4 août. La nouvelle était tombée. Ta vie ne serait plus la même. Ton meilleur ami non plus. Encore dans le déni, prêt à tout sauf à affronter la réalité, tu avais fait une longue marche aux alentours de l'hôpital. Quasiment à bout de force, il fallait dire que tu n'avais pas dormi depuis deux jours, tu t'installas au premier café qui se présenta sur ton chemin. Tu pris un café, noir, grand, pour te maintenir éveillé. Tu retournerais sûrement à l'hôpital après cette longue marche. Ta voiture était encore sur le parking, et vu ton état tu ne voulais pas faire le chemin à pied jusqu'à chez toi. Tu n'étais cependant pas encore bien décidé : retourner voir Jacob ou rentrer à la maison ? Tu avais besoin de sommeil, de nourriture aussi. Tu fis signe au serveur de te ramener un bout de gâteau, peu importe lequel. Cela fera au moins ça de moins à faire, même si ce n'était pas digne d'un vrai repas. Le café était calme, il n'y avait en terrasse que toi, un couple de personnes âgées et un autre homme qui devait avoir ton âge en pleine lecture. En temps normal la curiosité t'aurait démangé de savoir ce qu'il lisait, toi, l'amoureux transi des mots et des lettres. Aujourd'hui, tout te semblait fade. Sirotant ton café et avalant ton premier repas depuis deux jours, tu réfléchissais. À la situation, difficilement compréhensible pour toi, à ta rencontre avec Flora, à ce que tu allais devoir dire à tes proches. Trop de questions, pas assez de réponses. Perdu dans tes pensées, c'est en voyant le couple quitter la terrasse que tu compris qu'il pleuvait. Quand le beau temps de ta balade était-il passé au gris, puis au pluvieux ? Ramenant ton café et ton dessert à l'intérieur, à la première table que tu vis, ton regard se pencha vers le serveur qui s'activait dehors pour tout rentrer, accompagné du lecteur que tu avais aperçu plus tôt. Sans hésitation, tu sortis les rejoindre. "Je vais vous aider." Tu suivais leur cadence, la pluie s'invitant d'ors et déjà sur toi, mouillant tes vêtements. Tu n'y accordas que peu d'importante. "C'est tombé d'un coup ou j'étais trop perdu dans mes pensées ?" Tu avais oublié ton téléphone dans ta voiture, et la notion du temps t'échappait. Ce n'était pas plus mal comme ça.

Il ne manquait plus que ça, la pluie.
Comme si toutes tes mauvaises pensées se cristallisaient dans le temps ambiant. Tout allait plutôt bien, et d'un coup, la pluie est survenue. Pluie emportant avec elle tes songes et tes angoisses. Ce n'est pas plus mal, finalement. Trop occupé à ranger in extremis ton livre dans ta sacoche, et à écarter tes affaires de l'eau. Bêtement debout, tu te rends compte que deux hommes s'activent à côté pour ranger au plus vite les tables et les chaises. Bonne idée. Ça occupera tes pensées le temps d'un instant. T'as besoin d'une parenthèse hors de la réalité où tu risques de craquer. Et il ne faudrait pas que tu craques, pas avoir la tenue que tu as toujours et les responsabilités qui viennent à toi. Tu proposes alors ton aide sans hésiter, entamant la conversation. C'est toi qui était complètement dans tes pensées et qui ne faisais pas attention au monde environnant ou la pluie est vraiment tombée d'un coup ? Tu ne serais pas étonné que ce soit la première option. Quand tu réfléchis trop, tu as tendance à te perdre dans ton monde. C'est pareil quand tu lis. L'autre client te répond. Son retour te rassure. Même si tu te perds dans tes pensées, t'es pas complètement absent de la situation. C'est bien tombé d'un coup, ou alors il est aussi dans son monde que toi. "Bon, ça me rassure alors !" Tu souris. La première fois de la journée. Le cœur reste néanmoins toujours aussi lourd. "On met tout en rangée ?" Tu demandes, au serveur, déposant après l'autre chaise sur chaise. Il acquiesce, vous expliquant comment mettre les tables et les chaises. Elles resteront à l'extérieur, contre la vitrine, enlacées d'un long câble antivol. "Je m'occupe de câbler le tout, vous pouvez rentrer à l'intérieur, merci ! Le prochain café est pour la maison."  A trois, tout va plus vite. La pluie ne s'arrête plus et vous êtes tous les trois bien mouillés. Le serveur vous lance un regard et vous fait signe de rentrer. Tu essaies tant bien que mal de sécher ta chemise avant de rentrer à l'intérieur du café. Tes cheveux aussi, sont bien mouillés. Tu passes une serviette en papier sur ton visage pour y éponger les quelques gouttes. Ton café initial n'est plus buvable, tu le déposes sur le comptoir avant d'y prendre un siège. Ta moitié de gâteau a survécu, au moins. Le serveur s'avance alors pour vous servir deux tasses, à l'autre client et toi. "C'est gentil, merci. Et ça tombe bien, mon café avait pris l'eau et je le préfère noir." Un dernier coup d'œil vers l'extérieur, tu entends le bruit de la pluie taper sur les vitres. C'est presque reposant, une fois qu'on est plus en dessous.

Honnêtement, tu rêves d'une situation normale. Ta vie a pris ces derniers temps un tournant tragique, et tu as besoin de souffler un petit peu. Mais comment peut-on le faire quand la vie et l'avenir de quelqu'un qu'on aime est en jeu ? Dans ce genre de situation, on se rend vite compte que notre banalité quotidienne est franchement précieuse, et qu'elle peut s'envoler aussi rapidement que ça. Si tu étais croyant, tu aurais vu ce moment comme un signe divin d'avoir droit à une pause. La pluie torrentielle qui sort de nulle part, la solidarité rapide de trois inconnus qui bravent l'humidité ensemble pour faciliter le travail de l'un deux. Un moment de vie en soi lambda, qui te fait étrangement du bien.

Une fois que tout est terminé à l'extérieur, tu pénètres dans le café, trempé, mais néanmoins content de retrouver un peu de chaleur. Tu t'essores comme tu peux encore à l'extérieur mais tes vêtements resteront mouillés encore un certain temps. Tu fais avec, ne pouvant pas vraiment ressortir pour le moment, ta voiture étant trop loin. La compagnie t'apporte un peu de gaieté. Tu ris à la remarque du jeune homme avec qui tu formais un trio il n'y a pas cinq minutes avant de voir sa mine déconfite découvrir son livre, mouillé. Tu grimaces. Le livre est pour toi un objet précieux, tu as la chance de sauver le tien rapidement. "Ça lui donnera le cachet de l'ancien et de l'aventure." Ce n'est pas tous les livres qui ont un jour la chance d'être trempé. Le café arrive, tu y colles tes mains comme pour te les réchauffer un peu. Il ne fait pourtant pas froid, mais la pluie a ce pouvoir miraculeux de tout rafraîchir. "Tu lis quoi ?" Impossible de ne pas lancer la conversation, au vu de ton métier. "Ou lisais." Tu t'essaies à l'humour, espérant retrouver un peu de ton ancien toi dans cette bulle de vie.