T’as l’impression que tu ne t’y feras jamais. Te réveiller dans cette maison bien trop grande pour toi, dans cette chambre qui te semble immense, immensité renforcée par le vide qui la meuble. Les premiers jours, t’as continué à dormir dans ton van, à la fois par habitude, mais aussi le temps de nettoyer cette vieille bâtisse inoccupée depuis deux ans. Premiers achats essentiels, un aspirateur, un plumeau et des chiffons qui sont désormais posés dans un coin, qui t’on aidé à passer deux jour à remettre toutes les pièces dans un état acceptable. A l’étage, t’as tout bien fait à fond, histoire d’être tranquille, n’ayant pas l’intention d’y foutre les pieds bien souvent. T’as pas besoin d’autant de place, le rez-de-chaussée te suffit, et surtout, tu sais qu’il serait stupide de t’installer en haut d’un escalier quand tu ne sais pas comment les choses vont évoluer pour toi.

Les meubles sont épars. Un lit et une petite commode dans la chambre, et les placard de la cuisine équipée, et de la salle de bain. C’est tout. T’as guère besoin de plus, en vérité. Seuls restent à la cave un vieux canapé qui aura bien besoin d’un coup de propre, et une petite table de salle à manger et ses chaises. Rien d’essentiel en soit, mais tu dois admettre que ça peut être pratique. Sauf que seule, tu ne pourras jamais les remonter. Et à qui demander un coup de main ? Tu connais quasi personne, ici. Et ceux que tu connais, tu les as pas vu depuis longtemps - et tu ne les as même pas encore prévenu de ton retour. Quant à ta fille, la seule au courant de ta présence ici, pas question de lui demander. T’as envie de renouer avec elle, pas de lui demander un tel service alors qu’elle même doit s’installer.

Le regard fixé sur le plafond, agacée par ta situation, t’as aucune envie de te lever, de commencer une nouvelle journée sans intérêt. Deux mois maintenant que c’est la même rengaine, à chaque lever de soleil. T’attrapes ton téléphone - tout neuf, le précédent, sacrément âgé, ayant eu la gentillesse de rendre l’âme à ton arrivée à Brisbane. Comme s’il s’était calé sur ton humeur, s’il avait décidé que sa vie allait s’arrêter en même temps que la tienne. T’en as racheté un, presque à contrecœur. T’as jamais été une grande utilisatrice, mais tu sais aussi que tu ne peux pas t’en passer à l’heure actuelle, encore moins si tu veux pouvoir communiquer avec ta fille.

Hésitant quelques instants, tu finis par te décider. Tu ne pourras pas repousser indéfiniment. T’as rien contre la solitude, mais dans ce contexte si loin de tes habitudes, de tes repères, tu vas avoir besoin d’un peu de contacts humains. Et si t’es tout à fait honnête avec toi-même, il y a quelques personnes que ça te ferait plaisir de revoir. Leon fait partie de ceux-là, une des personnes que tu connais depuis le plus longtemps. Message envoyé, il ne tarde pas à te répondre, par une boutade qui t'arrache un rire inattendu. Sans doute le premier depuis longtemps. Quelques sms plus tard, vous avez convenu d’une date pour qu’il vienne boire un café, et sur sa proposition, t’aide à remonter les vieilleries de la cave. Téléphone reposé, léger sourire au lèvres, tu finis par te lever, avec pour idée de jeter un œil au jardin, lui aussi dans un état lamentable.

Quelques jours plus tard, tu finis juste de tout préparer quand la sonnette retentit. T’as sorti la petite table d'extérieur de voyage qui t’as tant servi pour la poser à l’arrière de la maison, t’as fais quelques courses hier pour avoir le café et les chocolats promis, ainsi que quelques autres trucs à grignoter. T’ouvres la porte pour te retrouver face à ton vieil ami. Il a changé, c’est indéniable. Comme toi. Faut dire que bien des années vous séparent de votre dernière rencontre, et bien des choses se sont passées depuis. “Leon ! Je vois que t’as réussi à retrouver le chemin ! Viens, entre.” La maison, qu’il a connu à l’époque de votre adolescence, doit lui sembler bien différente - mais tu l’avais prévenu. “Je suis contente de te revoir !” Ça vient très clairement égayer un peu ton quotidien, ce dont t’as bien besoin. “Comment tu vas ?”