boutiques de luxe (paddington) ⋄ Samedi 29 juillet 2023 — 15h40

Si elle est la première à terminer son diabolo grenadine, Ally est la dernière à dégainer son portefeuille au moment de payer de l'addition. Quand bien même le mois de juillet est le plus fructueux de l'année pour ses finances, la jeune femme n'a pas l'intention de dilapider ses rares deniers personnels pour un verre vendu bien trop cher pour ce qu'il est - sans la moindre goutte d'alcool et avec un vulgaire agitateur à cocktail en inox là où il en existe des bien plus jolis. Elle laisse donc soin à Elio de régler la note et d'y ajouter le pourboire qui lui semble adapté au service médiocre auquel ils ont eu droit alors qu'elle publie une nouvelle story sur Instagram. Elle se contente de partager la photographie des boissons qu'elle a faite plus tôt sans, toutefois, identifier le bar d'où elles proviennent. L'endroit n'est pas assez huppé pour briguer de nouveaux followers au profil intéressant ; autant s'abstenir, donc, de partager sa localisation en direct.

- Merci, se montre-t-elle reconnaissante envers le geste de son ami, alors qu'elle se décide enfin à lever ses fesses de son fauteuil pour quitter cet endroit.

L'après-midi est à moitié entamé et Ally n'a pas le moins du monde envie de rentrer chez elle pour le moment. La compagnie du meilleur ami de son frère lui est toujours aussi agréable. Cependant, même s'ils ont évoqué par message la possibilité de flâner dans quelques magasins de prêt-à-porter, elle ignore si cette proposition est toujours d'actualité. Le lieu de leur rencontre rend la tâche d'autant plus ardue et fait même se montrer hésitante Ally.

Paddington est connu pour être le quartier bourgeois de la ville. Les boutiques qui s'alignent dans les ruelles ont, certes, des produits de qualité, mais ne permettent nullement à la trentenaire d'effectuer le moindre achat. Cette amatrice de shopping est donc sur la réserve. Là où elle aurait rejoint à la hâte chaque magasin au sein d'un centre commercial, c'est d'un pas bien moins enjoué qu'elle marche aux côtés d'Elio.

- Il est bizarre en ce moment, Matthew. Il tire la gueule. Plus que d'habitude, j'entends, précise-t-elle alors que c'est un soupçon d'inquiétude qui se lit sur son visage. Tu sais ce qu'il lui arrive, toi ? J'ai bien cru qu'il s'était découvert un nouveau penchant pour les mecs mais il m'a dit que non. Que ce n'était pas ça.

Elle hausse les épaules. Elle ne comprend pas le comportement du policier depuis plusieurs semaines. Il tend à se renfermer, même face à sa petite sœur avec qui il partage pourtant (presque) tout. Elio en sait sans doute plus. À tout le moins aura-t-il peut-être quelques éléments de réponse à apporter à la plus jeune des Hurley pour qu'elle cesse de se tracasser pour son frangin.

C'est dans le même temps que le psychologue s'arrête devant une boutique. Un magasin de prêt-à-porter de luxe où les habits reflètent une qualité certaine, même à travers la vitrine. Matières de choix, coupes cintrées, coutures et surpiqures droites et régulières. Il n'en faut pas davantage à Ally pour que ses yeux ne se mettent à briller. Puis, pour qu'ils ne soient saisis d'une violente envie de pleurer lorsqu'ils se dirigent vers les pieds du mannequin et qu'ils n'y décèlent aucune étiquette. Si les prix ne sont pas portés à la connaissance des passants, c'est nécessairement parce qu'ils sont indécents. Pour autant, cela n'empêche en rien Elio d'ouvrir la porte de la boutique et d'inviter Ally à y entrer.

- Sérieusement ? s'enquit-elle en écarquillant les yeux sans toutefois se faire prier pour entrer. Elle renoue instantanément avec sa bonne humeur explosive, presque hystérique. Pourtant, elle se contient et salue les personnes présentes dans les lieux avec toute la bienséance que l'endroit exige. Donc tu comptes vraiment acheter des habits à Matt ? C'est quoi, le truc ? Il va vraiment falloir m'expliquer, là, expose-t-elle en parlant doucement, alors qu'elle rejoint l'espace de vente dédiés aux habits masculins et que ses yeux se promènent délicatement sur le costume bleu nuit.

boutiques de luxe (paddington) ⋄ Samedi 29 juillet 2023 — 15h40

Si Ally est connue pour être une grande bavarde, elle est également une personne qui sait observer. Elle aime passer au crible les gestes et les expressions pour tenter de leur donner un sens. Certes, son analyse n’est pas juste dans 100% des cas – elle extrapole parfois trop et son imagination s’étend souvent au-delà du raisonnable. Pour autant, son ratio de déduction n’est pas non plus extrêmement mauvais et il reste dans ce qu’elle estime être la courbe haute. C’est sans doute pour cela – et aussi parce qu’elle est curieuse, il faut bien le reconnaître – qu’elle continue de s’évertuer de percer les secrets des uns et des autres.

Avec Matthew, la dimension est plus importante ; elle se soucie réellement de son bien-être et de ce qui lui arrive. Alors, il est vrai qu’elle a mis du cœur à l’ouvrage à essayer de comprendre ce qui peut bien le tracasser de la sorte ces derniers temps. En plus d’être grognon, son frère se referme d’autant plus sur lui-même et lui tient rigueur de choses qui n’auraient pas même attirées son attention si son état d’esprit n’était pas ainsi parasité. Il connaît la maladresse de sa cadette ; il sait également que le rangement et elle, ça fait deux, à l’exception de sa garde-robe et de son bureau qui sont toujours ordonnées par dégradé de couleurs. Lui hurler dessus parce qu’elle a fait tomber la conserve de haricots verts après s’être entravée dans une boite de chaussures qu’elle a laissée trainer va bien au-delà de ce que l’on peut habituellement attendre comme réaction chez le policier.

Ally a eu beau observer, questionner et laisser traîner ses yeux et ses oreilles, aucun indice n’est venu jusqu’à elle. Elle n’a surpris aucune conversation entre Matthew et une personne suspecte, n’a pas vu son téléphone recevoir des notifications autres que celles liées à son travail et n’a pas croisé son frère prêt à partir en soirée ou à recevoir la moindre compagnie. Ses recherches sont restées lettre-morte.

Espérant qu’Elio en sache plus qu’elle à ce propos, elle n’hésite donc pas à le questionner et, au passage, à faire part de ses propres hypothèses. Si elle ne considère pas sérieusement que son frère ait changé d’orientation, elle est consciente que le problème doit être important pour qu’il soit à ce point irritable et renfermé. Mais elle, tristement, n’est pas parvenue à mettre la main sur ce fameux détail qui lui permettra de comprendre.

- Justement, non, soupire-t-elle. Pourtant, tu me connais. J’ai laissé traîner mes yeux et mes oreilles mais… rien. C’est comme s’il avait décidé de mettre sa vie sociale sur pause depuis…

Depuis quand ? Les sourcils de la brunette se froncent alors qu’elle essaie de reconstituer l’historique. Malheureusement, elle ne saurait dire depuis combien de temps son frère est à ce point irascible.

- Plusieurs semaines, c’est certain.

C’est la conclusion la plus fiable qu’elle puisse faire à l’heure actuelle. Et si Elio n’en sait pas davantage qu’elle – à tout le moins, de ce qu’il dit – ils risquent de ne pas parvenir à élucider ensemble ce mystère.

Tout en gardant cette conversation à l’esprit, Ally évolue parmi la haute-couture pour homme qui lui fait face. Le fait qu’Elio souhaite réellement lui acheter de nouveaux vêtements la conforte d’autant plus dans son idée que quelque chose cloche réellement avec Matthew. Le sentiment que le meilleur ami de son frère en sait plus qu’il ne veut bien le lui faire croire l’habite, alors qu’elle prétend croire à son couperet sur la nécessité de renouveler les habits du policier.

- Tu noteras quand même qu’il a quelques tenues classes.

Elle est bien obligée de défendre les quelques tenues qu’elle lui a achetées depuis qu’elle habite avec lui. Des habits qu’ils n’auraient jamais portés en temps normal, des associations auxquelles il ne se serait jamais essayé mais qui lui vont pourtant à merveille. Ally n’a pas pu y mettre le prix des habits qui lui font face, c’est certain, mais elle estime avoir tout de même réussi des coups de maître avec le budget aussi serré qui est le leur. Pour aujourd’hui, a priori, aucune limite n’est annoncée. Elio se sent prêt à faire chauffer sa carte bancaire et indique même à la brune de ne pas se soucier des étiquettes.

- Ça, c’est dans mes cordes, réagit-elle, le sourire espiègle au bout des lèvres.

Il va sans dire que son regard trahit tout son émerveillement quand Elio indique que le magasin dispose également d’articles féminins et qu’il pourrait récompenser ses efforts. Mais ne serait-ce pas là que d’abuser grandement de la gentillesse du Montgomery ? Ally y pensera plus tard. Pour l’heure, elle s’avance à travers les allées en désignant les articles les uns après les autres, en annonçant les tailles et les accessoires qui iraient bien. En agissant comme dans les films, elle ne s’attendait pas à ce qu’une vendeuse arrive et prenne à la lettre ses indications pour récupérer les habits et l’orienter vers les portants adaptés à ses recherches. Il va sans dire que, pour Ally Hurley, cette virée shopping prend les allures d’un rêve.

- Des mocassins en daim et des Richelieu en cuir lisse, marron, finit-elle avant de se tourner vers Elio, victorieuse. Alors, j’étais comment ?

Inspirée, il va sans dire, à en voir les bras chargés de la vendeuse qui s’éloigne déjà vers les cabines en promettant de revenir rapidement.

- À ton tour ou tu as parfaitement confiance en mes choix et on passe directement aux essayages ? s’enquit-elle, prête à faire d’Elio son cobaye pour s’assurer que toutes ses associations sont les bonnes.

boutiques de luxe (paddington) ⋄ Samedi 29 juillet 2023 — 15h40

En appréhendant cet après-midi avec Elio, Ally pensait réellement obtenir quelques informations sur Matthew. Elle espérait ne serait-ce obtenir que quelques indices pour permettre à son sens de l’observation de faire le reste et d’enfin déterminer ce qui tourmente son frère depuis plusieurs semaines. Le policier est irritable et son regard est encore plus éteint qu’à l’accoutumée. Même sa passion pour la pêche semble en faire les frais car, même s’il est évident que la météo n’est pas la plus propice à cette activité de plein air, Matthew ne l’évoque plus. Il ne passe pas un temps incommensurable à prévoir ses futurs achats et à faire le point sur le matériel dont il dispose déjà pour préparer la saison à venir. Rien. Seul son matériel de musculation semble encore avoir de l’intérêt à ses yeux. Et au vu des révélations du psychologue, celui-ci n’en sait pas beaucoup plus sur l’état d’esprit actuel du trentenaire. Ally et Elio en concluent que Matthew ne tient visiblement pas à se confier à eux et, si c’est bien une mine déçue qui s’affiche sur le visage de l’amatrice de mode, celle-ci préfère ne pas relever.

Le lieu qui l’entoure est bien trop magique pour qu’elle se laisse aller à la déprime. La mauvaise humeur de Matthew ne doit pas déteindre sur elle. Et puis, elle ne perd pas de vue que cette sortie avec Elio a été pensée pour, justement, apporter un peu de baume au cœur au policier. Quand il les verra revenir avec des sacs pleins à craquer de nouvelles tenues chics et élégantes, son humeur maussade passera. Ally en est certaine : s’offrir de nouveaux habits est la meilleure des thérapies.

- Arg. Ne me parle pas de sa voiture. On n’est pas ici pour se faire du mal, réagit la trentenaire dont le dégoût s’inscrit sur le visage.

Parfaitement dans son élément, elle chasse bien vite l’image de l’horrible camionnette de Matthew de son esprit pour s’attarder sur ce qui est réellement joli. Elle passe de portique en portique en choisissant des tenues comme si elle avait fait ça toute sa vie. Comme si cette boutique était la sienne et qu’elle avait choisi avec soin la disposition de chaque pièce de vêtements. Les assemblages se font naturellement, les tailles sont trouvées en un simple coup d’œil et il ne faut que quelques minutes à la trentenaire pour se retrouver avec plusieurs ensembles qu'elle remet à la vendeuse pour que celle-ci les apporte en cabine d'essayage.

Évidemment, cette sortie ne serait pas totalement à son image si, si tôt sa sélection terminée, Ally ne cherchait pas à se faire mousser. Elle n'hésite pas à demander à son ami comment elle était, n'espérant rien de moins qu'une réponse sous-entendant qu'elle frôlait la perfection. Elle sait qu'avec Elio, la réserve est toujours de mise, et qu'il n'ira jamais lui dire de but en blanc qu'elle est la meilleure, même si rien n'est plus vrai. C’est donc avec une vraie surprise qu’elle entend le psychologue souligner qu’elle était parfaite, alors qu’un sourire de petite fille heureuse prend possession de ses lippes. Est-ce un feu d’artifice qui naît en elle au même instant ? Certainement. Un feu qui brille de plus belle quand Elio accepte de lui faire le plaisir d’essayer les tenues. La validation n’en sera que plus fiable encore et ils ressortiront d’ici en ayant la certitude d’avoir fait les bons choix pour le relooking du policier.

- C’est vrai, Matthew est plus musclé que toi, réagit-elle au fait qu’Elio ait souligné qu’ils ne faisaient pas la même taille.

Le sourire heureux d’Ally se meut en un sourire amusé, alors qu’elle suit le psychologue jusqu’aux cabines d’essayages au sein desquelles les différentes tenues ont été entreposées par la vendeuse. Déjà Elio disparaît dans l’une d’entre elles alors qu’elle s’installe sur le pouf en cuir. Quelques minutes plus tard, Elio apparaît dans sa nouvelle tenue. La qualité du tissu est incontestable. La finesse de la coupe également.

- T’es beau.

Ça lui échappe, à Ally. Ce compliment passe ses lèvres de la même façon naturelle qu’elle pourrait dire qu’il se met à pleuvoir dehors. Pourtant, à aucun instant elle ne le remarque, trop concentrée à scruter la tenue que porte Elio.

- Oui, je suis sûre que ça lui ira super bien ! répond-t-elle finalement en reportant ses pensées sur son frère. Mais il manque un petit quelque chose… Une petite touche de peps. Bouge pas !

Telle une fusée, Ally se lève en un bond et repart à l’intérieur de l’espace de vente. Elle se dirige naturellement vers l’espace où sont entreposées les différentes pochettes de costume et en choisit trois en soie, aux motifs différents, avant de revenir vers Elio. Deux des pochettes sont abandonnées, alors qu’elle conserve celle aux teintes assorties à l'ensemble pour venir la glisser dans la poche extérieure de la veste que porte toujours Elio, le tout en faisant un pliage effet bouffant. Alors qu'elle termine son pliage, sa main se glisse sur le torse du brun, juste avant qu'elle n'opère un demi-tour pour qu'ils se retrouvent tous deux face au miroir.

- Qu'en penses-tu ? demande-t-elle en restant collée à côté de lui, une main sur son épaule et l'autre sur son torse.