Aujourd’hui, c’était non pas le jour du sandwich au beurre de cacahuète, ni celui du bichonnage de bécane, mais tristement celui de se plonger dans sa compta.
C’était en tout cas ce qui était prévu à la base.
Ce soir : pas de sortie au bar, pas de balade sans but, rien qu’elle et les chiffres.
Un engagement qu’elle avait pris mardi, puis mercredi, avant de repousser à jeudi puis à ce soir.
Oui, elle pouvait être une femme qui préférait la fuite parfois.
Quand ça mettait en scène des chiffres, elle était le personnage du film qui choisissait la planque à l’action. Elle plaide coupable. Des opérations qui impliquent son argent, ça la terrifie.
Et pourtant, ce soir, elle avait décidé d’être une adulte responsable.
Elle avait prévu de se commander une pizza, elle avait sorti une calculatrice et un crayon à papier, et même ouvert son livre de compte. Incroyable mais vrai.
Elle était si bien partie, reconnaissons-le.
Elle n’irait pas jusqu’à dire qu’elle en retirait un certain sentiment de fierté, là, installée sur au bar de son oncle qui n’avait pas encore ouvert… mais il y avait un truc.
Un truc qui rimait soit avec désespoir, ennui profond ou dépression.
Elle hésitait encore.

Une bière en guise de café pour se tenir éveillée posée devant elle s’était vue rejoindre non pas par le ticket doré de Charlie… mais par un autre ticket de forme salvatrice.
Son oncle était quelqu’un de bien. Elle défendrait cette vérité jusqu’à la tombe.
Il avait sacrifié sa précieuse place de ciné, avait même prétexté, pour qu’elle ne remette pas en cause son sens de responsabilité, une incapacité à se rendre à cette obligation, et l’avait supplié de délaisser sa précieuse compta “pour ne pas gâcher”.
On ne faisait pas d’homme plus brave sur cette terre, elle en était persuadée.

C’était donc “pour ne pas gâcher” qu’elle s’était retrouvée à se chercher une place pour une petite séance de ciné en plein air.
ça faisait longtemps, la dernière fois remontait même sans doute à un an, mais de poser son cul quelque part pour mater un écran ce soir, ça lui allait bien.
Place du fond, choix classique de la trouble-fête, elle salue vaguement son voisin puis dégaine son téléphone pour passer le temps.
Elle pourrait sociabiliser, mais remet ça à plus tard.
Finalement, ce sont les spectateurs devant qui détournent son attention d’un message qu’elle ne termine pas. Elle entend une insulte, le soupçon d'adultère est formulé… et donc elle les laisse à leur vie privée qui ne la regarde en aucun cas ? Tant que le film n’a pas commencé, ce n’est pas son problème non ?
… elle le savait, elle aurait dû acheter du pop corn.
… quoi ? C’est mieux que les pubs non ?

La femme se plaint, elle a eu belle-maman au téléphone, son précieux fils l’appelle trop. Quand il est à la maison, ils passent rarement des moments ensembles, ils ne sont pas partis en vacances depuis qu’ils ont emmenagé au téléphone, et le type qu’il a vu sortir l’autre jour, ce n’était qu’un copain d’enfance.
« A mon avis, c’était plutôt son premier amour ou une connerie du genre. » c’est quoi ? Une comédie romantique avec des grands classiques ? Dis bonjour au moins avant de parler de la vie des autres à ton voisin « J’ai pas vu assez de films de romance pour le dire, mais ça sent la mauvaise magie là. » les ondes de la séparation, en quelque sorte.