plein d'idée et plein d'envie, il y a quelques semaines, mais désormais tout te paraissait plus fade, trop plat. Remise en question totale de l'avancée que tu avais faite, et avec ça du sens même que tu connais à ce cours, à ce travail, à cette vie. Tout devait être remis en question et tout était le début d'une nouvelle réflexion qui t'enlevait du moment présent. Tu te rappelais souvent quand tu étais étudiant, et que l'université renfermait tout le savoir dont tu rêvais. Souvent au premier rang, tes yeux criaient passion. Jeune et en quête de toi-même, jeune et en voie pour comprendre un monde qui t'avait toujours interrogé : la littérature. Comprendre le monde tel qu'il avait été, tel qu'il était, tel qu'il pouvait être, ça te donnait un éventail large de compréhension de l'être humain. Si tu n'avais pas tant aimé les mots, tu aurais sûrement fait des études de psychologie. Mais le choix s'est toujours imposé de lui-même. Songeur, tu aimerais retrouver un peu de cet étudiant aux yeux passionnés. Aujourd'hui, tu te sentais surtout vide. L'incompréhension montait en toi de jour en jour. Comment pouvais-tu continuer ta routine, alors que Jacob était hospitalisé et que sa vie à lui serait à jamais changée ? Quand le monde ne tourne plus rond, et que tu as l'impression de suffoquer en permanence, il est compliqué de rester debout. Mais tu le devais. Prioritairement pour Sasha que tu allais voir ce soir. Un pas après l'autre, un jour après l'autre. Pour tout ça, il fallait remonter à la surface et reprendre un peu d'air dans tes poumons. La fenêtre claqua, te réveillant de tes songes, tes démons. Tu bus une gorgée de ton café, te remettant au travail. Tout n'était pas à jeter, Sully.

Le temps avait avancé lentement mais tu étais arrivé au bout de tes objectifs professionnels de la journée, de savoir comment t'habiller pour ce soir et de comment cette soirée pouvait redonner un peu de couleurs à la morosité de ta journée. Vêtu d'une chemise colorée à motifs géométriques et d'un pantalon beige léger en lin, tu arrivais au lieu de rendez-vous. Un bar récemment ouvert qui avait pour ambition de proposer pas mal de concerts d'artistes et groupes de la région. Depuis les seize ou dix-sept ans de Sasha, vous vous étiez mis en quête de voir un concert pour son anniversaire, que ce soit d'une artiste que vous aimiez et écoutiez déjà ou de quelqu'un qui se produisait dans un bar comme ce soir. L'idée était de vous enivrer de musique, sujet qui vous rapprochait sans conteste. Une tradition à vous, un moment suspendu où la musique enchantait votre soirée. "Sasha !" De loin, tu aperçus la silhouette de ta soeur. Arrivant à sa hauteur, tu l'enlaçais, heureux de la retrouver et de retrouver une présence réconfortante. La solitude ne te faisait pas de bien, en ce moment. "Tu es déjà venue ici ? C'est ouvert depuis quelques mois seulement je crois." Il y avait déjà du monde. La foule te chamboulait autant qu'elle te berçait. Tu avais besoin d'être entouré, même si c'était d'une cinquantaine d'inconnus. Pénétrant dans l'enceinte du bar, tu attendais qu'on vienne t'accueillir pour décliner ton nom. "Bonsoir, j'ai une réservation pour deux au nom de Sully." Tu avais pensé à tout. Impossible que votre tradition soit gâchée par manque de place. Le serveur vous sourit, vous conduisant à une place près de la scène. Retirant tes lunettes de soleil, tu les laissas suspendre sur le décolleté de ta chemise. "Je suis content de te voir." Tu soufflas finalement après t'être assis, regardant ta petite soeur -qui n'était plus si petite- qui semblait plus apaisée que tu ne l'étais. Tu le savais, sa présence te ferait du bien. Elle avait toujours eu le don d'embellir ta vie.